Chapitre 30 : Les fleurs de Mamie Cha
L'odeur du pain frais, le goût raffiné de la tarte aux framboises - son péché mignon -, la charmante terrasse du Café Nuage - son Café préféré -, les balades à l'ombre des séquoias du parc des Buttes-Chaumont, la lecture dans son petit salon sur un air de jazz, la douce fragrance de ses bougies d'ambiance... Cali ne s'était pas rendu compte que tous ces détails de son ancienne vie lui avaient tant manqué.
Pendant les grandes vacances, la capitale française se vidait de ses habitants, et l'atmosphère y devenait un peu plus respirable. L'écrivaine en profita pour déambuler dans ses rues, revoir ses quelques amis restés à Paris - la majorité se trouvait à l'étranger ou dans le Sud pour les congés -, coucher les pensées qui lui venaient dans des carnets, et surtout, remettre de l'ordre dans sa vie.
Ce matin, elle s'était rendue au siège de sa maison d'édition pour planifier avec Sophie, sa chargée de projet, les prochaines étapes en vue de la publication de Magdalena. Il fallait s'accorder sur les deadlines, les dates de sortie, le déroulement de la campagne promotionnelle... Mais aussi intégrer les dernières recorrections, et rédiger les remerciements.
L'écrivaine bloquait sur ce point qui, pourtant, faisait normalement partie des sections les plus faciles à écrire. Cali savait pourquoi cela lui posait autant de difficultés. Elle scruta pour la énième fois la page en question.
Merci à Sophie, Œil de lynx de son surnom, pour ses conseils avisés et sa redoutable relecture.
Je ne peux qu'être infiniment reconnaissante envers ma formidable amie Mélodie pour m'avoir accueillie chez elle, à Séville, et grâce à qui j'ai pu découvrir l'Andalousie et ses merveilles. Mélo, tchin à toi !
Merci à Maria Julvez, impressionnante danseuse de flamenco, qui m'a inspiré le personnage de Magdalena, dans ce petit bar, quartier de la Triana.
Un coucou spécial à Guigui, Carmencita et Catalina. Cette aventure n'aurait pas été la même sans vous.
Une pensée pour Minina, qui a réchauffé mes genoux durant toute l'écriture de ce roman.
Et enfin...
Elle butait encore et toujours sur ce stupide détail.
Et enfin, non merci au guide de musée inutile qui m'a brisé le cœur.
Méritait-il d'être mentionné malgré ce qu'il lui faisait subir ? Il n'avait toujours pas donné de nouvelles, et elle non plus. Parfois, dans la moiteur des nuits d'été parisiennes, son absence la torturait si fort qu'elle lui écrivait des messages - plutôt des pavés -, sans pour autant oser les envoyer.
Non, elle ne voulait pas faire le premier pas. Iker n'avait pas tenu sa promesse, c'était donc logiquement à lui de la reconquérir. Cependant, si reconquête il y avait, elle n'était pas au courant...
Les moindres futilités lui rappelaient pourtant combien elle l'aimait encore... Le parfum acidulé des oranges du marché de son quartier, une conversation en espagnol de deux touristes qui flânaient sur la place du Trocadéro, une fichue chanson de Kendji Girac qui passait à la radio...
Au bout de la troisième nuit consécutive de manque intense, Cali se décida à prendre un billet de train pour Montpellier afin de rendre visite à sa famille. La solitude empirait son état, il fallait absolument qu'elle comble ce vide sentimental.
*
— Caca, tu es resplendissante et toute bronzée ! s'exclama sa mère, vêtue d'une blouse aux imprimés indiens et d'un sarouel blanc, debout sur le quai, tandis qu'elle s'extirpait du train.
Elle tendit les bras vers sa fille et elles s'enlacèrent affectueusement.
— Tu as fait un bon voyage ?
— Nickel, j'étais à un emplacement de quatre personnes entre un couple et leur bébé d'un an et demi qui braillait, me lançait ses pépitos à la figure, et pétait dans sa couche.
Incrédule, Carole la fixa sérieusement un instant, avant d'éclater de rire. Sa mère possédait ce long rire communicatif qui vous mettait immédiatement à l'aise. Alors qu'elles se dirigèrent vers la voiture, elle lui raconta combien Charlotte, sa grand-mère, était impatiente de la revoir, et que son père, Jean-Claude, malgré ses airs impassibles, avait demandé plusieurs fois à quelle heure son TGV arrivait en gare.
Le trajet entre Montpellier et Saint-Martin-de-Londres offrait un paysage verdoyant et reposant. La tête dans les nuages, le Pic Saint-Loup se dressait fièrement à l'horizon, surplombant les forêts, les vignes, les meules de foin et les champs. Les yeux perdus dans la campagne occitane, elle entendit les cigales chanter, sentit le vent chaud caresser ses cheveux. Son cœur se gorgea des rayons du soleil, de doux frissons parcoururent sa poitrine. Qu'il est bon de revenir dans le midi.
Dès que le véhicule s'engagea dans l'allée de la maison familiale, son enfance lui sauta à la figure. Cette charmante maison en pierre, avec son toit en tuiles et ses volets bleus, fut le château de ses étés, son terrain de jeux, son refuge lorsque ses parents la grondaient - oui Cali faisait partie de ces petits-enfants rois, gâtés pourris par leurs grands-parents -.
À la mort de son papy, il y a dix ans de cela, Carole et Jean-Claude décidèrent d'y vivre avec Charlotte. En effet, sa grand-mère n'aurait pas pu entretenir à elle seule ces deux cents mètres carrés d'habitation, avec ses cinq chambres et ses six-cents mètres carrés de jardin.
Lorsque la jeune femme sortit de l'auto, les bouquets de lavande qui bordaient le chemin de graviers l'accueillirent de leur parfum frais. Les dahlias grenat et les hortensias violines qui embaumaient l'entrée chatouillèrent ses narines, enchantèrent ses yeux.
— Caca chérie ! lança sa grand-mère de sa petite voix tremblotante, à travers la fenêtre du salon où elle passait le plus clair de son temps, épiant le monde extérieur.
— Mamiiiie !
— Ma fille ! s'exclama Jean-Claude de sa voix de baryton, lui ouvrant la porte qui les séparait.
Ce grand brun moustachu aux lunettes carrées la souleva en l'air comme si elle avait encore sept ans. Sacré papa.
— Alors, ce séjour à Madrid ? Euh, à Séville ! Raconte-nous tout ! psalmodia sa mère, tandis que la jeune femme posait à peine sa valise.
— Oui, Caca chérie, on veut tous les détails, et les plus croustillants en premier ! avança Charlotte, ses yeux verts ridés pétillant de curiosité.
— Mamie ! Quelle fouine !
— Allez, viens là, près de ta vieille bique !
Cali s'assit sur le bras du fauteuil tapissé de tissu floral délavé qu'elle avait toujours connu.
L'antre de Charlotte respirait la douceur, la nostalgie et le biscuit au beurre. Un papier peint aux tons pastel recouvrait toute la pièce, se mariant aux rideaux et aux coussins fleuris ; Fleurs, qui parsemaient également le reste du salon : dans des vases, des pots en terre cuite et des tableaux bucoliques.
Sa grand-mère lui caressa le sommet du crâne et déposa un baiser sur sa joue. Mamie Cha était l'une de ses personnes préférées au monde.
Du haut de ses quatre-vingt-trois ans, cette femme espiègle et intelligente, ancienne professeure d'université, lui avait transmis son amour des livres, sa passion pour les jolis mots, sa soif de culture et de découvertes. Féministe, libre, et avant-gardiste, elle avait épousé son grand-père Charles d'un mariage d'amour - belle coïncidence avouons-le - à l'âge de trente ans, après avoir évolué dans sa carrière et voyagé dans plusieurs régions de France, ce qui à l'époque, suffit à la classer parmi les marginaux du village.
L'écrivaine entoura délicatement ses épaules frêles vêtues d'un châle en soie rose, et commença son récit. Ses parents l'écoutaient également, pendus à ses lèvres. Elle leur parla de la beauté du flamenco, de la magnificence de Séville, de la joie de vivre des andalous, de la tortilla de Mélodie, du charme fou de Cordoue, de l'impressionnante Grenade, de la villa luxueuse des Von Cortenbach, de Catalina... Évidemment, elle omit un - gros - détail. Pour illustrer ses propos, elle leur partagea des clichés - savamment sélectionnés - de son téléphone, qu'elle projeta par Bluetooth sur la télévision.
— Cali ! Qui est le jeune homme sexy derrière Mélodie qui te regarde amoureusement ? interrogea soudain Charlotte.
Et merde, elle ne rate absolument rien cette Mamie Cha ! Iker arborait cet irrésistible sourire en coin qui dévoilait sa fossette, l'observant de ses prunelles noisette alors qu'elle prenait un selfie avec Mélodie dans le quartier gitan du Sacromonte. Qu'est-ce qu'il est beau... Il me manque tellement ce connard.
— Ah, je ne sais pas, un touriste paumé qui aime regarder les gens prendre des selfies, sans doute ! mentit-elle.
Sa grand-mère lui lança un coup d'œil suspicieux en dodelinant de la tête, mais ne releva pas. Peut-être avait-elle compris que sa petite-fille souffrirait d'en parler.
*
Cali se sentit revivre. Au petit-déjeuner, elle engloutissait avec joie les tartines à la confiture de fraises maison de sa mère, avec un grand verre de jus de pastèque.
Ensuite, elle consacrait sa matinée au sport : pratiquer le yoga en plein air, courir dans la campagne, rouler à vélo avec ses parents, ou encore randonner sur les bords du Lez*.
Au déjeuner, elle se gavait de tomates juteuses directement récoltées du jardin, accompagnées de mozzarella, de salade, de légumes variés, de pois chiches, de viande ou de poisson...
Après manger, elle passait du temps avec sa grand-mère : elle lui lisait des extraits de Magdalena, l'aidait à entretenir le jardin, regardait The Good Place avec elle dans l'obscurité - les volets étant fermés pour garder la fraîcheur de la maison.
Ensuite, elle s'isolait pour écrire jusqu'au crépuscule. Parfois, lorsque l'inspiration la boudait ou qu'elle pensait trop à Iker, elle prenait la vieille Peugeot turquoise de Charlotte et roulait jusqu'à la plage de Carnon pour apaiser son esprit.
La grande bleue la calmait, la dorlotait, la consolait. Y plonger après une journée de fortes chaleurs, se couler dans ses bras frais et flotter sur sa surface ondoyante relevait du pur bonheur.
Enfin, en début de soirée, elle rentrait retrouver avec plaisir sa petite famille. Ce soir-là, alors qu'elle revenait d'une escapade à la mer, elle aperçut une voiture inconnue dans la cour et entendit des éclats de voix provenant du salon. Qui cela pouvait bien être ? Des invités ?
Cali retira son chapeau en paille, rajusta sa coiffure, passa sa main sur les plis de sa robe d'été aux imprimés de cerises, qui moulait sa poitrine et s'évasait à sa taille.
— Caca, regarde qui est venu nous rendre visite ! s'exclama Carole alors qu'elle pénétrait dans la pièce.
Une grande brune au doux visage se retourna vers elle, ainsi qu'une adorable fillette aux joues rebondies.
— Oh ! Diane ! Zoé ! Quelle surprise de vous voir ici ! s'écria la romancière en leur tendant les bras.
Les Pichon vivaient à Saint-Gély-du-Fesc, le village voisin. La grande sœur de Mélodie l'embrassa vivement, et la petite puce bondit sur elle.
— Madame qui zécrit les histoires de mazie !
— Oh, mais tu te souviens de moi ? Quel honneur !
Elle lui fit un gros câlin avant de pincer son nez rond. Elles échangèrent ensuite des banalités, reparlèrent de l'Andalousie et de la Feria de Abril. Tandis que Cali les resservit en jus de pastèque, Diane s'éclaircit la gorge.
— Cali, Mélodie nous a chargées d'une mission importante, déclara-t-elle d'un ton on ne peut
plus sérieux.
— Ah bon ? Cela ne m'étonne pas d'elle ! répondit Cali, un sourire moqueur se dessinant sur ses lèvres à la pensée de son amie et de ses éternelles lubies.
Zoé se leva alors, récupéra un objet rectangulaire du panier de sa maman. Elle le remit à Cali de ses petites mains potelées : c'était un exemplaire de l'intégrale des Couronnes d'Adriae.
— Dès qu'elle a su que tu débarquais à Saint-Martin, elle nous l'a transmis par courrier. Elle hésitait à te l'envoyer à Paris, car elle savait que tu redescendrais bientôt dans le sud et ne souhaitait pas qu'il attende des semaines dans ta boîte aux lettres.
— Pou... pourquoi elle me le rend ?
La jeune femme connaissait la réponse à sa question, mais ne voulait pas y croire. Il me renvoie mon livre par l'intermédiaire de Mélodie, comme un lâche, pour ne pas avoir à me le remettre en personne ? A-t-il vraiment décidé de ne plus me revoir ?
Son cœur craquela, menaça de se fendre en deux.
— Je ne sais pas, mais elle a insisté pour que tu lises la dernière page, affirma Diane d'une voix franche.
La romancière s'exécuta, ouvrit rapidement l'ouvrage de mille pages à la fin du dernier chapitre. Ses yeux s'écarquillèrent lorsqu'elle découvrit qu'une enveloppe assez épaisse s'y trouvait. Elle la saisit et vit son prénom marqué au dos, écrit d'une charmante calligraphie en biais, qu'elle reconnut instantanément. Son souffle se coupa.
Une... lettre ?
Que peut bien contenir cette lettre ? :O Avez-vous deviné qui est l'expéditeur ? :)
J'espère que vous avez apprécié ce chapitre où l'on en sait un peu plus sur l'enfance de Cali et sa famille :)
Plus que trois chapitres avant la fin... Je me sens déjà toute bizarre ! Et vous ? Quelle est votre impression jusqu'ici ? Je tiens encore à vous remercier pour vos gentils commentaires et vos étoiles, ça me va droit au cœur !
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