💕 CHAPITRE 41 💕

Assise depuis près d'une heure et demie à son bureau, Méryl ne s'arrêta d'écrire que lorsqu'elle aperçu la tâche d'encre sur le coin de son doigt, à l'endroit exacte où une légère une petite bosse était apparue. Elle n'aurait jamais imaginé rester autant de temps à recouvrir chacune des feuilles de son bloc de correspondance et pourtant, ce n'est qu'en voyant la dizaine de papiers recouverts de noirs, de ratures, de tâches qu'elle réalisa. Pendant près d'une heure, elle s'était mise à écrire frénétiquement comme une personne se sachant proche de la mort et rédigeant son testament afin de laisser derrière elle, après son départ, des instructions claires et précises. En somme, ce n'était pas très éloigné d'un testament. Il y avait probablement cinq pages concernant certaines consignes évidentes, trois pages pour le récit et deux autres en guise d'excuses, mais il était si facile que de s'excuser quand le mal avait déjà été fait. Mais n'était-ce pas ce que Lola lui avait elle-même répété si souvent ? Qu'il valait mieux demander pardon que la permission ? Pour une fois que l'un de ses conseils s'avérait utile, qui l'aurait cru ?

L'intégralité de ces pages furent destinées à une seule et même personne : James. Il les découvrirait, probablement un jour, dissimulées dans un ses tiroirs, cachées sous une tonne d'autres feuilles, papiers et documents et Méryl venu à se demander alors quelle serait sa réaction le moment venu ? Viendrait-il à regretter ? Ferait-il le souhait fou de pouvoir faire marche arrière quand tout était encore possible ? Probablement pas. James était comparable à un âne borné et têtu : il ne savait qu'aller de l'avant sans regarder derrière lui. Il détestait cela et Méryl plus que quiconque, le savait et l'avait comprit. Rares furent les occasions où il lui avait parlé de son enfance comme rares furent les occasions où il lui avait parlé de lui tout court. Quand ce fut le cas, c'est parce qu'elle le lui avait demandé soit en le suppliant, soit en le menaçant. Discuter du passé avec James, c'était comme interroger un prisonnier : il fallait indéniablement lui tirer les vers du nez et il n'y avait rien de plus désagréable que cela, que de se sentir obligé. Forcé. Pourtant, si elle ne l'avait pas fait alors lui aurait-il parlé de sa mère ? Lui aurait-il parlé de cette promesse qu'il avait fait ? Lui aurait-il révélé certaines choses ? Probablement pas car il s'était bien abstenu de lui parler de son père. Malgré cela et la sensation de trahison que Méryl pouvait ressentir encore fortement au plus profond d'elle-même, elle se sentie bien enclin à le lui pardonner car ce qu'elle s'apprêtait à faire ou plutôt qui elle s'apprêtait à être quand le jour se lèverait, changerait complètement la donne. Enfin elle allait pouvoir donner raison à tous ces vieux nobles conservateurs la jugeant incapable de régner. Enfin elle allait pouvoir démontrer toute l'étendue de son talent d'actrice car les quelques cours d'art dramatique qu'elle avait prit lors de ses jeunes années allaient et devaient servir une cause. Sa cause. Aujourd'hui, elle était déterminée à leur montrer à tous qu'elle était loin d'être la petite poupée avec laquelle il était si facile de s'amuser. Aujourd'hui, elle couperait une fois pour toutes les ficelles la liant aux doigts de son père, le Roi.

Mais pour cela, quelque chose devait être fait et cela ne lui plaisait pas du tout. Si son père avait choisit James, un tout jeune Duc, comme époux, ce n'était pas tant que pour s'assurer le soutien de Béatrice, c'était aussi pour servir ses plans d'avenir et s'assurer que son sang, son nom, continuerait à prospérer dans l'histoire du Royaume. James était jeune, peut-être trop, tout comme Méryl et à cette époque, il y a cinq ans, aucun d'eux n'auraient pu se douter qu'ils n'étaient que les instruments de gens plus vieux et plus cupides qu'eux. Ils s'étaient laissés croire qu'ils pourraient, peut-être et avec le temps, avoir leur avenir à bien à eux. Mais ce n'était pas le cas. Cela n'a jamais été le cas. Tout ce que le Roi voulait c'était un héritier. Un enfant qui servirait alors de sceau final à cette horrible union. Une fois l'enfant venu au monde, il aurait été alors impossible de défaire le mariage ou pire encore, de rejeter la légitimité des deux familles et encore moins celle des Valentenzia.

Plus elle y réfléchissait, plus Méryl en riait. Comment avait-elle pu être naïve à ce point ? Toutes ces années à croire qu'elle pourrait, quand elle le souhaiterait, quitter cet endroit, mais en réalité... Qu'avait-elle fait ? Elle avait, comme lui avait fait très justement remonté James, veillé sur le royaume qu'elle venait à détester petit à petit au fil du temps. Elle avait veillé à ce que les nobles n'est pas ce qu'ils souhaitent et que le peuple ait son mot à dire en donnant d'autant plus de légitimité à la guilde des fermiers qu'à n'importe quel regroupement de marchands. Elle avait veillé à faire en sorte que n'importe quelle jeune personne puisse entrer dans les rangs de l'armée royale en créant un concours d'entrée ainsi que des tests réguliers et annuels afin de s'assurer qu'une fois dans l'armée, personne n'en profiterait. Ce n'était que des toutes petites pierres à son édifice, mais en réalité, c'était encore pire que ce qu'elle croyait. Ce n'était que des galets qu'elle jetait dans une marre plus grande et plus profonde.

Ce n'était rien. Rien du tout. Rien comparé à la main mise de son père.

Avait-il rit ? S'était-il amusé de ses efforts ? De ses luttes vaines en sachant qu'il viendrait tout défaire par derrière ? En sachant que chaque personne que Méryl pensait sous son contrôle n'était en fait qu'un espion de plus qui lui mentait chaque jour un peu plus ? Combien de personne existait-il ainsi, soigneusement cachée dans son entourage ? D'abord Lola, ensuite la garde royale et après ? Son mari ? Non. James était probablement la seule personne ayant eu un rôle un petit peu à part.

A dire vrai, James était la seule personne un petit peu à part. Elle ne savait pas comment l'aborder, comment graviter autour de lui, ni même comment lui parler. Pouvait-elle réellement se fier à lui comme il l'avait supplié ? Pouvait-elle sincèrement le croire ou n'était-ce qu'une feinte avant que tout ne soit là aussi, révéler au grand jour ? Et si James, le James de ces derniers jours, n'avait été qu'une façade ? Qu'un rêve éveillé ? Si en réalité, il n'était et ne demeurait que cet homme qu'elle n'avait que trop peu côtoyer ces cinq dernière années ? Elle ne saurait dire. Méryl était loin d'être la personne la plus intelligente du palais car même maintenant, elle se laissait gouverner par ses émotions, comme à chaque fois. N'apprenait-elle donc jamais de ses erreurs ?

Elian avait eu raison de la mettre en garde contre cela : Nos propres émotions sont parfois notre pire ennemi.

Sortant une enveloppe du tiroir principal de son bureau, Méryl entreprit de plier chaque feuille minutieusement. Quand le matin viendra, elle demanderait probablement à Colette de cacher celle-ci quelque part dans les affaires du Prince.

Soudain, elle entendit un gros bruit devant l'encadrement de sa porte comme si quelque chose ou plutôt quelqu'un avait buté devant. Peur d'être surprise avec ses effets, elle cacha le tout à la va vite dans le tiroir et partie, bougeoir en main devant celle-ci avant de l'ouvrir brusquement.

- Vous ! s'exclama-t-elle surprise.

James. Debout. Devant elle.

- Que faites-vous ici ? Vous ne devriez pas...fit-elle avec une voix plus basse en le voyant se tenir contre l'encadrement comme si celui-ci le retenait.

- J'ai...commença-t-il à dire en un seul souffle.

Titubant péniblement, Méryl finit par le recueillir dans ses bras, le faisant entrer dans ses appartements et l'aidant à s'installer sur le divan tout près de là. Ses cheveux noirs tombaient en cascade contre son dos et sa chemise était à peine boutonnée. C'était comme s'il s'était à peine vêtu avant de venir, comme s'il était dans l'urgence. Comme si...

- Vous ne devriez pas être ici, c'est inconscient de votre part, lui fit-elle remarquer alors qu'elle le voyait encore peiné.

- Mais ai-je eu le choix ? M'avez-vous laissé le choix ? Comment pourrais-je dormir ou faire quoique ce soit alors que vous me demandez de vous pardonner ?

Il avait entendu. Il avait entendu chaque mot.

- Je n'aime pas cela, Méryl, poursuivit James en grimaçant, Je n'aime pas cela car je vous connais un petit peu mieux aujourd'hui que je ne vous connaissais hier et je sais que vous ne demandez jamais pardon à moins de faire une énorme bêtise et je ne veux pas de cela.

- Vous ne savez pas de quoi vous parlez.

- Vraiment ? Pourtant, je vous ai entendu, lui confirma-t-il comme s'il pouvait lire dans ses pensées, J'ai entendu chacun de vos mots. De vos sanglots. Ce n'était pas une demande de pardon que vous avez formulé, c'était un appel au secours.

Pendant un bref instant, James se perdit sur elle, sur la pièce encore retournée et à peine rangée.

- Que s'est-il passé ? lui demanda le Prince d'un ton plus grave.

- Rien.

- Méryl. Je vous en supplie, pour l'amour de Dieu, ne vous fermez pas à moi. Pas maintenant. Pas quand je peine enfin à vous voir et à vous entendre, la supplia-t-il.

Elle pouvait la sentir, cette boule grossissante, nouant sa gorge et empêchant alors le moindre son de s'en échapper. Elle pouvait sentir ses yeux se remplir d'eau tandis que sa vision se brouillait légèrement.

James ne dit rien, il n'en avait pas besoin, tout son corps la trahissait devant lui.

- Parlez-moi.

Mais comment lui dire ? Comment lui demander ? Le moindre mot serait comme une lame capable de l'agresser car elle se sentait bien trop plongée dans sa colère qu'elle se savait incapable de faire attention à ce qu'elle dirait. Toutefois, pouvait-elle être en colère ? Contre lui ? Contre ces yeux qui la regardait comme si elle était devenue la chose la plus précieuse au monde ? Non, ne l'avait-il, au fond, pas toujours regardée de la sorte ?

- Serez-vous honnête ? lui demanda-t-elle en bafouillant, tentant de se calmer, Saurez-vous me dire la vérité ? Non pas celle que je veux entendre, mais celle qui compte vraiment.

- Je m'efforce de le faire depuis peu et je sais que vous mentir fait partie de mes pires erreurs. Je vous ai fait la promesse solennelle de tout vous dire, Méryl. Demandez-moi. Demandez-moi tout ce que vous voudrez.

- Dans ce cas...

Elle prit néanmoins quelques minutes, fermant ses paupières et tentant de calmer l'agitation qu'elle ressentait. Pour la première fois, Méryl ne ressentait ni hâte, ni excitation, mais bel et bien de la peur. Elle craignait que James ne vienne à confirmer ce qu'elle avait entendu dans la salle du trône.

- M'avez-vous ignoré pendant cinq années car vous saviez que mon père attendez de vous que vous me séduisiez afin que puisse naître un héritier ?

- Oui, répondit-il très simplement sans détour.

Ce n'était qu'un mot, presque une seule syllabe et pourtant, Méryl le ressentait comme un coup de poignard droit dans la poitrine. Bien des choses l'avait fait souffrir et bien d'autres la tambourinait de douleur présentement entre ses pieds lacérés et les autres nombreuses blessures sur son corps, mais il n'y avait rien de pire que ce «oui» qu'elle venait d'entendre.

- Saviez-vous que quelqu'un attenterait à ma vie ce soir-là et vous êtes vous volontairement sacrifié ? bafouilla-t-elle en soutenant son regard.

- Oui.

Elle en avait la nausée.

- M'avez-vous caché d'autres choses durant ces cinq dernières années en vous cachant vous-même derrière le prétexte d'assurer ma sécurité ?

- Oui.

Un soupir plus gros que ce qu'elle n'aurait bien voulu laisser entendre sortit de lui-même. Pendant cinq ans, James s'était probablement jeté à travers maints dangers sous couverts d'excuses, mais aussi de promesses.

- Seigneur tout puissant, finit-elle par dire en faisant les cent pas devant lui.

- Je ne regrette aucun de ces moments, sachez-le.

- Vous auriez pu mourir ! Je veux dire, regardez-vous ! Ne regrettez-vous pas présentement votre stupide choix ? Je ne vous ai jamais rien demandé et n'ai jamais rien attendu de vous ! Comment avez-vous pu jeter votre vie en l'air comme si cela n'avait aucune gravité quelconque ? Êtes-vous suicidaire ? Désirez-vous mourir ? se mit-elle à hurler dans la pièce en faisant de grands gestes avec ses bras.

- Nullement, mais...

- Mais quoi ? Aimez-vous souffrir dans ce cas ? Cela doit être le cas car je ne peux pas comprendre, entendre ou bien même...mon dieu ! James !

L'agitation l'a submergée comme si l'océan qui sommeillait en elle s'était soudain réveillé. Une tempête la traversait tandis qu'elle traversait elle-même la pièce en la parcourant dans tous les sens.

- Croyez-moi, j'ai fais ce qui me semblait le plus approprié et je n'ai aucun regret dans le fait d'avoir fait ces choix ou les conséquences qu'ils ont eu. Enfin, non, j'ai des regrets car si j'avais su où tout cela me mènerait alors j'aurai été plus honnête et plus ouvert avec vous, mais je ne pouvais décemment pas vous dire «Mon amour, prenons le déjeuner ensemble dans les jardins afin que je vous raconte comment j'ai déjoué une tentative d'assassinat vous concernant» ! poursuivit le Prince en la suivant du regard.

- Et pourquoi pas ? Que pensiez-vous faire en ne me disant rien ? Cela me concernait et j'étais en droit de savoir !

- Et qu'est-ce que cela vous aurait-il apporté ?

- Pardon ?

- Je vous demande ce que cela aurait changé pour vous ? Vous seriez-vous mise en quête des assassins ? Les auriez-vous vous-même tué ? Je ne remets pas votre force en cause car, honnêtement, je suis le mieux placé pour savoir que vous savez définitivement vous défendre, mais soyons sérieux un instant.

- Vous pensez que j'en aurai été incapable, c'est cela ?

Tentant de se relever, James vint se planter devant Méryl et cela l'arrêta net dans sa marche folle.

- Je vous demande si vous auriez été à même de tuer un homme, Méryl, reprit James plus sévèrement.

- Je présume que si le cas venait à se présenter...

En réalité, elle n'en savait strictement rien car jamais elle n'aurait pensé que le cas viendrait à se présenter. Méryl avait vécue toute sa vie au palais, surveillée, choyée, protégée. Certes, elle s'était battue contre trois ou quatre personnes et deux de ces mêmes combats l'opposait à son époux qui s'était grandement retenu contre elle, mais on était très loin du portrait du parfait petit assassin.

- Certes, j'ai peut-être eu tort de vous cacher certaines choses, mais cette fois-ci, je ne m'en excuserai pas. Tout ce que je voulais c'était vous savoir sauve. Vivante. Je voulais vous voir courir pieds nus dans ces jardins et je voulais entendre les domestiques vous gronder quand vous grimpiez à des arbres ou que vous reveniez couverte de terre et de brindilles. Je voulais vous épargner une vie...Mais de quelle vie parlons-nous ici ? Croyez-moi, avoir la mort de quelqu'un sur la conscience, aussi mauvaise soit cette personne, n'est pas chose aisée. Il y a des choses qui vous impactent, qui vous change et qui vous font comprendre que vous êtes une personne presque aussi mauvaise et pourrie que celles contre qui vous vous battez. Moi, je suis ce genre de personne. Vous m'entendez ? Moi, je peux vivre avec cette culpabilité me grignotant l'intérieur chaque nuit un peu plus car je sais que je n'aurai définitivement pas ma place au paradis, mais pas vous. Je ne voulais pas ça pour vous.

Son expression s'était assombrie et Méryl comprit alors ô combien cela le peinait de lui révéler la vérité.

- Vous, Méryl Florencia Valentenzia, êtes une Princesse. Vous n'avez pas à devenir une tueuse ou un monstre. Ce n'est pas ce que le monde attends de vous, conclut James.

- Et vous non plus, James Catawey Valentenzia, le reprit-elle en attrapant ses mains, Ce n'est pas ce que j'attends de vous. Je me fiche du monde, je me fiche de tous ces autres, mais je ne me fiche pas de vous, est-ce que vous le comprenez ?

Puis vint un sourire illuminant un visage tel un rayon de soleil perçant à travers les nuages d'un orage d'été.

- Je pourrais presque croire que c'est une déclaration, se mit-il à rire.

- Quand bien même cela en serait une, que comptez-vous en faire ? releva-t-elle en grimaçant.

- Rien, c'est simplement...étonnant. Je ne m'attendais pas à ce que vous...Enfin...

Elle pouvait le voir rougir. Comme cette fois-là dans le carrosse lorsqu'elle s'était assise à califourchon sur ses jambes et qu'elle lui avait bandé les yeux.

- Ne vous emballez pas, je ne vous ai pas dit que je vous aimez.

- Ah.

Il s'avança d'un pas, lui rappelait qu'il faisait bien deux têtes de plus qu'elle et abaissa légèrement le regard, arborant ce petit sourire en coin satisfait, faisant alors complètement dévier la conversation de son sujet principal.

- Mais est-ce le cas ? Est-ce que vous m'aimez ?

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