Chapitre XI - Vengeance et justice sauvage - Partie 2

— Manœuvre d'encerclement ! Manœuvre d'encerclement ! hurlaient les officiers aux combattants encore aptes à lutter et batailler.

Du haut de son promontoire rocheux surplombant la petite vallée brumeuse, Isaak sur son cheval regardait l'assaut de ses hommes et le tumulte qui s'était ensuivi. Les cris de ses troupes lui parvenaient par-dessus le cliquetis des armes.

L'objectif était à présent de maintenir les derniers Waâ locks au milieu des marais. Dans ces bourbiers, ils devenaient des cibles faciles à évincer.

— Maintenez vos positions ! ordonnèrent les officiers aux soldats.

Soudain, l'air fut empli de la vibration des arcs et du sifflement des flèches. Surgie de nulle part, une dernière ligne d'archers lança une pluie de pointes qui retomba sur les monstres, empêtrés et incapables de se mouvoir pour se mettre à couvert.

— La victoire est à nous ! hurlèrent les hommes, galvanisés par cette ultime salve.

Le combat ne dura plus longtemps. Les Waâ locks, aveuglés par le soleil et pétrifiés, furent tous transpercés de part en part dans de grandes giclées de sang verdâtre puis sombrèrent sans vie dans les eaux marécageuses.

Les soldats frappèrent le plat de leurs épées contre leurs boucliers en criant leur joie et, au son des tambours, entonnèrent un chant guerrier.

« Viens-tu viens-tu

Combattre avec moi

Défendre nos terres

Et l'honneur de notre roi

Qu'il soit deux ou dix milles

Puissants et déchainés

Sous nos coups d'épées

Ils seront térrassés  »

Le seigneur de Mendoza arriva sur le champ de bataille où l'atmosphère était chargée d'humidité et d'odeur de sang. Il gratifia son cheval de plusieurs caresses avant de mettre pied à terre, puis tendit le coup pour balayer les alentours d'un œil attentif. Isaak remarqua au loin, Aalongue et son jeune compagnon qui s'occupaient de soldats mal en point, puis fit venir les officiers autour de lui.

Sa voix fut grave, ses mots solennels.

— Vous avez tous vaillamment combattu, je vous félicite... à présent, il faut soigner nos blessés et les évacuer au plus vite. Des charrettes pour les rapatriements et des vivres vont bientôt arriver ! Je veux qu'ensuite, on comptabilise les dépouilles des Waâ locks pour que je puisse faire mon rapport au roi Kårde.

— Et après, que faisons-nous d'eux ? demanda l'officier en chef.

Isaak désigna des sous- bois du menton.

— Il y assez d'arbres autours de nous ! lâcha-t-il sèchement. Vous brulerez ces créatures dans de grands brasiers. Il ne doit plus rien en rester.

Les militaires s'inclinèrent, le poing sur le torse, puis partir exécuter les ordres.

Le seigneur de Mendoza marcha un long moment parmi ses troupes pour les réconforter et les complimenter, puis il chercha un rocher pour s'y assoir. Installé en tailleur sur un gros bloc de grès aux couleurs ocre, Isaak sortit un petit carnet de sa poche puis commença à prendre de nombreuses notes. Malgré la victoire, il demeurait inquiet car trop de questions au sujet des Waâ locks restaient en suspens.


Aalongue et Gildric relevèrent un soldat qui avait les côtes brisées, puis l'aidèrent à s'installer dans une charrette déjà bondée de blessés. Tous, les yeux dans le vague, étaient mutilés et ensanglantés. Gildric, blafard, commençait à tourner de l'œil, et cela n'échappa pas son vieil acolyte.

— Tu devrais souffler un peu et te reposer au pied d'un arbre, lança Aalongue sur un ton bienveillant.

— Je ne m'attendais pas à ça ! dit Gildric en s'épongeant le front avec un mouchoir. Ses cheveux étaient collés par la sueur. Nous avons gagné mais à quel prix ?

Aalongue émit une espèce de rire sarcastique qui se termina par une toux grasse :

— Combattre des créatures puissantes et hautes de dix pieds n'est pas une partie de plaisir... et encore, il n'y avait qu'une petite horde !

Le vieil homme regarda dans les brumes, les ombres des soldats s'agiter. Elles empilaient inlassablement les cadavres élancés des Waâ locks.

— À ton avis, que va-t-il se passer après ? demanda Gildric.

— Cette bataille n'était qu'une simple vengeance ! Une justice sauvage pour calmer les populations effrayées par cette ignoble incursion de Waâ locks et éviter tout débordement. Il y aura surement, dans les jours à venir, des battues pour trouver d'autres de ces monstres et les troupes postées aux frontières seront renforcées ainsi que les sentinelles des villes.

— J'espère qu'il n'y aura pas de représailles ! s'exclama Gildric, les yeux rougis par l'émotion. Je ne souhaite jamais revivre ces journées cauchemardesques.

Aalongue tapa l'épaule de son jeune ami vigoureusement :

— Je peux me méprendre mais les Waâ locks ne sont que des prédateurs vandales qui bougent en petits groupes et attaquent que pour se nourrir. Il est peu probable que l'on en rencontre de nouveaux de sitôt. En fait, ce ne sont que des créatures sanguinaires du monde animal dirigées par des instincts primaires, et aucunes sortes d'intelligence dictent leurs actes aussi méprisables soient-ils.

— Tant mieux si les hommes n'en croisent plus ! marmonna Gildric, la gorge nouée. Que ces monstres restent à jamais dans les Terres Obscures.

— C'est justement ces questions qui mériteront d'être étudiées, lança le vieil homme. Pourquoi les Waâ locks ont-ils quitté les Terres Obscures ? Et comment ont-ils réussi ? Mais en attendant d'avoir des réponses, il va falloir reconstruire Kanji.

Aalongue et Gildric, tout en discutant de l'avenir de leur cité, virent au loin trois cavaliers qui chevauchaient à bride allure et soulevaient un nuage de poussière ocrée par les rayons du soleil. Ces derniers ne tardèrent par arriver au niveau du seigneur de Mendoza qui alla à leur rencontre.

— Hum... il doit se passer quelque chose ? grinça des dents Aalongue.


Isaak, flegmatique et droit, fit de grands signes aux cavaliers qui avaient déjà sauté de leurs montures. L'un d'eux s'avança et prit la parole en se courbant :

— Seigneur, nous faisions partie des éclaireurs envoyés aux frontières Sud-Ouest... et nous avons trouvé le corps d'un homme complètement défiguré !

Isaak arqua un sourcille, il arborait à présent une mine suspicieuse et voulait en savoir d'avantage.

— Il devait être un haut dignitaire car sa tenue et ses armes arboraient le blason de Mull Yard, continua le cavalier.

Le seigneur de Mendoza prit un air grave.

— Qu'est-ce que cet individu pouvait-il bien faire seul à la frontière ? s'étonna-t-il. C'est peut-être en rapport avec l'attaque des Waâ locks !

— Il y a autre chose de fort troublant autour de cet homme, annonça le cavalier qui tendit le bras vers Isaak et présenta une bague qu'il tenait dans le creux de sa main. Il la portait à son annulaire gauche !

L'esprit d'Isaak fusa dans tous les sens, et des perles de sueur longèrent sa colonne vertébrale. Il avait reconnu immédiatement l'anneau royal du roi Hawn. Le seigneur de Mendoza prit la bague, la soupesa puis admira la richesse et la beauté de sa couleur.

— Est-ce que... cette personne, balbutia Isaak. Est-ce qu'il lui manquait le bras droit ?

Les cavaliers s'échangèrent des regards troublés, puis répondirent par la négative.

Le seigneur de Mendoza fut soulagé et s'abandonna à un long soupire :

— Il ne s'agit donc pas du souverain Radja Hawn !

Il se retourna instinctivement vers le Sud puis marqua une pause, avant d'ajouter d'un ton pensif :

— Il se passe des choses dérangeantes à Mull Yard, et il va falloir éclaircir cette affaire.

— Nous attendons vos ordres ! dirent les trois cavaliers.

Isaak plaça délicatement la bague dans une bourse en cuir attachée à sa ceinture, puis s'exprima :

— Vous allez me récupérer le corps de ce malheureux et l'emmener à mon château ! Nous essayerons de découvrir la cause de sa mort et les raisons qui l'ont poussé à venir à Isgard.

Les cavaliers s'inclinèrent, remontèrent sur leurs chevaux et quittèrent les lieux à pleine vitesse. Isaak ne les lâcha pas du regard, jusqu'à ce qu'ils disparaissent à l'horizon, puis il fixa le ciel.

Quelques corbeaux tournoyaient et croassaient avec vivacité juste au-dessus de lui. 

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