- Chapitre 32 -
« Donc, tu es... Tu es amoureuse de Charlotte ? »
Cette phrase prononcée du mieux que je pouvais, j'avais du mal à tout enregistrer et analyser. Il fallait me comprendre : apprendre du jour au lendemain que sa meilleure amie de primaire aimait celle du collège étonnerait, chamboulerait, frapperait de stupeur n'importe qui !
J'observai Louise qui était toujours allongée sur le sol. Ses yeux, aussi vides que ceux d'un poisson mort, fixaient dorénavant le plafond gris foncé. Quant au reste de son visage, il était inexpressif.
Elle finit par articuler un :
« Oui. »
Après avoir affirmé cela, Louise se leva précipitamment et se tourna vers moi. Ses traits, normalement rieurs, ne représentaient rien du tout, ce matin.
Je me trouvai devant une nouvelle face d'elle que je ne connaissais pas.
Me faisait-elle une blague ? Non, Louise n'oserait pas. En plus, elle détestait ce genre de moqueries sur les homosexuels... Elle était homosexuelle ? Depuis quand serait-elle amoureuse de Charlotte ? Qu'allait devenir leur amitié ? Et... Qui allais-je soutenir dans leurs histoires de cœur : elle ou Charlotte ?
Je me reconcentrai sur Louise, ne voulant pas succomber à la tonne de questions et d'angoisse qui m'envahissait, désormais. Celle-ci, en croisant mon regard, baissa la tête aussitôt et murmura d'une voix blanche :
« Est-ce que tu... Tu trouves ça dégoûtant ? »
Ses paroles me ramenèrent à la réalité : en face de moi, il y avait une fille qui m'avouait une des choses les plus difficiles au monde à dévoiler et qui, de plus, n'était autre que ma meilleure amie. Je n'avais pas le droit de lui faire penser qu'elle était « dégoûtante » !
« Bien sûr que non ! contestai-je instantanément. J'étais juste surprise... Je le suis encore, d'ailleurs. »
Elle ne rétorqua rien, ne bougea pas, fit comme si ma réponse ne l'avait pas atteinte, mais je perçus chez elle un sentiment bien distinct : le soulagement.
« Je vois... », glissa-t-elle seulement, avant de s'asseoir – ou plutôt, de s'effondrer – sur le canapé.
Maintenant, je ne la voyais que de dos. Pourtant, je remarquai des tremblements au niveau de ses bras et sa tête restait toujours vers le bas, fixant certainement ses pieds.
« Tu connais le complexe d'Œdipe ? me demanda soudainement Louise.
- Euh..., cafouillai-je, ne comprenant pas très bien le rapport. Oui, pourquoi ?
- J'imagine que tu l'as eu avec ton père, continua-t-elle de suite, convaincue par sa supposition. Moi, quand j'étais petite, c'était avec ma mère. Je voulais me marier avec elle. Mais je ne l'ai jamais montré et ai fait croire que c'était avec mon frère, Julien, car j'avais déjà compris que ce n'était pas... Pas considéré comme « normal », chuchota-t-elle durement. Mes parents me parlaient souvent de mon éventuel mari, persuadés que j'étais hétéro. Alors, je n'avais pas mis longtemps à saisir que je devais leur cacher mon intérêt pour les filles. D'ailleurs, je n'ai jamais pigé ça : pourquoi on part sans arrêt du principe que toutes les personnes sur Terre sont hétérosexuelles ? »
Sachant que je ne savais pas comment lui répondre – et que je n'oserais pas, surtout –, Louise reprit au bout de quelques instants :
« En primaire, je n'arrêtais pas de me surprendre à trouver Cassiane jolie, notre professeure jolie... Toi-même, je te trouvais jolie. Normal, j'étais encore qu'une enfant ; je découvrais le monde, ainsi que sa population : les filles et les garçons. Bon, les filles m'intéressaient déjà bien plus qu'eux... Voire, les effaçaient carrément de mon champ de vision. Logique, puisque j'aimais... Non. Puisque j'aime les filles. Je suis homo. »
Je savais que Louise répétait sans cesse cette vérité pour que je « m'habitue », mais je n'en avais pas besoin. Le fait qu'elle soit lesbienne ne me dérangeait pas, bien au contraire !
Néanmoins, me divulguer à la fois son orientation sexuelle et l'identité de celle qui lui avait fait connaître l'Amour – un A majuscule, merci – le lendemain du Réveillon, à onze heures...
Effectivement, ça pouvait me mettre un peu en état de choc !
« Puis, poursuivit-elle de nouveau, toujours de dos, vint le jour de notre rentrée en Sixième. Tu te souviens que nous n'étions pas dans la même classe ? Question idiote : évidemment que tu t'en rappelles... J'étais dans celle de Charlotte ; nous étions voisines. Lorsque je l'ai vue pour la première fois, aucune pensée ne m'était spécialement venue à l'esprit. Mais lorsque j'ai compris que le regard des autres la mettait horriblement mal à l'aise, je lui avais proposé de rester avec nous deux. Et plus l'année avançait, plus je l'appréciais. »
Elle marqua un temps de pause et plongea la maison dans le silence le plus complet, cherchant ses mots pour se remémorer et me narrer les évènements qui allaient suivre.
Soudain, Louise enchaîna d'une voix très dure :
« Quand Sébastien et ses abrutis de copains l'ont surnommée « Boule Choco », à cause de sa petite taille et de sa rondeur, tu revois la scène ? D'un côté, t'avais les petits cons de service qui rigolaient. De l'autre, t'avais moi, énervée, balançant mon sac par terre et m'élançant à leurs trousses pour les tabasser. Je m'en étais plutôt bien sortie et avais même fait tomber la dernière dent de lait de Sébastien ! Il aurait quand même pu me remercier de ce service, plutôt que d'aller courir chez le directeur, suivi de ses copains, sous les jupons de leurs mères. Non, mais je te jure... Quelles chochottes, ces mecs, soupira-t-elle. Vu les circonstances, le directeur avait passé l'éponge, en échange de quoi ils s'excusaient auprès de Charlotte et moi devant leurs parents – si t'avais vu leurs têtes outrées, lorsque je leur avais lancé : « Vos petits « anges » sont très mal élevés, Chères Mesdames. », hilarant ! Après ça, ils ne l'embêtaient plus. Et c'est quand Charlotte m'a remerciée avec son sourire que j'ai compris : je ressentais pour elle... de l'amour. »
Brutalement, Louise se retourna vers moi.
« Eh, t'es la seule et première personne à qui j'ai fait mon coming-out. Alors, un peu de discussion, ça ne ferait pas mal ! s'écria-t-elle, entre l'énervement et l'amusement.
- Excuse-moi... », soufflai-je, honteuse de moi.
Elle tira une moue boudeuse, se mit encore dos à moi et entama un nouveau monologue :
« Charlotte a toujours été quelqu'un de très complexé et stressé. À chaque fois que je m'en rendais compte, j'avais juste envie de lui dire que je l'aimais, qu'elle n'avait pas à s'inquiéter des autres, que je lui suffirai largement, que nous pouvions devenir un couple heureux, voire exemplaire ! Mais je ne lui en ai jamais fait part, car je savais bien qu'elle ne... s'intéresserait jamais aux filles. Pourtant, j'ai espéré sans cesse qu'elle me voit différemment des autres... Quel mal y avait-il à être bi ? »
Elle se stoppa.
« Mais, au début du premier trimestre..., recommença-t-elle, chuchotant presque. J'avais compris qu'elle était amoureuse de quelqu'un. Ça se voyait à son attitude, comme si elle planait entre deux dimensions. C'était le résultat de cet Henri, là... Qui me ressemblerait, par-dessus le marché ! Non, mais c'est du foutage de gueule ! La fille que j'ai aimée durant plus de quatre ans sort avec un garçon qui me ressemble ?! Ah, bah génial ! J'avais vraiment besoin d'un coup de couteau en plus dans la poitrine ! E–
- Tu comptes te déclarer à elle ? », demandai-je précipitamment, ne tenant plus après tant de révélations.
Louise resta immobile – je le devinai à son dos figé – et rigola un peu et très bas.
« Jamais de la vie. Ce que je veux avant tout, c'est son bonheur. Du moment qu'elle est heureuse avec ce gugusse, ça me va, je vivrai avec. Et puis... Je suis certaine qu'elle aurait pitié de moi, si elle le savait. »
Alors que j'allais essayer de répliquer quelque chose d'audible, Louise se leva, fit semblant de dépoussiérer son pantalon et déclara :
« Allez, arrêtons-nous ici, l'ambiance est super lourde. Je vais rentrer chez moi, ça vaut mieux. »
Elle se précipita sur ses affaires, puis enfila son manteau, son bonnet, son écharpe et ses gants. Une fois devant la porte, Louise voulut, tant bien que mal, changer l'atmosphère :
« T'inquiète pas, va. J'suis venue en vélo et le jus de pomme ne trouble pas la vue : je peux donc conduire ! »
Elle esquissa un petit sourire que je tentai de lui rendre, sans paraître coincée. Rire après cette conversation, ce n'était pas simple.
« Et... Désolée de t'avoir raconté tout ça. C'est sorti de ma bouche avant que je m'en rende compte. », confessa-t-elle, de nouveau tout bas, comme si elle était devant un inconnu qui se devait de connaître sa vie.
Avant que je ne puisse émettre quoi que ce soit, la poignée s'abaissa et la porte s'ouvrit, donnant sur mes parents qui, ne nous remarquant pas tout de suite, entrèrent dans la pièce, leurs sacs à la main ou sous le bras.
« Oh, bonjour, Louise ! salua gentiment ma mère avec un visage lumineux, l'apercevant enfin.
- Et bonne année ! compléta mon père, affichant la même tête que la personne à ses côtés.
- Bonjour. Et bonne année. Excusez-moi, mais je dois rentrer dans la seconde, ou je vais me faire disputer, prétendit Louise en restant polie. Salut, Manon. »
Puis, elle sortit de la maison. Lorsque j'entendis la porte claquer, ma cervelle m'ordonna de poursuivre dehors mon amie et de lui parler davantage.
Mieux la comprendre... Mieux la soutenir...
Mieux l'aider à accepter le choix de Charlotte.
N'écoutant alors que mon instinct, je me ruai vers la poignée.
« Où est-ce que tu crois aller, comme ça ? », résonna la voix froide de ma mère.
Mon bras suspendu dans les airs, j'hésitais : sortir ou rester ?
Finalement, j'osai répondre :
« J'ai oublié de parler de quelque chose avec Louise.
- Les téléphones, ça existe, dit-elle simplement.
- Mais c'est très important. »
Dès la fin de ma phrase, ses talons claquèrent sur le sol et une main agrippa une de mes épaules. Je sentis ses ongles voulant pénétrer dans ma chair.
Elle me faisait terriblement mal.
« Tu sais pourtant ce qui se passe quand tu me désobéis, non ?
- Si, je le sais.
- Alors, va travailler. », exigea-t-elle.
En montant les marches, je regardai la porte qui menait à l'extérieur et deux pensées spécifiques me traversèrent l'esprit.
La première : ma mère me faisait chier au mauvais moment.
La seconde : j'étais une amie épouvantable.
Puis, une troisième vint, lorsque mon regard se posa sur la « Pièce Inutile » : je la détestais vraiment, cette pièce.
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