» 2.1 - stranger

▪ FRIENDS by CHASE ATLANTIC ▪

Je ne sais pas qui tu es, je ne sais plus qui tu es. — Mike Smith
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AUDACE

Je frappe depuis deux bonnes heures sur ce sac de boxe, sans relâche. Mes mains me lancent, mes doigts sont engourdis et même avec les gants, je sens mes jointures s'ouvrir au fur et à mesure que je m'acharne.

Tyler ne ménage pas ses binômes, je l'ai bien compris ça. Mikhail , mon partenaire, s'est bien défoulé ces trois derniers jours. Si fort, qu'il a réouvert d'anciennes cicatrices, aggravant l'état de mon visage.  Il faut dire qu'il a une force remarquable, qu'il met injustement en valeur sur ma personne.

Cependant, aujourd'hui, l'ancien a décidé que frapper pendant toute l'après-midi les sacs était une bonne idée. La seule chose qui me retient de m'effondrer, c'est la tête que Mikhail fait. Il en chie autant, voire plus, que moi et je refuse de le laisser me battre.

Pourtant je n'en peux plus. Tous mes muscles sont en feux, sans parler des courbatures dues aux sessions de Nathan. Je suis à bout de souffle et ma tête commence à tourner mais je reste debout et frappe. Encore et encore.

Le brun me tourne autour comme un rapace qui attendrait la mort imminente de sa proie. Il me fait flipper mais jamais je ne l'avouerais. Plutôt mourir. Alors je frappe.

Tout d'un coup tandis que j'envoie un énième coup, le bolide à côté de moi tombe au sol, inconscient.

— Ça suffit, soupire Tyler en dépoussiérant son short de sport.

Je laisse tomber mes bras contre mes genoux, en crachant presque mes poumons. Il lance un regard à sa montre en tirant une drôle de tronche :

— Deux heures et quarante-six minutes, c'est moyen, ils ont fait mieux l'année dernière.

Je ricane nerveusement. J'ai besoin de dormir pendant au moins une semaine après toutes ces séances intensives. Et je m'en fiche complètement du temps des personnes de l'année dernière. Ils sont sûrement morts après tout.

— Bon, reprend mon nouvel entraîneur en craquant ses doigts, puisque ton coéquipier est à HS. Tu vas monter sur le ring avec moi.

Je lui lance un regard, à travers le rideau de transpiration me cachant la vue. Ce n'est pas possible, il ne peut pas me faire combattre encore.

— Je suis HS aussi, trouve quelqu'un d'autre, je riposte à mi-voix.

Tyler rigole légèrement avant d'attraper mon bras pour me tirer vers le ring. Je suis à bout.

Je grimpe avec le peu de force qu'il me reste dans les bras et lorsque je relève la tête, je surprends Mike m'observer.

Cet homme est vraiment bizarre. Lunatique aussi. Ses yeux sont sans cesse braqués sur moi, mais ça n'a rien de bienveillant, il me fusille toujours du regard. J'ai bien compris que ma présence ici n'était pas désirée, mais je ne choisis pas vraiment.

Si je pouvais être ailleurs, je le serais.

A cette pensée, un nom me percute : Dean. Je rêvais depuis toujours de m'échapper du monde atroce qui m'entourait avec lui. Et me voici dans un endroit encore pire sans lui. Je ne sais pas ce que je préfère.

Je reprends mes esprits lorsque mes pieds touchent le sol du ring. Tyler réalise sa garde à la perfection, et je l'imite.

Les cours avec Nathan m'ont beaucoup apporté en seulement quelques séances. Mes techniques de combat sont plus précises et même si je ne me bats pas encore aussi bien que je l'aimerai, je remarque une nette différence.

Tyler attaque pour la première fois et je l'esquive d'un mouvement sec et propre. J'en suis même plutôt fière mais il renvoie un nouveau coup et je m'effondre au sol cette fois-ci.

Il sait s'y prendre, beaucoup mieux que moi.

Mes yeux tombent sur mes mains dont j'ai retiré les gants. Toutes mes jointures sont ouvertes, comme je m'y attendais, le sang a déjà presque fini de coaguler. Je ne sais pas réellement pourquoi mais cette vue me donne la force de me relever et me battre.

Si mes doigts ont su taper si fort sur ce punching-ball, ils arriveront à faire de même sur Tyler.

Je me redresse et forme ma garde.

Malheureusement Tyler m'attrape par le col avant que je puisse faire tout mouvement et me rejette par terre comme un fichu papier.

Mon dos encaisse la douleur même si mon souffle se coupe, me donnant l'impression d'étouffer. Je ferme donc mes paupières et inspire profondément.

Un rire résonne alors dans mes oreilles et il ne me faut pas longtemps pour le distinguer. Il est âcre et vicieux comme son propriétaire, il vous hérisse les poils et vous tord le ventre de peur.

Houston applaudît, se délectant toujours plus de mon état effroyable. Plus je souffre, plus il s'amuse.

Une phrase me revient alors en tête. Des mots qu'on m'a murmurés quand j'étais au plus bas.

« Encaisse les critiques comme on en encaisserait les coups, serre les dents comme on serrerait les poings et frappe la douleur comme on frapperait son ennemi. »

J'aplatis mes mains et ressens la déchirure de mes muscles quand je pousse sur mes avant-bras. Et lorsque je le sens s'approcher, je saute, mes pieds décollent du sol et évite le poing qu'il voulait me donner.

Je retombe droite, fière et quand il relève la tête, abats mes phalanges dans sa joue. Je vis le mouvement au ralenti mais je sais qu'au tour de moi, tout va si vite.

Le brun se recule, désorienté, sa paume de main contre sa pommette bleutée. Il semble fou de rage mais surtout surpris. Comme s'il me pensait incapable d'une telle chose.

Mon regard tombe sur Nathan qui m'observe au loin, tenant le sac de boxe de sa protégée. Il hoche de la tête, et dans ses yeux, j'y trouve une certaine fierté qui me fait lever un peu plus le menton.

Quant à Houston, il a disparu.

Ça risque de m'arracher un sourire.

Tyler secoue la tête puis descend du ring promptement :

— Tu te débrouilles avec l'autre, affirme-t-il seulement en quittant les lieux.

Je crois que je viens de toucher la corde sensible mais je n'arrive pas à regretter. C'était si bon. Je regarde mon poing droit, rougis par la force du coup et mes lèvres se soulèvent par elles-mêmes.

Je saute les deux pieds en avant, hors du ring et atterri encore une fois bien droite. Et me dirige d'un pas léger, presque serein vers les douches.

J'ai frappé Tyler, et dieu que ça fait du bien. Ça va certainement m'attirer des problèmes, j'en suis sûre, mais là je veux juste être fière de moi. Nathan a peut être raison, peut-être que si j'y mets du mien : je survivrai.

***

— Tu veux boire quoi ?, crie Violette à côté de moi, au-delà de la musique qui résonne fort.

— Un truc pas trop alcoolisé, je lui réponds sur le même ton.

Elle hurle au barman la commande alors que je m'adosse au bar, les yeux rivés sur la boîte bondée.

Ce soir, il y a un monde fou. C'est la troisième fois que je reviens. La deuxième s'est mieux finie que la première mais j'ai toujours du mal avec les combats illégaux qui ont lieu au sous-sol.

J'inspecte la piste de danse, passe de visage en visage. Certains me semblent familiers mais la plupart ne sont que des inconnus. La ville est remplie de diversité.

Alors que je continue mon observation, ils tombent sur Nathan qui danse au milieu de la piste. Ses cheveux se secouent au rythme qu'il saute, entouré par ces étrangers. Il se déhanche, sa bouteille accrochée fermement dans la main, l'esprit ailleurs.

Il me fait beaucoup trop d'effet. Ses pas sont désorientés, ses yeux fermés et ses lèvres entre-ouvertes. Et il m'attire, pas seulement d'une forte attraction sexuelle. Non plus que ça, bien plus que ça.

Tout son être m'attire. Son côté mystérieux et violent tout comme son vrai visage : doux et patient.

Quand je le regarde, j'aimerai qu'il m'attrape par la taille et qu'il m'embrasse jusqu'à que je sois à bout de souffle. Mais j'aimerai aussi, qu'il me prenne dans ses bras et qu'il me serre jusqu'à faire disparaître toutes les barrières que je me suis instaurée.

Plus je le fixe et plus je me demande ce que Dean en aurait pensé. Jamais une autre personne que lui m'a fait ressentir ce besoin. Ce besoin ultime d'être protégée et comprise tout en m'envoyant dans un autre monde où je peux laisser parler ma vraie personnalité.

Quand Nathan parle, il lit en moi comme Dean le faisait. Il me comprend dans un regard sans que je n'aie un mot à dire. Il me fait ressentir des choses que je ne devrais pas ressentir. Des émotions réservées à Dean.

Je sors de ma contemplation lorsque le coude de Violette rentre en contact avec ma hanche.

— Aïe, je m'exclame.

— Et ben dis donc, je ne sais pas qui tu matais mais c'était du lourd ! Manquait plus que le filet de bave, blague-t-elle tandis que je lui renvoie un petit coup.

Elle me sourit sournoisement et me tend mon verre.

— On descend ?, me susurre-t-elle en indiquant le sous-sol.

J'inspire un grand coup et acquiesce. Il faut combattre le mal par le le mal non ?

Un petit monde s'est déjà agglutiné autour du ring encore propre.

Je bloque mon esprit pour ne penser à rien autre que le fait de rentrer dans la case dans laquelle on me force à aller. Je n'oublie néanmoins pas mon but : survivre à l'année et trouver un moyen de partir d'Hoffenwald avec Will.

Et si je souhaite m'enfuir, il me faut plus de connaissance sur ce lieu et des alliés près à me protéger. J'aimerais retrouver Dean si possible et on irait se cacher dans cet endroit dont il me parlait sans cesse. C'est le scénario idyllique qui se joue dans ma tête depuis que je me suis réveillée, il y a de ça bientôt deux mois.

Le temps défile à une vitesse incontrôlable alors que mon plan reste toujours aussi flou. Mais je ne veux pas perdre espoir, je pense sincère réussir à quitter ce pays. Quand et comment restent encore à préciser.

Un bras s'accroche à mon cou, me faisant sursauter alors que Lizzie se met à hurler sa bonne humeur. Cette fille est une boule de positivité. Quand elle ne sourit pas, elle parle et quand elle ne parle pas, elle rigole. Sa présence apporte réellement un peu de soleil dans ma "nouvelle vie".

— J'ai trop hâte, j'ai trop hâte, j'ai trop hâte, chantonne-t-elle en boucle depuis au moins cinq minutes.

Mike est à l'opposé, soupirant sans raison précise. Il aborde sa tête habituelle : blasé et grincheux. Je me demande sincèrement s'il lui arrive de sourire parfois. En tout cas, ça n'arrive pas en ma présence.

Je tourne la tête quand Nathan se poste à ma gauche. Il est essoufflé et légèrement transpirant mais son sourire provoque indéniablement le mien. Il s'approche de mon oreille et mon souffle s'accélère automatiquement :

— Au lieu de m'observer, tu aurais dû me rejoindre, susurre-t-il de sa voix chaude qui m'hérisse les poils.

Ce mec instaure une trop grande tension et j'ai bien peur d'avoir du mal à m'en échapper.

J'hausse des épaules, un léger sourire sur les lèvres tout de même quand des acclamations reportent mon attention sur le "spectacle" face à moi.

Un jeune homme d'une vingtaine années monte fièrement en exposant ses bras musclés au public qui rugit de plus belle.

L'ambiance m'angoisse comme la première fois et alors que je me prépare à tourner les talons, une main vient se glisser dans la mienne crispée. Je sens Nathan serrer mes doigts contre les siens dans le but de m'apaiser.

Je tourne mon visage vers lui, mais il garde les yeux fixés sur le ring alors je fais de même mais réponds tout de même avec une pression.

Le présentateur noir, Bob, il me semble, rejoint la scène sous les applaudissements.

— Peuple assoiffée de sang, bienvenue pour les combats de ce soir, s'écrit-il alors que les hurlements résonnent à l'unanimité.

Son sourire Colgate éblouie la pièce pendant qu'il lève la main pour calmer la foule surexcitée.

— Je sais je sais, vous êtes aussi enjoués que moi, il marque une pause, reculant le micro de ses lèvres, PARCE QUE JULES LIBENIAN COMBAT CE SOIR !

Les bras se lèvent, les cris reprennent tandis que ledit Jules contracte ses biceps qui manquent d'exploser. Il est musclé, très musclé.

— Face à lui, un nouveau ! Il a su se démarquer rapidement du classement et je sens que vous allez l'adorer, soupire-t-il théâtralement en indiquant un brun qui escalade l'estrade.

Mon cœur se met à battre plus vite que prévu, mon cauchemar se réalise sous mes yeux.

— Accueillez comme il se doit : William Ravenwood !!

Mon frère se redresse, fier comme le Jules. Il est également torse-nu et la différence de masse musculaire est flagrante.

Je me revois plonger quelques semaines auparavant, Will, une arme à la main, prêt à tuer cette blonde.

Nathan resserre sa prise et je sais qu'il a peur que je fasse une bêtise. Je sens également le regard des autres sur moi, principalement celui de Mike qui me détaille comme à son habitude. Il décrypte mes expressions et ça m'énerve plus qu'autre chose.

Parce que là je suis terrifiée d'assister au massacre de mon frère, sous mes yeux et de ne pouvoir rien y faire.

Mes pupilles ne quittent pas la scène sur laquelle les deux garçons ont commencé à sautiller, un regard froid et méchant. Will plisse le nez, détaillant son adversaire qui fait de même.

Bob les admire, jubilant de ce qui s'apprête à suivre :

— Que le meilleur gagne, finit-il par annoncer.

Jules ne perd pas de temps et se jette sur William qui est projeté au sol violemment.

Je détourne le regard, la respiration coupée. Je ressens les coups comme si c'était moi qui les prenais.

Will se relève en crachant un molard rempli de sang. Il pouffe et je distingue aisément ses lèvres murmuraient par-delà le brouillard de cris :

— C'est tout ce que tu as dans le ventre ?

Le blond trépide, contracte son dos et craque sa nuque dans un bruit déroutant puis envoie vivement son poing dans les légers abdos de mon petit frère. Ce dernier serre les dents et encaisse silencieusement.

C'est de famille.

Je me mords la langue dans l'espoir de voir ce combat finir le plus rapidement possible.

Will souffle bruyamment et sans crier garde, jette son coude dans la tempe de son ennemi qui recule. Il ne se calme pas et frappe de son poing droit la mâchoire de Jules.

Il hurle pendant que du sang dégouline avec abondance de sa bouche.

Rien qu'à cette vue, mon ventre se soulève. Ce n'est pas le sang mais la violence de William qui me répugne. Je ne le reconnais pas. Et ça ne peut pas être mon frère sous mes yeux, je ne veux pas le croire.

La personne solitaire et tourmentée par des cauchemars n'a pas pu disparaître totalement. Ils n'ont pas pu faire de lui un monstre.

Jules reprend légèrement le contrôle mais c'est sans compter sur la ténacité dont Will fait preuve. Le blond tombe une nouvelle fois, le dos contre le tapis imbibé de son sang frais.

Il relève la tête dans un effort surhumain et j'arrive à lire un :

— pitié, confesse-t-il en accrochant sa main au bras de mon frère.

Son adversaire sourit puis secoue de la tête avant de lui enfoncer son pied dans son nez qui se fracture et le défigure par la même occasion.

Un jet de sang est projeté sur Will tandis que Jules agonise, sa cage thoracique peinant à se soulever pour respirer. Son visage est déformé et son nez enfoncé dans son crâne.

Il y'a du sang partout et toute l'assemblée est murée dans le silence. Bob revient, attrape la main de l'inconnu et la soulève fièrement :

— Mesdames et Messieurs, nous avons un gagnant !

La pièce tremble à nouveau tant les acclamations fusent. Mes yeux restent scotchés sur le visage inexpressif de son adversaire. Un brancard le récupère puis quitte la scène suivit par une troupe de jeune, sûrement la sienne.

Will passe le long des filets du ring, salue la foule et se délecte de l'admiration qu'elle lui envoie.

Et lorsqu'il s'attarde sur le mien et qu'il pose son regard sur moi. Je referme mes dernières barrières émotives. Plus aucune émotion n'est descriptible sur mon visage. Je suis froide et vide, inexpressive.

Son sourire retombe et une certaine peur apparaît dans ses yeux. Et il fait bien d'avoir peur car je ne sais plus qui est en face. Il est un inconnu maintenant, un étranger qui autrefois peuplé ma vie.

Et alors que mon cœur se serre doucement à l'intérieur de moi, un goût amer d'avoir échoué dans mon rôle de parent, je ne fais que le fusillé du regard. Et dans un sourire faux et méprisant, je lève mes mains vers lui et frappe lentement mes paumes entre elles.

C'est comme s'il n'y avait plus que nous, je n'entends pas l'environnement autour de nous tant je suis dans une bulle. Juste l'homme qui était ce que je pensais être le dernier membre de ma famille et moi.

Quand mon jugement devient trop dur à supporter, il quitte la scène sans crier gare pendant que je serre la mâchoire, retenant indéniablement les émotions qui tentent de me submerger.

Il va avoir des conséquences et des représailles et je sais déjà que je serai incapable de faire machine arrière. Il a maintenant trop de sang sur les mains.

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📌Des avis ?

❤️

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