» 2.2 - storm

▪ LOVELY by BILLIE EILISH & KHALID
(slowed down version)▪

Flashback
TWO YEARS AGO

je tombe, je tombe, je tombe sans jamais toucher le sol, mais je continue de tomber. Audace Ravenwood
•—•

AUDACE

J'observe les radios avec minutie. Le patient semble souffrir d'une dégénérescence fronto-temporale. Ça touche principalement les personnes âgées.

Je rédige mon compte-rendu comme une professionnelle en gardant le scanner sous mes yeux. Puis je l'apporte au neurologue chargé de moi.

Il remonte ses lunettes puis hoche à plusieurs reprises la tête. Je retiens un sourire au fur et à mesure qu'il fait divaguer son stylo sur la surface de ma feuille.

Quand il finit enfin de lire ma copie, il lève la tête vers moi :

— Tu es sure que tu n'es pas déjà neurologue ?, demande-t-il à demi-sérieux.

Je ne peux m'empêcher de lâcher un petit rire. Ce qu'il me dit me fait plaisir.

— Non mais sérieusement, Audace, c'est extrêmement bon ce que tu as écrit. Ta démarche est cohérente et scientifique, ton vocabulaire est précis et juste. Je n'ai rien à dire, excepté que tu m'épates de jour en jour.

Mes lèvres me tirent tant je souris.

— Merci docteur.

Il retire sa paire de lunettes, passes ses mains le long de son visage en soupirant :

— C'est dommage que tu sois obligée de t'en aller, ajoute-t-il, j'aurais vraiment besoin d'un élément comme toi dans mon service. Mais tous les bons partent à l'ISSEU, et c'est dur de les retenir je l'avoue.

Sans que je ne m'en rende compte, ma mâchoire vient de se contracter et mon sourire s'est estompé.

— Une chance pour moi, je ne compte pas m'installer très loin, je dis amèrement.

Le médecin hausse des épaules, alors que je détourne les yeux. Il tamponne l'écrit puis ferme le dossier avant de se lever :

— Merci pour ton aide Audace, tu as été ma meilleure stagiaire ! Je vais te laisser récupérer tes affaires et rentrer chez toi, pendant que j'annoncerai la nouvelle au patient, ajoute-t-il en m'indiquant les papiers entre ses mains.

J'acquiesce, légèrement déçue tout de même de partir. Ce médecin est un chic type et il m'a appris beaucoup de choses. Nous échangeons une poignée de mains puis je rejoins mon casier.

J'attrape mon téléphone et observe avec déception le manque de notifications : toujours le silence de Dean. On est en quelques sortes en froid. Il n'a pas du tout digéré le fait que j'ai refusé l'ISSEU.

Parce que oui, j'ai été acceptée.

Ils me voulaient absolument dans leur centre, mon refus a donc également indigné mes professeurs qui ne le comprenaient pas.

Dean m'a fait la morale pendant trois jours avant de baisser les bras en voyant mon indifférence. Ma famille avant tout.

Et depuis notre dispute, qui remonte à huit semaines, on ne s'est vu que quatre fois.

Dont deux où il aidait mon frère pour ses devoirs.

Il me manque et il faut vraiment que je le vois mais notre engueulade me revient à l'esprit.

Il m'en veut de m'être sacrifiée, cependant, ce n'est pas grave. On a des centaines d'opportunités mais qu'une seule famille. Je me dois d'être là pour elle, 24h sur 24h.

Enfin, seulement Dean a été au courant de mon choix. Will pense que j'ai été refusée et ma mère que je n'ai jamais postulée.

Je quitte l'hôpital le cœur lourd, mais heureuse. J'ai passé un très bon stage tout de même, le personnel était gentil et ils m'ont appris plus de choses que je ne l'imaginais. De plus, j'étais dans un très bon service, j'ai pu approfondir mon expérience en neurologie.

Ce n'est pas le stage que j'aurais eu à l'ISSEU, c'est vrai. Mais le jeu en valait la chandelle.

Je rentre chez moi en vélo, le plus rapidement possible, pour ranger et nettoyer la maison avant que ma mère ne rentre.

L'odeur de mon chez-moi me réconforte et alors que je dépose mes clés sur le buffet, un petit carré noir attire mon attention.

Il ne présage rien de bon.

Le comté en envoie lors d'un décès, d'une faute grave ou d'un refus d'obtempérer à un contrôle d'identité.

Je l'attrape entre mes doigts tremblants et le déverrouille en le tournant d'un tour complet.

— Faites que ça ne soit pas ce que je pense, je murmure en pensant à ma mère épuisée.

Un écran virtuel apparaît et je parcours les lignes d'un regard inquiet.

« D'après la loi 18 du comté de Hackensack : tout déplacement quotidien et à une heure dépassant les mesures d'application est interdit.

D'après la loi 33 du comté de Hackensack : tout individu fraudant à la loi 18 est alors considérée comme un refus de contrôle d'identité et encourt jusqu'à deux ans de prison.

Votre cas a donc été analysé et en tant que rappel aux lois ainsi que pour ce délit, le montant de votre amende s'élève à 3000$. »

Je manque de m'étouffer face à l'amende. Je fais partie de la classe riche, celle privilégiée. Car pendant la guerre, le budget du dollar s'est effondré. Permettant par la même occasion, au pauvre de s'enrichir. Mais puisque le niveau de vie à diminuer, les salaires l'ont été aussi.

Et je n'ai pas 3000$ à leur offrir. Pire, je ne peux pas demander à ma mère de sortir cette somme. C'est de ma faute.

Je serre les poings et sans grand contrôle, balance l'objet technologique à l'autre bout de la pièce en criant de rage. C'était la dernière chose dont j'avais besoin là tout de suite.

Alors sans crier gare, j'attrape mon téléphone et compose son numéro :

— J'ai besoin de toi.

***

— Qu'est-ce que je peux faire encore pour t'aider ?, demande Dean qui range le linge.

Je lui souris malicieusement avant d'hausser un sourcil :

— Tu viens prendre une douche avec moi ?

Ma question a l'effet escompté puisqu'il délaisse les vêtements pour me jeter sur son épaule avant d'escalader les marches de l'escalier deux par deux sous mon rire. Quand il me dépose délicatement au sol, j'attrape sa nuque et approche mes lèvres des siennes.

Le baiser qu'on échange est différent de ceux de d'habitude, c'est comme s'il y avait autre chose derrière. J'ai bien peur que la frontière entre l'amitié et l'amour ait bien disparue pour de bon cette fois.

Il attrape mon haut qu'il fait passer au-dessus ma tête, je me laisse faire, accoutumée à ses caresses. La tension entre nous s'accroit et je déboutonne sa chemise, ses lèvres au bout des miennes.

— Tu m'as manqué, soupire-t-il.

Une fois déshabillé, nous nous dirigeons vers la douche et il se colle à moi, pour encore plus couvrir mon corps d'amour. Mais sans qu'il ne s'y attende, je le tire vers moi et réfugie mon visage dans son cou.

Il enroule ses bras dans mon dos, me laissant profiter de ce moment.

J'inspire son odeur en fermant les yeux, j'ai juste besoin qu'on me soutienne debout, qu'on me protège.

Je ne sais vraiment pas comment j'ai fait pour ne pas le voir ces huit dernières semaines. Cela ne m'a pas empêché de prendre une amende pour sortie interdite.

On reste l'un contre l'autre, silencieux, l'eau dégoulinant sur nos corps entremêlés.

— Je ne sais pas ce que je ferai sans toi, je soupire au bout de ce qui semble être une éternité.

Il renforce sa prise sur ma fine silhouette alors je poursuis :

— Je suis désolée d'avoir refusé le stage, j'aurais surement une chance de repostuler l'année prochaine.

Il ne dit rien mais j'entends quand même ses pensées.

— Et même si je n'en ai pas, ce n'est pas grave, je sais ce que j'ai et je ne veux pas le perdre.

A vouloir toujours plus, on finit par perdre ce que l'on a, me disait sans cesse ma grand-mère.

Et il est hors de question que cette phrase s'applique à moi.

— Je veux que tu saches que je t'aime et je ne suis pas prête à te laisser ici pendant que je vais à l'ISSEU.

— Quand feras-tu quelque chose pour toi ?

Je relève mon visage, ses yeux dans les miens :

— Je le fais pour moi aussi.

— Mmmh, ajoute-t-il en fermant l'eau qui coulait encore. Je t'aime aussi.

Il ouvre la cabine en verre et récupère un peignoir tandis que mes épaules s'affaissent. Il veut mon bien, mais je veux le leur aussi.

Alors qu'il entreprend de quitter la pièce, je l'arrête :

— Tu restes manger ?

Il hoche de la tête, contraint de voir que mon avis est toujours le même.

— Pour l'amende : je te donnerai la moitié demain.

— Je te rembourserai dès que j'ai l'argent.

— Je sais Audace, souffle-t-il pas surpris en secouant la tête, impossible de te faire cadeau de quelque chose.

Il sort pour de bon de la pièce et j'essuie mes cheveux, un air un peu plus serein grâce à ma réconciliation quand un cri venant du salon retentit :

— Audace !, hurle Dean alors que j'entends également la voix de Will qui doit rentrer avec ma mère.

— MAMAN !

J'enfile un T-shirt de mon meilleur ami à la volée en sortant en furie.

Mes yeux parcourent l'entrée du haut des escaliers où s'y trouve les deux garçons agenouillés, les mains de Dean supportant le corps inerte de ma mère.

Je dégringole les marches en vitesse avant de me jeter par terre. J'ignore la douleur de mes genoux et attrape délicatement le visage de ma mère, ridé par le travail et l'épuisement.

Son pouls est faible mais toujours là. Elle est juste inconsciente. La boule dans mon ventre se desserre légèrement.

— Qu'est-ce qu'il s'est passé ?, je demande à court d'air.

— On rentrait, elle m'a dit qu'elle avait encore ses migraines à cause du travail et elle s'est effondrée avant même que je ne puisse la tenir, déblatère mon frère, les yeux remplis de larmes.

— Ok, ok, je dis, on va l'emmener à l'hôpital.

— On prend ma voiture, ordonne Dean en soulevant ma mère du sol tandis que je ferme la porte tremblante et incertaine de l'état dans lequel je serai à notre retour.

***

J'attends aux côtés de Dean et William, des nouvelles de ma mère depuis deux heures. Le service est plein à craquer et les infirmières font des aller-retours incessants.

La porte en face de nous s'ouvre enfin sur mon responsable de stage et je me lève sans me faire prier.

Le médecin me sourit tendrement mais je n'y prête pas attention : il utilise le même avant d'annoncer une nouvelle grave à ses patients.

— Je ne pensais pas te revoir de sitôt Audace, débute-t-il en tenant fermement son dossier contre lui.

J'ai envie de lui arracher des mains pour y voir ce qu'il s'y trouve. Le flou dans lequel je suis, m'irrite plus que tout mais au fond je suis terrifiée.

— Oh s'il vous plait Docteur, abrégez et allez en aux faits !

— Audace, soupire Dean en serrant mon avant-bras dont je m'écarte immédiatement.

— Bien, votre mère a fait une chute mais rien de grave, ses nombreuses heures de travail et le stress engendré fatiguent son corps. Mais elle va mieux, elle est même réveillée.

Il n'en faut pas plus à Will pour qu'il se précipite dans la chambre. Je dévisage le médecin : je ne crois pas un mot de ce qu'il raconte et il le sait très bien.

Il détourne alors le regard vers Dean tandis que je fulmine de rage.

— Pouvez-vous venir avec moi Monsieur Androse, j'aimerai vous parler en privé ?

Mon copain hoche de la tête sous mon incompréhension. Ils s'éloignent et je n'arrive pas à réagir.

Pourquoi me ment-il et pourquoi doit-il pour l'amour de dieu parler à Dean en privé ?

Je me dirige donc dans la chambre où mon frère discute activement avec ma mère qui tente au mieux de suivre son entrain.

— William, tu pourrais sortir cinq minutes s'il te plait ? Tu épuises maman, va donc attendre Dean dans le couloir, j'annonce sèchement.

— Mais...

—C'est un ordre en réalité, j'affirme sous le regard déconcerté de ma mère.

Il finit par obéir à reculons et je claque la porte dès sa sortie.

— Audace, qu'est-ce qu'il t'arrive, inspire-t-elle à bout de souffle.

— Toi, qu'est-ce qu'il t'arrive ?, je dis sans douceur en tendant mon menton dans sa direction afin de la designer.

Elle pouffe avec difficulté, ce qui confirme bien le fait qu'ils ne disent pas la vérité sur cette histoire.

— Ce n'est qu'une chute.

— Menteuse !, je crie sans m'en rendre compte.

Je pose ma main tremblante devant mes yeux pour gérer le trop plein d'émotions. Après avoir pris une grande inspiration, je reprends plus calmement :

— Maman c'est mon futur métier, je viens de passer huit semaines dans ce service à diagnostiquer des gens ayant les mêmes symptômes que toi. Comment veux-tu me mentir ? Les preuves sont là et elles expliquent tout. Les migraines insupportables et les vertiges à répétitions. L'intoxication alimentaire d'il y a trois jours qui t'as fait vomir toute la journée ? Sérieusement ? Tes pertes de mémoire et ta vision qui se dégrade.

Ses yeux s'humidifient au fur et à mesure de mon énumération. Je retiens également les miens et les émotions qui me submergent.

J'étais préparée à annoncer ce genre de nouvelles aux patients mais pas à ma propre mère. Pas à quelqu'un de si important pour moi.

— Ceux sont tous des symptômes d'une tumeur cérébrale et ça tu le sais. Et qui plus est, ton état me permet même de deviner à quel stade tu es.

Sans que je m'y attende, elle éclate en sanglot et je sens quelque chose se briser au fond de moi. 

Ses pleurs sont incontrôlables et m'anéantissent à chaque respiration. J'entends distinctement mon cœur s'ouvrir en deux.

Je fais face, serre les dents et encaisse tout. Tout ce qui me frappe.

— Je t'en supplie, dit-elle, je t'en supplie, ne le dis pas à ton frère. Ça le tuera.

J'ai envie de lui hurler que ça me tue là, tout de suite, mais que je ne lui montre rien. Que je m'efforce de rester droite et forte pour elle, parce qu'elle a toujours été une battante pour moi et que je dois l'être aussi, cette fois pour elle. Mais le déni m'empêche de voir les vraies conséquences :

— On va trouver un traitement, je rétorque catégorique.

Ma mère sourit de ce sourire qui me fait monter les larmes aux yeux :

— Tu sais très bien qu'il n'y en a pas. Comme tu l'as dit : c'est ton métier. En phase terminale, il n'y plus rien à faire.

Je recule d'un pas, comme heurtée par ses mots. Ils me projettent à des kilomètres. Ils me font plus que mal que tous les coups qu'on pourrait me donner.

Phase terminale.

Phase terminale.

Une putain de phase terminale.

— Non, non pas toi...

Ma phrase se perd, je n'ai pas la force de la finir. Toutes les barrières s'effondrent et alors que j'ouvre la porte pour chercher un peu d'air, mes yeux tombent sur ceux humides de Dean.

Dean est triste. Dean a envie de pleurer. Dean sait.

— Audace, chuchote-t-il en me tendant sa main dans ma direction.

Mais je n'arrive pas à réfléchir correctement. Je n'arrive pas à garder mon calme et le contrôle sur ce que je ressens à cet instant.

Je prends alors mes jambes à mon cou et cours le plus vite possible. Je l'entends crier mon nom, comme un écho mais je continue de courir.

Je cours pendant des minutes, des heures. J'ai perdu toute notion du temps.

C'est lorsque mes pieds me lâchent et je tombe contre l'herbe que je sais que j'ai quitté l'hôpital.

Et qu'indéniablement je réalise.

Ma mère va mourir. Elle va mourir et il n'y a rien que je puisse faire. A quoi ça sert d'être médecin si on ne peut même pas sauver les siens ?

Ma respiration se coupe et je suffoque alors que mes yeux se mettent à brûler douloureusement. J'ai envie de m'arracher les cheveux, de faire taire mon cœur qui souffre.

J'explose et enfonce mes mains dans la terre, un cri s'échappant de ma gorge.

Je hurle jusqu'à l'extinction de ma voix et je pleure jusqu'à ne plus pouvoir voir.

Je finis rouler en boule, les lèvres entrouvertes et le souffle entrechoqué, les deux mains enroulées sur mes genoux pour me faire balancer d'avant en arrière. Je ne pleure plus mais quelque chose au fond de moi est cassé, perdu, comme si une partie de moi était morte.

"Et alors que la nuit couvre le ciel de son manteau noir, la tempête au plus profond de moi se prépare à faire des ravages."

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Des avis ??💕

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