Chapitre 1 : Juan le Taxi, mambo mambo embouteillages.
Cloîtrée dans son trente mètres carrés en plein cœur de la capitale française, elle tournait en rond tel un lion en cage. Voilà presque deux ans que le troisième et dernier tome de son roman, Les Couronnes d'Adriae, était sorti.
À l'époque, Cali fut qualifiée de "jeune prodige". Passionnée par l'écriture depuis l'enfance, elle postait régulièrement ses fictions sur des sites publics dédiés. C'est alors qu'à l'âge de dix-sept ans, pour une raison qu'elle ne saurait vraiment expliquer, une de ses œuvres Fantasy avait attiré l'attention d'un gros éditeur. Il fut publié juste après que l'auteure eut obtenu son baccalauréat - un défi compliqué pour la concernée, qui ne rêvait que de ses personnages, en particulier de ses mages fort bien bâtis.
S'en suivirent quatre années complètement dingues : l'histoire connut un succès phénoménal, si bien que la maison d'édition lui commanda une trilogie. Se consacrer à sa passion, participer aux salons du livre, effectuer des dédicaces, rencontrer ses lecteurs, réaliser des interviews... La romancière vivait un rêve éveillé.
Cependant, le jour où elle avait mis un point final aux Couronnes d'Adriae, un vide étrange grandit en elle. Au début, on lui arguait que c'était normal, qu'elle devait faire le deuil de cette histoire qui l'avait accompagnée depuis l'adolescence. Ensuite, Guillaume - son éditeur de l'époque - commença à revenir doucement à la charge, puis devint de plus en plus insistant.
« Tu as des idées pour ton prochain roman ? Tu bosses sur quoi en ce moment ?
Hey oh, tu ne pourras pas vivre éternellement de tes royalties, t'es pas J.K. Rowling, cocotte !
Bouge-toi Califourchon - le joli surnom qu'il lui donnait, une private joke très privée entre eux.
Ponds-moi un roman dans deux mois ou je suis viré ! »
Et c'est ce qui lui était arrivé, au passage. Enfin, il existait d'autres raisons inhérentes à son départ, entre autres ses relations trop proches avec les auteures, dont Cali.
Cette dernière avait pourtant essayé de se remettre à l'étrier de toutes ses forces. Des brouillons d'histoires parsemaient l'écran d'accueil de son ordinateur, polluaient ses carnets et s'entassaient sur son bureau. Mais rien ne la satisfaisait, rien n'aboutissait. Elle se retrouvait, à vingt-trois ans passés, dans la malédiction du One Shot*, qui frappait ces auteurs dont le succès ne se résumait qu'à une seule et unique œuvre.
L'invitation de Mélodie, son amie d'enfance, était tombée à point nommé. Celle-ci entamait sa dernière année de Master en Marketing et Communication en Erasmus* à Séville, dans le sud de l'Espagne. Autant dire qu'elle étudiait surtout la communication corporelle et le langage de la fête. Voyant Cali dépérir à petit feu, elle lui avait proposé de rester tout le temps qu'il lui faudrait pour faire le plein d'énergie. Changer d'air, créer de nouvelles relations, se dorer la pilule, se promener sur les rives du Guadalquivir*, goûter à la douceur de vivre andalouse... Voilà la solution à sa panne d'inspiration ! La romancière ne se fit pas prier, et sauta dans le premier avion pour rejoindre son amie qui l'accueillerait les bras ouverts.
Les douanes espagnoles passées, la jeune femme ralluma son téléphone afin de prévenir immédiatement Mélodie de son arrivée. Elle avait l'impression de se retrouver sur une autre planète. Le thermomètre affichait facilement dix degrés de plus qu'à Paris, les gens souriaient, une atmosphère agréable flottait dans l'air, certains se baladaient même en t-shirt. Cali entreprit de se débarrasser de sa veste d'hiver, et attacha ses longs cheveux châtains en une queue de cheval, trop heureuse de profiter de cette chaleur quasi estivale pour un mois de mars.
[Cali] : Meuuuf ! Olééééé, yé suis là ! Je viens d'atterrir, je saute dans un taxi, le GPS m'indique que le trajet jusqu'à chez toi dure 25 minutes.
Quelques secondes suffirent pour que son téléphone vibre, l'avertissant d'une réponse de son amie.
[Mélodie] : Bienvenido a Sevilla, mi preciosa (*Bienvenue à Séville, ma belle*) ! Trop hâte de revoir ta vieille tronche, je suis déjà à la maison, je t'attends tranquille en préparant l'apéro.
Humm... ! Cali sentit l'excitation monter en elle. Au revoir Paris et sa grisaille, bonjour Séville, son soleil éclatant, sa beauté ancestrale, ses fastueux palais mauresques, sa sangria et ses bars à tapas !
Enfin sortie de l'aéroport, elle chercha un taxi. Bordel, ils étaient tous pris d'assaut. Une file de voyageurs blasés commença à se former à l'emplacement des véhicules, chacun priant pour atteindre rapidement son Graal roulant. Tant pis, Cali prendrait son mal en patience, de toute façon elle n'était pas pressée, et Mélodie non plus. Elle s'installa dans la queue, derrière un grand brun affublé d'un casque-écouteurs rouge sur le crâne.
Alors qu'elle fouillait dans son sac à dos à la recherche d'une barre de céréales écrabouillée, elle sentit une présence s'approcher.
— On partage la course ? lui proposa un bougre au sourire carnassier et au ventre bedonnant.
Elle reconnut son voisin de vol, qui ne l'avait visiblement pas oubliée, lui non plus.
Beurk ! Il n'était pas question qu'elle reste une minute de plus avec ce pervers aux bras poisseux ! Voyant que le grand brun devant elle s'engouffrait à son tour dans un taxi, elle n'y réfléchit pas à deux fois, souleva sa valise, le suivi, et plongea d'un bond dans le véhicule.
Elle se retrouva pratiquement la figure entre les jambes du passager aux écouteurs rouges, le postérieur à l'air. Interloqués, ni le chauffeur, ni son client, n'émirent un son, tandis que l'intruse se releva à la vitesse de l'éclair en refermant violemment la portière pour échapper au libidineux tordu.
— Euh... vous êtes ensemble, monsieur ? interrogea le taximan en espagnol, mi-amusé mi-surpris par la fougue de cette touriste.
Cali regarda l'intéressé, le suppliant des yeux, lui adressant sa mine la plus contrite - et crispée.
— Sorry... I am so pressée, euh, in a hurry, please sorry, s'excusa-t-elle dans son anglais très approximatif.
Le jeune homme la dévisagea, et un sourire moqueur, quoique bienveillant, se dessina sur ses lèvres. Cali remarqua aussitôt des fossettes se creuser sur ses joues mates, son nez fin se retrousser, ses iris noisette en amande briller d'une lueur malicieuse, et ses longs cils s'agiter sous des mèches brunes... Totalement son genre...
Il enleva ses écouteurs rouges avant de répondre au conducteur dans un parfait espagnol, qu'elle eut du mal à suivre. Son cas semblait cependant réglé, car le taximan éclata de rire et démarra le moteur.
— Bon, vous allez où, mademoiselle très pressée ? questionna le brun sexy en se retournant vers elle, hilare.
— Je... Oh, mais attendez, vous parlez français ? demanda Cali, étonnée.
— Et, oui ! Je pense que nous avons partagé le même vol, en provenance de Paris.
— Heum, certainement ! Écoutez, je suis désolée d'être entrée un peu en trombe dans votre taxi, je... en fait je ne suis pas vraiment pressée, je fuyais juste un type très louche qui me collait déjà depuis l'avion. Dites au conducteur de vous déposer d'abord !
— Un type louche ? Il ne vous a rien fait de mal, au moins ? Il vous a suivie ? Vous avez des connaissances sur place j'espère ? s'inquiéta soudain l'inconnu.
— Oh, non, non, ne vous inquiétez pas, il ne sait rien de moi, et je vais très bien. C'est juste qu'il était un peu louche, c'est tout... Et j'ai une bonne amie en ville, donc je me débrouillerai très bien, c'est gentil...
— Tant mieux dans ce cas ! lui répondit le jeune homme avec un sourire plus que craquant.
Il indiqua alors une adresse au chauffeur, qui se mit à engager la conversation. Elle se risqua à le détailler. Il parlait en espagnol, tortillait ses cheveux entre ses doigts fins, un large sourire ne quittant pas ses lèvres mutines. Il dirigea soudain son regard vers elle. Prise sur le vif, Cali détourna rapidement la tête.
Merde, il a vu que je le reluquais, la honte ! L'écrivaine, gênée, colla son visage à la vitre, feignant d'observer le paysage.
La beauté de la ville millénaire s'offrit aussitôt à elle, dans un défilé d'architectures spectaculaires. Elle distinguait des bâtisses datant de la Renaissance, d'autres, encore plus vieilles, représentaient le style raffiné de la dynastie Maure, les seigneurs arabes qui s'étaient installés pendant des siècles dans la région. Un parfait mélange de cultures orientales et castillanes imprégnait les lieux. Chaque petite place, chaque ruelle, racontait une histoire, éveillant les sens et la curiosité de la romancière.
Le véhicule s'arrêta sans crier gare au pied d'un magnifique immeuble en briques rouges et aux larges fenêtres arquées, ornées d'azulejos, ces carreaux de faïence bleus typiques de l'Andalousie. Le jeune homme remercia le chauffeur, récupéra sa valise dans le coffre et adressa un dernier sourire à Cali :
— Bon, eh bien, je vous souhaite un super séjour à Séville ! Et faites attention aux mecs louches, hein ?
— Merci, haha, oui je ferai gaffe... répondit-elle, contractant son biceps comme pour afficher un semblant de force sur son muscle inexistant. Tu fais quoi Cali, t'es ridicule... Bon séjour à vous aussi !
Alors que le véhicule redémarrait, elle se rendit compte qu'elle ne connaissait même pas son prénom. Il avait l'air très sympathique ce garçon, en plus de son sex-appeal puissance un milliard... Elle aperçut soudain une silhouette féminine lui ouvrir la porte et le serrer dans ses bras, sans avoir le temps de distinguer s'il s'agissait de sa mère, de sa sœur, ou de sa copine...
La dernière option était probablement la bonne, un jeune homme aussi séduisant ne pouvait pas être célibataire. Tant pis ! De toute façon, son séjour ne faisait que commencer !
One Shot : un seul coup.
Erasmus : Programme d'échange d'étudiants entre les universités, les grandes écoles européennes, et des établissements d'enseignement à travers le monde entier.
Guadalquivir : Le Guadalquivir est le fleuve de Séville, le seul navigable d'Espagne. Il a joué un rôle protagoniste à de nombreux moments de l'histoire de la ville. Sièges, défenses et conquêtes se sont négociés sur ses eaux, tandis que prouesses et traversées ont pris forme depuis ses rives. Il se jette dans l'océan Atlantique, à l'ouest du détroit de Gibraltar.
P.S : Si vous pouviez cliquer sur les étoiles lorsque vous commencez ou terminez chaque chapitre je vous en serai vraiment reconnaissante, ça aide à la visibilité 🥰 (et ne vous inquiétez pas, il n'y a que moi qui vois que vous cliquez sur les étoiles 🤭)
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