Chapitre 28 : Trois points de suspension...
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....Vide...
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...Le vide...
...Le néant...
...
L'envie de rien...
Tout lui semblait fade, sans goût, sans intérêt. Cali avait l'impression de ne plus rien ressentir, de n'éprouver aucune sensation mis à part cette fatigue constante, comme si son énergie s'était envolée, qu'elle avait pris l'avion avec un certain beau brun.
En cette journée ensoleillée de mi-juin, en ce dernier jour du printemps, elle maudissait les trente degrés au thermomètre, le ciel bleu, les oiseaux qui chantaient. Voilà une semaine que le verdict du procès était tombé : Iker avait été innocenté.
Apparemment, un dernier retournement de situation en sa faveur lui avait sauvé la mise. L'écrivaine conclut que cette décision était certainement liée à son appel téléphonique pendant le fameux dîner, lors de cette rencontre catastrophique avec son « beau-père ». Le guide ne voulut cependant pas lui en dire plus, malgré sa promesse...
En vérité, il s'était très bien accommodé de cette pause, qu'il avait pourtant eu du mal à accepter lorsque l'écrivaine le lui avait imposé. Accaparé par ses soucis, il avait tenté de la joindre une fois avant de repartir à Paris, lui laissant finalement un message vocal.
Ensuite, le vide. Puis, ils s'étaient appelés dès le dénouement du procès. Après l'immense soulagement vint le sujet de ce "break" entre eux. Iker voulait profiter de sa liberté retrouvée, et lui annonça qu'il entamerait un voyage de plusieurs semaines à Cuba. Ses problèmes l'ayant empêché de quitter l'espace Shengen depuis deux ans, il aspirait à revoir sa famille de ce côté-là du globe.
Cali prit cette nouvelle plutôt mal. Voire très mal. Elle pensait qu'après toute cette affaire, il sauterait dans le premier avion pour la rejoindre et vivre avec elle à Séville, dans le deux-pièces de leurs rêves, comme prévu. N'avait-il pas promis de tout lui raconter, de se livrer à elle, et de ne plus rien lui cacher ?
Hélas, les événements prirent une autre tournure... Le jeune homme savourait cette renaissance en disparaissant de nouveau...
OK, il désirait se recentrer de son côté. OK, il méritait d'enfin souffler, sur une île paradisiaque entouré de ses proches. Mais encore une fois, il la mettait à l'écart.
Alors, elle avait décidé de ne plus lui écrire, de bouder, de faire une "vraie pause", bref, de ne plus lui donner de nouvelles.
Pire, le jeune homme n'avait pas insisté pour qu'elle lui réponde. Seuls deux ou trois textos lui parvinrent, avant qu'il ne se résigne. Elle aurait aimé qu'il la harcèle, qu'il l'inonde de cartes postales, qu'il accoure tel un chevalier servant et tambourine à sa porte, désespéré.
Non, monsieur acceptait de se faire ghoster* sans la moindre résistance. Dans son énervement, Cali en était même venue à déchirer le poster de Bart... Tout avait commencé par lui ! Ce ridicule mage noir né de son imagination... Pourquoi croyait-elle que son sosie aurait été le parfait amant tout droit sorti d'une romance à l'eau de rose ?
Non, Dark Phoenix s'avérait être un homme comme un autre : il préférait sa liberté à son attachement, il préférait s'éloigner, que de s'accrocher.
Mais non, non, non... À la base, cette pause, c'était elle qui l'avait instaurée ! L'écrivaine ne devait s'en vouloir qu'à elle-même.
... Nom de non ! Tout était la faute de ce Rafaël Llorente ! Ce beau-père à la noix qui croyait faire sa loi, avec ses airs de Pablo Escobar !
Elle se prit la tête entre les mains et sentit ses joues s'humidifier de rivières d'eau salées. Putain Cali, tu ne vas pas te mettre à chialer au milieu de tous ces gens...
Aujourd'hui, Jenna fêtait son anniversaire. Bien évidemment, les vingt-cinq printemps de Miss Von Cortenbach se célébrèrent en grande pompe : entre dix-neuf heures et vingt et une heures, ses amis - c'est à dire pas moins d'une trentaine de personnes -, bénéficièrent d'une visite nocturne privée du Palais Alcazàr. Ses parents doivent être sacrément fortunés pour se permettre une telle folie.
Ce monument classé au patrimoine mondial de l'humanité faisait partie des incontournables de l'Andalousie. Construit après la conquête de Séville par les seigneurs arabes en 844, il concentrait la magnificence de plusieurs siècles d'histoire : le règne des Omeyyades et des Maures - sultans islamiques -, suivi de celui des Almohades - dynastie d'origine berbère -, et enfin des rois chrétiens.
Cali essuya ses larmes discrètement, et leva la tête pour admirer l'incroyable panorama qui s'offrait à ses yeux. Elle se trouvait dans le jardin du palais royal, assise sur un banc en pierre, face aux splendides remparts qui le protégeaient jadis des invasions.
L'architecture du lieu lui rappelait l'Alhambra de Grenade : un mélange de fresques orientales, d'arches dentelées, de sculptures inspirées de la Renaissance, de plafonds voûtés, de coupoles finement travaillées... Les jardins, quant à eux, semblaient irréels. Des arbres exotiques, des palmiers hauts de dizaines de mètres, des étangs carrelés d'azulejos, des pavillons somptueux, et des fontaines toutes aussi impressionnantes de beauté les unes que les autres, ornaient chaque espace.
— Ben, Califourchon, tu pleures ? l'interrogea tout à coup Guillaume qui s'approchait.
Mince, je ne l'ai pas vu arriver celui-là. L'air soucieux, il s'assit à ses côtés.
— N...non, je suis juste émue par tant de merveilles. Tu te rends compte, je n'avais toujours pas visité ce trésor de l'histoire, alors que je suis à Séville depuis mars ! Tu savais que Christophe Colomb avait été reçu par le roi Ferdinand et la reine Isabelle ici même, avant de partir à la découverte du nouveau continent ?
Iker aurait tellement apprécié... Elle feignit l'engouement tandis qu'une larme traître continuait à rouler sur sa joue. Au même moment, Jenna, vêtue d'une micro-robe fushia moulante et coiffée d'un diadème de princesse, s'extasia en gesticulant à quelques mètres.
— Chéri ! Viens par ici, tu as le spot dans l'épisode de Game of Thrones où ils ont filmé les jardins de Dorne juste là ! appela-t-elle le blondinet.
— J'arrive dans deux secondes ! Laisse-moi un peu reposer mon joli postérieur...
Elle s'esclaffa - en jetant toutefois un œil méfiant à l'écrivaine -, avant de se faire alpaguer par deux de ses copines. Cali soupira et posa sa tête sur l'épaule de Guillaume.
— Je suis fatiguée, il fait trop chaud. Comment fait Jenna pour être aussi enjouée vingt-quatre heures sur vingt-quatre ?
— À qui le dis-tu ! C'est une véritable pile ! Pire, une batterie de Nokia 3310, elle est increvable ! Je n'en peux plus... Je crois que je vais la larguer ce soir à minuit, déclara-t-il d'un ton totalement indifférent.
— Hein ? T'es fou ! Et pourquoi minuit ?
— Parce que je suis un gentleman voyons, je ne veux pas la larguer le jour de son anniversaire ! Et puis parce que mon cœur n'appartient qu'à toi, tu le sais bien...
— Mais arrête de dire n'importe quoi !
Elle secoua la tête en plissant les yeux et bouscula son bras. Puis, il la fixa intensément de ses prunelles claires, avant de murmurer :
— De toute façon, le tien appartient à Iker... Alors bon, fais comme si je n'avais rien dit !
La gueule d'ange se leva sans qu'elle n'eût le temps de rajouter quoi que ce soit, et se dirigea vers Jenna en sautillant.
— Chérie, qu'est-ce que j'ai loupé ? Quel épisode de Game of Thrones a été tourné ici, tu dis ? questionna-t-il la blonde sulfureuse en la prenant par la taille.
L'espace d'un instant, Cali crut déceler de la sincérité dans ses grands yeux azur. Elle chassa toutefois rapidement cette pensée de sa tête. C'est Guillaume, il dit ça pour me taquiner...
Ils continuèrent ensuite la soirée dans une superbe salle de réception aménagée pour l'événement. Un buffet gargantuesque mélangeant les cuisines du monde - ibérique, chinoise, japonaise, française et italienne - s'étalait sur tout un pan de mur au-dessus duquel s'étirait un immense ruban avec l'inscription " Feliz cumpleaños Jenna, la mas linda ! Joyeux anniversaire Jenna, la plus belle !"
Au milieu de la pièce se trouvait une large piste de danse, autour de laquelle trônaient des chaises et des fauteuils confortables. Pour couronner le tout, un bar à la décoration tropicale accueillait les invités à l'angle de l'entrée.
Après s'être servie en crevettes fraîches, sushis et raviolis aux fruits de mer, Cali rejoignit Mélodie, Carmen et Park qui gloussaient devant le diaporama projeté face à eux. Elle y reconnut Jenna en couches-culottes, puis dans des clichés tantôt compromettants, tantôt exagérément calculés où elle posait tel un mannequin, la bouche en anus-de-poule.
— J'adore le contraste des photos ! Quelle idée de génie ! s'exclama Park en sirotant son Daiquiri.
— Park, j'avoue qu'elle me casse les pieds, mais cette fête est vraiment incroyable ! C'est quand même intéressant d'être son amie. D'ailleurs, tu sais ce qu'ils font ses parents dans la vie ? demanda Mélodie qui engloutit trois sushis d'un coup.
— Ils sont dans l'industrie automobile de luxe, si je ne me trompe pas. Enfin, un truc dans les voitures chères, quoi.
— En tous cas, on né peut pas nier qu'elle est bien roulée ! plaisanta Carmen. Puis moi ja la trouve sympa.
— Ben bebe, j'espère que t'es pas en train de craquer pour elle ! lui répondit Mélodie, une pointe de jalousie dans la voix. Mais bon, si c'est pour manger d'aussi bons sushis au quotidien, peut-être qu'on peut s'arranger !
Ils gloussèrent de nouveau alors que Cali levait les yeux au ciel. Qu'est-ce qu'ils ont tous avec cette Jenna, franchement !
Soudain, une vibration secoua sa hanche - non ce n'était pas une furieuse envie de se déhancher sur la salsa ambiante -, et elle extirpa son portable de sa poche. Instinctivement, ses pensées se portèrent vers un beau brun qui se trouvait à des milliers de kilomètres. A-t-il décidé d'enfin déroger à cette stupide pause ? Son cœur se mit à palpiter, elle l'espérait secrètement...
Le nom qui s'afficha ne fut hélas pas celui d'un beau brun, mais d'une charmante rousse aux yeux verts : sa mère.
L'écrivaine s'excusa auprès de ses amis et sortit dans l'agréable fraîcheur du patio pour décrocher.
— Allô, maman ? Ça va ?
— Coucou Caca ! - le meilleur surnom que l'on puisse donner à son propre enfant.
Carole Bailly n'appelait pas souvent sa fille unique, cela devait être la deuxième fois depuis le début de son séjour à Séville. Dans la famille, ils étaient plutôt de la "Team messages".
La jeune femme ne saurait comment décrire sa relation avec ses parents : ils n'étaient pas aussi complices que les Pichon, mais ils s'appréciaient, sans pour autant basculer dans les effusions d'amour. Ils veillaient sur elle de loin, l'avaient toujours laissé suivre sa propre voie, et ne la jugeaient pas sur ses choix... Même si au fond, elle savait que son père regrettait qu'elle n'ait pas poursuivi ses études au moment où sa carrière d'écrivaine avait explosé.
Voilà, les Bailly cultivaient l'indépendance : chacun vivait un peu sa vie comme bon lui semblait. Carole et Jean-Claude se passionnaient depuis toujours pour le vélo et le trekking, ayant même gagné des compétitions au niveau national. Ainsi, le couple se retrouvait souvent en déplacements, ce qui expliquait les relations assez distantes avec leur fille. Cali était plus proche de ses grands-parents, qui l'avaient élevée aussi longtemps que ses propres parents.
— Alors ma fille, comment ça se passe en Espagne ? C'est bien Madrid ?
— Maman, je ne suis pas à Madrid mais à Séville, tu me fais le coup à chaque fois !
— Ah pardon, pardon ! Ma mémoire flanche en ce moment !
— Sinon, que me vaut cet appel ? Tout va bien à Saint-Martin ?
La romancière était originaire de Saint-Martin-de-Londres, dans le sud de la France, un village tranquille - trop tranquille - situé à une quinzaine de kilomètres au nord de Montpellier. Dès qu'elle le put - après le baccalauréat -, elle avait rejoint la capitale pour enfin se plonger dans un milieu grouillant de vie, de culture, où chaque journée était l'opportunité de découvrir de nouvelles activités, de nouvelles personnes, de vivre de nouvelles aventures.
— Ça fait quand même plus de trois mois qu'on ne s'est pas vues choupette, ton père ne veut pas l'admettre, mais tu lui manques. Et mamie, n'en parlons pas, malgré son déambulateur et sa phobie de l'avion, elle n'arrête pas de répéter qu'elle veut te rejoindre pour danser le flamenco ! Elle a même commencé à regarder les cars Montpellier-Séville ! Tu imagines, mamie vingt-quatre heures dans un bus ?
— Oh là là, sacrée mamie ! Cali rit intérieurement. Dis-lui que je reviens bientôt et qu'on pourra danser le flamenco ensemble. J'ai appris quelques pas !
— Et comment va Mélodie ? Elle rentre après son Master, non ?
— Non, elle va rester, elle a comme qui dirait succombé au charme sévillan et à une personne en particulier.
— Intéressant... Et toi alors ? Mamie a comme qui dirait entendu de la bouche de la grand-mère de Mélodie que Diane t'aurait vu avec un jeune homme à la ferida ou corrida je ne-sais-quoi pendant leur séjour ?
Les nouvelles vont vite à Saint-Martin-de-Londres, pour ne pas changer...
L'écrivaine ne voulait certainement pas étaler sa vie sentimentale à ses parents. Certes, elle avait vécu une histoire d'amour incroyable, sûrement sa plus belle, mais ce n'était vraiment pas le moment de leur en parler...
— Oh ben dis donc, mamie ne se refait pas, les commérages avant tout ! Ben, je suis majeure et vaccinée maman. J'ai le droit de profiter de mon séjour quand même ! déclara-t-elle d'un ton faussement joyeux.
— D'accord, d'accord, tu as bien raison ma fille, hihihi ! Et ton roman ça avance bien ? Tu as retrouvé l'inspiration que tu cherchais ?
— Oui, maman. J'ai fini. Et l'éditeur est plutôt content, on prévoit une publication pour la fin d'année !
— Mais c'est super ma chérie ! Alors, on se voit bientôt ? Tu nous manques.
La jeune femme soupira. Elle observa la demi-lune, douce et tranquille, qui éclairait le ciel étoilé d'une lueur satinée, malgré sa forme incomplète.
— Oui... Je rentre bientôt, ma petite maman.
— Génial ! Ta grand-mère sera aux anges ! Et j'ai tellement hâte que tu nous racontes ce long séjour en Andalousie ! Plein de bisous ma Caca, on se tient au courant sur Messenger !
— Gros bisous maman, à bientôt. Embrasse papa et mamie pour moi.
Carole raccrocha. Cet appel de sa mère se présenta comme un signe : à cet instant, Cali comprit qu'elle devait réellement rentrer. D'abord à Paris, pour retrouver son appartement, ses repères, ses habitudes, pour préparer la publication de Magdalena, mais aussi dans le sud de la France pour revoir sa famille.
Le printemps touchait à sa fin à Séville, et ce changement de saison marquait la clôture d'un chapitre de sa vie. Elle aimerait sans doute toujours Iker comme une dingue, mais il était temps pour eux de faire un bout de chemin séparément.
Elle fit volte-face pour rejoindre la salle de réception où la fête battait son plein. Elle y vit Mélodie et Carmen qui riaient aux éclats à une blague de Park, Guillaume dans un coin qui flirtait avec Jenn... euh une blonde qui n'était pas Jenna... Un sentiment étrange l'envahit alors, comme si elle n'était plus réglée sur le même tempo que ses amis. Elle se sentit à l'écart, laissée sur le bord de la route...
Oui, il est temps... Il est temps que je rentre à la maison.
Se faire ghoster : L'expression vient directement du terme anglo-saxon "ghost", signifiant fantôme. Se faire ghoster est le fait d'être ignoré par une personne proche. Que ce soit par téléphone, texto, réseaux sociaux, la personne fait comme si vous n'existiez plus.
Et voilà... Le printemps s'achève à Séville. Cela marque-t-il la fin de l'histoire de nos deux protagonistes ? Iker semble ne pas avoir tenu sa promesse, mais il a vraiment besoin de souffler après deux ans d'angoisse et de souffrances. Comprenez-vous sa réaction ?
Avez-vous des pronostics sur la fin de l'histoire ?
P.S : Je le dis au chapitre 28 mdr, mais il y a très souvent une musique en bannière qui accompagne les chapitres depuis le début :) ! Ici c'est le cas d'ailleurs, n'hésitez pas à l'écouter. Sur ordinateur on la voit facilement, sur portable par contre j'ai l'impression que ça dépend des jours lol (les joies de Wattpad !)
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