Chapitre 32 : A cœur ouvert
L'écrivaine soupira longuement, frotta ses yeux humides et s'enfonça dans son lit, pour qu'il l'aspire, qu'il absorbe toutes ses frustrations passées, ses doutes, sa tristesse, et l'immerge dans un merveilleux rêve où elle retrouverait son beau brun.
Elle caressa les feuilles volantes habillées de son écriture, les serra contre sa peau comme pour en imprégner chaque parcelle de son être, relut plusieurs fois sa longue lettre avant de s'endormir.
Ses mots l'avaient touchée : il s'était mis à nu, lui dévoilant ses failles et ses blessures les plus profondes. Elle était prête à lui pardonner, à repartir du bon pied, à lui accorder de nouveau sa confiance. Non, Cali ne l'avait aucunement oublié, malgré son silence, malgré sa peine, malgré la distance, son amour hibernait au chaud dans son cœur, avant de la submerger complètement à la lecture de ses aveux.
La jeune femme n'avait pas réalisé à quel point cette situation était difficile pour Iker. Comment cette personne qui l'avait jadis aimé, avait pu se montrer aussi cruelle et diabolique ? Pourquoi avait-elle décidé de lui pourrir l'existence jusqu'à condamner des années entières de sa vie ?
La folie, le chagrin et la jalousie avaient sûrement eu raison de cette Magali...
Certes, Iker possédait ce défaut de se confier difficilement, mais le fait qu'il s'ouvre à elle de manière si authentique, tout en lui déclarant sa flamme, balayait les reproches que la romancière portait contre lui. Il fallait cependant qu'elle le prévienne : une lettre aussi magnifique soit-elle ne pourrait pas toujours sauver sa peau. Ils devraient apprendre à mieux communiquer, à avancer ensemble, à se soutenir dans les moments compliqués.
Elle se réveilla en sursaut après des songes étranges, où elle avait dansé la salsa et le boléro avec une vieille dame aux yeux rieurs sur une île ensoleillée, puis s'était soudain retrouvée dans la jungle, poursuivie par un gigantesque boa à tête de femme. Une Magali-serpent ?
Lorsqu'elle comprit avec soulagement que ce n'était qu'un cauchemar, sa première pensée fut pour la lettre : elle la chercha dans les draps et la saisit délicatement, afin de s'assurer que tout cela était bien réel.
Ensuite, elle attrapa son téléphone. Quelle heure peut-il bien être à Cuba ?
Hélas, six heures en plus la séparaient de l'être aimé. Alors qu'elle prenait le petit déjeuner dans la cuisine de mamie Cha, lui était encore totalement assoupi dans les bras de Morphée. Lorsqu'elle aida Jean-Claude à éplucher les pommes de terre qu'ils avaient ramenées du marché local, lui sortait tout juste de son sommeil.
Enfin, vers quatorze heures, isolée dans un coin du jardin, elle ne tint plus en place et décida de l'appeler. Son index se mit à trembler tandis qu'elle appuyait sur l'icône de l'application illustrée par un téléphone vert.
Elle composa son numéro, et son cœur tambourina si fort dans sa poitrine qu'elle avait l'impression qu'il résonnait dans tout Saint-Martin.
Au bout de plusieurs tonalités interminables, quelqu'un décrocha au bout du fil.
— Allô, Cali ?
C'était bien lui, avec sa voix suave au timbre grave. Ce doux son lui avait tant manqué, il provoqua instantanément des frissons dans sa colonne vertébrale, l'enveloppa d'une chaleur apaisante.
— Oui, beau brun, c'est bien moi...
Le silence s'installa soudain. Après quelques secondes, elle l'entendit hoqueter. Son souffle se fit de plus en plus bruyant, il reniflait et respirait de manière saccadée. Iker... pleurait ?
L'écrivaine sentit son cœur se tordre, l'émotion la secoua de plein fouet.
— Iker, tu... tu vas bien ? bredouilla-t-elle.
Il se racla la gorge et prit une grande inspiration.
— Je... je suis à l'hôpital, répondit-il. Désolé, je suis un peu chamboulé. Depuis quelques jours, Yaya Juli allait mieux, on a même pu discuter, je lui ai parlé de toi, tu sais. On envisageait de la ramener chez elle. Et ce matin, elle est de nouveau dans le coma. Les médecins disent que cette fois, elle risque de ne plus se réveiller, mais qu'au moins, c'est une manière douce de partir. On s'y attendait, mais... Tu vois, c'est l'ascenseur émotionnel qui est... très...dur...
Cali, bouleversée, écrasa également une larme. Elle ressentit tout l'amour et toute la peine qu'Iker éprouvait pour sa grand-mère.
— Je suis tellement désolée pour toi, mon cœur. Je ne sais pas quoi te dire... Reste fort. Je peux te rappeler plus tard, si tu veux.
— Non, non, reste, s'il te plait. Ça me fait du bien de t'entendre. Je suis vraiment heureux que tu m'appelles enfin. Je ne veux plus rien te cacher, j'ai besoin que tu sois avec moi dans ces moments difficiles, j'ai été trop bête de vouloir faire cavalier seul pendant tout ce temps. Je me rends compte que tout garder pour soi est pire que de se laisser aller. Tu as reçu l'intégrale des Couronnes d'Adriae que tu m'avais prêté ? Tu as vu ce que j'ai glissé dedans ?
— Oui, je l'ai bien reçu. C'est même Zoé qui me l'a remis de ses petites mains. Il a fait un sacré voyage, ce colis ! Par contre, non, il n'y avait rien dedans.
— Comment ? C'est pas vrai...
— Pardon, je plaisante, Iki. J'ai lu ta longue lettre. Elle était magnifique. Je te remercie de m'avoir enfin tout expliqué.
— Ah, me voilà rassuré ! soupira-t-il. Vraiment ? Tu as apprécié ? Si tu savais comme j'ai trimé pour l'écrire... J'ai passé des journées entières à griffonner, raturer, déchirer, tout recommencer...
— Oui, j'ai été très touchée, bébé... Je... Je comprends tout, maintenant. Tu as vécu deux années compliquées, et je suis heureuse de t'avoir aidé à surmonter cette épreuve pendant ces derniers mois, même si je n'étais au courant de rien. Et je conçois que tu veuilles rester auprès de ta grand-mère jusqu'à la fin, elle qui t'a tant apporté...
La tristesse l'envahit de nouveau à ces propos, formant une boule dans sa gorge. Des perles salées coulèrent silencieusement le long de ses joues.
— Merci, Cali, déclara le jeune homme. Merci de m'avoir rappelé. J'ai bien cru à un moment que pour toi, c'était fini. D'abord il y a eu cette pause, puis j'ai appris par Carmen que tu quittais Séville... Je ne savais plus quoi faire, tu ne répondais pas à mes textos, et j'avais peur de me prendre un sale vent si je te téléphonais...
— En même temps, tu m'avais promis de tout me raconter, et puis le jour J, tu t'es envolé pour Cuba... Mais tu sais que je tiens à toi, Iker. Et cette pause, sous la pression de ton padre*, c'était une idée merdique, je l'avoue...
— Ah ! Alléluia, elle-même l'avoue ! Cette pause, quel satané calvaire ! On est ensemble, on n'est plus ensemble ? On se fait la gueule, on s'ignore, on s'oublie ? Jusqu'à quand ? Paumé, j'étais PAUME de chez paumé, Cali ! Ouh là là... ricana-t-il. Plus jamais de pause, on est d'accord ?
— On est d'accord, plus jamais... Une pause c'est nul, nul, nul.
— Guigui n'en a pas profité pour tenter de se glisser dans ton lit, j'espère ?
— Ah, eh bien, il ne fallait pas disparaître ! Ce qui se passe pendant la pause, reste dans la pause, affirma Cali.
Iker, prit de court, resta sans voix.
— Je plaisaaante, gloussa-t-elle. Guillaume était déjà bien occupé avec Jenna et consorts. De mon côté, je ruminais mon malheur alors que c'est moi qui l'avais imposé. Tu sais, je crois que je suis maso, pour me venger ça ne me dérange pas de souffrir le martyre, si c'est pour que l'autre souffre avec moi...
— Tu vois que tu es une psychopathe, je te l'avais bien dit, pire que George R.R. Martin ! Enfin, pas pire que Magali, rassure-toi.
Il éclata soudain de rire. Un rire nerveux ? En tous cas, Iker semblait délesté d'un poids, et arrivait désormais à aborder ce sujet avec détachement.
— Désolé, reprit-il. Je me sens tellement libre que je raconte n'importe quoi. Bien sûr que tu n'as rien à voir avec elle, bébé. Ouf, enfin débarrassé de cette sorcière. Le juge a refilé son dossier à l'expertise psychiatrique, ils ont fini par conclure que ça ne tournait pas rond chez elle. Bref, n'en parlons plus. Tu vas bien ? Tu es à Paris ou dans le Sud ?
— Je suis à Saint-Martin-de-Londres, chez mamie Cha et non Mam Chat comme tu dis dans ta lettre ! Je vois que monsieur est attentif aux surnoms des membres de ma famille... Sinon, je suis très contente de retrouver mes parents, ma mamie, mon village, la nature, la mer... Mais tu me manques, Iker. Tu me manques beaucoup.
— Tu me manques aussi, bébé. Tu n'imagines pas à quel point. Je pense que d'ici fin août je serai de retour à Séville, et je prendrai l'appartement dont je t'ai parlé. As-tu réfléchi à ma proposition ?
Cali se mordit la lèvre inférieure. Comment pourrait-elle résister à partager son quotidien avec Iker ? Se réveiller avec l'image de ses beaux yeux noisette et de son sourire malicieux tous les matins, s'endormir dans ses bras fermes, se lover contre son torse réconfortant toutes les nuits...
Mais voilà, à presque vingt-quatre ans, la jeune femme voulait encore profiter de son indépendance. Le retour dans son appartement parisien, au milieu de ses objets personnels, dans la douceur de son quotidien, avait subitement ravivé cette envie en elle. Était-ce un moyen de se tester ?
D'autant que le mois de septembre s'annonçait chargé. Edmond Guillot, le propriétaire râleur et attachant de la librairie-café de son quartier, lui avait proposé plusieurs séances de lecture des Couronnes d'Adriae, suivies de dédicaces. Elle enchaînerait ensuite à la mi-septembre avec une conférence sur le métier d'écrivain au XXIème siècle, où elle parlerait de son statut de jeune auteure à succès, et se rendrait au Festival du Livre de la ville de Nice, sous la demande expresse de Sophie, qui lui avait par ailleurs rappelé qu'elle serait avertie au dernier moment pour toute requête d'interviews. Tous les moyens étaient bons pour commencer à communiquer sur Magdalena, son nouveau roman à paraitre.
Elle toussota un instant, et reprit le fil de la discussion.
— J'y ai longuement réfléchi, bébé. J'ai très envie de vivre avec toi à Séville, mais ma vie à Paris me plait aussi. Surtout qu'en septembre, je vais être assez occupée, mon éditeur veut démarrer la promotion de Magdalena avant sa sortie. J'ai donc une autre alternative à te proposer, déclara-t-elle.
— Ah, d'accord Dragona Blizzgood... Je t'écoute, répliqua-t-il sans cacher sa déception.
— Tu pourrais résider à Séville et moi à Paris, on viendrait l'un chez l'autre chacun son tour, je te ferai découvrir mes coins préférés de la capitale, mes restos favoris, mes spots coup de cœur, et toi, tu me montrerais les dernières nouveautés sévillanes, on explorerait l'Andalousie... Par exemple, je n'ai pas encore visité la ville de Cadix, il parait que c'est merveilleux... Enfin... ça serait l'occasion de continuer à se découvrir mutuellement, tout en allant à un rythme qui nous convienne... Et j'imagine que la question d'habiter ensemble arriverait naturellement, un peu plus tard, peut-être dans quelques mois, ou plus, je ne sais pas... Tu en penses quoi ?
— Je vois...
Quelques secondes muettes s'incrustèrent au creux de son oreille. Cali tritura nerveusement une de ses mèches de cheveux. Comprendrait-il sa position ? Aurait-il envie de cette relation à distance ?
— Je suis complètement d'accord avec cette idée, finit-il par lâcher. Je conçois que tu ne veuilles pas aller trop vite, que ton travail te demande d'être sur place, et je serai ravi de découvrir Paris à tes côtés. Mon appartement à Séville te sera grand ouvert pour t'accueillir à tout moment. De toute façon, la distance on connaît, maintenant ! Les cartes postales et les lettres n'ont plus de secrets pour moi !
— Oh oui, des cartes postales et des lettres, j'ai fait exprès de choisir la distance, pour en recevoir encore par centaines !
— Petite maligne...
— Plus sérieusement, Iker... Je pense que ça nous laissera le temps de décider entre vivre en France ou en Espagne. Pour l'instant, nous pourrions profiter des deux options, et ça, ce n'est pas trop génial ?
— Heum, excuse-moi, mais je pense que Séville gagne haut la main. Tu verras, j'aurai des arguments très convaincants...
— Ne sois pas si sûr de toi, pourquoi crois-tu que Paris soit si célèbre et enviée à travers le monde ?
— Pas pour la propreté de son métro, ni la gentillesse de ses habitants, ça, c'est certain...
— D'accord, d'accord, je vois que ça commence à chambrer par ici...
Ils rirent de bon cœur. L'espace d'un instant, Cali avait oublié que le beau brun se trouvait à l'hôpital, au chevet de sa grand-mère mourante.
— Cali, chérie, je vais devoir te laisser, souffla-t-il. J'ai été très heureux de t'entendre et de savoir que ma lettre a fait mouche. Ouf ! Un peu déçu que tu ne veuilles pas me rejoindre à Séville à mon retour, mais on ne peut pas avoir tout ce que l'on souhaite dans la vie ! Je t'embrasse, partout, partout.
— Merci encore pour ta lettre, Iki. Je la garderai précieusement près de moi. Oh, ça y est, je crois que c'est officiel, je t'appellerai Iki pour toujours.
— Appelle-moi comme tu veux, bébé. Du moment que ce n'est pas un surnom ridicule du style choupinou-lapinou. On se revoit quand alors, en septembre ?
— Disons fin septembre, oui. Je vais avoir pas mal de boulot jusque-là. Je me ferai une joie de visiter ton nouvel appartement à Séville et de revoir Carmen et Mélo ! Je réserve mes billets tout de suite !
— Mais je peux te rappeler ce soir, quand même ? Un petit Facetime ?
— Bien sûr bébé, un petit Facetime sans problèmes ! J'ai hâte que tu me montres Cuba !
— Et moi, j'ai hâte de te voir tout court ! s'exclama-t-il.
Elle imaginait déjà son sourire coquin et sa fossette se dessiner, à des milliers de kilomètres de là.
— Bon, j'y vais Cali, gros bisous.
— Iker, attends !
— Oui ?
— Je t'aime aussi, tu sais. Je t'aime. De tout mon cœur.
Des palpitations parcoururent sa poitrine, alors qu'une goutte de sueur filait sur sa tempe. Elle avait finalement osé, elle aussi. Pourquoi est-ce si difficile de déclarer son amour ? Est-ce la peur d'afficher sa vulnérabilité ? Pourtant, savoir que l'autre peut compter sur soi, lui assurer sa sincérité, son attachement, n'est-ce pas là que réside toute la beauté de ce sentiment si complexe ?
— Alors, on est quittes, poulette.
— Quoi ? C'est tout ce que tu arrives à me dire après une telle déclaration ? Si j'avais mon parapluie et Zoé sous la main, je ne donnerais pas cher de toi...
— Cali, je t'aime aussi, tu le sais ! Je t'aime, je t'aime, je t'aime !
— Ouh là là, doucement, doucement, ne nous emballons pas, ça va virer à la mièvrerie.
— C'est quoi le problème, avec la mièvrerie ? Bon, je dois vraiment y aller bébé, ça m'a vraiment fait du bien de te parler.
— Embrasse Abuela Julimar de ma part.
— Ça sera fait.
— À ce soir ?
— À ce soir. Sur Facetime !
Il raccrocha. Cali sentit un large sourire s'étirer sur son visage, soupira de bonheur et s'allongea dans l'herbe en étalant ses bras en croix. Elle se délecterait de chaque seconde de cette attente piquante, savoureuse, et excitante, jusqu'à ce qu'ils se revoient en chair et en os, dans un peu plus d'un mois.
Et voilà, l'avant-dernier chapitre mes amis... J'ai déjà le coeur serré rien que d'y penser. Après tous ces mois passés avec mes petits persos et avec vous ! Alors, les paris sont ouverts. Vont-ils se revoir en chair et en os ? Vivre à Paris ? A Séville ? :)
MERCI ENCORE pour tout les amis : vos conseils, vos commentaires marrants, gentils, sympas, et parfois frustrés car je n'ai pas encore posté la suite haha.
Comment vous sentez-vous avant le chapitre final ? :)
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