6. Indicus
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Jeongin marchait le long de la plage, regardant le soleil tiède de printemps disparaître à l'horizon. Le ciel se teintait de couleurs d'or et la mer d'encre en reflétait chaque teinte. L'esprit vagabond, il s'imaginait parcourir l'océan à bord d'un grand navire, vivant de grandes aventures par-delà son monde. Son monde qui se résignait à sa demeure vide et froide et à cette plage étroite.
Il soupira en passant une main dans ses mèches brunes. Le temps passait vite, pourtant il avait l'impression de faire du sur place. Il vivait seul depuis la mort de ses parents. Il y avait de cela près de trois ans qu'ils l'avaient quitté, conséquences d'une fièvre que nul médecin n'avait pu soigner. Jeongin s'était vu épargné, mais à quel prix ? Il avait dû voir ses parents mourir l'un après l'autre, seul, sans même une épouse pour le soutenir.
Ses parents avaient essayé de lui trouver une femme avec qui partager sa vie, mais Jeongin n'avait pas vu l'urgence et avait refusé les quelques prétendantes, espérant trouver mieux plus tard. À son âge, il avait voulu profiter de sa jeunesse. Malheureusement, cette innocence lui avait été arrachée et aujourd'hui il se retrouvait seul. Les profonds abysses de chagrin où l'avait projeté la perte de ses parents l'avaient coupé du monde extérieur et il s'était renfermé sur lui-même.
En ville, les gens de son âge le considéraient comme vieilli prématurément et ennuyeux à souhait. Il n'avait plus d'amis et personne avec qui passer ses après-midi. Il se demandait parfois s'il n'avait pas mieux valu qu'il parte avec ses parents.
Ses bottes s'enfonçaient dans le sable. Il avait pris l'habitude de se balader le long de la berge jusqu'au Gros Rocher pour se vider l'esprit et se donner une sensation de vie. Il aimait sentir le vent frais lui fouetter les joues et le crachin salé de la mer caresser sa peau.
Il n'avait jamais été marin, mais il s'imaginait volontiers voguer les mers et découvrir des trésors. Rêve qu'il ne pourrait jamais accomplir tant la masse de travail l'accablait. À vingt ans tout juste, il avait hérité, certes de la fortune de ses parents, mais aussi de leurs nombreux domaines dont l'intendance demandait une grosse part de son temps et de son énergie. Il n'avait guère l'envie de dépenser le peu de ses dernières ressources à l'élaboration un plan farfelu où il pouvait partir et laisser ses terrains sous le joug de quelqu'un d'autre. Il préférait les passer à lire et s'instruire sur le monde qu'il ne visiterait jamais.
Ses pas le guidaient lentement vers la masse sombre du Gros Rocher, où les vagues se brisaient en une écume fine et légère. Il se revoyait enfant, jouant aux pirates avec ses cousins, ou s'amusant à titiller les bernacles avec un bois flotté. Il entendait sa mère rouspéter face à l'état de ses culottes, mais elle ne pouvait cacher son regard affectueux pour son petit garçon qu'elle aimait tant. Une pointe de mélancolie doublée de chagrin monta dans sa poitrine et lui serra la gorge. Voyons, se maugréa-t-il, tu n'es plus un enfant.
D'un geste las, il essuya une larme avant qu'elle ne dévalât sa joue et tira sur sa veste pour reprendre contenance. Peut-être était-ce le signe qu'il était temps de rentrer, bientôt le dîner serait servi et il voulait épargner la peine à la vieille madame Ming de réchauffer son plat. Mais alors qu'il se tournait vers la mer pour faire demi-tour une forme sombre attira son regard. Quelque chose flottait sur l'eau. Il plissa les yeux mais les reflet du soleil l'empêchaient de bien voir. Il savait seulement que c'était gros. Par réflexe, il scruta l'horizon, peut-être un bateau avait perdu une caisse de marchandise, mais la mer était déserte à l'exception de cet objet flottant aux grès des vagues.
Poussé par la curiosité, il s'avança près de l'eau, allant même jusqu'à mouiller ses bottes neuves. L'objet n'était plus qu'à quelques mètres à présent, poussé inlassablement vers la berge. Il plissa de nouveau les yeux utilisant sa main pour bloquer les derniers rayons du soleil. La masse informe se dessinait à présent avec netteté devant ses yeux. Ce qu'il avait pris pour un simple tonneau, était en réalité un corps, un corps nu flottant de manière hasardeuse sur un vieux morceau de bois rongée par le sel.
Oubliant tout de la raison, oubliant même que cette personne était déjà probablement morte depuis longtemps, il retira ses bottes et se jeta à l'eau. Il courut dans les haut-fonds sachant très bien qu'il devrait finir par nager pour arriver à l'embarcation de fortune. Il avait toujours été très bon nageur, mais sa chemise et son pantalon l'encombrait et lui rendait la tache difficile. L'eau était froide et sa morsure engourdissait ses membres et lui coupait le souffle. Mais il n'avait qu'un objectif, sortir cette personne de là, qu'elle fut morte ou vive.
À mesure qu'il approchait son effroi ne faisait qu'augmenter, cette personne était visiblement une jeune femme, elle était nue et sa peau était si pâle qu'il ne doutait plus de son état.
Il arriva rapidement près de son but et s'étonna d'avoir encore pied, l'eau lui arrivait aux épaules, mais il pourrait facilement tirer le cadavre jusqu'à la berge en marchant. Il attrapa un bout du bois pourri et entama son chemin de retour.
Par pudeur et respect pour le corps, il avait évité de trop le regarder. Il s'agissait d'une jeune femme et le peu qu'il avait vu lui laissait peu de doutes quant au calvaire qu'elle avait dû subir avant de mourir. Sa peau était marquée d'ecchymoses et de taches brunâtres. Peut-être avait-elle été battue puis jetée à la mer... La brutalité des hommes lui faisait peur et parfois il répugnait lui-même à se considérer de la même race que des êtres capable d'une telle ignominie.
Arrivé sur la berge, il s'agenouilla près de cette malheureuse et la retourna doucement, il espérait ne pas reconnaître en elle les traits d'une quelconque de ses connaissances. Ses longs cheveux d'un noir presque bleu lui couvraient le visage et d'un geste délicat, il le lui dégagea. Il eut un hoquet de surprise face à sa beauté. Ses traits était doux et fins, ses lèvres bleuies, pulpeuses et son nez droit s'harmonisait parfaitement au tout de son visage. Son cœur se brisa de penser que le monde avait perdu une si belle femme. Il espérait que ce qu'il voyait n'était que le résultat d'un malheureux accident et non d'une barbarie ignoble.
Il contempla son visage plus longtemps que nécessaire, abasourdi face à cette perfection gâchée. Lentement ses yeux glissèrent sur sa peau pâle aux teintes bleutées et quand il arriva à la courbe de ses seins et sentit ses joues rougir, il retira rapidement sa chemise trempée et la déposa sur le corps nu et tuméfié de la jeune femme.
Alors qu'il se penchait sur elle pour étendre le vêtement, il remarqua un mouvement, un léger tressaillement de ses paupières. Il s'immobilisa et fixa son visage.
« Ma-mademoiselle ? Demande-t-il, peu sur de lui.
Il n'eut aucune réponse, mais la poitrine de la noyée se souleva par à-coups comme si elle essayait de respirer. Sa bouche s'entrouvrit et un gargouillis bizarre en sortit.
Pétrifié de surprise, voir de peur, Jeongin resta quelques instants idiot, comme s'il avait tout oublié. Mais lorsqu'un nouveau sursaut secoua le corps précédemment sans vie, il ne put plus rester immobile.
« Mon Dieu ! Cria-t-il »
Il se pencha précipitamment sur le corps et le positionna sur le flanc. La jeune femme se mit à régurgiter de l'eau mêlée de sang, tâchant son pantalon, mais il n'en avait cure. Il se souvenait de cette technique du jour où son cousin Minho avait faillit se noyer. Son père était allé le repêcher dans les vagues s'était penché sur lui et alors que le petit corps de son cousin se réveillait, il l'avait mis sur le côté. Plus tard, il lui avait expliqué qu'ainsi les poumons pouvaient se vider plus facilement de l'eau qu'ils contenaient.
Fier de lui, il frotta doucement le dos de la femme pour l'encourager à se vider. Puis se pencha vers elle pour voir si elle respirait à nouveau. Il eut beaucoup de mal à savoir si c'était le cas, mais il entendit un drôle de sifflement et comprit. Elle respirait, difficilement, mais elle respirait. Elle était vivante ! C'est un miracle, pensa-t-il. Il posa une main sur sa joue glacée et elle ouvrit les yeux avec grand effort. Ses iris d'un bleu nuit posèrent sur lui un regard vide.
« Mademoiselle ! Mademoiselle ! Vous m'entendez ? »
Elle cligna lentement des paupières et posa deux doigts gelés sur la cuisse de Jeongin.
Elle était vivante et il allait la sauver.
🌕
Jeongin poussa la porte de la cuisine d'un grand coup de botte, dans ses bras, la jeune femme respirait à grand-peine.
« Madame Ming ! Cria-t-il à pleins poumons. »
Alors qu'il s'avançait difficilement entre la table et les sacs de pommes et de carottes, une fillette débraillée, l'aide de madame Ming, apparu au coin de la porte. Elle resta bouche bée face au spectacle qu'offrait son maître.
« Dépêches-toi d'aller trouver madame Ming ! Dis-lui de faire chauffer de l'eau, de sortir des vêtements chaud du placard de ma mère et de m'apporter des serviettes aussi ! »
Voyant que la petite ne bougeait pas, il ajouta d'une voix forte : « Qu'est-ce que tu attends !? »
Et elle quitta la pièce précipitamment en usant ses cordes vocales à appeler la vieille femme.
La pauvre noyée, de nouveau inconsciente, pesait sur ses bras et son dos lui faisait souffrir. Il n'avait pas l'habitude de porter des fardeaux aussi lourds, si bien qu'arrivé face aux marches menant à l'étage de la résidence, il rebroussa chemin. En bas, se trouvait son bureau et une banquette moelleuse suffirait probablement.
Il s'en voulait un peu de ne pas lui offrir un lit et une baignoire, mais une chute dans les escalier n'aurait rien arrangé à son état.
Il passa difficilement la porte et posa la demoiselle sur le grand sofa face à l'âtre. Le feu était réduit à de grosses braises rouges, il ajouta une grosse bûche et sans attendre de voir s'il repartait convenablement, se précipita près de la malheureuse. Il retira sa chemise trempée de son corps somptueux et sans un regard sur ce dernier - par pudeur et respect - il la couvrit d'une épaisse couverture en fourrure.
Lorsqu'il l'eut assez couverte, il se redressa et la contempla. Et maintenant ? Il n'était pas médecin, il ne savait pas comment s'occuper d'un cas pareil. Il commençait à paniquer quand il entendit des petits pas pressés derrière lui.
« Seigneur Dieu ! S'étouffa la vieille madame Ming en pénétrant dans la pièce. Mais que s'est-il passé ? »
Elle se précipita vers la femme. Seule sa tête dépassait de l'amoncellement de couvertures dont Jeongin l'avait couverte.
« Je l'ai vu qui flottait au large, je suis allé la récupérer, elle est vivante ! Je ne pensais pas !
Elle le coupa « Plus vivante pour très longtemps, je pense...
- Nous devons la sauver ! S'indigna le plus jeune. »
Son cœur battait à tout rompre, il ne pouvait pas laisser cette malheureuse mourir ainsi ! Quel homme serait-il de la laisser quitter le monde dans de pareilles circonstances.
« Monsieur Yang, allez lui chercher de l'eau elle à l'air déshydratée ! En attendant, je vais aller en faire chauffer comme vous me l'avez demandé. »
Elle se rapprocha du jeune homme et posa une main sur son épaule.
« Je crains qu'il ne soit trop tard pour elle mon maître, mais nous pouvons toujours essayer.
-Je ferais tout ce qui est en mon pouvoir ! »
La nuit était bien avancée quand Jeongin décida de faire une pause. Lui et madame Ming s'étaient efforcés de réchauffer, sécher et panser la jeune femme, ainsi que de lui faire boire de l'eau douce. Ça n'avait pas été une mince affaire, ses cheveux étaient très longs et ils avaient beau essayer de les sécher, ils ne restaient jamais complètement sec.
Elle n'avait pas repris connaissance depuis la plage et Jeongin commençait à réellement s'inquiéter pour elle. Il avait fait appeler le médecin, malheureusement, il était en déplacement et ne pouvait venir que le lendemain. Il priait les dieux pour qu'elle soit toujours vivante à son arrivé.
Épuisé, il s'était assis au pied du sofa après avoir congédié la pauvre madame Ming tombante de sommeil. Il avait tiré un des vieux plaid inutilisé sur ses épaules et posant la tête contre le canapé il sombra dans un sommeil bien mérité.
Lorsqu'il sentit qu'on touchait ses cheveux, il crut d'abord au chat de la maison venu lui chercher des noises, mais quand les gestes reprirent avec un peu plus d'aplomb, il se rappela soudain qu'à côté de lui dormait une jeune femme dans un état critique. Se réveillant en sursaut, il se mit à genoux, faisant valser sa couverture et manquant de renverser la bassine d'eau maintenant froide.
La jeune femme avait les yeux mis clos et le regardait au travers de ses longs cils noirs. Sa main gauche sortait des couvertures et s'écrasait, tiède et molle contre le torse du jeune homme. Jeongin ne la lâchait pas des yeux.
« Mademoiselle ! S'exclama-t-il, vous m'entendez ? Vous êtes en sécurité ! »
Elle leva doucement ses prunelles noires sur lui et murmura quelque chose d'inaudible. Il sentit sa main bouger contre sa chemise, et il la serra délicatement entre ses doigts. Ses extrémités étaient encore froides, mais sa paume irradiait une chaleur timide et encourageante. Il se pencha en avant dans l'espoir d'entendre ce qu'elle avait essayé de dire. Une toux légère l'ébranla, déformant ses traits de douleur. Elle resserra sans force sa main sur celle de Jeongin alors que ce dernier s'efforçait de rester calme et de l'aider à se redresser.
Il glissa un coussin sous sa nuque puis se pencha de nouveau près d'elle.
« Avez-vous besoin de quelque chose ? Avez-vous mal ? Que puis-je faire ? »
Il n'avait aucune idée de comment s'y prendre, ses pensées étaient encore brumeuses et la panique ne l'aidait guère à les mettre en ordre.
Les lèvres bleuies de la jeune femme s'entrouvrirent et un nouveau son faible et inarticulé en sortit. Elle se réessaya à l'opération et Jeongin mit une longue minute à comprendre. Le son n'en était pas un, elle demandait de l'eau !
Les joues rougissantes de son étourderie, le jeune homme se dépêcha de lui porter une tasse aux lèvres. Elle but lentement, mais sûrement. Lorsqu'elle eut fini sa première tasse, elle en demanda une autre, puis une autre encore avant de lentement reposer sa tête contre le coussin.
Elle referma les yeux et se rendormit, ou bien Jeongin l'eut cru. Il l'avait observé longuement et son visage ne bougeant plus il avait décidé qu'il pouvait se recoucher. Il était en train de se rasseoir au sol quand la voix faible de la femme résonna dans le silence.
« J'étais morte... Et vous m'avez sauvé. »
Sa voix était brisée, mais étonnement aucune émotion ne perçait de son ton. Elle annonçait simplement les faits.
Surpris, Jeongin se redressa et l'observa. Elle regardait le plafond, mais semblait voir plus loin. Ses joues avaient repris des teintes roses, mais ses lèvres restaient toujours bleues.
Il ouvrit la bouche, mais se ravisa, elle avait quelque chose de fantomatique, de bizarre, presque d'inhumain et lentement, il sentit la peur s'emparer de ses entrailles. Lui glaçant le sang. Il se figea, se raidit et elle sembla le sentir, car son regard tomba lentement dans le sien.
Elle le fixa une seconde puis deux, battit lentement des cils et un sourire se dessina sur ses lèvres.
« Merci, murmura-t-elle les yeux soudainement plein de larmes. Merci du fond du cœur étranger. »
Tout à coup, ce fut comme si une vague de chaleur et de reconnaissance le submergea. Il se sentait aimé et valeureux. Jamais il n'avait eu si chaud au cœur. S'en était presque douloureux.
Durant trop longtemps son quotidien n'avait été que finances et intendance, durant trop longtemps il s'était écarté des contacts sociaux. Son cœur n'avait jamais été aussi plein que depuis sa plus tendre enfance alors qu'il s'amusait dans les bras de sa mère.
Sa gorge se serra et il se surprit à réprimer ses larmes, était-ce des larmes de joie ? Il ne savait pas, mais elles lui brûlaient les yeux.
Il se pencha vers elle et prit sa main, il la plaqua contre son cœur et dit - probablement un peu trop fort - « Yang Jeongin, pour vous servir ! Je ne pouvais laisser une âme quitter cette terre de cette façon. Il est dans mon devoir en tant qu'homme de faire tout ce qui est en mon pouvoir pour vous venir en aide ! »
Elle le regarda faire, d'abord surprise puis son sourire revint.
« Voyons donc. Ne criez pas, je vous en prie, mon crâne me fait... atrocement souffrir. »
Elle eut un léger rire qui illumina la pièce tel un vol d'une centaine de lucioles, puis ferma les yeux.
🌕
Il entra dans son bureau avec la plus grande des précautions. Il ne voulait pas prendre le risque de réveiller la dormeuse, ou de renverser son plateau.
La nuit avait été agitée, elle s'était réveillée de nombreuses fois, demandant de l'eau ou de la chaleur. Au lever du jour, elle allait mieux, mais restait frigorifiée. Elle s'était finalement endormie durant plusieurs heures pendant lesquelles madame Ming avait pris le relais à son chevet. Profitant de ce petit temps pour lui, Jeongin avait pris un bain et un copieux petit déjeuné. Il avait croisé la petite Tanie, l'aide de la vieille servante, en cuisine mais cette dernière avait filé, le rouge aux joues. Il s'était étonné de sa réaction et s'était dit qu'il avait peut-être été un peu trop brusque la veille... Bah, elle s'en remettrait.
Son repas terminé, il s'était lancé dans la préparation d'un gruau riche et savoureux, au miel, accompagné de fruits frais pour la jeune femme. Puis, il avait réparti le tout joliment sur un plateau. Il se rappelait faire la même chose pour l'anniversaire de sa mère et ce fut avec une touche de mélancolie et de fierté qu'il était allé porter sa création à la demoiselle.
Il s'approcha lentement du petit salon, visiblement la jeune femme dormait et madame Ming s'occupait de remettre les couvertures sur son corps.
« Je lui ai enfilé une tunique bien chaude et des bas en laine, expliqua la vieille femme, elle vient de se rendormir, peut être devriez-vous attendre un peu avant de la réveiller de nouveau. »
Il acquiesça en posant le plateau sur la table basse. Il regarda Madame Ming qui restait immobile à le fixer.
« Qu'y a-t-il ? »
Elle pinça les lèvres et ses sourcils se froncèrent.
« Je dois vous parler Maître...
- Voyons, madame Ming, vous savez que vous pouvez tout me dire, alors pourquoi cette mine renfrognée. »
La vieille dame s'écarta alors de la jeune femme endormie et se rendit près du bureau en faisant signe à Jeongin de la suivre. Bien que surprit, il obéit et s'approcha d'elle avant qu'elle ne dise sur le ton de la confidence : « Je crains que vous ayez fait une erreur en ramenant cette... Jeune femme.
- Comment aurais-je pu faire une erreur en sauvant la vie de quelqu'un ? »
Elle pinça encore les lèvres et essaya de reprendre appuis sur ses vieilles jambes. L'attente était intenable, mais Jeongin ne voulait pas brusquer madame Ming. Il la connaissait bien et il savait qu'elle refuserait de lui dire ce qu'elle pensait s'il s'énervait contre elle.
« Votre jeune demoiselle n'est peut-être pas ce qu'elle prêtant être monsieur, murmura-t-elle.
- Je ne comprend pas mieux, dites moi ce qui se passe ! »
Il essayait de parler sans faire trop de bruit, mais la colère commençait à monter en lui. Ne pouvait-elle pas simplement admirer son héroïsme et l'aider à la sauver ? Non visiblement il fallait qu'elle s'évertue à toujours réduire ses espoirs au néant.
« Cette jeune femme est étrange, maître... En la changeant je n'ai pu que remarquer qu'en certains endroits sa peau...
- Qu'a donc sa peau ?
- Elle est couverte de fines écailles, maître... Comme celles d'un poisson ! C'est une créature des océans et elle va nous porter malheur ! »
Une créature des océans, et puis quoi encore. Un large sourire naquit sur ses lèvres et il ne put réprimer un rire.
« Madame Ming vous devriez retourner vous coucher. La nuit a été courte et vous devez manquer de repos.
- Non maître ! Je ne suis pas folle, je sais ce que j'ai vu !
- Voyons, madame Ming, vous n'avez plus douze ans, même Tanie ne croirai pas à une telle histoire. Ce que vous avez vu doit être des desquamations dues à l'humidité et au sel, rien de plus. »
La vieille Ming fit la grimace puis pointa son doigt crochu vers lui.
« Je vous aurez prévenu, Monsieur Yang, ne venez pas vous plaindre quand elle aura dévoré votre foie ! »
Et elle quitta la pièce en marmonnant. Il savait que la vieille Ming avait tendance à trop croire dans le vieux folklore, mais comment pouvait-il la suivre dans ses croyances. Il l'avait vu entièrement nue et elle semblait tout ce qu'il y avait de plus humain.
Au souvenir nébuleux de ses courbes, il sentit un fard lui monter aux joues et ne put s'empêcher de tourner son regard vers le sofa.
« Une créature des océans... »
Il se permit de pouffer une nouvelle fois avant de s'asseoir à son bureau. Il travaillerai un peu puis réveillerai la jeune femme pour qu'elle puisse se nourrir.
Le soleil matinal avait laissé place à un orage tonitruant. La pluie torrentielle battait contre les vitres du bureau plongé dans une obscurité crépusculaire.
Penché sur son bureau, Jeongin s'occupait des comptes d'un de ses domaines fruitiers quand du mouvement attira son regard. La jeune femme s'était assise difficilement et le regardait en s'appuyant sur le dossier du divan.
« Oh ! Vous êtes réveillée !
-Visiblement, dit-elle la voix éteinte. »
Sans attendre qu'elle eu terminé sa phrase, il se leva et s'avança vers elle puis lui servit une tasse d'eau. Il lui tendit et elle la but.
« Comment vous sentez-vous ? »
Elle posa la tasse entre les doigts de Jeongin et passa lentement sa main sur son visage.
« J'ai... J'ai connu mieux, avoua-t-elle. Est-ce pour moi ? »
Elle montrait du doigt le plateau qu'il lui avait préparé plutôt. Il acquiesça et l'aida à se placer de manière plus confortable pour manger. Elle avait du mal à se nourrir elle même, si bien que Jeongin dût l'aider à de multiples reprises. Mais elle avait de l'appétit et ne laissa rien dans le bol.
« Oh, j'y pense ! Le médecin ne devrait plus tarder, dit-il en reposant le plateau sur la table. Il pourra nous dire comment soigner au mieux vos blessures. »
Elle se figea et serra la couverture entre ses doigts.
« Ce n'est pas nécessaire. Je vais déjà beaucoup mieux. »
Jeongin fronça les sourcils.
« Vous ne pouvez pas rester dans cet état, et je ne m'y connais pas assez en médecine pour vous aider au mieux.
- Ce n'est pas nécessaire ! S'obstina-t-elle en plongeant son regard noir dans le sien. »
Ses iris étaient aussi foncée que les abysses et brillaient de quelques éclats bleutés à la lumière faible du jour. Il resta bouche bée, ne sachant comment s'opposer à sa volonté et surpris qu'il n'en eut pas envie.
« Je le renverrai chez lui. »
Les mots lui étaient sortit de la bouche avant même qu'il n'eut le temps d'y penser.
« Merci Jeongin, murmura-t-elle. »
Elle tourna lentement le visage vers la fenêtre pour regarder la pluie s'y écraser.
Un long silence s'en suivit. Elle ne s'allongea pas pour dormir mais ne parlait pas non plus et Jeongin ne se sentait pas la force de briser son silence. Il regardait son profil, redessinait ses traits, sans plus de honte que s'il observait une œuvre d'art.
« Comment vous appelez-vous ? Osa-t-il enfin demander. »
Un petit sourire étira ses lèvres foncées et elle redressa un peu la poitrine.
« Je m'appelle Ka'Rinis Ritrapaya As Vil Ni Nalqua.
- Karinis Ritra...
- Appelez-moi simplement Karina. »
Elle repoussa délicatement une mèche de son visage lisse puis tendit sa main vers le jeune homme. Il resta coi quelques secondes regardant ses doigts fins et blanchis de froid tendus vers lui, finalement, il glissa les siens, chauds et rudes autour de sa main et la serra doucement. Sa peau était fraîche au contact et lisse et douce comme de la soie.
« Enchantée de faire votre connaissance monsieur Jeongin, dit-elle en ricanant.
- Tout le plaisir est pour moi, Mademoiselle Karina. »
Mains liées, ils se sourirent tous deux. Jamais Jeongin n'avait vu femme si belle et son cœur s'emballa à la vue de son visage rayonnant et de ses pommettes rougies par la chaleur de la pièce.
Elle le fixa un instant puis sa tête se pencha de côté un sourire amusé aux coins des lèvres.
« Pourriez-vous me rendre ma main que je puisse me reposer ? »
Et il sursauta en relâchant précipitamment son emprise sur ses doigts. Il sentit ses joues le brûler un peu plus à mesure que la gêne gagnait son cœur. Il avait l'impression d'être un adolescent découvrant la magie des femmes. Mais il ne l'était plus, adolescent, et aujourd'hui il se sentait bien bête de vouloir la tenir près de lui pour les simples raisons qu'elle avait un joli visage et une voix ensorcelante.
« Ne vous en voulez pas trop de me désirer Jeongin, vous n'êtes pas le premier et ne serez pas le dernier. Malheureusement, je ne puis vous donner ce que vous désirez. De plus, je suis particulièrement fatiguée... Pourriez-vous me laisser dormir ? »
Sur ces mots troublants, elle se rallongea, laissant Jeongin seul maître du sens qu'il donnerait à ses dires.
🌕
Les rayons du soleil filtraient à travers les rideaux en dentelles de la cuisine éclairant sa peau d'un éclat chaleureux. Ses cheveux emmêlés dessinaient une résille douce autour de son visage et ses yeux d'un bleu profond s'illuminaient de joie alors qu'elle portait une part de tarte à ses lèvres.
« Madame Ming est une cuisinière hors pair ! S'exclama-t-elle la bouche pleine. »
Jeongin acquiesça en silence un large sourire aux lèvres.
Cela faisait deux jours que la jeune femme avait fait irruption dans sa vie si monotone. Ils n'avaient pas beaucoup parlé car elle se fatiguait très vite, mais il ne pouvait nier le plaisir qu'il avait de la savoir ici. Elle était belle, mystérieuse, complexe et pourtant d'une simplicité incongrue. Elle parlait de tout et de rien avec une désinvolture et un savoir qu'il n'avait jamais rencontré chez personne. Elle était un joyau d'énigmes insolubles et une part de lui voulait la garder jalousement, comme un trésor inestimable, mais jamais il ne pourrait lui faire cet affront, elle était bien trop splendide tant dans son être que sa forme. Il avait pour elle une fascination sans borne qui l'effrayait presque. Jamais il n'avait senti une telle admiration pour quelqu'un d'autre.
« Vous comptez me fixer ainsi encore longtemps ?
- Oh ! Je, hum, excusez-moi ! Je ne voulais pas vous mettre mal à l'aise... »
Elle eut un doux rire cristallin et se servit une tasse de thé chaud.
« Ne vous méprenez pas Jeongin. »
L'entendre prononcer son prénom répandit en lui une nuée de papillons ardents et ses joues le brûlèrent.
« Le fait que vous me fixiez ne me dérange pas, je trouve cela même plutôt flatteur, mais vous risqueriez de vous y perdre. »
Elle termina sa phrase en un murmure puis emmêla ses doigts autour de la tasse et se leva lentement. Elle fit un pas indolent en direction de la porte, et se stoppa dans les rayons chaud du soleil. Ses paupières se fermèrent et elle profita de la chaleur sur sa peau d'albâtre.
« Cessez donc de m'observer, ricana-t-elle.
- Je suis désolé mademoiselle Karina, mais je ne peux m'en empêcher. Votre peau s'illumine au soleil comme le sable blanc de la plage et vos cheveux brillent de reflets indigo... »
Elle gloussa de plaisir aux compliments de Jeongin et lissa sa chevelure d'une main.
« Oh mon brave, que de flatteries ! Vous auriez dû me voir chez moi. Je brillais plus puissamment qu'une étoile par une nuit sans lune. Les couleurs de ma parure vous aurez ébloui et l'éclat des joyaux sur mon front vous aurez laissé sans voix face à leur splendeur. »
Son corps se balançait de droite à gauche et elle s'amusait à faire bouger les pans de sa longue jupe, comme si elle revivait une danse gracieuse lors d'un bal.
« L'indigo se mêlait aux bleus et aux violets pour se fondre les uns dans les autres, étincelants de beauté, étincelant de magnificence. Je n'étais pas la plus belle, mais personne n'avait égalé la splendeur de mes gemmes. D'un bleu profond comme le ciel nocturne ou les abysses, elles étincelaient d'un reflet mauve quand le soleil les touchait de sa grâce. Et quel doux parfum elles irradiaient lorsque les embruns salés de la mer venaient les nourrir... Hum... De véritables pièces de magie pure... »
Elle racontait en se berçant, comme perdue dans un souvenir lointain. Ses cheveux dansaient dans son dos, ondulant comme des vagues s'échouant sur ses vêtements. Le sens de ses mots se perdait dans sa beauté, et Jeongin eut du mal à les comprendre.
« Mademoiselle Karina, qu'entendez-vous par « chez-vous » et par « magie pure » ? Osa-t-il.
- Je ne suis pas originaire d'ici et vous le savez.
- Oui, mais d'où venez-vous dans ce cas ?
- D'un endroit proche et pourtant bien loin pour un simple humain comme vous Monsieur Yang. »
Elle ouvrit les yeux et plongea son regard mystérieux dans celui, perdu, du jeune homme. Elle posa la tasse sur la table et se rapprocha de lui. Il sentit un frisson le parcourir et son cœur se mit à battre la chamade. Il n'arrivait pas à déterminer si la sueur froide qui lui coulait dans le dos était due à la peur ou l'excitation. Sa bouche s'assécha et il voulut boire, mais elle stoppa son geste en ouvrant doucement sa chemise. Le tissu glissa sur sa peau découvrant ses clavicules puis ses épaules et la naissance de ses seins. Elle tira un peu plus sur le tissu se délectant visiblement du tourment dans lequel elle mettait son interlocuteur.
« Un-Un simple humain ? Je ne comprends pas.
- Voyons Jeongin, vous le savez aussi bien que moi. Vous le savez depuis le début. »
Elle glissa deux de ses doigts dans le thé de Jeongin puis les posa lentement sur son propre cou. Le liquide coula doucement sur sa peau qui se mit à frémir à son contact.
« Je... Je ne comprends pas ce que vous voulez dire Karina. »
Il devina son sourire plus qu'il ne le vit, obnubilé par les gouttes qui perlaient sur la peau blanche de Karina.
« Vous savez très bien que je ne suis pas humaine. »
Tout à coup, avant même qu'il ne put comprendre le véritable sens de ses paroles, la peau de la jeune femme se recouvrit par endroit de minuscules écailles translucides, nacrées et brillantes. Il relava les yeux vers son visage et y vit des couleurs inhumaines mais splendides. Elle brillait au soleil, des reflets bleutés dansant sur son visage. Elle lui sourit et la magie s'estompa.
Jeongin resta bouche bée devant ce qu'il venait de voir. Comment pouvait-elle être autre chose qu'humaine ? Les légendes disaient donc vrai ? Il existait un peuple vivant au fond des océans ?
Non, c'était impossible !
Il battit des paupières plusieurs fois, pour être certain qu'il n'avait pas mal vu, mais elle se tenait toujours là, devant lui, la chemise défaite de manière indécente et particulièrement érotique. Il détourna le regard de sa poitrine tout en essayant de mettre du sens à tout ce dont il avait été témoin.
« Ne vous tourmentez pas Jeongin. Vous n'avez pas rêvé. Je suis bel et bien issue d'une autre race que la vôtre.
- P-pourquoi ?
- Pourquoi ? Pourquoi vous l'avoir révélé ?
- Oui, je pourrais vous tuer, ou vous capturer dans l'espoir de vous vendre ! »
Elle sourit largement et prit place sur une chaise à ses côtés. Il pouvait sentir la douce chaleur qui émanait de son corps.
« Oh Jeongin, nous savons que vous ne feriez jamais une chose pareille. »
Il ignorait pourquoi, mais cette réflexion réveilla en lui une colère enfouie. Ne le pensait-elle pas assez courageux pour faire ce genre de chose ?
« Je pourrais !
- Non, vous ne pourriez pas. N'avez-vous donc aucune conscience de vous-même ?
- Qu'insinuez-vous ? Que je ne suis pas assez courageux pour prendre ces risques ? »
Il se tourna pour lui faire face, plantant son regard dans le sien, aussi perturbant fut-il. Ses yeux brillaient et elle s'amusait clairement de la situation. Elle le fixa un instant puis reboutonna doucement sa chemise.
Il ne put s'empêcher de fixer ses doigts refaire uns à uns les boutons d'ivoire.
« Comment oserais-je dire que vous n'êtes pas courageux ? N'êtes vous point celui-là même qui m'a tiré de la mer et m'a sauvé d'une mort certaine ? Non, mon sauveur est un homme courageux et vertueux. Je n'ai aucun doute là-dessus, et c'est justement pour cette raison que je sais que vous ne me trahiriez pas.
- Je ne comprends pas.
- Je pense que vous avez compris Jeongin, mais je vais le répéter par ce que vous mourrez d'envie de m'entendre le dire. Je sais que vous ne me vendriez pas, car vous êtes un homme bon et vertueux. De plus, vous êtes courageux et vous me respectez bien trop.
- Je n'ai fait que mon devoir...
- Ne jouez pas aux modestes mon ami. Si ce n'était pour vous, je serai probablement morte à l'heure qu'il est. Un autre m'aurait laissé à mon sort, ou pire, m'aurait sauvé pour me violer, me battre ou me revendre. Peut-être même les trois.
- Ne dites pas ça ! Un autre que moi vous aurez sauvé comme je l'ai fait.
- Vous surestimez la bonté des Hommes. »
Elle lui adressa un de ses sourires déstabilisant dont elle seule avait le secret, puis se pencha sur la table pour reprendre sa tasse. Elle la porta à ses lèvres et bu lentement.
« Je refuse de croire cela.
- Je ne puis m'opposer à votre volonté mon ami. Et j'admire votre capacité à vous mentir à vous-même.
- Je ne me mens pas ! Je suis certain que les hommes ne sont pas si mauvais.
- Vous avez peut-être raison, après tout, ne créons nous pas notre propre réalité ? Ce que l'on croit fait foi.
- Qu'entendez-vous par là ? La réalité n'est qu'un fait. Si je crois que mes parents sont encore en vivant cela ne va pas les ramener à la vie. C'est un fait. »
Karina but une autre gorgée de thé puis parcouru la pièce du regard. Elle s'arrêta sur les mains de Jeongin puis le regarda en souriant.
« Ne soyez pas si fermé d'esprit mon ami, ce n'est pas ce que je voulais dire. »
Elle posa sa tasse et glissa une main sur la sienne. Une douce électricité le traversa, activant un feu dans son ventre qu'il ne pensait pas trouver à ce simple contact.
« Laissez-moi vous raconter une histoire... Un jeune homme, nommons le Parker. Parker vivaist seul, sa vie était triste et sombre, son passé encore plus. Il se croyait si seul qu'il avait la conviction profonde de ne pas être aimable. Que jamais il ne rencontrerait personne et qu'il finirait par mourir seul. Tous les jours, Parker se racontait la même histoire, « Je suis seul, personne ne m'aimera jamais, je vais mourir seul ». Tous les jours, Parker faisait le tour de sa maison en se disant qu'il était bien trop nul, incapable, moche et stupide, que les autres perdrai leur temps avec lui, qu'ils s'ennuieraient. Et devinez quoi ?
- Il a fini par trouver quelqu'un ?
- Non, il avait raison. Il est mort seul, sans jamais avoir connu l'amour.
- Pourquoi me racontez-vous cette horreur ? »
Elle eut un petit rire et glissa ses doigts dans la paume de JeongIn.
« D'après vous que s'est-il passé pour qu'il finisse seul ?
- Je ne sais pas. Il avait raison sur lui-même, je suppose.
- Oui et non. Il était si sûr qu'il finirait seul qu'il a commencé à mettre de la distance entre lui et ses amis, qu'il n'ouvrait pas la porte quand on y toquait. Il était si pétri dans son malheur qu'il était devenu amer et grincheux. Chaque fois qu'une opportunité de lien s'offrait à lui, il repoussait les autres de tout son soûl et se servait des conséquences de ses propres actes pour se prouver qu'il avait raison, se conforter dans l'idée qu'il mourrait seul. Son amie d'enfance était folle amoureuse de lui, mais il l'a écarté de sa vie pour des raisons stupides et puériles, seulement car il ne pouvait supporter son amour. Comment supporter que quelqu'un auquel vous tenez puisse vous aimer si vous-même pensez que vous n'en valez pas la peine. Parker croyait si fort qu'il était impossible à aimé, qu'il s'est forgé une existence solitaire et impénétrable. Il a créé sa propre réalité. Une réalité triste et néfaste qui lui a coûté son bonheur. Voilà ce que j'entends pas créer sa réalité. Vos croyances vous façonnent et parfois vous emprisonnent, mais n'oubliez pas que vous êtes le seul aux commandes de votre vie. Et plus encore, le seul à en décider. La vie est précieuse, vous le savez mieux que quiconque Jeongin. »
Elle se tut puis se pencha pour murmurer au creux de son oreille.
« Ne laissez pas vos croyances vous définir. Vous valez bien mieux que ça mon ami. »
Il sentit son souffle contre sa joue puis la légère pression de ses lèvres contre sa peau et son cœur manqua un battement.
Aussi légère qu'un papillon, elle se leva et quitta la cuisine.
🌕
La nuit était bien avancée, mais Jeongin peinait à trouver le sommeil. Il ne cessait de repenser aux mots de Karina.
Elle les portait toujours sur des discussions intenses sur le sens de la vie et il ne pouvait s'empêcher de comparer ses dires à sa propre existence.
Il était encore jeune et possédait une petite fortune, mais il se cantonnait à sa vie campagnarde, seul dans sa grande maison vide. Il avait vite oublié ses rêves d'aventure après la mort de ses parents et il se demandait aujourd'hui ce qu'il aurait pu devenir s'ils n'avaient pas succombé. Aurait-il poursuivi ses envies de grand air ? Aurait-il acheté un navire pour se lancer dans les affaires maritimes comme il le rêvait depuis enfant ? Probablement pas. Son père n'aurait pas voulu et sa mère l'aurait forcé à rester chez eux, là où il était en sécurité, là où il ne craignait rien. Cela leur avait réussi visiblement...
Il rit jaune et ouvrit la fenêtre pour contempler la lune gibbeuse croissante dans le ciel bleu nuit parsemée d'étoiles brillantes.
Les mots de Karina lui revinrent à l'esprit « Je brillait plus puissamment qu'une étoile par une nuit sans lune ». Un large sourire étira ses lèvres. À ses yeux, elle brillait toujours.
Et alors qu'il se perdait dans les souvenirs du corps sensuel et des mots sages de la jeune femme, il fut surpris par de petits coups qu'on tonnait sur sa porte.
« Jeongin ? C'est moi. Je ne trouve pas le sommeil et vous non plus, puis-je me joindre à vous ? »
Comme s'il l'avait invoqué en pensant à elle, elle ouvrit doucement la porte sans attendre qu'il n'eu répondu.
« Karina ? Que faites-vous ici ?
- Je n'arrivais pas à dormir dans cette nouvelle chambre. J'ai marché un moment dans la maison et je vous ai entendu ouvrir la fenêtre. »
Elle avança dans un rai de lumière bleuté, dévoilant sa tenue légère et ses cheveux lâchés. De petites écailles billaient sur ses pommettes soulignant ses yeux d'un bleu foncé. Une brise fraîche glissa contre elle et ses doigts tirèrent sur le châle qui couvrait ses épaules. Jeongin frémit et tira son fauteuil près de la vitre.
« Lumineuse, murmura-t-il. »
Elle sourit et le rejoignit auprès de la fenêtre.
« Le ciel est beau ce soir. Dit-elle en s'asseyant sur le cadre.
- Oui. Les nuages l'on délaissait pour que nous puissions nous délecter de la lumière de la lune. »
Un silence serein naquit entre eux, flottant avec légèreté sur le cœur de Jeongin. Elle n'avait pas besoin de parler. Il lui suffisait de la regarder pour se perdre dans l'océan de sa majesté.
« Lorsque-vous me regardez ainsi, je me sens aussi grande que l'océan, mais votre cœur ne peut appréhender toute ma gratitude mon ami. Vous feriez mieux de vous regarder vous-même avec ces yeux transit. »
Il détourna le regard, presque honteux. Elle le reprenait souvent lorsqu'il se perdait à la contempler ainsi, et à chaque fois, il se sentait coupable et idiot. Mais l'envie de recommencer était si forte qu'il ne pouvait s'en empêcher.
« Comment vous sentez-vous ce soir Karina ?
- Mes poumons me font légèrement souffrir de même que ma peau meurtrie, mais je me sent plus en forme qu'hier.
- Doucement, vous vous soignez. Je suis heureux de l'entendre. Comment se fait-il que le sommeil vous échappe ? Il fait trop froid dans la chambre d'amis ? »
Elle descendit gracieusement de la fenêtre et serra à nouveau le châle sur ses épaules.
« Non. Je me sentais seule à l'autre bout de votre demeure. Dans votre bureau, je pouvais sentir votre présence ou celle de Tanie qui m'épiait. Mais dans cette nouvelle pièce... Je me sens seule.
- Oh... Je pensais qu'un peu d'intimité vous plairait.
- Je le pensais aussi. J'ai vécu de nombreuses années seule à parcourir les océans, mais je pense avoir atteint un âge où la solitude ne me sied plus. La présence d'un ami, la chaleur de ce lien me manque finalement. »
Elle rit, illuminant son visage d'une joie discrète.
« Et me voici à quémander la compagnie d'un humain. »
Il la regarda longuement, se répétant ses mots, mais la colère ne pouvait naître en lui, il était bien trop heureux qu'elle le considère assez noble pour sa compagnie. Il la suivit des yeux alors que ses pas la guidaient vers le lit.
« Puis-je ? Demanda-t-elle en pointant les draps de l'Index. »
Le cœur du jeune homme se mit à tambouriner dans sa poitrine avec une puissance nouvelle et son sang ne fit qu'un tour. Que voulait-elle ? Il ne pouvait retirer les images obscènes de son esprit alors qu'elle le fixait, un petit sourire aux coins de ses lèvres parfaites.
Il prit une inspiration difficile en se maudissant. Pourquoi était-il plein de ces pensées ! Il n'avait plus seize ans ! Il était un homme et se devait d'agir en gentleman, et non en chien affamé. Et puis ce n'était même pas comme s'il connaissait les véritables plaisirs de la chair. Comment pouvait-il les désirer aussi ardemment ?
« Jeongin ?
- C-comment ?
- Puis-je m'y asseoir ?
- Évidemment. »
Il se racla la gorge pour essayer de reprendre contenance. Elle s'asseyait simplement sur son lit, rien de plus.
« Mon ami, pourquoi n'avez-vous point de femme si vous désirez si ardemment le corps de l'une d'entre-elle ? »
Il sentit ses joues le brûler alors que la honte le consumait. Comment faisait-elle pour toujours deviner ses pensées.
« P-pardon ? Que voulez-vous dire par là ?
- Ne me prenez pas pour une idiote, les hommes et les mâles de mon espèce ne sont pas bien différents quant à ce genre de questions. Je le vois comme le nez au milieu de la figure. Vous me désirez. Mais vous me voulez car vous me trouvez attirante et mystérieuse, non car vous m'aimez... Enfin, vous m'appréciez, me considérez peut-être même comme une amie, mais l'amour romantique ne coule pas de vos yeux. Je repose ma question, pourquoi n'êtes vous point marié ?
- Je... Je n'ai pas trouvé d'épouse.
- Ha oui ? N'en avez-vous pas trouvé ou n'en voulez-vous pas ? »
En voulait-il vraiment une ? Il aimait l'idée de ne plus être seul, l'idée de partager du temps avec quelqu'un d'autre. Et même l'idée d'aimer. Il désirait plus de sa vie que ce qu'elle lui offrait actuellement et avoir une femme avec qui la partager changerai forcément les choses. Mais voulait-il réellement une femme, voulait-il réellement aimer, ou souhaitait-il seulement une distraction à son malheur ? Aucune épouse ne pourrait le sortir de son chagrin et de ses rêves perdus.
« Peut-être avez-vous encore raison Karina. Non, je ne pense pas vouloir d'une épouse, ou tout du moins pour le moment. Peut-être un peu plus tard. Ou si je trouve une personne qui me fait vibrer.
- Gagneriez-vous en sagesse mon ami ? Ricana-t-elle.
- Ne vous moquez pas, vous en êtes la raison. Vous trouvez toujours les mots pour m'entraîner sur la voie de l'introspection. »
Elle lui adressa un large sourire en repliant ses fines jambes sous elle.
« Je ne fais que poser des questions et partager mes expériences.
- Peut-être, mais vous touchez toujours une corde sensible pour moi, parfois je me demande si vous ne lisez pas dans mes pensées.
- Je connais bien les humains, c'est tout. Vous savez, on ne vit pas plus de cent ans en leur compagnie sans apprendre à les connaître. Bien que parfois, l'un d'eux sort du lot et vous étonne. »
Cent ans ? Venait-elle de dire qu'elle avait plus de cent ans ? Jeongin n'arrivait pas y croire. Pour lui, elle avait son âge. Il la pensait même un peu plus jeune que lui de par ses traits parfaits.
Il resta choqué de son aveu ne sachant comment poser la question poliment. Il la fixait avec de grands yeux ronds.
« Pourquoi me regardez-vous avec ces yeux de merlan frit ?
- Qu-quel âge avez-vous ?
- Oh ! C'est donc cela qui vous tracasse ? Hum... Très sincèrement, je ne me souviens pas de mon âge exact. Après un certain temps, on arrête de compter. Puis ce n'est pas bien important pour les êtres comme moi.
- Mais vous avez plus... Plus de cent ans ?
- Bien plus mon ami, bien plus. »
Son sourire ne la quittait pas alors que son regard se tournait vers la lune.
« Comment est-ce possible ? Vous semblez si jeune.
- Je ne vieillis pas. Je suis né comme je suis aujourd'hui. Enfin... bref. Oui, je vous semble jeune mais je ne le suis pas, je ne l'ai jamais été. »
La tête de Jeongin lui tournait. Comment était-ce possible ? Tout cela allait à l'encontre de tout ce qu'il avait appris. Comment un être vivant pouvait naître adulte et ne pas changer durant des siècles. C'était contre-nature.
« C'est impossible.
- Et pourtant me voici. Souhaitez-vous voir ma forme marine pour vous en convaincre ? Je pourrais me transformer en grande partie si nous allions sur la plage, mais je serais sans doute épuisée. Je manque de force ces temps-ci, dit-elle avec une grimace.
- Non. Non, pas la peine... Mais je ne vais pas vous mentir, j'ai beaucoup de mal à vous croire.
- Alors ne me croyez pas. Ça ne changera pas ma réalité. »
Un silence emplit la pièce.
« Peut-être devrais-je vous laisser dormir ? Demanda Karina en se redressant lentement. Je sens le sommeil me gagner.
- Non ! »
Jeongin s'étonna de la promptitude avec laquelle il avait répondu. Il n'avait pas prévu de la retenir. La nuit était bien avancée et ses paupières devenaient lourdes. Mais une petite voix en lui avait crié plus fort que sa raison.
« Non ?
- Je voulais dire, vous pouvez rester et dormir ici si vous préférez. Je resterai sur le fauteuil. »
Ses lèvres s'étirèrent en un sourire malicieux.
« Souhaiteriez-vous partager le lit avec moi ? Je ne suis pourtant pas humaine. »
Le cœur de Jeongin se stoppa un instant avant de battre à tout rompre. Il sentit le sang se propager dans tout son corps et une chaleur intense monter dans ses reins.
« Ce n'est pas ce que j'ai dit !
- Ne soyez pas si outré, je plaisantais. J'en suis presque offensée.
- Pardon... »
Elle ricana et s'allongea gracieusement sur le lit.
« Le lit est bien grand, vous pourriez vous allonger à côté de moi et nous pourrions discuter plus confortablement. Deux personnes qui partagent un lit ne veut pas forcément dire qu'ils partageront autre chose, Jeongin. Détendez-vous et rejoignez-moi. »
Il se leva d'un bond, mais se stoppa net. Sa conscience lui hurlait qu'il était inconvenant qu'il partagea son lit avec elle, mais une autre part de lui mourrait d'envie de passer cet instant avec cet être hors du temps.
« Ne laissez pas vos croyances vous entraver mon ami. »
Et sur ces paroles, il se glissa à ses côtés.
Ils passèrent la nuit a discuter de tout et de rien, regardant le ciel nocturne de leurs yeux fatigués. Partageant un moment doux et unique qu'il chérit toute sa vie.
🌕
Les jours filèrent et ils prirent pour habitude de passer leurs nuits ensemble à discuter de la vie, de la mort et de tout autres choses. Karina avait la réponse à des questions que Jeongin ignorait se poser. Elle avait vu nombre de choses, de gens, de mondes. Mais elle restait toujours très vague, comme si ces souvenirs n'étaient pas faits pour être révélés à voix haute.
Plus les jours passaient et plus elle devenait rayonnante. Les hématomes qui lui couvraient le corps avaient tous disparus et elle ne se fatiguait plus aussi vite. Lorsqu'elle se sentait en forme, ils faisaient de longues balades sur la plage, parfois en silence, d'autres fois au cœur d'une conversation. La nuit, quand elle le rejoignait dans sa chambre pour regarder le ciel et converser au clair de lune, sa peau se couvrait de fines écailles brillantes qui lui rappelait ô combien elle n'était pas humaine. Rappel amer, lui revoyant violemment au visage l'aspect éphémère de son apparition dans sa vie. Un jour, elle s'en irait, car sa place n'était pas ici. Et ce jour, il le voyait venir plus vite que son cœur ne le souhaitait.
Depuis sa venue, la vie de Jeongin s'était éclairée. Bien que Madame Ming faisait son possible pour éviter Karina, il se réjouissait de sa présence. Elle l'avait poussé à suivre ses rêves, à reprendre sa vie en mains. Il n'avait personne pour lui dire quoi faire et ne pas faire, et il était libre de toute attache. En réalité, rien a par lui-même ne l'empêchait de réaliser ses fantasmes. Et en dépit de ses peurs, il avait entamé le processus mental du changement. Seulement, une crainte persistait. Si elle partait, aurait-il le courage de continuer à changer ? Il en doutait.
Ils étaient assis l'un à côté de l'autre dans le lit de Jeongin, la lourde couverture sur les jambes pour se protéger du froid glissant par la fenêtre ouverte. Karina restait silencieuse, se reposant en observant les étoiles.
Jeongin, perdu dans ses pensées, soupira.
« Que se passe-t-il ? Demanda-t-elle.
- Je me disais seulement qu'un jour, vous partiriez.
- Oui. Nous le savons tout deux. Un jour prochain je devrai partir. Je retournerai à l'océan.
- Je ne veux pas.
- Je le sais. Mais vous ne pouvez rien y changer.
- Ne puis-je vous convaincre de rester ?
- Je le crains mon ami. Mon départ est nécessaire. Autant pour moi que pour vous. »
Il ferma les yeux un instant. Il ne voulait pas le croire.
« Et si vous vous trompiez ? Peut-être pourriez-vous rester ? À votre échelle d'existence, qu'est-ce que le temps d'une vie humaine ? »
Elle eut un rire doux qui brisa le cœur de Jeongin. Il savait qu'elle allait lui prouver qu'elle ne pouvait pas réaliser son souhait. Il glissa sa main sur la sienne et la serra entre ses doigts chauds.
« Vous avez raison. Je pourrais, en théorie, rester avec vous sans perturber mes plans d'avenir, mais qu'adviendrait-il des vôtres ?
- Des miens ? Je n'ai point de plans, point d'avenir.
- Ne désirez-vous pas trouver une épouse que vous aimerez et avoir des enfants à chérir ? Ne voulez-vous pas, du plus profond de votre cœur, découvrir le monde et naviguer sur les flots ? »
Elle avait raison.
« Mais ne pourriez-vous pas être celle qui partage ma vie ?
- Non.
- Pourquoi ?
- Je ne le peux pas, car je ne suis pas humaine. Je ne peux porter vos enfants, je ne peux devenir votre épouse.
- Mais vous pourriez devenir ma compagne.
- Et vous laisser renoncer à vos désirs ? Non. Je ne veux pas. Et puis cela serait bien trop dangereux... »
Sa voix se perdit en un murmure et elle posa sa tête contre l'épaule de Jeongin.
« Je ne peux nier le fait que votre âme me plais mon ami, mais nous ne pouvons nous lier. Ma destinée ne peut entrer en corrélation avec la vôtre sans l'écraser et la réduire à néant. Je ne suis qu'un événement isolé de votre vie. Une éclipse, une lueur éphémère. »
« Si je m'amusais à rester avec vous, à partager ainsi votre présent, et à lier nos vies, je finirais par vous faire disparaître dans ma grandeur. Or, vôtre essence aspire à de grandes choses et je ne peux la retirer au monde. Je ne peux vous la retirer. »
Jeongin sentit sa gorge se serrer. Le chagrin se mélangeait amèrement à l'angoisse et son souffle se faisait de plus en plus court.
« Je ne pourrais avancer sans vous. »
Elle se redressa et se mit à genoux face à lui. Elle prit ses mains dans les siennes et les serra. Il la regarda, mais tout ce qu'il voyait était qu'elle allait le quitter. Et elle le remarqua peut-être car elle repris un visage tout à fait humain.
« Ne faites pas l'enfant, Jeongin. »
Elle porta ses mains à ses lèvres et baisa les doigts du jeune homme. Il sentit ses douces lèvres se presser contre ses phalanges et leur chaleur se répandre en lui. Mais son cœur n'en fut que plus meurtris. La vision de Jeongin se brouilla à mesure que les larmes montaient à ses yeux.
« Oh non... Dit-elle d'une voix douce, je ne voulais pas vous faire pleurer. »
Elle lâcha doucement ses mains s'asseyant sur ses talons. Mais Jeongin les rattrapa et les serra.
« Mon âme vous pleure car elle s'endeuille de la part que vous lui arrachez. Jamais je ne pourrais vous oublier. Jamais je ne pourrais oublier les heures de discussions, les balades sur la plage... Jamais je n'oublierai vos yeux si profonds et vos cheveux soyeux. Jamais je ne pourrais enlever la beauté de vos écailles de mon cœur. Ces images resteront à jamais témoin de la part de moi que vous emportez avec vous, du moi qui vous regarde et vous tiens au creux de mes mains. »
Il lui sembla qu'elle aussi avait les yeux humides de larmes, mais peut-être était-ce qu'un simple reflet.
« Vous ne tenez que mes mains... »
Elle baissa un peu le visage et glissa ses doigts sur les avant-bras de Jeongin.
« Comment ?
- Prenez-moi dans vos bras. Serrez-moi contre vous et reprenez la part de votre âme que je vole sans le vouloir. »
Il ne prononça mot et la tira lentement contre lui. Elle s'allongea sur son corps et posa son visage contre sa poitrine avant de le glisser dans son cou.
Tendrement, il l'encercla de ses bras et la serra.
« Je regrette de devoir vous blesser ainsi mon ami. »
Il sentit son souffle contre sa peau, ses jambes contre les siennes, ses seins contre son torse. Un frisson le parcourut de la tête aux pieds. Elle était tout contre lui, chaude, douce et bientôt partie. Son cœur le brûlait de douleur et de désir.
Il referma ses doigts sur le tissu de sa robe de nuit la rapprochant un peu plus de lui. Une larme coula sur sa joue et elle l'essuya de son pouce sans même regarder.
« Je ne suis pas encore partie. Ne me pleurez pas avant, je vous en prie. Cela blesse mon cœur autant que le vôtre. »
Sa main resta sur la joue de Jeongin alors qu'elle se redressait pour le regarder dans les yeux. Ses yeux indigo le fixaient, emplis de larmes.
« Je ne peux comparer l'affection de mon cœur à l'amour humain, mais peut-être puis-je vous montrer une partie de ce qu'il représente. »
Il la regarda fermer les yeux lentement et s'approcher dangereusement, comme jamais personne ne s'était approché. Son souffle se heurta au sien et il se rendit compte à quel point elle sentait bon, un parfum ineffable, d'une douceur sans pareille. Et alors qu'il s'extasiait sur son parfum, il remarqua ses lèvres charnues, toutes proches des siennes. Sans y réfléchir, il combla l'espace qui les séparait et l'embrassa chaudement.
Son corps avait le goût du sel et ses courbes rappelaient la mer. Elle se mouvait avec grâce en une danse sensuelle et parfaite, s'échouant sur lui avec l'ardeur des vagues. Elle était si belle ! Sa chaleur l'enveloppait et le tirait dans un autre monde. Un monde de plaisirs primaire.
Il la touchait du bout des doigts comme s'il s'agissait d'une fleur, la traitant avec douceur et tendresse. Elle le touchait à pleines mains, avide de son contact, le traitant avec impatience et envie.
Toute la nuit durant, elle l'aima avec ferveur.
Jamais Jeongin n'avait connu l'amour d'une femme, mais il savait que cette fois était particulière et que jamais il ne pourrait comparer cette expérience avec d'autres. Karina était un être magnifique qui ne connaissait aucun égal. Il l'avait su à l'instant même ou ses lèvres avaient touché les siennes.
🌕
Alors que le soleil se levait lentement, projetant ses rayons dorés sur eux, ils émergèrent de leur courte sieste. Karina, complètement nue était allongée sur Jeongin, sa peau bleutée parsemée de fines écailles brillantes, étincelait au soleil.
Il passa une main le long de son dos la détaillant dans les moindres détails. Il savait que ce serait la dernière fois qu'il la verrait et son cœur le faisait souffrir. Mais il lui avait promis de ne la pleurer qu'une fois qu'elle serait partie, alors il accepta ses sentiments ainsi que cette part de lui-même et profita pleinement de l'instant.
« Vous brillez a l'éclat du soleil, vous êtes sublime, murmura-t-il. »
Elle redressa lentement son visage et lui accorda un large sourire qui l'échauffa tout entier.
« Merci Jeongin. »
Et elle l'embrassa doucement.
Après un long instant, ils rompirent l'échange d'un comme un accord et se fixèrent. Ils restèrent silencieux quelques minutes.
« Il est bientôt l'heure n'est-ce pas ? Demanda Jeongin. »
Elle acquiesça.
« Je ne chercherai pas à vous retenir. »
Mais il avait resserré son emprise sur son corps sans même s'en rendre compte. Elle eut un léger rire et se leva paresseusement.
« Le soleil ne doit pas être trop haut, marmonna-t-elle, je risquerai de me brûler. Cela fait des siècles que je n'ai pas pris cette forme... »
Elle enfila sa chemise de nuit au grand dam du jeune homme, puis se retourna vers lui.
« Accompagnez-moi jusqu'à l'océan. »
Jeongin se leva à son tour et s'habilla rapidement. Le printemps avait laissé place à l'été et l'air tiède passait par la fenêtre.
« La journée sera chaude, dit-il l'air de rien. »
Elle rit et lui prit la main.
« Allons-y, murmura-t-elle. »
Karina entama sa marche, mais Jeongin ne la suivi pas tout de suite la retenant dans la chambre. Il la tira doucement dans ses bras et l'enlaça une dernière fois. Elle se laissa faire, réciproquant son étreinte.
« Je dois me dépêcher avant que le soleil ne soit trop haut. »
Et il la libéra.
Ils marchèrent en silence hors de la demeure et empruntèrent le chemin de la plage. Leurs pas les menèrent lentement jusqu'au Gros Rocher.
« Venez avec moi. »
Karina les mena jusqu'au sommet du rocher et se plaça dos à l'océan les pieds tout proches du bord. Le soleil éclairait son visage et faisait briller d'arc-en-ciel ses écailles bleutées.
« Mon ami... Jeongin. N'oubliez jamais tout ce que vous avez appris en ma compagnie, et surtout, ne doutez jamais de vous. »
Elle caressa sa joue, apaisant la douleur dans sa gorge. Puis, sans lui laisser le temps de lui dire adieu, sans qu'il ne put dire le moindre mot, elle se jeta en arrière dans les profondeurs glacées.
« NON ! Hurla-t-il. »
Seulement, elle était déjà retournée à l'océan. Il n'y avait plus trace de Karina. Il fixa l'eau sombre dans l'espoir de la voir ressortir, dans l'espoir qu'elle revienne. Mais ce qui en sortit n'était pas celle qu'il avait connu.
D'une gerbe d'eau miroitante émergea une créature irréelle. Un gigantesque dragon des mers se dressait de toute sa longueur face à lui. Sa robe écailleuse aux bleus sombres et reflets violets brillait de mille feux sous le soleil. Elle était immense, sa tête faisait la taille de Jeongin et il s'émerveilla devant la couronne de joyaux qui ceinturait son front reptilien.
« Que pensez-vous de ma véritable forme mon ami ? »
Et elle déplia ses ailes à la membrane violacée.
« Ne suis-je pas splendide ?
- Karina... Vous êtes d'une beauté indicible ! Une reine, une déesse ! »
Elle avança sa tête vers lui et posa son museau contre son ventre. Jeongin resta pétrifié face à sa splendeur et à sa magnificence.
« Grâce à vous je peux enfin retrouver l'océan d'où je viens. Ma maison, mon univers et ma création. Ô mon ami peu vous saviez que vous teniez entre vos mains le cœur même de vos désirs les plus anciens. Mais je ne peux vous quitter sans vous donner gage de ma gratitude. Prenez deux de mes joyaux. »
À ses mots, ils tombèrent de sa couronne et il les attrapa avant de les serrer contre sa poitrine.
« Je-je n'ai pas les mots...
- Alors ne parlez pas et laissez-moi le faire. Vendez une des pierres et réalisez vos rêves, l'océan vous sourira toujours. Gardez l'autre, et quand votre vie touchera à son terme retrouvez moi ici avec ce cristal. Je viendrais vous chercher mon ami. »
D'un battement d'ailes, elle recula et se montra dans toute sa splendeur.
« À bientôt, Yang Jeongin, mon ami. »
Et elle replongea dans les profondeurs sans en perturber la surface. La mer resta lisse et Karina s'en était allé.
Ce jour, il resta assis sur la roche à l'attendre jusqu'à la nuit tombée, mais elle ne reparut jamais.
🌕 🌕 🌕
Assis sur son fauteuil près du feu, Jeongin regardait le cristal d'un indigo profond et immuable. Dans quelques heures, il rejoindrait sa vieille amie.
Son regard se perdit dans sa contemplation alors que son esprit revenait sur sa vie.
Au départ de Karina, il avait été dévasté, mais sa tristesse l'avait poussé à réaliser ses rêves. Il avait alors mis son cousin Minho, récemment marié, à l'intendance de ses terres pour se laisser le temps de réfléchir à ses plans. Un jour, un étrange marchand était venu lui acheter le joyau de l'océan pour une véritable fortune, et il avait tout de suite fait construire son propre navire marchand, le « Nalqua ».
Il vécut durant plusieurs années avec son cousin et sa famille le temps que son bateau fut construit. Puis quand l'heure fut venue, il prit la mer. Il se rappelait ces années avec mélancolie. Jamais il n'avait été plus heureux que sur les flots, excepté peut-être aux naissances de ses filles.
Alors qu'il parcourait les océans, découvrant le monde et tous les trésors qu'il recelait, il trouva son trésor. Un trésor qui valait plus que tout l'or du monde, Harmonie, sa femme. C'était un capitaine comme lui. Pleine de caractère et de vie. Elle avait pris possession de son cœur comme un pirate et ne l'avait plus jamais lâché. Ils s'étaient unis et avaient eu deux sublimes filles qu'ils aimaient plus que tout au monde. Leurs deux filles Katrine et Nallie faisaient leur fierté ! Katrine l'aînée avait repris l'intendance des domaines agricoles avec son cousin, et vivait avec son époux dans la maison familiale. Quant à Nallie la cadette, elle, avait décidé de suivre les traces de ses parents et avait repris le commandement du Nalqua.
Au crépuscule de son existence, Harmonie avait voulu vivre près de sa fille et de ses petits enfants, mais elle perdit la vie quelques années après.
Ces souvenirs déchiraient toujours le cœur du vieil homme.
Sentant la mort venir, Jeongin avait mis en ordre ses affaires, s'assurant que ses filles soient en sécurité toute leur vie.
Il serra la pierre dans ses vieilles mains, l'image de Karina s'épanouissant dans son esprit. Il ne l'avait jamais revu, mais il avait senti sa présence lors de violentes tempêtes à bord du Nalqua. Il savait qu'elle veillait sur lui d'une manière ou d'une autre et il se languissait de la revoir.
Il se hissa doucement sur ses jambes douloureuses et regarda Katrine qui s'était assoupie en donnant le sein à son dernier fils. Il s'avança péniblement jusqu'à elle et tira la couverture sur ses épaules. Puis, il sortit de sa poche les lettres d'adieu qu'il leur destinait à elle et Nallie et les posa sur le bureau.
Il jeta un dernier coup d'œil à sa chère fille. Elle serait triste un temps, mais elle continuerait sa vie et serait heureuse et libre de faire ce qu'elle veut.
Il sortit de la pièce en silence, puis de la maison. Son corps lui faisait mal et chaque pas était difficile, mais il savait que bientôt tout ça serait fini.
Jeongin marchait le long de la plage, regardant le soleil tiède de printemps disparaître à l'horizon. Le ciel se teintait de couleurs d'or et la mer d'encre en reflétait chaque teinte. L'esprit vagabond, il repensa à toutes les fois où il avait quitté la terre pour parcourir les océans. Il était heureux de sa vie et n'avait aucun regret si ce ne fut de ne pouvoir vivre plus longtemps pour voir ses petits-enfants grandir et vieillir.
La brise ébouriffait ses cheveux gris et les embruns salés s'écrasaient joyeusement sur ses joues ridées. Il était heureux. Triste, mais heureux.
Ses petits pas maladroits le menèrent au Gros Rocher et il en entreprit l'ascension. Il se savait vieux, mais pas à se point. Monter lui pris un long moment et quand il atteignit enfin le sommet, le soleil avait disparu et les premières étoiles pointait le bout de leur nez.
Essoufflé, il sortit la pierre précieuse de sa poche et la regarda longuement.
« Karina, il est temps de nous retrouver. »
Il serra le joyau tout contre son cœur et avec un dernier regard en arrière sur sa demeure et sa vie, il se laissa lentement tomber en arrière.
La chute ne dura qu'un instant puis il se sentit enveloppé d'une chaleur douce et unique qu'il reconnut immédiatement. Son corps ne le faisait plus souffrir, son esprit n'était empli que de sa chaleur et de son amour. Elle n'avait pas menti. Elle était venue le chercher.
« Bonsoir, Jeongin.
- Bonsoir, Karina, ma vieille amie. Je suis ravie de vous retrouver.
- Moi de même. Allons parcourir le temps ensemble, je vous montrerai les merveilles que vous n'avez pu découvrir de votre vivant.
- Avec plaisir mon amie. »
Et ils s'en allèrent, ensemble.
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