2. Au fil de ton sourire

Celebriel

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Un visage penché concentré. Un atelier éclairé par la lueur matinale. De faibles bruits de sabots tapant les rues pavées murmurant derrière les carreaux des larges fenêtres. Une lampe à huile diffusant une lumière jaunâtre qui s'appauvrissait au fur et à mesure que celle, plus orangée du matin, ne vienne la rencontrer. Un tic-tac de l'horloge qui se dressait à côté d'étagères qui supportaient difficilement le poids de dizaines de rouleaux de tissus. 

Parfois, ce calme était perturbé par le déchirement du tissu sur lequel un jeune homme travaillait, son œil ne quittant pas les traits qu'il avait si méticuleusement tracés sur le tissu aux motifs floraux. Armé de sa paire de ciseaux, il incisait avec délicatesse des courbes précises, le son répétitif de son outil l'apaisant d'une certaine manière. 

L'horloge affichait dix heures du matin passées lorsque Kim Taehyung leva la tête de son ouvrage. 

Quelqu'un venait de briser le calme dans lequel il se complaisait à travailler. Une jeune femme avait pénétré dans sa boutique, et de ce fait avait déclenché le tintement de la petite cloche métallique au-dessus de la porte d'entrée. 

« Bonjour Monsieur Kim ! », lança la jeune femme d'une voix joviale. 

Ce n'était pas la première fois qu'elle venait ici, certains pourraient d'ailleurs la qualifier d'une cliente fidèle, cependant elle ne commandait jamais rien, tout simplement parce qu'elle n'avait pas les moyens de se payer la moindre pièce chez le tailleur et que celui-ci était spécialisé dans les vêtements masculins. 

Soupirant intérieurement, il se leva le dos droit et les épaules jetées en arrière comme à son habitude pour l'accueillir d'une voix bien plus mesurée : 

« Bonjour Madame, en quoi puis-je vous être utile ? » 

Il n'avait ni bu ni mangé ce matin-là, sa langue était pâteuse et sa voix encore plus grave que d'ordinaire si bien qu'il dût se racler la gorge. Il n'était pas habitué à parler, même après avoir tenu un commerce depuis de nombreuses années. 

La jeune femme gloussa, ses joues rosissant alors qu'elle regardait la silhouette guindée devant elle. Elle entortilla une mèche de ses cheveux de jais avant de protester d'une voix enfantine : 

« Allons, je vous ai dit au moins une dizaine de fois que vous devriez m'appelez Mademoiselle, j'ai l'impression d'être une vieille chouette à vos yeux. » 

Elle avait bougonné sa phrase dans sa barbe imaginaire, mais il était évident que le tailleur ne l'avait pas manquée. 

« Que puis-je faire pour vous ? », répéta-t-il en espérant qu'il pourrait retrouver bientôt sa tranquillité. 

La jeune femme sembla déçue de son manque de réception. A chaque fois qu'elle venait ici, elle espérait apercevoir enfin un sourire sur ce visage si fermé. Mais elle n'abandonnait jamais, s'étant mis en tête depuis des mois à essayer de lui tirer une émotion autre que celle ressemblant à de l'agacement mêlée à la résignation. Elle ne pouvait pas dire qu'il avait un regard triste, pourtant il y manquait une lueur, une sorte de pétillement dans les yeux qui le rendrait humain. 

Elle ne lui en voulut pas de cette esquive, et s'arma de son sourire malicieux : 

« Je passais dans les environs, et j'avais envie de vous voir un peu et m'assurer que vous alliez bien, on vous voit si peu en ville alors que vous êtes au cœur de nombreuses conversations. Vous devriez sortir et prendre l'air, beaucoup de familles recherchent votre société. » 

Elle n'était pas la première cliente qui l'incitait à sortir, mais malheureusement ces propositions le laissaient souvent de marbre. 

« Je suis en bonne santé, Madame. » 

Essayant de garder sa bonne humeur elle répliqua : 

« J'en suis heureuse. Vous savez il y a un bal qui se tiendra dans la maison des Jung bientôt. Apparemment ils ont loué la grande propriété à l'orée de la forêt à l'Est de la ville. Il a invité pour l'occasion presque toute la ville ! Vous rendez-vous compte Monsieur Kim ? D'ici peu des hommes courront à votre porte pour vous passer commande ! 

- Vous êtes pourtant ma première visite de la journée, qui plus est vous ne semblez pas vouloir passer commande pour votre fiancé, votre père ou votre frère. Peut-être que les hommes de la ville ont fini par trouver une société plus agréable chez mes confrères, chez qui vous devriez aller pour avoir une réponse plus agréable à votre conversation.» 

Kim Taehyung s'était laissé aller, comme à chaque fois, mais il avait encore ce masque d'impassibilité qui irritait tant la jeune femme. Elle savait que c'était un passionné, passionné de son travail, et pourtant il n'en montrait rien devant elle. Devant personne en réalité. 

Après un soupir mêlé au tic-tac de l'horloge, elle se résigna et prit congé. 

Le jeune tailleur soupira à son tour et s'apprêta à, enfin, retourner à son travail, quand le tintement aigu de la petite cloche retentit de nouveau. Espérant ne pas avoir encore affaire à la jeune femme qui aurait pu revenir, il se sentit presque soulagé de découvrir un homme au sourire jovial. Pourquoi est-ce que tout le monde lui souriait aujourd'hui ? 

« Bienvenue Monsieur, en quoi puis-je vous aider ? », demanda poliment cette fois-ci Taehyung.

Comme beaucoup de ses clients, il semblait faire partie de la haute bourgeoisie. Mais il était étonné de la chevelure flamboyante de son potentiel client. Il y avait de drôles d'oiseaux parmi les nouveaux riches, et celui-ci semblait correspondre à un de ces oiseaux exotiques que le tailleur avait pu voir dans des livres de voyage. 

« Bonjour, permettez-moi de me présenter. Je suis Jung Hoseok, j'ai emménagé il y a peu mais on m'a déjà longuement parlé de votre talent, je ne pouvais manquer de vous saluer ! J'organise une grande soirée d'ici une dizaine de jours donc je pense que vous aurez bientôt de nombreuses commandes. » 

Cette pipelette avait donc visé juste. Et il semblait être tombé sur quelqu'un d'aussi bavard.

Jetant malgré lui un regard triste au tissu laissé sur sa table de travail, il s'efforça de se montrer aimable : 

« Je vous souhaite la bienvenue dans cette ville. » 

Il avait fait de son mieux. 

« J'avais oublié qu'on m'avait conté votre discrétion, je me vois désolé de vous envahir de la sorte. Peut-être aurais-je dû vous envoyer un courrier à l'avance, vous devez être bien occupé. 

- En quoi puis-je vous aider ? » 

Taehyung avait l'impression de répéter cette phrase dans le vide depuis ce matin, mais il tenait bon. Cette fois-ci pourtant, il reçut une réponse qui éveilla son intérêt : 

« J'aimerais que vous m'accompagniez cet après-midi chez Monsieur Jeon. Il a hérité d'un bon nombre d'étoffes provenant de pays différents et de vêtements qu'il aimerait ajuster pour lui-même et pour son fils. Il aurait bien besoin d'un œil expert et a pensé à vous solliciter. 

- Voilà qui m'intéresse, déclara Taehyung avec pour la première fois de la journée un sourire. Est-ce qu'il sait d'où proviennent ces étoffes ? 

- Non hélas, mais il espère que vos bons conseils le ramènent vers les traces de son père. C'était un homme d'affaires aventureux qui a beaucoup voyagé pour ses contrats, ainsi il a acquis une collection impressionnante d'objets de toutes sortes mais également des vêtements qui lui ont été parfois offerts. Je pense que cela pourrait être aussi enrichissant pour vous », finit Monsieur Jung en lui souriant aimablement. 

Le jeune tailleur quant à lui était plus que ravi de cette opportunité. Il n'était guère enthousiaste à l'idée de quitter sa boutique pour se montrer au sein d'une réunion pompeuse, mais cela valait largement le coup. Il le remercia alors avec enthousiasme : 

« Je suis honoré de cette demande et je me joindrais à vous avec grand plaisir. J'espère ne pas décevoir Monsieur Jeon, je suis encore jeune et mes connaissances ne sont pas complètes. 

- Ne vous inquiétez pas pour ça Monsieur Kim, le but n'est pas de percer tous les mystères de ces tissus en un après-midi. Le pauvre Monsieur Jeon aurait du mal à encaisser toutes ces données ! » 

Alors que Monsieur Jung s'esclaffait, Taehyung était en train d'imaginer une palette d'étoffes des cinq continents. Mais il se rappela d'une partie de sa commande. 

« Quel âge le jeune Monsieur Jeon a-t-il ? 

- Je crois qu'il a vingt-cinq ou vingt-six ans. Vous n'aurez pas affaire à un enfant. 

- C'est noté, j'amènerais de quoi commencer mon travail. 

- Faites ce qui vous semble le mieux, sourit Monsieur Jung. J'emmènerai une voiture vous chercher pour 15h si cela vous convient. 

- C'est parfait. » 

Son client ne tarda pas à le laisser travailler, mais le tailleur fila rapidement chez lui pour se rafraîchir et se changer, espérant masquer les traits de la nuit sans sommeil qu'il avait passé. Il se rasa minutieusement, et arrangea ses ondulations noires de façon soignée. 

Il se revêtit d'une chemise épaisse blanche, passa avec soin ses boutons de manchette, puis un veston brodé qui mettait en valeur son buste. Il enfila ensuite un pantalon chaud qu'il avait fini il y a une semaine tout juste, qui soulignait la longueur de ses jambes de manière appréciable. Puis il choisit une cravate qu'il serra dans un nœud parfait avant de plier le col un peu long de sa chemise de manière élégante. Il enfila par la suite une longue veste sombre qui mettait en valeur sa silhouette, et la boutonna au niveau de sa taille. 

Il se regarda longuement dans le miroir, puis une fois sûr de sa bonne tenue il partit après avoir soigneusement fermé sa boutique. 

La demeure Jeon respirait l'opulence, il fut accueilli par un majordome qui le conduisit vers un petit salon qui devait faire trois fois la surface de son propre logement, mais il ne se laissa pas impressionner et salua respectueusement Monsieur Jeon, un homme à la mâchoire carré et à la poigne impressionnante mais très courtois. Il aperçut vaguement son fils, un beau jeune homme aux cheveux plus clairs que les siens. Il remarqua toutefois qu'il le regardait avec un étonnant émerveillement, ses yeux noirs ressemblant à deux boutons d'onyx brillants. 

Le tailleur le salua rapidement avant de rejoindre Monsieur Jeon qui l'amena dans une pièce de taille modeste, bien loin de ses invités bruyants. 

« Les jeunes veulent de plus en plus voyager de nos jours, je parie que vous en faites partie !, s'exclama-t-il en se dirigeant vers une imposante armoire. 

- En effet, admit Taehyung. Mais mon travail ne me le permet pas encore, alors j'espère ne pas vous décevoir. » 

Monsieur Jeon balaya cette réflexion du revers de la main : 

« Foutaises ! Vous, vous êtes un passionné, cela se voit ! Je suis sûr que vous reconnaitrez au moins la moitié de ces pièces ! 

- Je ferai de mon mieux. 

- J'en suis sûr, sourit le cinquantenaire. 

- Souhaitez-vous les identifier pour en faire des vêtements ? Ou pour de la décoration ?, demanda poliment le tailleur. 

- A vous de me le dire, je ne voudrais pas être ridicule avec un veston en rideaux ! » 

Il empoigna sur ces paroles une pile imposante de tissus pliés soigneusement dans des boites de cartons colorés puis les posa sur une table large. Il ouvrit ensuite une à une les boites en continuant : 

« Mais j'admets que j'aimerais beaucoup que vous me conseilliez pour un veston pour la fête de Monsieur Jung. Je pense qu'il y aura beaucoup de voyageurs parmi son assemblée et je ne souhaite pas paraître trop fade. 

- Nous resterons toujours plus fades que notre hôte, lança une voix masculine provenant de la porte.

 - Ah, Jungkook ! Je te présente Monsieur Kim, un tailleur formidable d'un rare professionnalisme. Monsieur Kim, voici mon fils cadet, Jungkook. » 

Taehyung reconnut sans mal le jeune homme qui venait de le dévisager et inclina respectueusement la tête. 

 « Je suis enchanté de faire votre connaissance. 

- Pas autant que moi », répliqua le jeune homme avec un large sourire. 

Le tailleur se demanda ce qui lui valait cette attention appuyée. Le connaissait-il ou jouait-il la comédie ? Ses doigts vinrent chercher le bord de ses manches et en serrèrent le tissu tandis qu'il lui répondit par un sourire crispé. Jungkook était un jeune homme de haute stature, avec un corps solide mais au visage d'une douceur charmante. Taehyung examina sa silhouette, l'imaginant déjà porter sa dernière création. Il pensa toutefois qu'il dégageait une aura beaucoup trop énergique pour s'enfermer dans un veston. 

« Jungkook a des goûts très incertains pour s'habiller, indiqua son père avec lassitude. Sa mère et moi désespérons de le voir porter de lui-même quelque chose de bon goût. » 

Le fils roula des yeux avant de se tourner vers le tailleur silencieux qui cherchait à ne pas entrer dans ce genre de conversation. 

« Parlez franchement Monsieur Kim, trouvez-vous mon ensemble d'aujourd'hui réussi ? Trouvez-vous qu'il me corresponde ?! » 

Il s'était approché, le regard débordant d'espoir, l'espoir de trouver un allié de son âge dans une lutte qui semblait faire rage depuis plusieurs années. Taehyung dut se faire violence pour conserver son masque impénétrable et répondit calmement : 

« Votre ensemble semble être de bonne facture et correspond à la mode actuelle des personnes de votre rang. » 

Sa réponse ne plut guère à l'intéressé qui arbora une expression déçue. 

« ... Et je ne vous connais pas assez pour déterminer ce qui vous correspond personnellement... »

Il s'était senti obligé de rajouter ceci mais il était si peu assuré qu'il l'avait murmuré. Le père Jeon fit claquer sa langue contre son palet, impatient, et relança vite la conversation autour des étoffes qui les attendaient sur la table.

Heureux mais surtout soulagé de pouvoir d'extirper du regard du jeune Jeon, il se précipita sur la dizaine de tissus colorés. Il y en avait de toutes sortes, de couleurs sobres aux plus chatoyantes, d'épais ou de voiles. Le tailleur oublia sa gêne et parcourut des mains les tissus, avec beaucoup de précaution certes mais avec de l'entrain. Il reconnut sans mal de l'organza, une mousseline souple et solide, plusieurs pièces de soie et de coton. Il soupçonnait la majorité de provenir du commerce de la soie, mais il y en avait un qui l'intrigua. D'une couleur d'un orange profond rappelant le coucher de soleil, ce tissu était tissé très finement mais semblait transparent.
Intrigué, Taehyung passa sa main dans le pli du coupon et fut surpris de constater qu'il pouvait bel et bien voir sa main en dessous. Mais ce qui l'étonna fut une incroyable sensation de chaleur se diffusant dans sa main, comme si ce simple bout de tissu pouvait transmettre ce phénomène. 

« Une bien étrange découverte n'est-ce pas ?, commenta Monsieur Jeon à ses côtés. 

- J'avoue n'en avoir jamais fait de telle. 

- Quel dommage que le tissu ne soit guère portable. 

- Pourquoi pas ?, lança Jungkook. 

- Tu te vois porter une telle couleur ? 

- Pourquoi pas ? », répéta-t-il avec un sourire effronté. 

Taehyung cacha son amusement en commentant les autres tissus qu'il reconnaissait et essayait de donner des pistes sur leur provenance tout en veillant à ne pas se montrer trop ennuyeux. Il vérifiait régulièrement que Monsieur Jeon ne piquait pas du nez. 

Aux alentours de 17h, il avait fini sa modeste expertise et il fut remercié chaleureusement par les deux hommes. Monsieur Jeon dut repartir vers ses invités pour sans doute leur conter leurs découvertes, tandis que le fils resta un instant avec lui. 

« Viendrez-vous au bal de Monsieur Jung ? » 

Le tailleur, qui était de nouveau en train de regarder le tissu orangé, dut lever son regard pour rencontrer son sourire lumineux. 

« Je n'y aurais pas ma place Monsieur, mais je pense que vous y verrez certaines de mes créations. 

- Je ne m'y sens pas à ma place et pourtant j'y serais. Pourquoi pas vous ? » 

Le tailleur n'aimait pas ce genre de questions qui lui semblaient hypocrites, le fils devait savoir pourquoi il ne pourrait pas y assister. Il préféra alors ne pas répondre et commença à ranger ses affaires. 

« Voulez-vous garder ce tissu pour le regarder encore ? », demanda Jungkook en se dirigeant vers l'objet d'émerveillement du tailleur. 

Taehyung arrêta ses mouvements, se sentant piégé entre son envie dévorante d'accepter sa proposition et celle de fuir la demeure des Jeon pour retrouver sa boutique réconfortante. 

« Je ne me le permettrais pas Monsieur, finit-il par choisir. 

- Mais vous l'aimez bien, n'est-ce pas ? » 

Il trouva son choix de mots étrange mais il acquiesça, avant de se diriger vers son manteau posé avec soin sur un fauteuil. 

« C'est grossier de me tourner ainsi le dos pendant une conversation ! », s'exclama Jungkook. 

Le tailleur sursauta intérieurement et s'apprêta à s'excuser avant de constater que le jeune avait de nouveau un grand sourire. Il se demanda s'il se moquait de lui, et préféra fuir. 

« Veuillez m'excusez. Je prends congé, dit-il rapidement avant de se précipiter vers la porte. 

- Êtes-vous vraiment désolé ? », insista Jungkook en se rapprochant de lui. 

Bien qu'il n'aimât pas cette intrusion dans son espace personnel, le tailleur reconnut qu'il la préférait à celle de la pipelette dans sa boutique. Toutefois, il préféra ne pas entrer dans le jeu étrange qu'il lui proposait : 

« Je vous souhaite une bonne soirée Monsieur Jeon. 

- La malhonnêteté est un péché grave. » 

Taehyung commença à s'impatienter, et lâcha : 

« Avez-vous un problème avec moi ?! » 

Le plus jeune eut un sourire en coin qui l'agaça. 

« Oui, j'en ai un. » 

Taehyung attendit qu'il développe de lui-même mais il n'en fit rien. Jungkook continuait de le regarder avec ce regard amusé qui le dérangeait tant tandis que le silence s'épaississait autour d'eux, noyant les conversations lointaines dans les autres pièces de la demeure. Le soleil couchant laissait ses rayons roses orangés percer les voiles discrets qui couvraient les fenêtres de la pièce. La douceur de l'atmosphère n'arrivait cependant pas à atteindre l'esprit du tailleur, obnubilé par son envie de partir. Fatigué toutefois par son mutisme loin d'être innocent, Taehyung affronta le regard espiègle de son hôte et déclara : 

« Monsieur Jeon, j'ai pris beaucoup de plaisir à venir ici pour vous donner mon expertise, mon travail est maintenant terminé et je vais prendre congé de vous. Je m'excuse si je vous ai donné une mauvaise impression, je voulais faire de mon mieux et- 

- Vous ne l'avez pas fait. » 

La voix du jeune Jeon n'était pas tranchante, pourtant elle poignarda la poitrine du tailleur qui ne put soutenir son regard. Persuadé qu'il avait déçu des attentes, il s'apprêta à s'excuser mais il ne le put. 

« Vous êtes un tailleur, tout le monde est émerveillé par votre travail si bien qu'on ne peut que croire en votre passion et moi-même je l'ai vu tout à l'heure. Je l'ai lu dans vos yeux. A vrai dire... c'était merveilleux à voir. » 

Il marqua une pause pour sourire doucement à son aîné qui était dérouté par ce revirement de conversation. 

« Je vous ai vu aussi me regarder... » 

Taehyung sentit une boule d'angoisse monter dans sa gorge tant il était mal à l'aise. Il voulut détourner le regard mais n'y parvint pas, il sentait que s'il quittait ce point d'accroche il s'effondrerait dans son désespoir. Peut-être conscient de son état, Jungkook s'approcha encore de lui en maintenant son regard troublant. 

« Pourquoi ne m'avez-vous pas proposé vos services pour m'habiller ? » 

Le tailleur sentit la boule dans sa gorge descendre dans son ventre et il chercha rapidement une excuse convaincante, mais une fois encore il fut déstabilisé par ses yeux débordant d'une douceur sincère, et il n'eut pas le cœur de lui mentir. 

« Je... Je ne fais jamais ça... Dire aux gens de venir me passer commande... Et je pensais que votre famille avait un tailleur... de famille ? D'habitude les gens viennent m'acheter des créations déjà prêtes et je ne fais que des retouches... 

 - Vous êtes un bien piètre commerçant, sourit le cadet. 

- Je suis un créateur, le contra Taehyung avec plus de conviction. 

- Alors puis-je être votre muse ? » 

Le tailleur crut avoir mal entendu.

 « Pardon ? 

- Si je ne peux pas vous passer commande, puis-je être votre source d'inspiration ? Je veux porter vos créations, mais je veux qu'elles me correspondent aussi. Cela fait des années que je cherche désespérément quelqu'un qui pourrait créer et pas seulement suivre la mode, et quand j'ai entendu parler de vous je voulais absolument vous rencontrer. Je n'ai pas votre talent mais j'aimerais apprendre à bien m'habiller, me construire un style. Vous comprenez ? » 

Taehyung acquiesça. Il avait fini par se détendre au fur et à mesure que Jungkook parlait. 

« Je vous paierai évidemment ce que vous voudrez, et je me plierai à vos exigences. »

L'aîné se sentit de nouveau piégé, piégé dans une cage attrayante, bien trop brillante pour lui. Mais, d'un autre côté, il se dit que ça pouvait être une bonne opportunité d'essayer de faire entrer quelqu'un dans sa boutique et d'essayer une autre manière de travailler. 

« Une muse inspire par ce qu'elle est, alors vous devriez agir librement si vous voulez en être une. 

- Voilà une perspective magnifique !, s'exclama Jungkook avec un sourire éblouissant. Je prépare quelques affaires et je vous suis, j'en ai pour quelques minutes ! » 

Le jeune Jeon s'enfuit en courant sous les yeux éberlués du tailleur qui n'était pas sûr de ce qui était en train de se passer. Était-il vraiment en train de se préparer pour le suivre ? Dans sa boutique ? Chez lui ? Juste comme ça ? Il commença à imaginer un nombre incalculable de scénarios possibles sur la suite de la soirée avant que la silhouette élancée de l'objet de ses pensées ne réapparaisse. 

Il semblait étrangement moins confiant que tout à l'heure mais tout de même enthousiaste. 

« Je vous suis Monsieur Kim, j'ai prévenu mon père. » 

Le tailleur ne savait pas de quoi il l'avait prévenu mais préféra ne pas relever et ils sortirent de la demeure dans une ambiance étrange, l'un cherchant à s'enfermer dans son mutisme tandis que l'autre ne cessait de faire des remarques légères, allant même jusqu'à commenter la forme de certains nuages. Ce joyeux remue-ménage sur pattes avait un côté aussi terrifiant que réconfortant, même pour Taehyung qui avait l'habitude d'apprécier le silence. 

Quand ils entrèrent dans sa boutique, qui avait l'habitude d'être plongée dans un calme religieux, Taehyung eut l'impression de ne pas reconnaître l'endroit avec la présence du jeune Jeon. Puisqu'il avait dit avoir une haute opinion de lui, il se demanda s'il n'était pas trop déçu de l'endroit, très modeste comparé à la réputation qui lui avait vanté. 

Pendant le trajet, le tailleur avait pris la décision de lui faire ses mensurations et de parcourir les différents tissus qui pouvaient l'intéresser, mais il l'avait aussi averti qu'il avait beaucoup de travail à finir. Son invité surprise lui assura qu'il comprenait et qu'il se ferait discret, mais une fois encore Taehyung ne savait pas à quoi s'attendre. 

« Quelle boutique charmante ! » 

Il finit par sourire tant sa joie de vivre était contagieuse, bien que déstabilisante. Après s'être mis à l'aise, Taehyung l'amena à l'écart et lui demanda d'enlever ses vêtements pour ne garder qu'un maillot de corps et son pantalon. 

Le tailleur laissa courir son regard pénétrant sur le corps du jeune Jeon, qui semblait soudainement peu à l'aise ainsi debout sur la plateforme de bois qu'il utilisait d'habitude pour les enfants. 

« Vous n'êtes pas obligé de monter là-dessus
», indiqua le tailleur en tournant autour de la dite-estrade, des rouleaux de papier translucide pleins les bras flottant derrière lui. 

Après avoir dégagé sa petite table de bois, il se saisit de son fidèle mètre ruban et de son calepin. A cette vue, le plus jeune sembla gêné, et cela sembla s'empirer quand le tailleur s'approcha de lui. 

Taehyung ne s'attendait pas à ce genre de réaction et se demanda ce qui était en train de s'opérer dans sa tête. Peut-être que le silence le dérangeait ? Il tenta donc d'entamer la discussion : 

« Je pense que vous savez comment trouver des tissus intéressants. Tout à l'heure... Vous avez eu un bon instinct. 

- Merci... » 

Le jeune Jeon souffla et le tailleur s'insulta mentalement. Il était tout bonnement incapable de détendre quelqu'un, parce que lui-même ne l'était jamais. Cet essai était ridicule. 

Essayant de faire le vide dans sa tête, il déroula lentement son mètre ruban. Jungkook déglutit peu discrètement, amusant secrètement l'autre jeune homme qui se demandait s'il était à ce point effrayant pour le faire passer d'un extrême à un autre. Ou avait-il un lourd complexe lié à son corps ? 

« Détendez vos épaules Monsieur Jeon », demanda-t-il doucement en posant une main sur l'une d'elle, le faisant sursauter. 

Le plus jeune s'excusa, tandis que l'autre cherchait un moyen de le détendre. Il lui vint une idée un peu étrange quand il se dit qu'il avait un peu de temps devant eux. Peu habitué à recevoir, il demanda maladroitement : 

« J'ai des infusions si vous voulez, ou du thé. Enfin, si vous voulez boire quelque chose de chaud. Vous... Tremblez... un peu. » 

La dernière remarque eut le don de lâcher un rire nerveux à Jungkook, et il haussa les épaules. Y voyant une opportunité de s'enfuir quelques instants, Taehyung fonça à l'étage, chez lui, pour préparer le nécessaire, et mettre de l'ordre rapidement. Au cas où. 

Quand il redescendit, il aperçut Jungkook en train de s'examiner dans le miroir. Il avait l'air inquiet et n'arrêtait pas de triturer la peau de son visage. Armé d'un plateau garni de deux tasses fumantes et d'un nombre impressionnant d'infusions et de sucreries en tout genre, le tailleur l'observa un instant avec un mélange de curiosité et d'amusement.
Ne savant pas comment s'annoncer sans faire peur au plus jeune, il décida de reculer doucement, puis une fois hors de vue de se racler la gorge et de venir en faisant craquer les planches du parquet de manière appuyée pour être sûr de ne pas le gêner encore plus qu'il l'était. Cela sembla marcher puisqu'il retourna à sa place initiale, mais les joues tout de même roses. 

« Et si nous allions à l'arrière ? », proposa posément Taehyung. 

Le jeune homme hocha rapidement la tête, et il se précipita pour descendre de l'estrade avant de se rendre compte de son erreur. 

Sa chute résonna dans toute la boutique, suivi de son gémissement de douleur. 

Le tailleur, interloqué par ce qui venait de se produire, posa rapidement son plateau et s'accroupit à côté du jeune homme, un air soucieux habillant d'une manière inattendue les traits de son visage. 

« Monsieur Jeon, allez-vous bien ?, demanda-t-il. 

- Je.... » 

Malgré le fait qu'il ait tourné la tête, Taehyung pouvait voir ses oreilles écarlates qui trahissaient son état. Son client semblait au bord de la crise de nerfs. Il devina qu'il voulait se terrer six pieds sous terre à cet instant, ou se faire purement et simplement oublier. Comme il ne semblait pas vouloir prendre la parole, le tailleur réfléchit, avant de s'asseoir purement et simplement à côté de lui, et il lui dit d'une voix douce : 

« Vous êtes chanceux, la dernière fois que j'ai trébuché de cette estrade, j'avais une boite d'aiguilles dans les mains. » 

Il sentit la respiration du plus jeune se couper, signe qu'il était attentif à ses paroles. Il poursuivit alors : 

« Mais juste après, j'ai réalisé le plus beau veston depuis que j'avais ouvert cette boutique. Je suis sûr que quelque chose de magnifique va vous arriver. » 

Il y eut de nouveau un long silence durant lequel le tailleur se traita mentalement d'imbécile. 

« Êtes-vous en train de comparer les chutes à celles d'étoiles filantes ? » 

Taehyung fut surpris de sa comparaison poétique mais, voyant le visage de nouveau joyeux de son client, décida d'aller dans son sens. Il lui tendit sa main en déclarant : 

« J'espère que vous avez fait un vœu. » 

Taehyung fut attiré par ses oreilles encore roses, puis son regard longea timidement son nez, pour enfin arriver aux deux yeux noirs qui le regardaient déjà. Il sentit ses joues chauffer mais se fit violence pour ne pas baisser le regard, d'autant plus que les yeux de son interlocuteur avaient quelque chose d'attirant, diffusant une certaine douceur dans son corps. Taehyung se sentit bien, apaisé pendant quelques secondes. Jungkook vint saisir sa main tendue, laquelle le tira rapidement pour le remettre debout face au tailleur. 

Taehyung se recula instinctivement pour ne pas s'imposer dans l'espace personnel de son jeune client déjà tourmenté, et lui indiqua en silence de le suivre vers le fond de sa boutique, où se trouvaient leurs tasses. Y voyant une opportunité de briser le silence, Jungkook finit par se lancer dans une série de questions portant sur la création de la boutique, son quotidien. Il lui demanda même des anecdotes sur ses clients, et Taehyung finit par lui parler de la jeune femme du matin-même, ce qui fit pouffer de rire Jungkook. 

« Je ne vous imaginais pas être un bourreau des cœurs. La pauvre doit vivre un enfer avec vous !, le taquina-t-il. 

- Je m'y emploie si mal qu'elle revient, encore et toujours... » 

Jungkook rit de bon cœur tout au long de la conversation, et Taehyung finit par sourire. Il se sentait finalement bien en sa compagnie. Après un bon quart d'heure, ils se remirent en position pour les mensurations et Taehyung retrouva vite son visage de professionnel concentré. Toutefois, l'ambiance paraissait plus étrange pour Jungkook, qui était attentif au moindre de ses mouvements. 

« Essayez d'avoir une posture la plus naturelle possible », indiqua-t-il. 

Jungkook entendait le son du ruban glisser contre l'habit du tailleur, et des picotements agréables glissaient contre son oreille. 

 « J'aime beaucoup votre voix. 

- Détendez vos épaules », continua-t-il en l'ignorant. 

Il avait presque soupiré, son torse s'était rapproché de son dos, brisant doucement la distance limite qu'il accordait à un individu de lui. Hypnotisé par sa voix, Jungkook sursauta presquequand des grandes mains chaudes se placèrent sur les épaules pour mes masser doucement et les abaisser petit à petit. 

Jungkook sentait une odeur particulière, un mélange de menthe et de quelque chose de sucré émaner du souffle du jeune homme qui s'activait derrière lui. Peut-être le thé ? Il ne put s'empêcher d'avoir une légère chair de poule le faire frissonner à cause du souffle tiède sur la peau sensible de son cou, mais le tailleur ne semblait pas l'avoir remarqué, plutôt concentré sur sa posture. 

« Voilà qui est mieux, essayez de maintenir cette position. » 

Il revint dans son champ de vision, s'empara d'un petit calepin sur son bureau encombré et commença à écrire ce qu'il comprit être son nom. 

« Hum... Pouvez-vous me rappeler votre prénom ? 

- Oh. » 

Il sembla déçu. 

« Je m'appelle Jungkook. 

- Jungkook, répéta-t-il doucement en écrivant. C'est bien ça. Bien, nous allons commencer. » 

Il offrit un sourire encourageant au jeune homme et se plaça face à lui, laissa glisser de nouveau son mètre ruban et s'approcha. Jungkook eut un léger mouvement de recul qui alerta le tailleur.

 « Que faites-vous ? 

- Je..., bredouilla le jeune homme en rougissant de nouveau. 

- Vos épaules, lui indiqua-t-il en posant de nouveau ses mains sur ses épaules. 

- Pardon... 

- Avez-vous peur de moi maintenant ? » 

La question pourrait paraître stupide, et pourtant les yeux noirs du tailleur laissaient transparaître son sérieux. 

« Je... Non... Pardon... » 

Taehyung sentait ses épaules trembler sous ses mains, ce qui commençait à l'inquiéter. Qu'est-ce que ce jeune homme avait pu vivre pour avoir autant de mal à accepter les contacts physiques ? Lui-même n'était pas tactile, mais il ne tremblait certainement pas comme lui quand quelqu'un osait le toucher. Massant encore une fois ses épaules dans le but de le détendre, sachant malgré tout que cela pourrait être jugé de déplacé, il lui dit :

« Cela ne prendra qu'une poignée de minutes, mais si vous vous sentez mal à l'aise arrêtez-moi et nous ferons une pause. » 

Taehyung n'avait jamais eu à faire autant d'efforts de patience, mais il ne s'en plaindrait sûrement pas. Il avait l'habitude de clients mécaniques, avec lesquels ils discutaient de manière presqu'automatique. Pour la première fois ce soir il avait l'impression de vouloir connaître la personne qui allait porter son travail, et ce désir alluma un feu agréable dans son cœur solitaire. Quand il eut un accord tacite avec son client, il commença : 

« D'abord, votre tour de cou. » 

Les yeux noirs de Taehyung ne s'occupaient plus à jauger son visage, mais à faire glisser le ruban frais autour de son cou. Cela ne prit que trois secondes tout au plus mais le jeune Jeon s'était crispé, avant de se détendre en observant les traits calmes de l'homme face à lui, bien que concentrés sur son travail. 

« Très bien, maintenant votre tour de buste, murmura-t-il après avoir écrit dans son petit carnet. Levez vos bras s'il vous plaît. » 

Jungkook obéit alors que Taehyung s'approcha pour l'entourer encore de son ruban, et il alla même faire un pas vers lui inconsciemment. Celui-ci, pris au dépourvu, l'arrêta en posant une main au niveau de sa hanche. 

« Excusez-moi, j'ai été trop brusque. » 

Il ne l'avait pas été, mais il ne voulait pas entendre les excuses gênées de son client. Reprenant sa concentration, il continua son travail avec la taille. 

« Vous avez une taille fine. », commenta-t-il sans vraiment s'en rendre compte. 

Le regard du tailleur n'avait rien d'intrusif ou de déplacé, mais il arrivait à chambouler le jeune homme. Pendant quelques instants, il resta pourtant parfaitement immobile, le regard plus triste et les épaules affaissées, ce qui ne manqua pas aux yeux aiguisés du tailleur. 

« Maintenant vos hanches », le réveilla-t-il en faisant encore glisser le ruban sur le haut de ses cuisses. 

Jungkook prit sur lui pour ne pas encore s'approcher, il ne voulait pas le gêner. Il frissonna lorsque le ruban quitta ses hanches pour venir s'enrouler autour de sa cuisse, et se mordit la lèvre en regardant ce beau jeune homme accroupi devant lui. Il se gifla intérieurement d'avoir de telles pensées, ce Monsieur Kim ne méritait pas de telles fabulations. 

« Monsieur Jeon ? » 

Il se ressaisit et se rendit compte que le tailleur s'était entre temps redressé et il semblait lui avoir demandé quelque chose. 

« Pardon, oui ? 

- Je vous demandais si vous vouliez faire une pause. Nous en sommes à la moitié. » 

Il ne s'était pas écoulé plus de deux minutes mais Jungkook semblait se réveiller d'une délicieuse éternité de flottement. 

« Non, non... Merci. » 

Monsieur Kim l'observa quelques secondes, avant d'acquiescer et de se placer dans son dos. 

« Très bien, je vais regarder votre largeur de dos. » 

Son souffle mentholé titilla sa nuque et il frissonna légèrement, mais cette fois-ci l'autre sembla le remarquer puisqu'il s'éloigna, frustrant secrètement le premier qui se pencha en arrière. Il entendit alors un soupir discret qui le figea. Il avait peur d'être allé trop loin cette fois-ci. 

« S'il vous plaît, ne bougez pas. Et détendez-vous. » 

Ses épaules s'affaissèrent immédiatement, mais le tailleur remarqua que son client avait aussi baissé la tête, il semblait trembler de nouveau légèrement. 

« Facile à dire, bougonna Jungkook dans sa barbe inexistante. 

Les bras de Taehyung se bloquèrent dans son élan, avant de lentement retourner le long de son corps. 

« Je suis navré de ne pas arriver à vous être agréable. Vous avez peut-être entendu des rumeurs sur ma... personnalité. Je m'excuse de ne pas m'être assez sociabilisé pour... 

- Vous êtes parfait », l'interrompit soudainement son client la tête toujours baissée. 

Il tritura ses mains un instant et la pointe de ses oreilles reprirent leur couleur rosée. Taehyung, comprenant enfin qu'il semblait plaire d'une certaine manière à ce jeune homme, réfléchit sur ce qu'il devait faire. En le voyant si peu sûr de lui-même, il tenta : 

« Vous me flattez beaucoup trop, Jungkook. » 

Il était toujours dans le dos de son client et semblait arriver à mieux communiquer quand il n'était pas face à lui. 

« Vous croyez que je vous flatte ? » 

Il n'obtint pas de réponse, alors il s'expliqua : 

« Et si je vous disais que je... que vous... me plaisiez... d'une manière que je ne peux pas me l'expliquer... Et que je ne veux pas partir d'ici ? C'est parfaitement ridicule je le sais... Ou que... J'ai peur... De ne plus jamais connaître ce sentiment avec quelqu'un d'autre... Parce que vous me paraissez si... Imprenable... Mais tellement... Merveilleux. » 

Taehyung avait le souffle coupé, il ne pensait pas ses soupçons puissent être exacts et surtout si rapidement confirmés. C'était la première fois qu'un homme lui faisait une déclaration, maladroite certes, et provenant d'un total inconnu pour lui, pourtant il sentit son cœur s'accélérer d'allégresse. L'espace autour de lui disparut, ne laissant voir que la nuque face à lui qui semblait frissonner de nouveau. 

Enivré pour la première fois par ce sentiment, Taehyung abandonna sa parfaite conduite de tailleur, et s'approcha de cette nuque, posant doucement ses mains sur ses épaules, et se pencha à son oreille : 

« Si vous me disiez cela... Je vous redemanderais de vous détendre. » 

Jungkook bloqua son souffle dans sa gorge, à la merci de la présence derrière lui qui le tenait fermement. Il entendait et sentait sa respiration sur sa peau, il sentait même ses mèches noires bouclées frotter les siennes. Il allait jeter un coup d'œil aux belles mains posées sur ses épaules quand un contact l'électrisa. 

Taehyung avait fini par poser ses lèvres sur sa nuque. Tout doucement. Dans un frôlement coupable d'un millième de seconde. 

Jungkook lâcha un long soupir de délivrance et laissa sa tête rouler en arrière, à la recherche de ce contact, mais une des mains avait glissé de son épaule pour finir par maintenir son cou. Par réflexe, Jungkook voulut s'emparer de cette main qui le maintenait droit. Il serra le poignet fin de sa paume quand il le lâcha, une poignée de secondes plus tard. 

Taehyung se recula rapidement, encore choqué de son propre geste, mais la main du jeune homme le retint près de lui. Il fit glisser ses bras le long de la taille du jeune Jeon, qui avait le souffle court, et le serra légèrement contre son torse, lui laissant la possibilité de s'échapper s'il en avait envie. Jungkook inclina encore une fois la tête en arrière, mais cette fois-ci Taehyung ne l'arrêta pas, et cala même sa joue contre la sienne. 

Ils restèrent longtemps ainsi, immobiles. L'un craignait de briser ce moment en ouvrant la bouche, et l'autre avait fermé les yeux, incapable de parler, intimidé par sa propre audace et en même temps heureux de pouvoir se laisser aller contre ce jeune homme qui chamboulait tant son cœur. 

Le soleil déclinait, les passants rentraient chez eux et le son des calèches étaient de plus en plus rares, et ils étaient encore enlacés. 

Taehyung ne comprenait pas ce qui lui prenait, il était quelqu'un d'ordinaire pudique et précautionneux. Jamais il n'aurait pensé avoir un tel contact avec quelqu'un qui ne connaissait pas. 

Jamais. 

Il s'était laissé aller à une pulsion soudaine, mais qu'il ne regrettait curieusement pas. Parce qu'il avait pu se contrôler pour que tout ne soit que douceur. 

A contrecœur, il fut le premier à prendre la parole : 

« Il se fait tard, votre père va s'inquiéter de ne pas vous voir rentrer. » 

Comme s'il redoutait ce moment, Jungkook soupira légèrement, avant de se retourner et, avant que le jeune tailleur ne puisse voir son visage, le serra à son tour contre lui, torse contre torse, et cacha son visage sur l'épaule. Encore peu à l'aise, Taehyung caressa maladroitement la nuque qu'il avait embrassée plus tôt, et lui frottait le dos de l'autre. 

« Laissez-moi rester auprès de vous », demanda soudainement le plus jeune. 

Le plus vieux laissa un rire franchir ses lèvres. 

« Allons, cela ne serait guère raisonnable. 

- Nous trouvez-vous raisonnables Monsieur Kim ? 

- Tout cela est insensé. Cela ne me ressemble pas. 

- Alors c'est que je suis doué, sourit fièrement Jungkook. Il ne vous reste plus qu'à m'accepter comme muse, Monsieur Kim. 

- Vous m'avez paru mal à l'aise pourtant tout à l'heure. Êtes-vous sûr de vous ? 

- Oui, Monsieur Kim. »

Jungkook sourit malicieusement, avant de compléter : 

« L'enjeu de ma venue ici était important pour moi, vous comprenez ? »

Taehyung comprenait, et ce constat lui fit un bien fou. Il opina du chef avant de se détacher totalement de lui et de reprendre son mètre ruban pour finir ses mesures. Son client avait enfin une posture convenable, bien qu'il s'amusât à gigoter en reprenant une discussion se portant cette fois-ci sur la place des petits caniches dans les réceptions. Taehyung les trouvait ridicule, Jungkook les défendit alors ardemment en faisant balayer ses bras dans les airs. 

« Alors quoi ? Si je mourais demain et que je me réincarnais en un petit chiot vous ne m'habilleriez pas ?!, s'exclama-t-il. Même si je restais devant votre devanture toute la journée ?! 

- Aucun chiot ne le ferait. 

- Moi si. 

- Vous n'allez pas mourir demain. 

- Vous n'en savez rien. 

- Tenez-vous droit. 

- Vous savez j'ai dit à mon père que je partais quelques jours chez des amis. » 

Taehyung leva les yeux de son calepin pour lui donner enfin l'attention qu'il réclamait par ses babillages. 

« Où habitent vos amis ? Il va se faire tard pour entreprendre un voyage... »

 Il reçut un roulement d'yeux en retour. 

« Bon... Quand allez-vous enfin m'inviter chez vous ? 

- Vous ne me connaissez pas bien Jungkook, vous ne pouvez pas me demander ça aussi légèrement. Et vos amis doivent vous attendre. 

- J'ai menti à mon père. 

- Vous êtes inconscient ! 

 - Tout à fait, alors protégez-moi. » 

 Taehyung se demandait s'il était sérieux mais l'autre finit par pouffer de rire : 

« Ça va, j'ai compris. Je rentre, mais je reviendrais demain. Et après-demain. Et le jour qui suivra puis celui d'après. 

- N'avez-vous donc pas de travail ? Votre père a certainement besoin de vous. 

- Je suis votre travail, et j'ai besoin de vous pour ne pas me ridiculiser avec mes tenues. Ce sera du temps parfaitement dépensé. » 

Il lui sourit encore de toutes ses dents avant de partir dans un courant d'air alors que les derniers rayons du soleil couchant finissaient de s'endormir, laissant la boutique de nouveau silencieuse et vide, bizarrement et inconditionnellement vide. 

Taehyung mit un moment avant de reprendre ses esprits et d'inspecter le plateau repas avec leurs tasses encore chaudes, preuve que ces événements s'étaient bel et bien déroulés. Il passa sa soirée à mettre de l'ordre partout dans sa boutique, et la nuit à rattraper son retard. 

Jeon Jungkook arriva le lendemain vers onze heures avec une boite colorée. 

« Je nous ai pris un dessert. Déjeunons ensemble ! », lança-t-il joyeusement sans même lui dire bonjour. 

Taehyung, la bouche pleine d'aiguilles et concentré sur une redingote noire dans son atelier crut à une hallucination en le voyant réapparaître avec son éternelle joie de vivre. 

« J'ai aussi une surprise pour vous, ajouta-t-il après l'avoir repéré dans son atelier. Vous avez fait du rangement non ? 

- Oui. 

- J'espère que ce n'était pas pour moi, j'adore le désordre !, pouffa Jungkook. 

- Je préfère voir mon atelier rangé, répliqua tièdement Taehyung en continuant son ouvrage. 

- Cela ne m'étonne pas ! » 

Alors que Taehyung s'appliquait dans son travail, le plus jeune avait pioché un livre sur une étagère et s'était installé à côté de lui pour l'attendre. Il n'était toutefois pas patient et craqua rapidement : 

« Vous n'avez pas faim Monsieur Kim ? » 

Taehyung l'ignora et sortit ses lunettes pour choisir un bouton approprié. 

« Vous portez des lunettes ? Cela vous sied. » 

Il s'était approché et contempla la boîte remplie de centaines de boutons tous différents. Jungkook lâcha une exclamation admirative : 

« Êtes-vous sûr de ne pas être un collectionneur ? Pourquoi en avoir autant de différents ? 

- Chaque personne a une histoire et chaque bouton correspond à une histoire, finit par répondre le tailleur qui était toujours concentré. 

- Vous ne les avez pas triés ?, s'étonna le plus jeune. Je croyais que vous aimiez l'ordre. 

- J'ai fait tomber les boîtes cette nuit, avoua Taehyung en grimaçant. Je n'ai pas eu le temps de le faire et ma vue n'est pas très bonne. 

- Heureusement que je suis venu dans ce cas ! Je vais pouvoir venir à votre secours. 

- Ce n'est pas la peine. 

- Je m'ennuie Monsieur Kim. » 

Même s'il restât de marbre, le tailleur garda cette remarque dans un coin de sa tête et il retourna à sa tâche, avec moins d'enthousiasme. Jungkook quant à lui s'installa sur une petite table à côté de la grande sur laquelle Taehyung travaillait et vida la grosse boîte de boutons pour commencer à en rassembler, tout en émettant des commentaires. 

« Je ne savais pas que les hommes pouvaient porter des boutons qui brillaient ainsi. » 

« Celui là est hilarant, comment peut-on choisir ça ?! » 

« Oh regardez Monsieur Kim, un petit chiot ! Il vous ira à merveille ! »

« Monsieur Kim... J'ai faim. » 

Quand les douze coups de midi sonnèrent, Taehyung consentit à sortir pour manger avec son invité envahissant. Il lui cacha le fait que c'était la première fois qu'il mangeait en ville avec de la compagnie, mais les visages surpris de certains de ses clients étaient sans doute un bon indice pour Jungkook qui ne les manqua pas. Il n'y prêta cependant pas attention et le guida jusqu'à une brasserie assez bruyante. 

« Vous verrez, ils ont toujours des plats du jour fabuleux ! 

- Je vous fais confiance. » 

Le jeune Jeon sembla ravi et ils mangèrent joyeusement en discutant sur les personnes qui les entouraient. A chaque arrivée de nouveaux clients, Jungkook demandait ce que Taehyung pensait de leurs styles. L'après-midi, Jungkook continua son tri puis réussit à se plonger dans un livre. Au bout de trois heures de silence, Taehyung finit par se demander s'il y avait un problème. La vue du jeune Jeon profondément endormi et la joue écrasée contre les derniers boutons non triés lui arracha un petit rire. Il comprenait mieux ce silence. Il prit alors le temps de l'observer dormir. Il avait vraiment un très beau visage.
Taehyung avait tendance à ne pas le remarquer tant son enthousiasme débordant prenait toute la place dans son appréciation de lui. Il se demandait combien de temps ce jeune homme allait rester avec lui, juste comme ça, à parler avec lui de tout et de rien tout en le regardant travailler. Il ne le connaissait pas vraiment et pourtant il avait réussi à se rendre indispensable à la vie de sa boutique.

Cela lui faisait peur.
Très peur. 

Jungkook se réveilla vers six heures du soir, alors que Taehyung se servait de sa machine.

« Oh, je crois que je me suis endormi... 

- Vous avez dormi pendant deux heures. 

- Ah... 

- C'est que vous en aviez besoin. 

- Je suis sûr que vous ne dormez jamais. » 

Taehyung leva ses yeux de sa machine à coudre pour lui adresser un sourire amusé. Jungkook y répondit avant de se lever mollement et de le rejoindre. 

« Wow, vous avez fait tout ça ?! 

- Je suis plus rapide quand je suis en retard. » 

Jungkook ne répondit pas et contemplait la redingote finie plus tôt dans l'après-midi, avant de se retourner. 

« Vous n'avez pas faim ? 

- Pas vraiment, pourquoi ? » 

Il sourit. 

« J'ai faim. 

- Encore ? 

- Il est six heures passées Monsieur Kim. » 

Ledit Monsieur Kim le savait parfaitement mais il n'avait pas l'intention de manger avant au moins deux, trois voire cinq heures. Il s'apprêtait à l'ignorer mais le regard de Jungkook fut pour le moins insistant. Il voulait manger. Tout de suite. 

« Restez ici, demanda-t-il avant de partir en direction de son appartement à l'étage. 

- C'est chez vous ? Puis-je monter ?! 

- Une autre fois peut-être », tempéra Taehyung. 

Il revint avec un nouveau plateau rempli de friandises, stockées au fur et à mesure que ses clients lui en offraient. Ils passèrent la soirée à discuter en buvant du thé et en dégustant des sucreries. 

Toutefois, Taehyung apprit bien vite qu'il ne pouvait pas se créer d'habitudes avec lui. 

Car Jungkook ne revint pas le lendemain. 

Ni le jour d'après. 

Taehyung avait fini par croire que tout cela n'avait été qu'une farce farfelue de la part d'un jeune homme aisé qui s'ennuyait. Puis il revit la grosse boite qu'il lui avait laissée et la mit de côté pendant quelques jours. Les clients commençaient à affluer au fur et à mesure que la réception des Jung approchait, et le tailleur fut vite débordé par les commandes et ne dormit peu pendant un long mois interminable. Il dut admettre qu'il avait changé une habitude par rapport à avant. Par rapport à l'avant-Jeon Jungkook.
Dorénavant, il écoutait avec un intérêt discret les commérages sur ce qui se passait en ville, espérant qu'un certain nom soit prononcé parmi ces conversations. Sans succès. Peut-être avait-il rêvé à force de rester enfermé ? La boite en carton aux couleurs criardes détonnant dans son atelier sobre le contredit toutefois. 

Après deux mois, il ouvrit la boîte et découvrit un ruban orange, ainsi que des carnets de dessin en vrac. Surpris, il reconnut le tissu qu'il avait tant aimé lors de leur rencontre. Le cœur battant, il s'empara des carnets et parcourut rapidement les dessins et fut choqué des esquisses de mode. Était-ce vraiment de ce jeune homme ? 

Il passa les jours suivants à étudier ses dessins, bâclant ses autres travaux pour se consacrer entièrement à la création d'une nouvelle collection de vêtements. 

Si ce jeune homme voulait avoir son attention, il l'aurait. Il téléphona à la demeure des Jeon et demanda à voir le jeune fils pour lui proposer sa collection pour la fête des Jung. On lui répondit que la famille n'avait pas besoin de ses services alors il insista, se fichant de paraître ridicule, mais il ne parvint pas à ses fins. En rentrant dans sa boutique le soir, il monta sans regarder ses ouvrages en attente et s'installa dans son fauteuil et observa le silence qui l'enveloppait. Les larmes lui montèrent aux yeux sans qu'il n'en comprenne la raison, mais il les laissa couler en regardant le feu brûler dans sa cheminée. 

Comment pouvait-il lui tant manquer ? 

Le soir du bal, Taehyung s'enferma dans sa boutique et se servit un verre de vin, ayant la ferme intention d'oublier l'animation qui se déroulait non loin de la ville. Il déboutonna son veston et sa chemise pour se mettre à l'aise, et parcourut calmement du regard ses dernières créations. Il les trouvait parfaites. Choisissant sur un coup de tête d'en mettre une en vitrine, il mit de côté un mannequin et exposa la tenue dans laquelle il avait imaginé Jungkook avec un sourire triste. Sa tête bourdonnait un peu à cause de sa faible résistance au vin, si bien qu'il crut entendre des aboiements qui lui étaient destinés.

Le lendemain matin, le dimanche, il descendit sans trop de conviction dans le but de voir ce que sa vitrine donnait à la lumière du jour, et sursauta quand un petit chiot brun à poils longs le regarda avec attention, comme s'il l'attendait. Taehyung chercha immédiatement son maître mais il n'y avait personne dans la rue à cette heure. Il se dit qu'il était perdu et qu'on viendrait le rechercher rapidement alors il remonta chez lui avec l'intention de lire. Parfois, il jetait des coups d'œil à la fenêtre et fut surpris de voir que le chiot était toujours là. Le soir, il vérifia que sa porte était bien verrouillée mais le chiot lui sauta dessus, sa queue remuant comme s'il était content de le voir. Interloqué, Taehyung devenait de plus en plus curieux. Il n'avait jamais vu de chien errant aussi affectueux envers une personne et se demanda brièvement s'il était encore victime d'une plaisanterie. Il pensa à Jungkook et de la fois où il lui avait demandé s'il l'habillerait s'il était réincarné en chien et sourit. 

« Tu as l'air aussi écervelé que lui. » 

Il se baissa et lui caressa la tête, son esprit devenant de plus en plus noir alors qu'il repensait à Jungkook. 

« Aussi écervelé que qui ? », résonna une voix familière non loin de lui. 

Des larmes de joie montèrent immédiatement aux yeux du tailleur qui sentit son corps regagné par de l'énergie. Il sentit son cœur sautiller dans sa poitrine et il se releva rapidement pour le chercher. Jungkook était là, devant lui, le visage fatigué et très pâle mais il avait toujours son beau sourire. 

« On dirait que je vous ai manqué. » 

Taehyung n'en revenait pas, il avait l'impression d'être pris d'hallucinations. 

« Alors, vous ne me laissez pas entrer ? » 

Toujours stupéfait, il se décala pour le laisser entrer, ainsi que le petit chiot, et s'assura que personne ne les ait vus avant de fermer les rideaux métalliques de sa boutique.Jungkook observa calmement l'état de l'atelier, bien moins rangé que la dernière fois qu'il était venu. Le chiot le suivit et Taehyung se demanda si c'était son propriétaire, ce qui expliquerait sa véhémence à défendre les petits chiens. 

Le jeune tailleur se demandait pourquoi il était si calme, et si épuisé. 

« Comment allez-vous ?, demanda-t-il en le suivant. 

- Vous m'avez manqué aussi. » 

Il allait encore droit au but. Taehyung, bien moins intimidé que la première fois, s'empara de sa main pour la serrer, avant de la lâcher et de la poser sur son front. 

« Qu'est-ce qui t'es arrivé ? » 

Jungkook sourit au passage du tutoiement et répliqua : 

« L'important est que ce soit fini maintenant. 

- Tu comptes disparaître de nouveau ? 

- Je ne t'ai pas laissé seul. Tannie veillait sur toi. 

- Tannie ? » 

Le chiot le regarda avec des yeux doux. 

« Attends, il est à toi ? 

- Non, à toi ! 

- Je n'ai pas de petit chien. 

- Maintenant si ! » 

Taehyung se demanda s'il était encore sous l'influence du vin et se prit le visage entre les mains pour se tapoter les joues. Cependant, il ne se doutait pas que Jungkook en profiterait pour se glisser dans ses bras. Il l'accueillit toutefois avec bonheur et le serra contre lui. Il remarqua qu'il avait l'air d'avoir perdu du poids, il paraissait même frêle dans ses bras. Inquiet, il s'apprêta à lui poser des questions mais la voix de Jungkook l'en empêcha : 

« J'ai été très malade, je vais mieux. Je voulais te revoir. 

- Tu ferais mieux de te reposer. 

- Je voulais te revoir. 

- Alors montons. J'ai de nouvelles sucreries pour toi. » 

Sans même attendre une approbation, Taehyung s'empara de sa main et le mena à l'étage. Jungkook se laissa conduire de bon cœur, serrant la main chaude dans la sienne. 

Finalement, ils arrivèrent dans une pièce aux dimensions généreuses et chaleureuse. Jungkook sentit une odeur agréable d'épices se mêler à celle du bois qui était omniprésent dans cette pièce de vie. Il remarqua un grand fauteuil bordeaux qui avait l'air particulièrement confortable à côté d'une cheminée pour l'instant éteinte, devant un mur entièrement consacré à une bibliothèque remplie aussi bien de livres que de croquis entassés, qui lui rappelaient ceux dans sa boutique. Il y avait également un mannequin masculin non loin, avec ce qui semblait être un début de veston. 

« Je t'en prie, fais comme chez toi », indiqua Taehyung avant de s'activer près de la cheminée pour réchauffer l'appartement. 

« C'est... très agréable », le complimenta Jungkook avant de parcourir la pièce les bras ballants.

Ses yeux finirent par s'attarder sur les livres, qui comptaient notamment un bon nombre de romans. Taehyung l'observait du coin de l'œil en même temps qu'il ajoutait des bûches à la cheminée. Voulant faire au mieux pour qu'il se sente à l'aise, Taehyung alla chercher une couverture et lui mit doucement sur les épaules alors qu'il était penché pour chercher un livre. 

« Tu peux t'installer dans le fauteuil et lire ce que tu veux. Si tu as besoin de quoi que ce soit je serais dans la cuisine. », lui dit-il avant de s'éloigner. 

Jungkook quant à lui le regarda partir, soufflant un remerciement à la silhouette longiligne partie s'affairer dans ce qui semblait être une cuisine. Une douce chaleur tourbillonna dans son ventre, il se sentait bien. Il ne savait pas si cela provenait de la chaleur du feu qui crépitait joyeusement à ses côtés, de la couverture douce que le jeune tailleur lui avait mis sur les épaules, ou bien le simple fait qu'il se sentait en sécurité avec Taehyung non loin de lui. 

« Le repas est en train de cuire. J'espère que ça te plaira. » 

Jungkook, ne voulant pas manquer de politesse, baissa la couverture de façon que le jeune homme puisse le voir, et lui sourit : 

« Je n'en doute pas. » 

Ils mangèrent de bon cœur le plat de Taehyung, que Jungkook ne manqua pas de complimenter. Ils finirent par s'installer dans le petit salon, Jungkook dans le fauteuil confortable en train de lire tandis que Taehyung travaillait sur son mannequin calmement. Ils ne reparlèrent pas de leur situation, préférant un calme rythmé par le crépitement du feu. 

La nuit, Taehyung lui offrit son lit en prétextant avoir du retard dans son travail et qu'il n'allait pas dormir, mais vers 4h du matin, alors que Jungkook fut victime d'un cauchemar et chercha sa compagnie, il le trouva endormi dans le fauteuil du salon, des morceaux de tissu non loin de lui et une boite d'épines à côté de son visage tombé sur l'accoudoir. Jungkook, alarmé à l'idée qu'il ne se blesse, éloigna rapidement la multitude d'aiguilles de son visage, avant de laisser un sourire se former sur ses lèvres en voyant le visage du bel endormi. 

« Quel ange, mais quel ange maladroit », se dit-il avant de le couvrir de la couverture qu'il lui avait offerte à son arrivée. 

Apaisé par sa présence, il s'assit ensuite sur le petit tabouret à ses côtés et, après quelques hésitations, lui prit la main et posa sa tête contre l'accoudoir. Du coin de l'œil, Jungkook vit Tannie les observant sagement et sourit. 

Taehyung avait glissé le ruban orangé autour de son cou

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