9
Il se tenait un peu gauche sur le pas de la porte.
C'était la première fois que Jimin le voyait debout, légèrement ramassé sur lui-même. Ça le faisait paraître petit alors qu'il ne devait pas l'être beaucoup plus que Jimin. Cela fit sourire Jimin, c'était mignon. Pas de costume ce soir là mais il était quand même élégant, en pantalon noir ajusté et chemise bleue à motifs géométriques. Veste en cuir sur le bras. Tout cela le faisait paraître plus jeune que d'habitude et, oui, encore plus sexy.
Le brun avait aperçu Jimin et ne le quittait plus des yeux, comme absent. Jimin se redressa, conscient de l'effet qu'il produisait, et il allait se diriger vers l'entrée quand sa collègue le devança.
« Bonsoir Monsieur, vous avez réservé ? »
Le brun porta son regard sur la jeune femme. « Non. »
La serveuse parut désolée et Jimin se sentit presque désespéré. Le week-end le restaurant était plein, il fallait réserver pour avoir une place.
« Je suis désolée, nous sommes complets. Le samedi soir c'est très vite plein vous savez. »
Jimin vit le regard perdu du jeune homme et sentit sa déception. Il s'empressa de rejoindre l'entrée et effleura le bras de sa collège. « Attends, on va essayer detrouver une solution. »
« D'accord, je te laisse t'en occuper alors. Je vous laisse entre de bonnes mains, Monsieur, Jimin fait des miracles. »
Jimin tiqua aux mots pleins de sous-entendus de sa collège et vit le client commencer à rougir. « Vous pouvez patienter un instant s'il vous plaît ? Je vais trouver une solution. »
Il se dirigea vers le bar, devant lequel se trouvait une petite table pleine de carafes et de corbeilles à pain. Après avoir vidé la table, Jimin installa une nappe et plaça les deux verres à pied, les couverts et la serviette minutieusement pliée. Il manquait une chaise, qu'il fila chercher à l'autre bout de la salle. « Désolé, ça prend un peu de temps, j'arrive » lança-t-il au brun quand il passa devant l'entrée, portant la chaise à bout de bras au dessus de sa tête. Celui-ci secoua la tête, « pas de problème ». Un sentiment de bien-être envahit alors Jimin, un sentiment qu'il fut surpris de ressentir. Il ne pouvait s'empêcher de sourire, chantonnant presque en installant la chaise face à la petite table.
« Voilà, c'est prêt, vous voulez bien me suivre s'il vous plaît. »
Jimin conduisit le jeune homme à la petite table qu'il lui avait soigneusement préparée, le laissant s'installer puis revenant avec la carte.
« Je suis désolé, le vendredi et le samedi soir c'est plein. » Le brun hocha la tête. « C'est mieux de réserver » ajouta Jimin.
« D'accord »
La voix grave avait presque fait frissonner Jimin. Et le soupçon de sourire qui l'accompagna finit de le déstabiliser.
« Je... Je vous laisse faire votre choix » dit-il avant de s'enfuir en cuisine.
Quand il en ressortit le brun était plongé dans la carte, il ne releva pas la tête lorsque Jimin passa devant lui.
Les clients commençaient petit à petit à arriver, Jimin partit installer une famille puis il s'approcha de la table du jeune homme.
« Vous avez choisi ? »
Celui-ci posa la carte, sans lever les yeux. « Non. »
« Ah, pardon, je vous laisse plus de temps... »
« Non » interrompit-il. Il regardait toujours la table mais un petit sourire commençait à se former sur ses lèvres. Finalement il releva la tête et sourit à Jimin. « Je vous laisse choisir pour moi. »
« Comment ? Mais je ... »
« Choisissez pour moi. Faites-moi découvrir ce que vous aimez, ou surprenez moi, comme vous voulez. S'il vous plaît. »
Jimin le fixa un moment sans rien dire, perplexe. L'autre continuait de sourire. Finalement Jimin sourit en retour et reprit le menu. « D'accord, je vais choisir pour vous, j'espère que ça vous plaira. Vous voulez boire quelque chose ? »
« Choisissez. »
Cette fois Jimin ne put réprimer un rire. «OK, on fait la totale. »
C'était bien plus facile à dire qu'à faire. Jimin ne savait absolument pas quoi choisir pour lui. Il voulait faire bonne impression mais il ne savait pas comment s'y prendre. Choisir ce qu'il aimait, comme le brun l'avait proposé ? Le plat préféré de Jimin était les pâtes à la bolognaise, c'était beaucoup trop banal. Jimin ne voulait pas être banal, c'était ce qu'il fuyait le plus au monde.
Il devrait plutôt le surprendre, lui proposer ces pâtes aux palourdes, à l'ail et aux tomates séchées. Tout ce que lui-même détestait. Mais au moins c'était original. Et si...
Jimin sourit à cette idée, mais il hésitait. Il avait peur de faire fuir le beau brun.
Lorsqu'il apporta la bière et les pâtes aux palourdes à la petite table, Jimin tremblait intérieurement, malgré le sourire professionnel qu'il affichait.
« Voici » annonça-t-il « pâtes aux palourdes, à l'ail et aux tomates séchées. Et bière Birra Moretti.»
« Oh »
Le jeune homme fixait l'assiette, surpris. Jimin fut traversé par une pensée effrayante.
« Est-ce que... Est-ce que vous êtes allergique aux fruits de mer ? Je suis désolé, je ne vous ai pas demandé avant. »
« Non, non. »
Jimin soupira de soulagement.
« Si ça ne vous plaît pas je peux vous apporter autre chose. » Le manque de réaction du brun était pesant.
« Non, ça ira. Je suis juste... surpris. Mais ça a l'air délicieux. »
Jimin fit involontairement une grimace, il détestait vraiment les palourdes. Et les tomates séchées. Et n'était pas fan d'ail.
Le jeune homme le regarda en levant les sourcils. Il avait perçu la grimace.
« C'est... Pourquoi avez-vous choisi ce plat ? »
On y était. Jimin eut un petit rire, qu'il voulait assuré mais qui finalement marquait plus sa nervosité qu'autre chose.
« En fait je l'ai choisi parce que je le déteste. Pareil pour la bière. »
Le jeune homme ouvrit de grands yeux, le fixant d'un air incrédule.
Soudainement Jimin eut conscience que c'était une très mauvaise idée. Il n'aurait jamais dû faire ça, pourquoi fallait-il toujours qu'il cherche l'originalité ?
« En fait, je... Ce n'est pas... » Il ne savait plus comment s'en sortir.
« Vous voulez me faire fuir ? »
« Non ! Pas du tout ! C'est... »
Jimin n'en était pas sûr mais il lui semblait voir l'ombre d'un sourire sur le visage du brun.
« Je ne savais pas quoi choisir, et j'ai trouvé ça drôle. De choisir seulement des choses que je n'aimais pas. C'était idiot, pardon. » Jimin avait rougi, il n'osait plus regarder l'autre dans les yeux. Voyant finalement qu'aucune réponse ne venait et que le jeune homme ne faisait aucun mouvement, Jimin osa relever les yeux. Le brun le regardait fixement, étudiant son visage.
« C'est... inattendu. »
Jimin se permit une petite fierté intérieure, au moins il avait réussi à le surprendre. Même s'il risquait de l'avoir fait fuir par la même occasion.
« Et c'est toujours intéressant de savoir ce que l'autre n'aime pas. »
Sur ces mots, le jeune homme prit sa fourchette et commença à manger, sans plus un regard pour Jimin.
« Merci » se sentit obligé de répondre Jimin.
Il fit un pas hésitant en arrière, avant de se diriger vers une autre table où on l'appelait. Il n'était plus très assuré sur ses jambes et se rendait compte qu'il était resté crispé pendant tout l'échange.
« C'était bon. »
Lorsque Jimin avait osé revenir à la petite table, il avait été accueilli par le sourire narquois du jeune homme.
« Ah, tant mieux ! » Le visage de Jimin se fendit d'un large sourire et tout son corps se détendit. Le mouvement n'échappa pas au jeune homme.
« J'aurais pensé que ça allait vous décevoir. » Jimin pouvait percevoir l'amusement dans la voix.
« Non, je ne... Je ne voulais pas gâcher votre repas. »
« Mmmm. »
Sous le regard du jeune homme, Jimin se sentait mal à l'aise. Pas un mal à l'aise gênant, plutôt perdu, désorienté. Ses propres réactions le troublaient. Jimin avait l'habitude de mener les interactions, une pirouette et il parvenait presque toujours à emmener l'autre où il voulait. Mais là... c'était comme s'il perdait tous ses moyens, il n'était plus sûr de rien. Il se sentait à la merci des réactions du brun, et c'était troublant.
Balayant ces pensées, Jimin demanda :
« Vous voulez prendre autre chose ? Un dessert ? »
« Oui. »
« Je vous apporte la carte ? »
« Non. »
« Ah. » La voix de Jimin se fit hésitante. « Alors, je... »
« Oui. Continuez. » Et il lui sourit.
C'était une tarte aux pommes. Cette fois ce n'était pas du tout original, mais s'il fallait continuer, c'était ça : la tarte aux pommes. Jimin détestait ça.
Ce qui ne semblait pas être le cas du brun, dont le visage s'illumina quand il lui apporta l'assiette. Il empoigna immédiatement la petite fourchette et allait commencer à manger quand il s'interrompit et leva la tête vers Jimin.
« Une tarte aux pommes parce que... »
« Oui. Parce que je déteste ça. »
Il eut un petite rire et enfourna la première bouchée. « J'adore ça. »
« Ça se voit. » Jimin rit à son tour.
Le jeune homme cessa de mâcher et regarda Jimin.
« J'espère que vous détestez le café ?»
« Oui. »
« Vous êtes parfait. »
C'était sorti trop vite, le jeune homme manqua s'étrangler en se rendant compte de ce qu'il venait de dire. Il toussa une ou deux fois, s'essuya la bouche et se remit à manger sans regarder Jimin.
« Je vais chercher le café. » Le brun hocha la tête, les yeux obstinément fixés sur l'assiette.
Jimin souriait en préparant le café, la réaction du jeune homme était mignonne, elle lui avait fait plaisir. Ses mots lui avaient fait plaisir. « Vous êtes parfait ». Jimin sautillait presque.
Il aurait aimé discuter plus avec lui, même si la conversation entre eux était laborieuse, mais la salle était pleine et, une fois le café déposé, le « merci » entendu, Jimin dut immédiatement repartir vers d'autres clients. Mais il était heureux. Son choix n'avait pas été un fiasco finalement. Et il était « parfait ». Il dansait à nouveau entre les tables, glissant d'un client à l'autre, interrogeant, répondant, souriant, séduisant. Il riait parfois, et il avait conscience du regard du brun posé sur lui. Chaque fois qu'il se tournait dans sa direction, pourtant, le brun s'empressait de baisser le regard vers son assiette. Mais ça plaisait à Jimin. Être regardé comme ça. Presque timidement.
Pourtant, alors que l'assiette était vide et le café bu, Jimin commença à ressentir une petite inquiétude. Et maintenant ? Le brun allait partir, mais qu'allait-il se passer ensuite ? Les jours suivants ? Est-ce qu'il y aurait un« ensuite » ? Jimin avait peur que le brun s'en aille et que lui se retrouve comme la fois d'avant, à se demander s'il allait le revoir un jour autrement que derrière une vitre sur un pont. Il fallait qu'il prenne les devants. Mais comment ? Jimin ne savait pas pourquoi mais il sentait que laisser son numéro de téléphone, sa technique habituelle, n'était pas appropriée. Ça allait tout gâcher, même pour lui, c'était trop... rapide ? Jimin rit intérieurement à l'idée que quelque chose, pour lui, soit trop rapide. C'était nouveau.
Alors qu'il passait devant la petite table, un plateau chargé de vaisselle dans les bras, le jeune homme lui fit un signe et prononça silencieusement « l'addition ». Jimin ne put réprimer un pincement au cœur. On y était, il allait partir. Il hocha doucement la tête.
La vaisselle sale déposée en cuisine, Jimin se dirigea vers la caisse et imprima l'addition. Il s'approcha ensuite de la table. « Voici ». Le jeune homme prit la note, jeta un coup d'œil au montant puis tendit sa carte à Jimin. En silence. Mais il regardait Jimin dans les yeux, intensément. Jimin se pencha sur la machine à cartes pour entrer le montant.
« Il y a beaucoup de monde aujourd'hui. » Jimin releva les yeux et hocha la tête, lui tendant la machine.
« Oui, le week-end c'est toujours plein. » Des mots si banals.
« Est-ce que... » Le brun semblait hésiter, il composait son code mais dût s'y reprendre à deux fois. « Est-ce qu'il y a un jour où il y a moins de monde ? » Il lui tendait la machine sans le regarder, le papier sortait.
« Oui, le mercredi et le jeudi c'est plus tranquille. Le lundi on est fermés. » Jimin arracha le papier et le lui donna, avec la carte.
« Merci. Mercredi et jeudi, d'accord. » Puis, après une pause, alors que Jimin se tenait là, gauche. « Merci pour ce repas... » Un sourire se forma sur ses lèvres « ce repas détestable ? »
Jimin se mit à rire, « je croyais que vous aviez aimé. »
« Je dois aimer les choses détestables. »
Il se leva et saisit sa veste, dans laquelle il rangea soigneusement son portefeuille. Puis, semblant changer d'avis, il commença à l'enfiler mais elle lui échappa des mains et tomba sur le sol. Jimin se précipita. Il ramassa la veste, le cuir était doux et souple sous ses doigts. Le brun semblait confus, il tendait la main pour la reprendre. « Pardon. Merci. »
Mais Jimin épousseta soigneusement la veste et, au lieu de la rendre, la tendit ouverte au jeune homme, pour qu'il l'enfile. Ce dernier écarquilla les yeux. Est-ce que c'était trop... intime ? Jimin commença à regretter son geste, mais le brun lui jeta un dernier regard avant de se retourner et d'entrer le bras dans la première manche.
Ils étaient plus proches qu'ils ne l'avaient jamais été. Jimin pouvait sentir le parfum du brun, sentir son bras remonter lentement dans la manche, toucher sa main à travers le cuir. Il s'approcha d'un pas pour mieux présenter la deuxième manche. Il était si proche de la nuque du jeune homme, il pouvait voir sa joue, devinait qu'il avait rougi. Le deuxième bras fit son chemin et Jimin abandonna à regrets la veste, alors que le brun finissait de la mettre d'un mouvement d'épaules. Il se retourna à moitié, osant à peine regarder Jimin. « Merci. » Le col de la veste était mal mis, Jimin leva la main d'instinct mais s'arrêta à mi-chemin. Le jeune homme le regardait d'un air interrogateur, troublé. « Le col, expliqua Jimin, il est mal mis. » Le brun leva la main vers le col, sembla hésiter mais la laissa retomber. Il regardait toujours Jimin, ses joues pâles étaient devenues feu.
« Je peux ? » Sans attendre la réponse, Jimin tendit ses deux mains de part et d'autre du visage du brun. Il commença par la nuque, remontant tout le col, puis l'abaissa soigneusement jusqu'aux pointes. Et ne put s'empêcher de terminer en lissant le col et le haut de la veste de ses paumes, dans un geste si intime qu'il le fit rougir à son tour. C'était trop, qu'est-ce qui lui avait pris.
« Pardon » murmura-t-il en reculant d'un pas.
« Non, c'est... » Le jeune homme sembla se réveiller d'un coup. « Merci, bonne soirée. »
Ils n'osaient plus se regarder.
« Bonne soirée Monsieur. » Le « à bientôt » ne put franchir les lèvres de Jimin, il se contenta de le regarder se diriger vers la porte et sortir du restaurant.
Il ne savait toujours pas son nom.
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