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Il n'avait rien répondu.


Quand Jimin avait donné son prénom, le client n'avait rien répondu. Jimin avait attendu un peu mais le jeune homme brun l'avait juste fixé, puis il avait reporté son attention sur la table. Il avait ensuite marmonné un « Je peux avoir l'addition s'il vous plaît ». Jimin avait alors simplement débarrassé la coupe de mousse au chocolat et était parti. C'était sa collègue qui s'était occupée de l'addition.

Il était ensuite entré en cuisine porter un plateau de vaisselle sale, quand il était revenu le client n'était plus là.



Pourtant, ça avait bien commencé. Après des nuits à se demander si le beau jeune homme brun viendrait bien un jour au restaurant, Jimin commençait à perdre espoir, mais il était enfin venu. Jimin ne l'avait même pas vu arriver, il y avait du monde ce soir là et il courait dans tous les sens pour satisfaire les clients. Ces trois mecs surtout, passaient leur temps à lui demander des choses. L'un d'entre eux lui avait même passé son numéro au moment de payer. Jimin l'avait pris en susurrant un merci, mais il n'avait aucune intention de l'appeler, il ne lui plaisait pas. Du moins, à ce moment là. Maintenant il était si frustré du manque de réaction de ce mec brun qu'il était prêt à composer le numéro de téléphone, histoire d'oublier un peu tout ça.


Cela faisait des semaines, peut-être même des mois qu'ils se croisaient régulièrement dans cet horrible village. Jimin dans sa Mini Cooper qu'il adorait, l'autre au volant d'une Peugeot 3008 blanche. Jimin lui avait fait le coup de lui griller la priorité plusieurs fois au passage le plus chiant, là où normalement c'étaient les autres qui devaient passer. Il avait adoré voir son air frustré, d'ailleurs il adorait voir l'air frustré de tous ceux à qui il grillait la priorité, presque chaque jour. Bien sûr il avait remarqué le beau mec qu'il était dès la première fois, ce genre de choses n'échappait pas à Jimin. Des cheveux noirs un peu trop longs, qui lui tombaient dans les yeux. Ces yeux noirs, félins. Une peau de lait. Un air hyper sérieux, à l'image de ses éternels costumes cravates sombres. Pourtant il ne devait pas être beaucoup plus vieux que lui. Il ne souriait jamais, mais Jimin savait qu'il lui plaisait depuis que le mec était resté littéralement bouche bée devant un de ses clin d'œil. Et puis, il le regardait toujours quand ils se croisaient.

Jimin appréciait de pouvoir se rincer l'œil chaque fois qu'il croisait le mec, mais il ne lui avait pas porté plus d'intérêt que ça jusqu'au jour où il avait fait un truc incroyable : il l'avait défié. Jimin s'était engagé dans le passage, se réjouissant d'avance de pouvoir narguer le conducteur de la Peugeot qui arrivait justement en face, mais il avait dû s'arrêter net parce que le mec brun, lui aussi, s'était engagé ! Il s'était arrêté juste en face de lui et avait regardé Jimin sans un mot, pendant une éternité. Jimin avait été tellement énervé ! Il l'aurait tué sur place. Il ne savait plus quoi faire, le mec continuait à le regarder fixement, l'air grave qui lui allait si bien. A un moment il avait froncé les sourcils et ça avait fait quelque chose à Jimin. L'instant d'après sa Mini faisait marche arrière, le plus naturellement du monde. Jimin savait reconnaître quand il avait perdu. Il aimait jouer, il aimait aussi perdre parfois. Tout dépendait contre qui.

Le brun ne lui en avait pas voulu, il lui avait même souri en le croisant. Ça aussi ça lui avait fait quelque chose.


Après ça Jimin avait compris à qui il avait affaire et n'avait plus insisté, il laissait chaque fois la priorité au brun. Mais seulement à lui. Parfois l'envie le titillait de le défier de nouveau, juste pour provoquer la même réaction et se sentir de nouveau à la merci de ses yeux, forcé à reculer. Il avait réussi à rester sage.

Mais un jour, arrivé au resto où il travaillait, il avait aperçu une Peugeot blanche comme celle du beau brun, ça avait attiré son attention. Il avait continué à la regarder une fois à l'intérieur du restaurant, à travers la vitrine, et l'avait vue démarrer et aller faire demi-tour un peu plus loin. Quand la voiture était repassée devant le resto, à une allure d'escargot, Jimin avait reconnu le brun qui scrutait le restaurant. Ça l'avait fait rire, et ça lui avait fait plaisir.

La fois suivante quand ils s'étaient croisés dans le village il s'était amusé à le provoquer : il lui avait donné une carte du Il Mulino qu'il avait chipée et lui avait proposé de venir. L'air éberlué du jeune homme avait été une sacrée récompense.

Jimin s'était rendu compte de son erreur quand rien ne s'était passé ensuite. Pas de visite au resto, juste les rencontres dans le village qui continuaient normalement. Le beau mec continuait à le regarder et à lui sourire à demi mais Jimin le sentait plus distant. C'était une erreur, le jeune homme n'était peut-être pas intéressé par Jimin ou bien il n'avait pas aimé qu'on lui force la main. C'était aussi une erreur parce que Jimin avait commencé à penser beaucoup trop à lui. Il sursautait à chaque tintement de la porte du restaurant. En vain.

C'était quand il avait commencé à se faire une raison que le mec s'était décidé à venir. Il prenait son temps.

Puis il était parti sans rien de spécial, sans même donner son prénom. Il prenait son temps et il l'imposait à Jimin.


Jimin était frustré, lui qui était habitué à des histoires qui allaient vite. Mais il ne pouvait pas se mentir : il aimait cette aura de mystère autour du brun. Ne rien savoir de lui, ce visage si sérieux, cette voix grave, rare mais si sexy. Il ne savait jamais comment le brun allait réagir, ni même s'il allait réagir. Il réussissait à le surprendre.

A l'opposé de ceux qui donnaient leur numéro de téléphone au premier battement de cils.

Pourtant, ils étaient bien pratiques, ceux-là, quand Jimin était trop frustré de ne pas réussir à déchiffrer le brun. Voir le désir dans les yeux des autres, entendre leurs halètements brûlants, sentir leurs corps à vif, avait toujours été un moyen pour Jimin de contrôler le monde, ça rassurait. Vite et bref. Puis il passait à autre chose.




Après cette visite au resto, ils ne s'étaient pas croisés pendant le reste de la semaine. Jimin avait juste vu la Peugeot blanche un soir, trop loin pour un sourire.

Et le week-end était arrivé, avec son flot de clients. Le restaurant avait été bondé la veille, Jimin s'attendait à la même chose pour ce samedi soir. Il était en train de mettre sa tenue avant de se rendre en salle, tablier noir par dessus la tête puis la ceinture à croiser derrière, avant de la nouer devant. Il aimait sa tenue de travail, ça lui allait bien et ça le rendait sûr de lui. Il s'observa une dernière fois dans la glace, ajustant le col de sa chemise. Il la boutonnait jusqu'en haut, pour l'élégance et le faux-air d'enfant sage. Les gens adoraient. Il espérait que le mec brun aimait, il l'avait vu plusieurs fois le reluquer de haut en bas l'autre jour. Mais avec lui on n'était sûr de rien.

Jimin se demandait s'il reviendrait un jour. Il l'espérait, mais au fond de lui il en doutait. Le brun n'avait pas eu l'air très à l'aise pendant toute la soirée et ça se comprenait : manger seul au resto c'était un peu bizarre. Il faudrait qu'il trouve autre chose.

Jimin quitta finalement le vestiaire et se dirigea vers la salle pour vérifier la mise en place. Il était 18h45, il commençait plus tard le samedi. Il finissait plus tard aussi. Après un rapide coup d'œil aux tables, il commença à préparer les pichets d'eau et les corbeilles à pain, le sel et le poivre. Stylo et calepin qu'il n'utilisait jamais, tire-bouchon, tout était prêt dans les larges poches de son tablier. Il jeta un rapide coup d'œil à l'horloge, 19 heures, et entendit à cet instant le tintement de la porte. Certains clients étaient d'une ponctualité ennuyeuse. Il réprima un petit rire et se retourna, impeccable, lançant un « bonsoir » parfait dans son ton et son intensité.

Mais cette fois, son bonsoir s'étrangla dans sa gorge.


C'était lui. Il était revenu. 

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