Chapitre 33




Bella ne désirait plus ouvrir les yeux. Elle désirait dormir jusqu'à l'infini et oublier tout ce qu'il venait de se passer. Son cœur lui faisait tellement mal qu'elle avait l'impression qu'il s'était arrêté de battre. Cela faisait des heures qu'il l'avait enfermé dans cette chambre et elle savait qu'il ne s'agissait pas de la même car les odeurs n'étaient pas celles qu'elle avait gardé en mémoire. Il n'y avait pas de balcon, juste une fenêtre donnant sur l'entrée du domaine. Elle pouvait sentir le parfum de la lavande mais ne pouvait pas voir ce champs qu'elle s'était longuement imaginée. Elle glissa une main sous l'oreiller moelleux en se disant intérieurement que cette chambre aux tons bleus était mieux que rien du tout, consciente que la gravité de la colère du mafieux aurait pu le conduire à l'enfermer dans la prison. Une profonde et insupportable tristesse l'empêcha de reprendre sa respiration et ce fut pire lorsqu'elle se décida à ouvrir les yeux. Son cœur qu'elle pensait mort se mit à battre violemment contre sa poitrine.

Son cœur battant l'empêcha de bouger alors qu'il était là, assis dans un fauteuil et dans la pénombre. Une vive sensation gravitait en elle sans qu'elle puisse l'arrêter. Il portait un tee-shirt noir dévoilant son imposante carrure. Elle se laissa piégée par ce physique inégalé, menaçant et captivant, jusqu'à ce que la réalité ou plutôt son regard la rattrape.

Ses yeux d'une noirceur terrifiante étaient fixés sur elle et Bella n'avait pas la force de soutenir cette noirceur. Elle se redressa néanmoins, les cheveux en bataille, la faim au ventre, la bouche sèche. Il porta son verre rempli de liquide ambrée à ses lèvres avec un jeu de mâchoires.

  - Je veux partir, s'il te plaît, murmura-t-elle d'une voix moins claire qu'elle l'aurait espéré.

  - Ta mèche de cheveux, que lui est-il arrivé ? Demanda-t-il en la pointant du doigt.

Instinctivement elle passa sa main dans ses cheveux l'air gêné.

  - Mon opération, le chirurgien a dû en enlever un peu pour procéder à l'intervention.

Elle avait repoussé, mais était encore loin d'atteindre la longueur exacte de ses cheveux.

  - Alors tu as finalement eu ton miracle.

Il y avait une pointe d'amertume dans sa voix et presque de la déception. Son regard demeurait toujours froid et détaché. Attristée Bella baissa les yeux et ne les releva pas tout de suite.

  - Oui, je l'ai eu, finit-elle par dire la bouche engourdie. J'ai beaucoup souffert, mais je peux enfin voir, même si sur les côtés je n'ai pas...

  - Peu m'importe, la coupa-t-il.

Une lame chauffée à blanc enfoncé dans la gorge Bella attrapa le tissu de sa robe pour le serrer dans ses poings. Les larmes montèrent toutes seules et elle ne put les arrêter. Sa froideur, son indifférence, sa façon de la regarder comme si elle ne représentait rien pour lui étaient de loin le pire des scénarios parmi ceux qu'elle avait envisagé.

  - Tu penses que lorsque j'étais aveugle je ne savais pas qui tu étais ? Lança-t-elle avec un mélange de colère et de tristesse. J'ai une nouvelle pour toi. L'image que je me faisais de toi était celle d'un monstre.

Il serra les dents, des éclairs sombres dans les yeux.

  - Aveugle ou pas je t'ai toujours considéré comme un monstre, cracha-t-elle les larmes aux yeux. Sauf que je ne m'attendais pas à ce que tu sois aussi cruel.

Il se leva vivement, le torse affolé de violentes respirations animées par la colère qui brûlait dans ses yeux. Elle ne le lâcha pas du regard, le maudissant assez par les yeux pour que le verre qu'il tenait éclate dans sa main qui se ferma en poing.

Malgré le sursaut qui s'empara d'elle alors que les bouts de verre tombèrent un à un sur le carrelage froid, Bella tint bon et essaya de ne pas lui montrer à quel point elle avait peur.

Le mafieux tourna les talons en lui offrant un dernier regard cruel.

  - Tout ça c'est de ta faute ! Dit-elle au moment où il s'apprêtait à franchir le seuil de la porte.

Il s'arrêta brutalement mais ne se retourna pas.

  - Tout ça c'est entièrement de ta faute et si tu m'avais laissé une chance de t'expliquer tu le saurais ! Tu ne mérites même pas de savoir !

La bouche tordue d'une moue amère elle fixa sa main qui perlait de gouttes de sang se fermer en poing une nouvelle fois puis il s'en alla sans mot dire. Il l'enferma à nouveau comme si plus rien n'avait existé entre eux. Comme si elle était rien d'autre qu'une prisonnière.

Le cœur serré d'une insupportable douleur elle tourna la tête vers l'assiette posée sur la table de nuit et la pris avec hâte pour manger ce qu'il avait consenti à lui apporter.

Un infime voire inexistant espoir s'alluma en elle, réveillé par cette simple assiette car cela voulait peut-être dire qu'elle comptait un peu pour lui. Juste un peu. Tout n'était peut-être pas perdu...

Massimo posa la compresse sur la coupure dans sa paume de main et de l'autre avala une autre gorgée de bourbon. Au lieu d'apaiser sa colère la jeune femme l'avait fait grandir un peu plus jusqu'à la rendre innarêtable.

  - Ta colère va finir par te faire regretter ce qui se passe mon ami, lança Vincenzo depuis l'entrée du salon.

Massimo ne répondit rien et releva seulement son regard noir sur le mur en face de lui.

Il l'entendit marcher jusqu'à lui et se placer sur le fauteuil à côté du sien. Le silence, Massimo avait besoin de silence mais savait d'or et déjà que Vincenzo n'allait pas se taire.

   - Qu'est-ce qui te rend si fou de rage mon ami ? Qu'elle puisse te voir ?

   - Vincenzo, s'il te plaît ! Siffla-t-il sans le regarder.

   - Non, je suis désolé mais je ne peux pas te laisser faire des erreurs que tu vas indubitablement regretter par la suite, insista l'italien qui avait toujours été d'un calme et d'une sérénité stupéfiante et même quand il tuait. Tu es en train de faire une grosse erreur en l'enfermant dans cette chambre.

Massimo n'en avait que faire qu'elle puisse se sentir prisonnière, car elle l'avait en quelque sorte cherché. Sa colère était égale à la fureur qui fusait dans ses veines comme un poison innarêtable. La revoir était comme rouvrir une béante blessure qui commençait tout juste à cicatriser et savoir que désormais elle pouvait le voir rendait ce moment encore plus pénible et insupportable.

   - Tu ne peux pas la traiter comme une étrangère tout ça parce qu'elle peut enfin te voir.

   - Elle aurait dû rester là où est sa place ! Tonna-t-il en se levant d'un bond pour s'éloigner.

   - Tu étais un monstre lorsqu'elle était aveugle et crois-moi tu demeures toujours un monstre maintenant qu'elle peut te voir, surtout avec la façon dont tu la traites. Depuis qu'elle est partie tu as changé.

   - C'est faux, dit-il tout bas et d'une voix sombre.

   - Au fond de toi tu sais que j'ai raison Massimo, insista-t-il toujours aussi calmement. Nous sommes amis depuis plus de dix ans et je ne t'avais jamais vu comme je te vois depuis plus d'un mois, autrement dit depuis que tu lui as rendu sa liberté. Depuis qu'elle est partie tu es devenu un autre homme. Avant tu tuais de façon sadique, mais depuis un mois c'est au-delà du sadisme. C'est comme si tu cherchais constamment à compenser quelque chose qui te manque. Tu chasses comme un animal primitif tes proies. Tu as changé et c'est parce qu'elle est partie.

Massimo serra les poings en ignorant le sang qui continuait de couler dans sa paume de main.

  - Je n'ai rien à lui apporter ! Je n'ai rien à lui offrir et tu le sais !

  - Tu en es sûr ? Dans ce cas pourquoi tu ne m'as pas laissé gérer ça depuis le commencement ? Répliqua Vincenzo. Tu as voulu te charger toi-même de cette fille et ce n'est pas un hasard. J'aurai pu m'en charger, la mettre dans l'une de nos planques le temps de régler cette affaire, mais au lieu de ça, tu as choisi de la prendre sous ton aile, de la ramener jusqu'à ta villa. Je ne crois pas au hasard, en tout cas pas avec toi, car rien n'est un hasard avec toi Massimo.

  - Je voulais me divertir.

  - Tu ne crois même pas en ce que tu dis, pouffa Vincenzo en se levant à son tour.

Massimo poussa un juron.

  - J'ai contacté son médecin, reprit Vincenzo en plaçant à côté de lui. Je voulais savoir comment c'était possible qu'un tel miracle se produise. Massimo est-ce tu lui as déjà demandé des détails sur sa cécité ? Ce qu'elle avait bien pu traverser ?

Massimo ferma les yeux en lâchant un soupir agacé.

  - Elle a eu trois interventions douloureuses avant que celle-ci daigne enfin marcher. Trois interventions douloureuses. On lui a charcuté les yeux comme un vulgaire cobaye. On lui a ouvert le crâne pour...

  - Silenzio ! Ordonna-t-il en le regardant enfin avant de s'éloigner.

  - Tu n'as pas le droit de la punir d'avoir voulu recouvrer la vue Massimo et d'avoir voulu voir à quoi tu ressembles.

  - Je ne peux rien lui offrir ! Cette vie n'est pas pour elle ! Dìo ! Tu le sais pourtant ! S'emporta Massimo en raflant son verre sur la petit table.

  - Dans ce cas laisse-moi la ramener au port, décréta Vincenzo en soutenant son regard. Je vais la ramener.

Alors qu'il progressait en direction de la sortie, Massimo lui bloqua le passage, un rictus menaçant aux lèvres.

  - Tu ne vas nulle part avec elle.

Vincenzo esquissa un furtif sourire.

  - C'est bien ce que je pensais, dit-il en s'éloignant.

Les mâchoires serrées, il le regarda partir et attendit d'être seul pour extérioriser cette colère qui ne le quittait pas.

Il posa ses mains à plat sur la table en respirant comme une bête sauvage. Vincenzo avait en partie raison, et il se savait égoïste et trop en colère pour se raisonner.

Tout en se laissant tomber dans le fauteuil il ouvrit sa paume de main pour fixer la coupure qui ne lui apportait aucune douleur semblable à celle qu'il avait dans le cœur. Un cœur normalement mort et totalement asséché. Il se refusait à la vérité de Vincenzo parce qu'au tréfonds de son âme sombre il savait qu'elle avait tout son sens.

Harassé mentalement il ferma les yeux et resta assis là dans ce fauteuil tout en résistant à l'appel de son esprit qui lui hurlait de remonter pour la rejoindre afin de continuer à la contempler jusqu'à épuisement.

Lorsqu'il l'avait retrouvé dans la cour de cette auberge une myriade d'émotions l'avait saisi sans qu'il puisse l'arrêter. Dans cette robe blanche à moitié trempée sur le haut, le cou et le visage humides, les cheveux cascadant jusqu'à ses hanches délicates, Massimo avait été frappé par une violente jalousie incontrôlable. Un élan possessif l'avait poussé jusqu'à elle et à ce moment-là ce n'était pas l'idée qu'elle puisse le voir qui l'avait rendu violent, mais le fait qu'elle soit si séduisante, si belle et qu'elle ne lui appartienne plus. La revoir avait été comme une explosion intérieur...à la fois douloureuse et profondément agréable.

Seulement très vite Massimo s'était rappelé qu'elle pouvait désormais le voir...voir le monstre qu'il était et une forme de dégoût l'avait saisi.

Vincenzo avait peut-être raison, mais il se trompait sur un point. Le monstre qu'elle s'était imaginée dans sa tête était sans doute moins pire que la réalité.

Et encore ce soir, il lui avait prouvé...

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