Chapitre 19




En montant l'escalier qui menait à la pièce la plus ancienne de la prison, précisément dans la tourelle en encorbellement, Massimo repensait inlassablement à la dernière question de la jeune femme et à la réponse qu'il lui avait donné. Voyant qu'il vacillait dangereusement vers un comportement qui pourrait devenir très dangereux, il préféra monter plus vite l'escalier et réprimer toute pensée capable de le dévier de son objectif.

Il ouvrit la vielle porte et découvrit d'abord Nikki qui était assise en face de la fausse bonne sœur.

Sans son accoutrement, elle ressemblait exactement à ce qu'il s'était imaginé. Blonde, les cheveux au carré, elle se tenait avec nonchalance, les yeux cernés, mais percés de lueurs vives. Derrière ces lueurs, il était facile d'y lire une inquiétude qu'elle essayait en vain de cacher pour garder de sa superbe.

Massimo resta impassible volontairement et abaissa ses yeux sur son chemisier ouvert généreusement.

  - Comment avez-vous compris que je n'étais pas bonne sœur ? Demanda-t-elle en tirant sur sa cigarette.

Massimo ferma la porte en jetant un furtif regard sur Nikki qui fixait la suspecte froidement.

Il avait un plan pour la faire parler et il espérait que les expressions de Nikki ne mettent pas en péril son objectif.

  - Une bonne sœur ne regarde pas un homme comme vous l'avez fait, commença-t-il en se plaçant derrière la chaise de Nikki. De façon aguicheuse. Une séductrice ne peut guère échapper à sa véritable nature.

Elle esquissa un sourire provocateur en dardant son regard sur lui.

  - Lorsque je vous ai vu entrer dans l'église, j'ai compris qui vous étiez, commença-t-elle en gardant une attitude nonchalante. Vous étiez une légende que l'on raconte aux enfants pour leur faire peur avant de vous voir réellement. Vous êtes exactement comme on me l'a décrit. Je n'ai pas pu résister à l'appelle charnel qui s'émane de vous Signore Di Marzio.

Son comportement indiquait ce qu'il avait à savoir avant de poursuivre son plan. Elle cherchait à le charmer en ayant brièvement conscience qu'elle était en difficulté comme si elle était presque sûre de pouvoir s'en sortir par le sexe.

  - Concernant la fille, commença Massimo toujours impassible, vous m'avez doublé et je n'aime pas être doublé.

Un silence s'ensuivit et Nikki se redressa seulement sur la chaise en la faisant craquer légèrement, mais n'émit aucune réaction susceptible de faire échouer son plan.

Alors le regard de cette femme s'illumina très vite tout en crachant un nuage de fumée dans sa direction.

  - Si vous la vouliez, il fallait tout simplement le dire et mettre le prix.

  - Je ne quémande pas, c'est moi qui donne les ordres ici, c'est mon pays, mes lois, mes règles.

Une ombre inquiète passa dans ses yeux, peinant à être masquée par son sourire nonchalant.

  - Célia n'est pas ton véritable prénom n'est-ce pas ?

  - Non, je m'appelle Béatrice et je travaille pour Domizio Danti, répondit-elle sans effort, ne se doutant pas une seconde qu'il était en train de la piéger.

  - En quoi consiste ton rôle tesoro, s'enquit Massimo en s'approchant de la table en bois pour y apposer ses mains.

  - J'organise le transfert des filles, répondit-elle d'une voix rauque avec un jeu de regard sensuel à la limite de l'excitation.

Massimo esquissa un lent sourire de façade en se redressant lentement puis alla se positionner devant l'ouverture de la grande fenêtre qui donnait sur la mer. Mains dans les poches de son pantalon, dos tourné, il fit retomber ce faux sourire et son visage devint très sombre.

  - Elles sont plusieurs ? Demanda-t-il alors sur un ton faussement calme.

  - Elles l'ont été depuis trois ans maintenant, se vanta Béatrice. Chaque année en période d'été deux hommes sont recrutés pour agir en guide touristique. Chaque fois qu'une fille leur semble idéale, ils les prennent en photos. Domizio approuve ou non, et si c'est le cas, le premier recruteur leur propose de les amener à l'église qui offre le gîte pour la nuit. Une aubaine pour nous d'avoir trouvé des sœurs aussi compatissantes et généreuses.

Elle émit un petit rire amusé qui fissura le visage de Massimo un peu plus.

  - Je suis une infiltrée qui attends la marchandise, reprit-elle fièrement. Une fois livrée, je me charge de les garder sous la main afin qu'elle ne décide pas à tout moment de partir vers une autre destination qui compliquerait la tâche. Je fais le nécessaire pour qu'elle ait confiance puis quand tout est prêt le second recruteur qui se présente comme lui aussi un guide se charge de l'enlèvement final.

Tout était en train de s'obscurcir autour de lui, et il ne bougea pas, les yeux fixés sur la mer en ayant l'impression qu'elle devenait rouge sang.

  - Pourquoi insister avec cette fille ? Demanda Nikki agressivement. Elle n'est plus à vous maintenant.

  - Parce que sur toutes les filles vendues jusqu'à présent, c'est la seule qui pèse le plus d'or. En plus d'être jolie et bien foutu, sont handicap a fait exploser les ventes sur le net. Quand Domizio a reçu sa photo prise par le guide avec une note indiquant qu'elle était aveugle, il a expressément ordonné qu'elle soit livrée le plus vite possible.

Nikki se redressa un peu plus sur la chaise en regardant le dos du mafieux se soulever dangereusement. Il respirait fort, mais silencieusement et plus cette femme parlait, plus l'aura diabolique autour de lui devenait de plus en plus étouffante et lisible.

  - Avec une aveugle comme elle, c'est le paradis et tout les hommes qui ont misé de l'argent sur elle le savaient. Facilement malléable, dans l'incapacité de se déplacer seule et de s'enfuir. Plongés dans le noir, elle n'aurait jamais su combien d'hommes lui serait passé dessus pendant de très très longues années.

  - Et contre qui je me bats ? Demanda Massimo d'une voix plus sombre et incontrôlable.

  - Celui qui a offert la mise la plus conséquente est un Américain, un candidat en course pour devenir sénateur. Quinze millions de dollars avec close indiquant qu'il accepte de la prêter une semaine.

  - À qui ? Demanda-t-il en se retournant.

Massimo sortit ses mains des poches pour les fermer en poing.

  - À Domizio, répondit-elle en se jetant contre le dossier de la chaise, l'air ennuyé. Il la veut avant de la donner à l'acheteur et c'est lui qui la cherche sauf qu'il ne sait pas que c'est le grand mafioso de l'Italie qui la détient.

Massimo possédait toutes les informations dont il avait besoin, seulement jamais il n'aurait imaginé que ces informations le rendent autant fou de rage. Un fort sentiment possessif le prit à la gorge pendant qu'il s'avançait vers Béatrice qui continuait de le charmer. La jeune femme aveugle dont le regard azur était encore imprégné de tristesse ne mesurait pas encore la chance qu'elle avait eu d'être tombée sur lui et à ce jour, était encore la proie de deux hommes qu'il devait à tout prix éliminer. Un étau lui comprima son cœur séché, et ses mâchoires se mirent à convulser.

  - Alors, lui dit-elle en pivotant sur sa chaise afin d'écarter ses jambes de façon provocatrice. Quelle est la suite ? On ne va tout de même pas parler de cette pauvre handicapée toute la journée.

Elle esquissa une moue tandis qu'il s'approchait plus près jusqu'à ce qu'il soit en face d'elle.

  - Non, tu as raison, articula Massimo les yeux injectés de sang. J'ai mieux à faire.

Béatrice dont le sourire s'estompa sous le regard orageux du mafieux n'eut que le temps de fermer les jambes avant qu'il la saisisse à la gorge. D'un geste aussi rapide que vif, il la souleva jusqu'à ce qu'elle ne touche plus le sol. Il serra sa gorge en lui témoignant sa rage lisible dans ses yeux. Massimo ne se contrôlait plus, et pressa ses doigts sur sa gorge jusqu'à ce que l'air ne circule plus. Il imaginait toutes ses filles enlevées et qui peut-être continuaient de vivre un enfer depuis tant d'années. Puis enfin, le visage de la jeune Isabella allongée au bord du lac lui revint comme un flash immuable et qui depuis le début le hantait secrètement.

Son sang ne circulait déjà plus et entre sa paume de main il eut la satisfaction de sentir sa peau se contracter. Ses yeux n'étaient plus qu'un océan d'horreur et de fin. Une veine de son front gonfla alors qu'elle agitait ses pieds comme si cela l'aiderait à lui offrir quelques secondes précieuses de vie sur terre.

Déterminé, il alla jusqu'au bout, n'éprouvant rien d'autre que le désir de lui faire voir la mort de près jusqu'à y goûter.

Seulement après être sûr qu'elle était bien morte, Massimo relâcha son cou et regarda son corps retomber platement sur les planches abîmées de la tourelle.

Avec une respiration sauvage et un rictus aux lèvres, il réajusta sa veste puis passa le revers de sa main sur sa bouche rageusement.

  - Au moins maintenant nous avons l'ensemble des éléments qui va nous permettre d'en finir.

En finir, songea-t-il la bouche déformée de rage. Tout au long de sa vie, il s'était rarement préoccupé des conséquences pendant une affaire aussi compliquée que celle-ci, mais aujourd'hui c'était bel et bien différent.

Isabella Hudson n'avait pas seulement été l'une de leur victime, elle venait de mettre en lumière un trafic inhumain et qui n'avait pas été arrêté par le gouvernement.

  - Débarrasse-toi de ça, ordonna-t-il les dents serrée.

Nikki connaissait suffisamment Massimo pour savoir à quel moment il fallait insister ou non. À cet instant précis, ce n'était pas le moment et la manière avec laquelle il venait de tuer cette femme valait plus que des mots. D'ordinaire il lui aurait donné une chance de se repentir avant de songer à la tuer.

Pas cette fois-ci.

Signe que cette affaire le touchait bien plus qu'il essayait de le faire croire...

Massimo regagna les jardins de la villa en passant par le petit chemin. Gagné par un sentiment indescriptible il préféra masquer son regard ivre de colère en mettant ses lunettes de soleil et poussa le portail sèchement.

  - Signore Di Marzio est-ce que tout va bien ? S'inquiéta Mirella en le voyant débarquer en trombe dans la cuisine.

  - Aussi bien qu'il est possible de l'être après avoir tué quelqu'un, répondit Massimo d'une voix froide et détachée.

Il tira un verre du placard et se servit un verre qu'il but d'un trait. Tout en s'en servant un autre son regard atteignit le fond des premiers jardins. Une silhouette immaculée se détacha de la belle verdure et il abaissa le verre proche de ses lèvres, immédiatement captivé par cette vision.

Il contourna le plan de travail pour sortir sur la terrasse et ôta sa veste qu'il balance sur la chaise.

Progressivement, il combla la distance qui le séparait de la jeune femme en se rendant compte que sa colère était en train de s'apaiser pour mieux disparaître totalement.

Du bout de ses doigts de pianiste elle toucha une rose et tira sur un pétale. Elle le toucha en le portant près de son nez, les yeux rivés sur le rosier qu'elle ne pouvait pas voir.

  - Pourquoi seulement un pétale ? Pourquoi ne pas prendre la rose ?

Elle ne sursauta pas, tournant peu à peu sa tête dans sa direction.

  - J'aime toucher la texture, c'est doux et délicat, répondit-elle en lâchant le pétale qui s'envola pour mieux se déposer lentement sur la surface de l'eau.

  - Je suis désolée, ajouta-t-elle en balayant le sol avec l'aide de sa canne. Je n'aurai pas dû l'arracher.

  - Ça ne fait rien, répondit Massimo en comblant la dernière distance qui les séparait. Pour être honnête c'est agréable de voir une femme s'intéresser à mes jardins. D'ordinaire elles restent insensibles à leur beauté.

  - Ce qui est étrange c'est qu'un homme comme vous y attache de l'importance, révéla la jeune femme l'air très curieux de la réponse qu'il apporterait à sa remarque.

  - J'aime ce qui est beau et qui émane la paix.

  - Vous n'êtes pas en paix Monsieur Di Marzio ?

Il lâcha un rire sombre en faisant fi de son audace.

  - Qu'est-ce que la paix ?

  - Un sentiment de bien-être total, de l'apaisement, l'impression d'être...

  - Vous l'êtes ? La coupa-t-il en guettant son expression.

Elle se ferma comme si cette question demeurait sans réponse la concernant.

  - Si je devais répondre maintenant, je dirais que non. Je ne suis pas en paix, mais il n'est jamais trop tard pour l'être.

Elle inspira profondément comme si elle manquait d'air et Massimo décida de s'en jouer.

  - Est-ce moi qui vous rends si nerveuse tesoro ?

Elle le chercha des yeux, les joues embellies d'une belle couleur vive tandis que l'incarnat de ses lèvres attira son regard qu'il ne put détacher.

  - Non pas du tout ! Je ne suis pas nerveuse. Qu'est-ce qui vous fait penser ça ?

  - Votre rythme cardiaque que je devine rapide, mais surtout le soulèvements de votre poitrine qui sans cesse semble chercher une bouffée d'air.

Elle ouvrit la bouche puis la referma.

  - Effacez ce sourire que je devine sur votre bouche monsieur Di Marzio, finit-elle par dire en tapotant sa canne dans l'herbe puis sur ses chaussures qu'elle finit par trouver.

Elle le contourna pour poursuivre son chemin, mais un peu trop vite. Massimo lui saisit le bras à temps et la tira en arrière. Elle hoqueta en levant la tête vers lui.

  - Si nerveuse qu'elle est prête à tout pour me fuir, chuchota-t-il en se penchant vers son oreille. Un pas de plus et vous tombiez dans la piscine.

Empourprée joliment, elle cligna des paupières en baissant la tête et tâtonna à nouveau le sol.

La canne s'enfonça dans l'eau.

  - Vous me rendez nerveuse, admit-elle enfin. Cependant ce n'est pas différent des autres jours.

  - Ah oui ? Pourtant j'aurai juré du contraire, dit-il d'une voix suave et amusée.

  - Vous...

  - Puisque vous semblez convaincue de vos dires princepessa, la coupa-t-il en lâchant son bras. Vous n'aurez aucun inconvénient à me suivre ce soir.

  - Pour aller où ? S'enquit-elle vivement.

  - À mon club.

  - Oh non non...je ne suis pas sûre que ce soit l'idée la plus brillante que vous ayez eu jusqu'à maintenant.

  - Ah parce que vous scotcher les mains aux barreaux d'un lit en était une ?

Encore une fois elle ouvrit les lèvres puis les referma.

  - Vous avez besoin de vous détendre un peu, cette sortie vous fera du bien.

Il l'aida à franchir le petit pont qui menait à l'autre partie du jardin et rajouta.

  - De toute façon je ne vous laisse pas le choix car à partir de maintenant on ne va plus se quitter vous et moi. Pour le meilleur et pour le pire.

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