CHAPITRE VI - Souvenirs enfouis. Partie 1



Isgard, au palais de la famille royale Kårde.


Au petit matin, Argos enveloppé dans un léger brouillard, le visage sombre, demeurait planté au pied des restes fumants du brasier de la veille. L'air était stagnant, odorant et presque palpable. Le vieux sage réfléchissait à la discussion qu'il avait eu avec Théodoros quand des bruits de pas le sortir de ses pensées. Il se retourna puis aperçut, sur un chemin en gravier, Ordos qui venait dans sa direction.

Argos trouva le chevalier fatigué ou plutôt accablé, et attendit que ce dernier l'aborde pour le saluer.

— Bonjour ! Je ne vous savais pas si matinal, dit le géant Manzy en regardant le soleil qui brillait timidement dans ciel matinal.

— Assez de sornettes, s'agaça le mage. Vous savez bien que je me lève aux aurores. Vu votre sale tête, vous êtes préoccupé et quelque chose vous tracasse ?

— Je ne peux rien vous cacher ! En effet, une chose me tourmente.

— Si c'est à cause de la plante carnivore ! Toutes les précautions ont été prises pour la sécurité du palais, rappela Argos qui fixa les cendres encore chaudes.

— Ce n'est pas l'attaque d'hier qui m'embrouille l'esprit, mais je pense que ça peut avoir un lien.

Le vieux sage fut intrigué.

— Allons boire du thé chez moi ! Vous me raconterez vos soucis, proposa le conseiller du roi Kårde.

Les deux hommes prirent une petite allée gravillonnée qui menait au côté droit du palais. Ils franchirent par une porte dérobée la muraille et saluèrent les gardes postés en hauteur pour mieux surveiller le parc, puis traversèrent la cour pavée où se situaient la fauconnerie, le laboratoire d'Argos ainsi que son habitat privé.

Le mage ouvrit la porte de son logement, puis invita Ordos à entrer.

— Attention à votre tête ! prévint Argos trop tard, car le géant Manzy venait de se cogner le front contre le linteau assez bas de la porte.

— Crottin de licorne, grommela le chevalier en se massant le front.

Ordos, qui n'avait jamais eu l'occasion de voir où résidait le conseiller de son souverain, fut désappointé parce qu'il s'attendait à découvrir une habitation immense et luxueuse.

— Euh... lâcha-t-il. Aucuns autres mots ne sortirent de sa bouche.

En fait, c'était un appartement de trois pièces, sombre et spartiate, à l'ambiance plutôt austère. La salle de séjour sans aucunes décorations, éclairée par une unique fenêtre, accueillait juste une vieille table et ses quatre chaises positionnées sur un tapis usé, ainsi qu'une majestueuse horloge ancienne qui trônait dans un coin. Dans la chambre exiguë, il n'y avait qu'un seul lit basique avec un tas de linge qui trainait dessus. La dernière pièce, quant à elle, était une ridicule cuisine où un amas de vaisselles jonchait sur l'évier.

Le géant Manzy, silencieux, s'assit sur une chaise qui craqua dangereusement. Il crut qu'elle se briserait sous son poids, et cela amusa le vieux sage.

Argos amena des tasses de thé, s'installa à la table et demanda au chevalier de tout lui raconter. Tout en dégustant sa boisson chaude, Ordos relata son rêve récurant dans les moindres détails, ainsi que ses réveils agités.

— Tout cela est bien étrange, dit le mage dubitatif.

Ce dernier proposa au chevalier de sonder son esprit grâce à l'hypnose.

— Je suis d'accord, lança Ordos. Faites ce qu'il faut pour comprendre mes songes.

— Cela ne vous fera pas de mal, rassura le vieux sage. Je vais essayer d'interpréter ces visions répétitives et cette fameuse scène bouleversante.

Argos demanda au géant Manzy de se détendre et de suivre le mouvement du grand balancier de l'ancienne horloge, puis il psalmodia des mélopées incompréhensibles.

Le chevalier tomba rapidement dans un état de somnolence puis répondit aux questions du mage. Ordos replongé dans son songe, fut incapable de dire qui était le garçonnet et ne savait pas dans quel endroit ou dans quelle époque il se trouvait.

Au fur et à mesure que la séance d'hypnose avançait, Ordos s'angoissa. Comme à chaque fin de rêves, il sortit de sa léthargie en hurlant de colère puis se releva avec violence.

— Calmez-vous, dit Argos d'une voix apaisante. Vous êtes en sécurité chez moi !

— Excusez-moi ! se désola le chevalier qui lança un bref coup d'œil prudent autour de lui. Il n'y a rien à faire, cela finit toujours pareil.

Ordos, hagard, soupira puis se rassit.

— C'est ce que j'ai constaté, fit remarquer le mage flegmatique. Ce n'est pas seulement quand vous rêver. Souvenez-vous de ce moment de rage dans mon laboratoire juste à la prononciation du nom d'une certaine sorcière.

— Oui ! Je m'en rappelle très bien. Vous pensez que cet état est lié à cette femme ?

— Votre rêve est en fait un profond souvenir de jeunesse.

— C'est ce que vous croyez ? s'étonna Ordos.

— Oh oui ! assura fermement Argos. Ce petit garçon... c'est vous !

Le géant Manzy, absorbé, se dirigea vers la fenêtre poussiéreuse puis fixa l'extérieur.

— Pourquoi je ne me souviens de rien ? se demanda-t-il.

Le vieux sage tenta d'émettre une hypothèse.

— Je pense que vous avez vraiment vécu cette situation cauchemardesque, il y a dix-huit ans de ça dans une forêt près de Lôy. Vous êtes malencontreusement tombé sur la sorcière qui a lancé la malédiction sur Ania. Cette ignoble femme vous a surpris à un moment crucial et vous a de toute évidence envouté.

— J'aurai été ensorcelé enfant ?

Argos hocha la tête d'un air soucieux.

— Vous avez subi un sortilège qui vous a fait oublier ce moment de votre vie. C'est pour cela que dans vos songes, cette fourbe reste sans visage à vos yeux ! expliqua le mage avec calme.

— Ces souvenirs sont donc enfouis dans mon inconscient et ressurgissent sous forme de rêves.

— Vous avez tout saisi ! dit Argos, affichant un pale sourire.

— Je comprends à présent un peu mieux les choses, marmonna Ordos qui se réinstalla avec fébrilité à table. Le choc est rude !

— Cependant, il y a une brèche dans cet envoutement car à chaque fois que vous entendez le nom de cette infâme ensorceleuse ! Votre mémoire veut s'activer d'où cette rancœur.

Le géant Manzy fit une moue de dégout.

— D'ailleurs, continua Argos en se grattant la barbe. Une partie de votre souvenir nous a permis d'en savoir un peu plus sur le sort utilisé par cette sorcière.

Le vieux sage se perdit dans ses pensées de longues minutes et joua avec sa tasse vide.

— Pour jeter un tel maléfice sur une personne, dit-il perplexe. Il faut obligatoirement posséder un morceau du corps de la victime à maudire comme de la peau, des cheveux ou bien du sang. Pourtant, elle a utilisé sa propre chevelure. C'est vraiment bizarre !

Ordos resta troublé, puis tapa du poing sur la table comme un furieux.

— Mon plus grand désir est de découvrir ce qu'elle m'a fait et d'enfin voir son visage.

— Si c'est votre souhait le plus cher ! annonça le mage, les yeux brillants. Je crois avoir une solution pour vous.

Le chevalier regarda Argos avec un intérêt grandissant.

— L'impératrice de Lanky a amené au palais une merveille de la nature, révéla le conseiller du roi Kårde.

— Qu'est-ce donc ? s'enquit Ordos.

— Le Lankium ! sourit le vieux sage. Et je pense que grâce à cette plante, nous allons avoir de précieux indices sur cette sorcière.


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