- Chapitre 40 -

Puis, Marie la vit enfin au loin ; les calèches se dirigeaient vers des bâtisses immenses, ordonnées et d'une architecture à couper le souffle, comme il les avait visualisé toute sa vie grâce aux encyclopédies et aux cartes de son père – qui, il devait bien l'admettre, semblait aussi cultivé qu'infâme. Il pouvait imaginer des personnes de la haute se promener ou s'en aller au théâtre, habillées pour l'occasion dans des tissus magnifiques et hors de prix venus des quatre coins du monde, sous un parapluie par ce temps pluvieux et boueux – mais la ville reposant sur des pavés dans ses souvenirs lointains, Marie se persuadait que la terre sale et mouillée, qui collait si souvent ses chaussures en cuir et sa robe lorsqu'il sautait dans les flaques d'eau, ne serait donc pas un problème flagrant ; après tout, il abandonnait la campagne lointaine et ennuyeuse pour la société riche en émotions et vibrante d'énergie, il ne pouvait pas les comparer aussi injustement !

Tandis qu'il continuait d'admirer la Ville Lumière, celle où tous ses espoirs se réaliseraient, où il pourrait être lui-même une bonne fois pour toutes, abandonnant sa fausse et pseudo identité féminine qui le rendait confus depuis sa naissance, une des roues de la voiture percuta – sans doute, la route n'était composée que de cela – un caillou qui possédaient des proportions démesuréekmjbfqivb !!ùlù ;

« Rah, Zéphir, arrête de marcher là-dessus ! grondai-je le Sibérien crème qui se baladait actuellement sur ce qui était normalement et théoriquement – un clavier d'ordinateur. Tu vas taper par erreur « Contrôle + W » ! Donc, je te le répète : descend de ce bureau TOUT DE SUITE. »

Au lieu d'appliquer ce conseil à la fois sensé et plein de bon sens, le félin posa son postérieur sur ce qui s'avérait être la touche « Z », ayant comme objectif de se décrasser à l'aide de sa langue rappeuse, et mon travail de plusieurs mois fut envahi par un nombre incalculable de sosie de cette lettre.

Mon chat venait de laisser sa signature maléfique : Z comme Zéphir.

« Zéphir... », murmurai-je, exaspéré.

L'animal à poils longs, son lavage de pelage terminé, leva ses yeux verts dans ma direction et émit un puissant : « Miaou ! », à croire qu'il me menaçait de faire ses besoins autre part que dans sa litière.

Insensible à son côté démoniaque, je le soulevai de mon bureau et le plaçai aussi délicatement que possible sur le parquet, puisque Môsieur-tête-de-cochon me griffait et me mordait, tel un T-Rex en peluche tout droit sortie d'un magasin pour enfants. En colère, il se dirigea vers sa gamelle de croquettes, entreposé devant la baie vitré menant au jardin. C'était ça, bon débarras, lui et ses longs poils qui s'envolaient partout où ça l'enchantait.

Je tentai tant bien que mal de continuer sur ma lancée créative durant les trente minutes qui suivirent, mais l'inspiration avait pris ses jambes allégoriques à son cou et la clé des champs en même temps – la sale garce. Démoralisé et flemmard désormais, je fermai mon ordi et me laissai un peu glisser de mon fauteuil.

« Je ne vais jamais réussir à le terminer, ce bouquin inachevé... », me lamentai-je à voix haute.

La seule réponse que j'eus fut un énième : « Miaou ! » de la part de mon compagnon, qui avait entrepris pour la douzième fois – au moins – sa laborieuse et complexe toilette journalière. Et alors que je comptais prolonger mon monologue de déprimé, j'entendis le bruit de griffes qui grattaient la vitre transparente, certainement avec l'idée de pouvoir gambader dans la nature, libre.

Je me sentais si soutenu, merci mon « fidèle » ami.

Pour lui montrer à mon tour mon amitié réciproque, je me mis dans la peau d'une tortue qui aurait mutée avec un escargot, empruntant ainsi leur vitesse, célèbre pour être plus que lente : interminable. Qu'est-ce qu'il n'était pas content, cet impatient ! « Chaque chose en son temps. », non ? Donc, la priorité numéro un devait être mon « Adrien Blues », et non le chat et son envie de déchiqueter les oiseaux, mulots et diverses créatures mignonnes et en bas de la chaîne alimentaire !

Une fois la bride sur le cou, le félin âgé de deux ans repéra immédiatement un pauvre moineau ; la future victime de ses crocs acérés et assoiffés de sang ?

Je m'assis sur le rebord de la terrasse, admirai sa tentative de cerner la proie encore plumée, qui finit par s'envoler – alors qu'il n'avait pas franchi les trois mètres qui les séparaient. Outré, Zéphir revint vers moi pour obtenir ce qu'il adorait par-dessus tout : les caresses. Ce que je fis – j'étais TRÈS faible.

« Pffff..., soupirai-je en grattant le ventre de l'animal sur le dos, qui se dandinait devant moi. Mais qu'est-ce que je fais, franchement ? J'ai vingt-huit ans, un chat sacrément lourd par moment et câlin quand ça l'arrange, un meilleur ami trop occupé par son nouveau boulot, un frère qui va devenir psychologue sous peu, un livre qui n'en voit pas le bout et une... Euh, et une..., repris-je, tentant de trouver ce mot qui chatouillait ma langue. Et quelqu'un qui m'est très précieux à l'autre bout du pays. Quelle histoire de merde. »

Le pire : toutes mes déclarations étaient vraies.

Ma vingt-huitième année marquant mon existence se consumait lentement pour laisser place à la prochaine. Zéphir avait son côté chaton en lui qui le rendait si lunatique. Le métier d'avocat, à Nantes, de Lucas remplissait son emploi du temps.

Puis, je savais qu'il avait peur de venir me voir, à cause de Jérémie ; quatre ans auparavant, ce gros idiot – bien que fin physiquement – était allé chez lui pour lui donner un coup de poing en pleine figure, car il n'éprouvait pas les mêmes sentiments que Léa MENIER à son égard – était-ce vraiment une faute grave ? Résultat : œil au beurre noir pour Lucas et engueulade pour Jérémie – de ma part, bien entendu.

Et comment cet abruti pouvait devenir psychologue ? Entre professeur de français dans un lycée – moi – et des études de psychologie... Le choix était vite fait pour mes parents, j'en étais persuadé. Parce qu'effectivement, sa fac et son avenir tout tracé me complexaient énormément : Jérémie était le genre de personne extravertie, prêt à faire la fête, réussissant tout ce qu'il entreprenait. Et moi ? Mon livre n'avançait pas d'une miette et mon métier n'était pas le plus excitant au possible, comment pouvais-je rêver encore là-dessus ?

Et Manon.

Elle vivait avec sa grand-mère, loin de moi, et terminait ses études de médecine générale. Nous nous rendions visites dès que nous pouvions, mais les occasions étaient si rares ! Et pouvions-nous nous considérer comme un véritable couple ? J'aspirais à un « Oui, bien sûr ! »... Seulement, je doutais : peut-être ne m'aimait-elle plus à force de travailler avec cette distance effroyable ? Avait-elle rencontrée quelqu'un d'autre ? Une aventure d'un soir ? Une histoire amoureuse stable ? Un mariage ?! Des enfants ?! Un chien et une piscine en prime sous un ciel étoilé non pollué ?!...

Manon, heureuse sans moi ?

« AAAAARGH ! », criai-je, effrayant un passereau qui aurait pu servir de dîner à Zéphir sans mon intervention utile – il pesta à mon intention, par la suite.

À ce moment précis, je fis ce que n'importe quel adulte au monde effectuerait dans ce genre de situation – c'est-à-dire, songer à l'éventualité que la personne aimée ait pu se construire une vie sans nous, crédules humains abandonnés à la vieille station essence de l'Existence – et enclenchai l'opération nommée TCELG.

Tête Coincée Entre Les Genoux.

Je le savais déjà : ce nom de code claquait purement en ne restant qu'en abrégé.

Donc, c'était dans cette position plus qu'absurde et mon moral terre à terre que la sonnerie retentit. Je jetai un rapide coup d'œil à ma montre : vingt-heures trois. Typique de la voisine, qui venait souvent et hasardement se plaindre de Zéphir, qui laissait tout le temps son odeur sur ses fleurs ?

La sonnerie résonna encore, me convaincant de laisser mon amertume dehors avec Zéphir. Pourtant, lorsque j'arrivais au niveau de l'entrée, le son de poings s'abattant sur la porte me surprit. Depuis quand Mme.DUPAS s'énervait aussi facilement ?

Réponse simple : ce n'était pas Mme.DUPAS.

Une tête arrondie, des prunelles marron à la fois éclatantes et sombres derrière des lunettes rondes et propres, un sourire qui ne se voulait pas aussi expressif – résultant ainsi en mimique bizarre –, des cheveux bruns, en bataille et coupés au niveau de la nuque, des tics au niveau des doigts, un manteau arrivant aux cuisses, un vieux jean, des baskets usées et un énorme bouquet de roses blanches.

Manon.

« Salut. », articula-t-elle de sa voix claire et grave.

Elle était là.

« Hé, Adrien. »

Je nageais en plein rêve, ce n'était pas possible. Ça semblait si réel, pourtant...

Je n'eus pas une seconde de plus pour réfléchir à cette scène aussi improbable qu'inattendue, puisqu'une douleur brusque au niveau du front me sortit de ma torpeur :

« Non, mais tu te moques de moi ?! me réprimanda la petite brune, le poing sur la hanche. Je suis là, sur ton palier, après je-ne-sais-combien-de-temps, mon diplôme de médecine enfin en poche, pour me retrouver devant un espèce de grand légume sur pattes qui n'arrive même pas à– »

Je ne tins plus en place longtemps et mes bras, jusque-là inertes, décidèrent de l'étreindre. Je sentis la surprise que cela lui procurait, puisque le bras qui tenait fermement les fleurs se levait pour l'écarter du danger et le préserver de son éclat. D'ailleurs, elle s'écria :

« Fais gaffe aux roses, elles m'ont coûtées la peau des fesses ! C'est tellement cher, ces trucs qui fanent en moins de trois jours, même si on utilise leur produit miracle à la mords-moi-le-nœud. »

Je rigolai comme un idiot, respirai une grande goulée d'air et avouai :

« Toi et ta mauvaise humeur m'avez manquées. »

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