💕 CHAPITRE 39 💕
Elian l'avait accueilli et s'était occupé de ses plaies ouvertes sans poser de questions. Il se mouvait dans la pièce, allant tantôt chercher une tasse, tantôt une boîte en bois refermant alcool et bandages, le tout sans dire le moindre mot. Il se contentait d'être à son service sans qu'elle n'ait besoin de lui demander quoique ce soit. Certes, la curiosité devait le rongeait et il devait à son tour avoir tant de questions à lui poser, mais par égard pour elle, il n'en fit rien et resta à ses côtés dans le plus grand des silences, attendant patiemment que ce soit elle qui aborde le sujet tout naturellement.
Elle prit une grande inspiration. S'en suivit d'une autre et d'encore une autre. Les mots ne lui venaient pas car comment pouvait-elle lui parler de ce qu'elle venait d'entendre ? Pire encore, de ces derniers jours. Non pas qu'elle n'avait pas confiance en lui, mais Elian étant ce qu'il était et cela, elle l'avait comprit, Méryl savait qu'il ne comprendrait pas son désarroi, pire encore, il ne comprendrait pas sa fureur. N'ayant personne vers qui se tourner, elle était venue ici avant même de réfléchir aux conséquences que cela pourrait engendrer, réclamant qu'il la soustrait à ses obligations alors qu'elle savait qu'elle ne pourrait probablement jamais les fuir. Elian était un Prince, pas un sauveur. Elle lui en demandait beaucoup. Beaucoup trop.
- Je suis navrée, finit-elle par dire entre deux gorgées de thé.
- A quel propos ?
- Je suis venue sans me faire annoncer, vous dérangeant très probablement dans vos activités et j'ai réclamé quelque chose que je ne devrais pas comme si vous étiez en mesure de me l'offrir.
- Je veux bien croire que vous soyez navrée, mais je pense honnêtement que vous ne l'êtes pas pour le reste de votre propos. Vous êtes venue de votre propre chef me trouver parce que je vous ai tendu la main le premier et que vous avez décidé de saisir cette main. Je ne sais pas ce qui vous a motivée, ni ce qui vous a bouleversé au point d'arriver jusqu'à moi en étant dans un tel état et très honnêtement, je ne vous le demanderais pas. Toutefois, si un jour vous voulez m'en parler, sachez que je suis tout disposé à vous écouter.
Elian était d'un calme exemplaire que Méryl pouvait aisément jalouser, elle qui bouillonnait encore de l'intérieur. S'il n'était pas là, présent devant elle, elle se serait probablement effondrée en larmes, pleurant jusqu'à épuisement et tentant, l'espace d'un instant, d'oublier tout ce qui se précipitait dans son esprit. Toutes ces pensées. Toutes ces connexions. Toutes ces...
- Je ne cacherai ni ma joie, ni ma satisfaction de vous voir ici, Méryl, cependant je me contenterai d'être inquiet pour vous.
- Vous êtes probablement le seul qui s'inquiète réellement pour moi.
- Oh, je ne pense pas, non, soupira Elian en posant sa tasse.
Une nouvelle fois, elle eut James à l'esprit. C'était comme s'il était là, tel un fantôme la hantant et la suppliant de ne pas franchir le pas. Comme si sa simple présence suffisait à la retenir au bord du précipice devant lequel elle se trouvait alors que Méryl ne désirait que sauter. En fait, il agissait comme une petite voix lui murmurant tout bas de ne pas mettre à dessein ses idées les plus noires. D'ailleurs, sans doute ne devrait-elle pas être ici au beau milieu de la nuit alors qu'une vingtaine de personnes l'a vu partir, traversant le palais à vive allure. Il allait de soit que dès demain, certains diront qu'elle entretient une liaison avec un Prince voisin, chose qui devrait théoriquement plaire au principal concerné.
- Je vous repose tout de même la question maintenant que vous êtes plus calme et probablement plus à même de me répondre en ayant toute votre tête : Désirez-vous réellement passer ce marché avec moi ? Il est important pour moi de savoir si oui ou non vous vous positionnez de mon côté. Plus encore, il est important pour moi de savoir que vous ne viendrez pas à regretter votre choix.
- Honnêtement, je ne suis plus à même de réfléchir par moi-même, je le crains. Je ne sais même pas si j'ai, un jour, réfléchi par moi-même et pour moi-même ou si mes pensées n'appartient pas déjà à un autre.
- Je ne suis pas hélas disposé à vous répondre car j'ignore ce qui vous chagrine à ce point.
- N'avez-vous jamais douté, Elian ? Douté de tout ce qui vous entourez ? De votre vie elle-même ?
- Constamment, je dirais. Je vis dans le doute, la peur et l'appréhension depuis que j'ai l'âge de comprendre comment fonctionne ce monde, mais ce n'est pas ce qui m'empêche de continuer d'essayer.
- D'essayer de faire quoi ?
- D'essayer de vivre, Méryl.
Voyant son visage s'assombrir encore un peu plus comme s'il la voyait se noyer dans ses propres pensées, dans son propre monde, Elian venu se positionner, à genoux, devant elle, prenant ses mains dans les siennes.
- Depuis le jour où nous nous sommes rencontrés dans ces jardins, je vous sens prisonnière de vous-même. Vous ne semblez être heureuse que lorsque personne ne vous regarde, que lorsque le monde détourne les yeux de vous. Je ne prétends pas vous connaître, ni même connaître la vie que vous avez eu et que vous avez aujourd'hui, mais si vous souhaitez réellement vous engager sur cette voie-là, sachez qu'elle ne sera pas facile, mais qu'elle en vaut réellement le coup.
- Vous semblez si positif dans vos propos.
- J'essaye de l'être. Je ne suis pas un idiot, mais j'ai mes idéaux, mes rêves.
- Et quels sont-ils, Votre Altesse ? demanda curieusement Méryl.
- Tout d'abord, faire en sorte que mon royaume puisse enfin connaître la paix, ce qui s'annonce être une tâche dès plus compliquée. Ensuite, j'aimerai moi-même m'offrir les chances que je n'ai pas pu avoir. J'ai été envoyé régler un conflit dont je ne connaissais rien, sur une terre qui m'était totalement étrangère et je n'ai pas eu mon mot à dire. Je suis devenu «Prince» parce que des gens ont jugés bon de me mettre à la tête de leur pays alors que je ne suis qu'un gamin d'une vingtaine d'années peinant grandement à devenir un homme à proprement parlé. Et aujourd'hui, incapable que je suis, je viens requérir l'aide d'une nation voisine en prenant le risque de démontrer au monde politique que je suis effectivement un pantin couronné et rien de plus.
Méryl tiqua au mot «pantin».
- Toutefois, il n'y a pas que du mauvais dans tout cela. J'ai appris des autres comme j'ai appris de moi-même. J'ai réalisé des choses dont je ne me pensais pas capable et j'ai su...Je ne dirais pas m'imposer, mais j'ai su me faire ma place dans ce monde.
- Chose que je suis incapable de faire, souffla la jeune femme.
- Ne dites pas cela. Ne vous dénigrez pas, d'autres le font déjà suffisamment à votre place.
- Et avec raison ! Je veux dire, regardez-moi ! s'exclama-t-elle en faisant de grands gestes avec ses bras.
- C'est ce que je fais et ne cesse de faire depuis que je vous ai vu devant cet arbre, lui confessa Elian.
Bien qu'elle lui sourit, Méryl peina grandement à trouver du réconfort ou ne serait-ce que du vrai dans les mots d'Elian la concernant. Elle demeurait à ses yeux une idiote s'étant trop longtemps laissée manipuler et aujourd'hui à cause de son incapacité à voir plus loin que son nombril, elle avait sciemment mit la vie de James en danger.
- J'aimerai tellement que vous puissiez vous voir comme les gens de ce royaume qui vous adore et vous admire, vous vois.
- Ils aiment une illusion, reprit-elle plus sèchement en levant les yeux au ciel.
- Vraiment ? Pourtant, n'est-ce pas dans cette illusion que vous vous sentez le mieux ? Sinon, pourquoi l'entretenir ?
- Parce que je pensais que toute ma vie, je pourrais me cacher derrière celle-ci. Que toute ma vie, je pourrais être cette Princesse un peu délurée qui marche pieds nus, passe son temps à se rouler dans l'herbe ou à escalader des arbres. Je pensais que toute ma vie ne serait que luxure et paresse. Hélas, aujourd'hui je constate tristement qu'en réalité, ma vie n'est qu'envie et colère.
- Raison de plus pour vous battre, vous ne croyez pas ? Pourquoi ne pas saisir à pleine main toutes ces choses dont vous avez envie justement ? Pourquoi ne pas utiliser votre colère comme levier de motivation ? Pourquoi ne pas mettre à profit votre talent, vos dons, tout ce qui fait de vous cette femme pour conquérir le royaume ? Ce royaume.
- Parce qu'un conquérant seul, n'a jamais été bien loin dans l'Histoire.
- Certes, mais vous n'êtes et n'avez jamais été seule me semble-t-il ? souleva Elian en lui souriant tendrement.
Une nouvelle fois, James venu envahir son esprit. C'était tout simplement plus fort qu'elle. C'était devenu tout bonnement incontrôlable. Elle voulait tant le croire, croire en ce qu'il lui avait promit, en ce qu'il lui avait dit, en ce qu'il avait fait...Elle voulait y croire dur comme fer et était même prête à continuer à se mentir à elle-même en oubliant ce qu'elle venait d'entendre le concernant.
- Selon comment je vois les choses, deux choix s'offrent à vous, Méryl : Le premier consisterait à rester ici et à vous battre pour vous-même et pour cette vie dont vous rêvez à chaque fois que vous grimpez à un arbre en espérant atteindre une liberté que vous n'aurez jamais totalement. Le second serait celui de conclure ce marché et de me suivre alors qu'un bateau m'attendra au port demain en fin de matinée. Vous recommenceriez votre vie, vous n'auriez aucun compte à rendre et vous seriez libre.
- Mais ? Parce qu'à la façon dont vous tournez les choses, je sens qu'il y a un mais.
- Mais vous serez seule. Bien plus que vous ne l'êtes présentement.
- Et vous alors ?
Elian recula légèrement et finit par s'asseoir complètement en tailleur à même le sol.
- Comme je vous l'ai dit, je suis tout disposé à. Cependant, je refuse d'être un second choix fait par dépits donc je vous demande que cela soit respect pour moi mais surtout pour vous-même : Réfléchissez. Vous perdrez indéniablement des choses si vous me suivez, même si j'ai beaucoup à vous offrir alors qu'en faisant le choix de rester, vous n'auriez qu'à sortir les crocs pour mordre quiconque se trouvant sur votre chemin.
- Et comment suis-je supposée faire cela quand on s'obstine à me bâillonner ?
- Vous êtes une femme incroyablement forte, et ce, à bien des égards. Vous connaissez probablement les secrets les plus déshonorants de la plupart des membres de votre noblesse. Vous savez vous battre et par conséquent vous défendre. Vous êtes suffisamment intelligente pour choisir quelle carte vous devriez abattre et à quel adversaire vous en prendre. Sans mentionner que vous avez pour époux, l'homme le plus ennuyeux du royaume !
- A vous entendre, vous essayez de me convaincre de rester, est-ce que je me trompe ?
- Je vous convaincs et vous conjure, surtout, de faire les bons choix pour vous. Croyez-moi, plus que quiconque je comprends cette envie irrépressible de vouloir tout bazarder, de vouloir tout jeter par la fenêtre et d'en finir avec cette vie où tout compte fait, nous n'avons pas grand chose à y gagner. Mais comme je vous l'ai dit : Tout n'est pas à jeter, il suffit de trouver ce qui vous plaît, ce qui vous parle, ce que vous aimez. Qui...vous aimez.
- Je ne suis pas...commença-t-elle à dire pour se justifier.
- Pas encore, mais vous le devenez. Vous le deviendrez forcément.
- Et puis-je savoir d'où vous tirez cette conclusion ?
- Il suffit de vous regarder. Cela ne trompe personne.
Honteuse, Méryl baissa la tête. Il lui fallut attendre et entendre de tels propos pour qu'elle-même le reconnaisse. Elle n'en avait ni l'envie, ni le coeur. Qu'est-ce qui l'attendrait si elle venait à l'aimer ? Qu'est-ce que son père avait demandé à James ? Un héritier ? Un digne successeur prêt à porter le nom des Valentenzia ? Voilà tout ce qu'il espérait avoir et obtenir de cette union ratée ?
- Comme je vous l'ai dit, le bateau partira en fin de matinée. Faites votre choix, mais faites-le judicieusement afin de ne pas vivre de regrets. J'ai vue trop de gens se laisser ronger par ces derniers que ça les a entièrement consumés, conclut Elian en se redressant enfin sur ses deux jambes.
- Quoique je choisisse, j'ai l'impression que peu importe... les regrets m'envahiront. Alors comment faire ?
- Prenez le choix le moins pénible à vivre ! Croyez-moi : Dix minutes de colère ne valent pas une vie d'amertume, de tristesse et de souffrance.
Tout compte fait, il n'était plus réellement question de choix à présent. Celui-ci était déjà tout fait.
Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top