Chapitre 23 : Dans mon coeur, la Grenade.



Your tickets, please ! Miss... Yourrr tickets por favor ! Hola ?

     Absorbée par la splendeur du lieu, Cali sursauta lorsqu'elle sentit le coup de coude de Mélodie qui l'enjoignait à donner son ticket d'entrée au guichetier - Sergio, un beau garçon aux cheveux bouclés. Iker et sa sœur étaient passés avant, admirant déjà le palais tout en conversant joyeusement en espagnol.

      Dans la panique, l'écrivaine tendit son sac à Sergio, croyant qu'il voulait contrôler son contenu. Le jeune homme, surpris, ne se laissa pas démonter et en tira délicatement le billet.

— Tickets ! Here it is ! You see ? T-I-C-K-E-T-S, déclara le guichetier avec un fort accent espagnol.

      Il esquissa un rictus en brandissant le bout de carton. Puis, il lui rendit son sac, son ticket, lui souhaita une bonne visite en dévoilant ses jolies dents blanches, et les secrets de l'Alhambra s'ouvrirent à elle.

     La jeune femme se réjouit de pouvoir enfin accéder à cet endroit si plébiscité et très protégé, dont les murs abritaient jadis les plus hauts sultans de l'Occident. Pendant un temps, elle avait cru qu'ils n'y arriveraient jamais : de la panne impromptue en pleine pampa et sans réseau, en passant par les joutes verbales entre Iker et Guillaume, sous l'écrasante chaleur andalouse. Quelle chance que le groupe soit tombé sur ce brave éleveur de chevaux et sa fille !

     Lorenzo et Elizabeth avaient le cœur sur la main, leur secours relevait du miracle. Vingt minutes après que le propriétaire du haras y avait plongé ses pattes, la voiture vrombissait déjà. Iker, Carmen et Mélodie apprirent avec attention la cause de la panne et la manière dont il l'avait résolue, tandis que Guillaume et Cali, totalement désintéressés par le sujet, les observaient de loin d'un regard faussement curieux.

Le duo avait ensuite invité le groupe à se rafraîchir à l'ombre de leur ferme avant de repartir, au milieu des équidés, des chèvres et des moutons. C'était sans compter la chance de Benêt avec les animaux, qui, pour une raison encore floue, s'était fait courser par trois boucs sortis de leur enclos.

Finalement, ils avaient quitté Lore et Eli dans la soirée, avec du fromage de brebis, un pantalon reprisé au niveau du postérieur pour Guigui, et sans doute deux nouvelles belles amitiés.

Leur aventure les avait ainsi menés à la deuxième escale de leur road trip : Grenade.

— Tu as vu comme c'est beau ? La décoration murale est impressionnante de finesse et de détails ! s'extasia le guide sexy qui s'approcha de l'écrivaine, les yeux écarquillés, un sourire d'enfant étirant ses jolies lèvres exquises.

       Juchée sur la colline de la Sabica, face aux cimes enneigées de la Sierra Nevada, entre montagnes et forêts, la forteresse de l'Alhambra régnait autrefois sur Grenade du haut de ses immenses remparts teintés de pourpre. Elle abritait un ensemble de palais, construits par les Nasrides : une prestigieuse dynastie de rois musulmans. Son architecture fascinait quiconque foulait son sol majestueux.

      Des motifs semblables à de la dentelle - calligraphie musulmane - en tapissaient les murs, mêlés à des arabesques. De complexes stucs floraux ornaient chaque recoin, tandis que sur les plafonds bleu nuit en forme de coupoles se dessinaient des trames étoilées incrustées de bois, de pierres et de céramique, imitant la voûte céleste.

       Cali ne savait plus où donner de la tête, complètement envoûtée par la splendeur de cet art ancien qui imprégnait chaque pièce. Elle déboucha ensuite sur la célèbre cour intérieure des Lions qui donnait accès à la résidence du sultan et de ses femmes. Dans le Patio de los Leones, cent vingt-quatre colonnes de marbre blanc soutiennent de fines arches dentelées qui s'effilent tout autour d'une fontaine incroyable, représentée par douze lions en marbre blanc, chacun crachant de l'eau, lut-elle dans son guide de voyage.

        L'écrivaine en eut le souffle coupé. Les mains de l'Homme étaient certainement capables du pire, mais aussi du meilleur. Alors qu'elle admirait chaque détail de cette œuvre d'art, elle aperçut de l'autre côté du patio deux jeunes femmes qui s'agitaient bruyamment. Elles dirigeaient leurs yeux tartinés de maquillage en direction de son beau brun, qui flânait quelques mètres à sa droite.

Hey Ikeeeer ! What a surprise to see you here ! s'écria l'une d'entre elles, une petite blonde décolorée aux lèvres pulpeuses, refaites ? - aux airs de Britney Spears hystérique.

This is such a coincidence, first at the airport, then at the Flamenco Museum, and now, here ! s'exclama l'autre, une grande plante à la peau caramel et aux longs cheveux épais, extensions ? - aux allures de Beyonce du dimanche.

Elles avaient tout l'air d'Américaines débarquées en Europe pour passer des vacances caliente. Iker esquissa son sourire en coin, ahem, avant d'agiter à son tour son bras et de les rejoindre, sous le regard énervé de Cali.

Hey girls ! How are you doing ? Do you also have a guide today ? I hope he's not better than me !

I hope he's not better than me ? C'est quoi cette question de merde...

We are doing greaaat, this is SO AMAZING ! brailla la blonde en gesticulant.

Haha, no we don't have a guide today, YOU ARE TRULY the BEST ! minauda l'autre avec un clin d'œil.

Cali croisa les bras et souffla de dépit. Non, mais, elles flirtaient avec lui ou quoi ?

What are you doing here ? demanda Britney Pisse.

I'm here on holiday with my friends ! répondit le beau brun.

With my friends ?

Oh, this is so nice ! But where are they ? Have they abandoned you ? pouffa Beyon-selle.

— No, no, you see, the blond guy just behind you is Guillaume, and the girl in the corner looking weirdly at us is my girlfriend, Cali.

       The girl in the corner looking weirdly at us is my girlfriend ? (*la fille dans le coin qui nous regarde bizarrement, c'est ma petite amie*) Les joues de la romancière rougirent instantanément, la gêne l'envahit sans crier gare.

— Hey, babe ! la héla le beau brun avec un sourire malicieux, qui en disait long.

Depuis le début, il savait que je les observais ! Et il en rajoute pour me faire jalouser, il ne paie rien pour attendre cet idiot !

     Une lueur sembla s'éteindre dans les yeux des Américaines à cette annonce, et elles saluèrent Cali d'un rictus, tout en exagération. Guigui, attiré par les gesticulations des jeunes femmes, s'était en effet planté derrière elles et n'avait également rien raté de la scène.

Il se présenta avec son bagout légendaire, ce qui plut certainement à Brenda et Kelly, vu leur entrain et leurs regards pétillants. Elles en oublièrent rapidement Iker, gloussant et s'accrochant chacune aux bras du beau blond qui s'improvisa guide...

    Cali, visiblement agacée par les échanges du vrai guide avec ces touristes dévergondées, détourna la tête et continua sa visite en "solo", se dirigeant promptement vers les jardins du palais. Le beau brun marcha à sa suite et la rattrapa sans difficulté grâce à ses longues foulées.

— Dragona, tu vas où comme ça ?

— Loin de toi et de ces grognasses, répondit l'écrivaine sans se retourner.

Elle entendit Iker retenir difficilement un rire. Il saisit son poignet et pivota pour se retrouver face à elle.

— Tu es jalouse de ces deux touristes que j'ai simplement guidées au musée la veille de notre départ ?

La jeune femme mordit l'intérieur de ses joues.

— Non je ne suis pas jalouse, avança-t-elle la mine boudeuse, détournant le regard.

— Cali, regarde-moi dans les yeux et répète-moi ce que tu viens de dire.

— Oh là, là, que tu es capricieux !

Il ne lâcha pas sa main, la charmant de ses beaux yeux noisette qui papillonnaient sous ses longs cils épais.

— OK si c'est ce que tu veux. Gne suis pas j'louse, t'es content ?

Il esquissa un rictus et sa fossette apparut au creux de sa joue. Elle s'avoua vaincue.

— Booon d'accooord... C'est juste que je n'ai pas vraiment aimé la façon dont elles te parlaient, surtout que tu ne t'es pas gêné pour rentrer dans leur petit jeu avec ton sourire là... J'espère que votre guide n'est pas meilleur que moi ! déclara-t-elle avec une voix grave, mimant des guillemets avec ses doigts.

— Bah quoi ? Je ne vois pas en quoi cette phrase est bizarre, je m'enquis simplement de la véracité de mes compétences professionnelles !

Elle roula des yeux, mais un début de sourire trahissait sa faiblesse.

— Attends, je ne veux pas non plus passer pour la fille possessive, hein, tu as le droit de parler à qui tu veux, bien sûr ! Elles sont énervantes, c'est tout... Et toi tu as fait exprès de me provoquer, ne le nie pas !

Il s'esclaffa en cachant son visage, puis se redressa.

— Tu sais, en parlant de jalousie, je ne te l'ai pas dit, mais j'ai pété un câble quand on est tombés en panne. Guillaume m'a soûlé à force de rabâcher implicitement que vous avez déjà couché ensemble ! On s'est un peu battus... Enfin... Je lui ai fichu un coup de poing.

      Iker suivit ses propos en essuyant sa bouche avec dégoût. Bizarre. Cali se demanda comment Guillaume avait riposté.

— Ah bon ? Tu t'es battu avec Benêt ? Mais moi je ne lui adresse pas de sourire en coin, ni ne rentre dans son jeu, pas comme tu l'as fait avec ces filles, répondit-elle sans se laisser amadouer.

— Tssss, Cali... Tu sais bien que ce n'est que toi que je veux...

Ces mots la réjouirent malgré elle. Cali fixa Iker en inclinant légèrement la tête.

— C'est vrai ? questionna-t-elle en s'approchant enfin pour lui caresser le bras.

— C'est toi que je veux, je veux ton regard, ton sourire, tes rires, même ta petite mine de boudeuse avec tes jolies lèvres qui se pincent...

— Ah bon mes lèvres se pincent ? Elle toucha sa bouche comme pour les analyser.

Il se rapprocha de son oreille.

— Oui je veux tes lèvres, ta peau, tes gémissements, je veux te faire jouir et jouir avec toi... C'est tout ce que je veux...

    La jeune femme craqua. Mais comment fait-il pour trouver les mots justes à chaque fois, c'est fatigant !

Elle se colla à lui, se dressa sur la pointe des pieds pour atteindre ses lèvres et l'embrassa passionnément. Leurs langues entamèrent une danse enflammée, le désir s'empara rapidement de leurs corps émoustillés. Même si leurs derniers ébats ne dataient que de quelques heures à peine, l'envie urgente de s'unir à lui la transperça à nouveau.

    Depuis le début du séjour, dès qu'ils se retrouvaient seuls - rectification, dès qu'ils rentraient en contact plus d'une minute -, leurs corps s'attiraient comme des aimants. L'exploration de l'autre et l'ivresse du plaisir charnel les rendaient dingues, si bien qu'ils perdaient souvent la notion du temps et rataient des repas en compagnie de leurs amis.

Cali devina qu'Iker ressentait la même chose : il lorgnait les toilettes visiteurs qui se trouvaient à quelques mètres.

Ils s'adressèrent un regard complice avant de pouffer bêtement.

— On tente ? lui demanda le guide sexy avec un sourire coquin, le menton en direction des baños mixtes.

       Main dans la main, ils coururent comme des enfants vers le lieu choisi pour leurs bêtises. Quel bonheur ! Les sanitaires étaient les plus propres qu'elle eût jamais croisés dans des endroits publics. Ils venaient sans doute d'être scrupuleusement nettoyés : leurs carreaux brillaient de blancheur, des effluves de menthe et de citron embaumaient la pièce. Pour peu et on croirait à une extension du palais !

       Iker la plaqua contre les lavabos. Il agrippa ses fesses sans attendre, les malaxa généreusement tout en introduisant insolemment sa langue dans sa bouche. Alors qu'il lâcha brièvement son étreinte pour verrouiller la porte d'entrée, un pied verni enveloppé dans une sandale dorée le bloqua.

      Une dame élégante d'une quarantaine d'années s'introduit dans l'interstice en soupirant. Elle portait une combinaison légère bleu marine, et un majestueux chapeau blanc coiffait ses longues boucles brunes. Elle darda un regard opale sur le couple, son visage trahissait une souffrance certaine, ses traits étaient crispés, comme si elle retenait quelque chose depuis trop longtemps.

I want to go first ! articula-t-elle avec un accent italien, agitant sa main en joignant les doigts d'un geste théâtral.

Elle s'engagea dans les cabinets en refermant rapidement derrière elle. Soudain, un bruit étrange résonna dans toute la pièce.

— FUUUUUUUUUUUUUUUUUUUUUUUUUU !

Comme celui d'un instrument à vent mal accordé.

      Iker et Cali s'observèrent, incrédules, tandis qu'une odeur pestilentielle taquinait leurs nez. L'écrivaine eut un haut-le-cœur, le désir en elle rebroussa chemin aussi vite qu'il était arrivé.

GO OUT ! GO OUUUT ! entendirent-ils à travers la porte des toilettes.

     Ils fuirent la prison puante sans demander leur reste, et coururent le plus loin possible pour respirer de l'air frais. Arrivés à hauteur des jardins du Generalife, ils explosèrent dans un fou rire. Mélodie et Carmen qui se promenaient à quelques mètres les rejoignirent.

— Hey vous deux, je vous ai vu sortir des toilettes, ne me dites pas que vous avez fait ce que je pense. Vraiment des petits obsédés ces deux-là ! affirma Mélo, les mains sur les hanches en secouant la tête.

— Non, je t'assure, on n'a rien pu faire DU TOUT ! suffoqua Cali.

— Y Guilaume ? Il a où ? interrogea Carmen en observant les alentours.

— Il fait la connaissance de deux charmantes Américaines, pas sûr qu'on le reverra avant un bon moment ! réussit à déclarer Iker entre deux rires.

— Charmantes ? intervint tout à coup Cali qui s'arrêta net de glousser.

— Hahaha, je savais que tu allais relever ! s'exclama Iker tout fier de sa plaisanterie.

— Ben, tant pis pour lui, nous on continue la visite ! Déjà qu'on a failli vous perdre dans les toilettes vous aussi ! D'ailleurs pourquoi vous rigolez autant si vous n'avez rien fait de suspect ? interrogea Mélodie, curieuse.

— Une dame semblait vouloir évacuer des journées entières de nourriture, ce n'était pas très sexy... répondit l'écrivaine en se tenant les côtes.

— Des journées entières ? Tu veux dire des siècles de nourriture toute pourrie ! Bouerk ! rétorqua Iker.

Ils se regardèrent à nouveau, ce qui suffit pour réenclencher leurs fous rires.

— Sérieux, des blagues scato ça vous fait rire ? C'est trop dégoûtant ! Cette pauvre femme... soupira Mélodie.

— Ils se sont muy trouvé. Iker tout le temps rit de la blague comme ça. Dégoulasse ! Vamos mi corazon, laissez les avec leurs blagues pipi caca.

        Elles s'éloignèrent du couple hilare. Après une interminable séance fortuite d'abdominaux, les deux complices se calmèrent enfin. Iker prit la main de Cali et ils continuèrent leur balade dans les somptueux jardins millénaires du Generalife.

Une explosion de couleurs les hypnotisa : cyprès, bosquets, rosiers, fleurs exotiques, fontaines et jets d'eau les accueillirent. Mille merveilles agitèrent leurs sens, entre les parfums sucrés des roses printanières, le doux chant des oiseaux en pleine saison des amours, les escaliers d'eaux qui traversaient les allées, et la vue magnifique qu'offraient ces jardins suspendus sur la ville de Grenade.


        La jeune femme se mit à rêvasser. Tout invitait à la magie et à l'enchantement : le clapotis des fontaines, la beauté des plantes, le calme ambiant malgré le balai de touristes, l'agréable luminosité, l'architecture des pavillons romantiques. Si je pouvais me faire une représentation du Paradis, cela serait certainement ici.

Perdue dans ses pensées guimauves, elle ne remarqua pas tout de suite que son compagnon s'était éloigné. Elle perçut la sonnerie tonitruante de son portable, puis le vit décrocher une fois isolé dans un coin, entre un chêne majestueux et une rangée de haies parfaitement taillées.

        Sa discussion semblait sérieuse, son visage affichait un air grave, ses sourcils se fronçaient. Il hochait la tête de temps en temps, se pinçait l'arête du nez, parlait d'une voix étouffée. Après quelques minutes, il soupira, raccrocha et fourra son téléphone dans sa poche. Il se dirigea vers Cali et son sourire revint instantanément.

— Tout va bien ? Ton appel avait l'air important, osa-t-elle lui demander.

Il caressa sa joue.

— T'inquiète pas, ça va bien. Tout va bien dès que je suis avec toi, déclara-t-il en déposant un baiser sur son front.

       Cependant, un frisson désagréable parcourut la poitrine de l'écrivaine. Un tourbillon de pensées la secoua. Ce paradis n'est sans doute qu'une illusion, car la réalité de la vie finit toujours par nous rattraper...

Cet appel devait certainement avoir un lien avec son absence et cette fameuse convocation au tribunal. Une multitude de questions l'assaillirent tandis qu'ils continuaient leur promenade, en silence. Elle ignorait encore tellement de choses sur le passé d'Iker ! Cali le détailla, ses traits semblaient déjà détendus, son regard pétillait à nouveau de curiosité, charmé par la beauté du lieu.

        Elle serra alors sa main plus fort, souhaitant baigner dans cette douce ignorance au moins le temps de leur séjour...



Et voilà, un chapitre toujours sur le ton de l'humour et des rencontres fortuites. C'est au tour de Cali de ressentir de la jalousie ! Merci à Guillaume d'éloigner ces deux pimbêches, qui ont l'air d'en profiter soit dit en passant... Benêt ne perd ni le Nord ni le Sud comme dirait Cali haha.

J'espère que vous avez apprécié ce chapitre et rigolé avec nos loulous (pauvre dame...).

Cepeeendaaant, le secret d'Iker semble ressurgir au moment où on l'avait oublié ! Pensez-vous que le séjour se terminera sans encombres ?

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