- Chapitre 27 -

« Adrien, je t'assure que t'as une de ces têtes de cul... », me répéta pour la cinquième fois Sébastien, assis à côté de moi dans les escaliers menant aux laboratoires de S.V.T. et de physique-chimie.

Effectivement, je n'avais pas bonne mine : ma peau pâle et mes cernes creux n'étaient pas beaux à voir. En plus, j'étais d'une humeur de chien, aujourd'hui, ce qui n'arrangeait pas mon état. Tout ça à cause des cauchemars de la nuit dernière...

« Eh, Adrien, je te cause ! s'écria Raphaël, un métisse qui avait redoublé son année de cinquième.

- Hein ? Euh... Oui ? bégayai-je.

- Je te disais que tu n'avais pas à t'inquiéter pour ça. Les filles t'adorent tel que tu es ! Par exemple, il y avait deux meufs près des toilettes qui te trouvaient, je cite, « trop craquant avec tes cheveux en pétards », ce matin.

- Et ce ne sont pas les seules, rajouta Antoine, un blond mesurant un mètre quatre-vingt. D'autres disent que ça fait ressortir ton « côté sauvage ».

- Les gars ont raison ! revint à la charge Sébastien. Ça te rend... sexy ? »

Tandis qu'ils continuaient à me « réconforter » de mon « malheur », je me demandai une seule chose : « Est-ce que Manon m'avait vu ainsi ? ». C'était l'unique truc important pour moi. Je me sentirais tellement nul, si elle me voyait comme ça ! Surtout après mon speech d'hier ; en plus de me prendre pour un gars qui avait peur des filles – je m'étais rendu compte de cette conséquence de ma « déclaration » en me brossant les dents –, elle penserait sûrement que je n'étais même pas foutu de bien m'habiller. Un vrai raté de service, quoi.

Je soupirai. Pourquoi ce genre de chose n'arrivait qu'à moi ?

« Sinon, Adrien, comment ça marche avec Cassiane ? demanda Sébastien, pris soudainement d'un nouvel intérêt pour moi.

- Tu le sais déjà : c'est impossible entre nous deux.

- Mais je te dis qu'elle peut être sympa, quand elle veut ! renchérit-il, sûr du talent de son poulain.

- Sûrement, mais j'aimerais qu'elle le soit tout le temps et non « quand elle veut », rétorquai-je, énervé de repartir sur ce sujet normalement clos depuis quelques semaines.

- D'ailleurs, débuta Antoine, elle t'avait dit quoi, lundi ?

- Ah... Elle voulait juste... »

Tiens, ce qui s'était passé lundi me rappelait quelque chose. Mais quoi ? Je me grattais la tête, pensif. Avec qui en avais-je parlé, déjà ? Des mots me revinrent en mémoire : « Si c'est à propos de toi et Cassiane, je suis au courant depuis lundi. »...

MANON ! MANON M'AVAIT DIT ÇA À LA PISCINE !

Immédiatement, je fus pris d'un gros doute : avais-je bien clarifié ce point et expliqué que ce n'était pas elle, la fille que j'aimais ? Peut-être pensait-elle encore que c'était Cassiane !

Nerveux, je mis mes mains dans mes poches. Seulement, je me rendis compte qu'un papier se reposait dans celle de droite. Je le pris et vis que c'était mon billet d'absence pour demain, car j'avais un rendez-vous chez l'orthodontiste. Mais... En voilà une excuse pour abandonner ma « bande » et partir à la recherche de Manon !

« Désolé les gars, mais je dois aller au secrétariat donner ça. À tout à l'heure ! », leur annonçai-je, tout sourire – voire trop –, avant de me dépêcher de partir en direction des casiers.

Je traversai la cour, sous les regards de nombreux élèves. Quand certains avaient la « chance » de croiser le mien, ils baissaient automatiquement les yeux. À quoi ça servait de m'observer, alors, si c'était juste pour m'éviter ? Des fois, je ne les comprenais vraiment pas. Manon, elle, ne baisserait pas ridiculement sa tête ! J'étais même persuadé qu'elle ferait tout pour tenir le plus longtemps possible.

Elle, au moins, ne me considérait pas comme un « Dieu vivant » – sérieusement, un Dieu, quoi ! C'était de loin la seule élève de cet établissement à me percevoir normalement, sans aucune prise de tête, sans tenter quoique ce soit pour me parler ou me draguer – même si la dernière chose ne me dérangerait pas trop, finalement...

J'étais amoureux d'elle pour cette raison, en fait.

Une fois à mon casier, je pris mon sac à tire-d'aile, car je sentais que j'étais encore sous les projecteurs, comme une star de cinéma. Non, ma « popularité » ne me montait pas à la tête, j'étais juste devenu paranoïaque avec ces conneries sur ma « beauté » dont certaines – pas toutes, heureusement ! – filles débattaient dessus toute la journée.

Y avait des jours où je n'avais vraiment pas envie de me lever de mon lit.

Dans le couloir nous permettant de nous rendre au secrétariat – qui nous reliait directement au collège –, j'eus la chance de ne croiser personne. Ça faisait toujours des paires d'yeux de moins.

En attendant, je devais réfléchir à ce que j'allais sortir à Manon pour justifier mon « rendez-vous » – je n'arrivais pas à croire que j'utilisais ce mot – avec Cassiane. Pour ça, je ne voyais que deux solutions : soit je lui déballais toute la vérité sur cette rencontre assez gênante, soit je lui révélais l'identité de celle qu'elle surnommait la « Mystérieuse Chanceuse ».

La première option était largement envisageable, mais n'était pas non plus complétement à mon avantage. Tant pis, fallait faire avec.

Soudainement, je fus projeté en avant, perdis l'équilibre et manquai de tomber par terre, si je ne m'étais pas rattrapé à une des colonnes qui soutenaient le préau du couloir, donnant vue sur la cour. Énervé, je me retournai vers la personne qui avait tenté de me tuer. Je fus surpris de découvrir un garçon brun, plus petit que moi, portant de grosses lunettes noires, et un peu enrobé. Celui-ci me fixait en tremblant.

Savoir que je pouvais effrayer autre chose que ma propre ombre me faisait bizarre.

« Ah... Euh... Je... », tenta-t-il de s'excuser en faisant de grands mouvements rapides avec ses mains, tel un homme politique lors d'un discours.

Pendant qu'il me noyait de bégayements, je remarquai plusieurs livres étendus au sol. Parmi eux se trouvait La Part de l'Autre. Hi, un livre philosophique ! Ça faisait du bien d'en voir un dans ce lycée ! Eh, mais Le sumo qui ne pouvait pas grossir était là aussi ! Oh, il y avait également La Secte des égoïstes. La chance, je ne l'avais pas, celui-là !

Sans plus attendre, je ramassai ses livres et les lui tendis. L'inconnu – un bien grand mot pour quelqu'un de mon âge, mais je ne savais pas comment le désigner autrement – hésita à les reprendre, craintif. Puis, il osa les récupérer, la tête baissée.

« T'es un fan d'Éric-Emmanuel SCHMITT, toi, je me trompe ? questionnai-je en faisant mon maximum pour paraître sympathique, malgré mon aspect semblable à un fantôme.

- Oui... », murmura-t-il, toujours penché vers le centre de la Terre.

Bizarrement, il m'était un minimum familier. Je me baissai pour mieux le voir – ce qui ne manqua pas de l'apeurer un peu plus – et l'illumination me frappa de plein fouet :

« T'es dans ma classe, toi ! Lucas RASSEAU, c'est bien ça ? »

Lorsque je dis son prénom, mon camarade devint encore plus blanc que moi. Ses petits genoux tremblaient et ses iris noirs se baladaient partout, cherchant un moyen d'échapper à mon « courroux ».

Finalement, il opta pour la fuite et prit ses jambes à son cou. « Super... Moi qui pensais avoir enfin trouvé un autre fan de lecture ici, c'est pas gagné... », réfléchis-je, déçu. Je repris donc la route et m'aventurai dans la salle du secrétariat, où un groupe de collégiens – sûrement des quatrièmes – regardaient des photos accrochées au mur en face du bureau de la secrétaire. Celle-ci semblait absente, en prime.

Je m'assis sur un des fauteuils mis à notre disposition et attendis. Les quatre collégiens partirent entre-temps et je me retrouvai tout seul dan–

« Tu as encore touché un cœur avec une de tes flèches, quel chasseur. », formula une voix claire à ma gauche.

Je sursautai sur place, puis tournai ma tête en direction de la personne qui s'était adressée à moi. Et, même si je ne l'avais pas regardé, j'avais reconnu facilement que c'était elle.

« Manon, tu ne pouvais pas apparaître plus en douceur ?

- Parce que t'as peur de moi aussi, en plus de la « Mystérieuse Chanceuse » ? Ben, mon pauvre, t'es pas sorti d'affaire, ironisa-t-elle, comme à son habitude.

- Ce n'est pas moi, c'est mon–

- Ton « ami », oui, je sais. Mais merci quand même de me le rappeler. Sinon, pourquoi tu es là ?

- Juste pour un billet d'absence. Et toi ? demandai-je à mon tour.

- Oh, j'ai simplement perdu mon agenda. En attendant, je guette l'arrivée de Josette depuis plus d'un quart d'heure et ça commence à m'énerver. », siffla Manon entre ses dents, les pieds croisés et les mains dans les poches de son gilet.

Était-ce le moment pour lui parler de Cassiane ? Je pensais que oui.

« Manon, à propos d'hier, je–

- Ah oui, tiens, c'est bien que tu m'en parles ! s'exclama-t-elle. Tu m'avais dit que tu étais amoureux d'une fille, mais, si tu continues à faire en sorte que tout le monde tombe à tes pieds, ça ne va pas être évident de lui montrer que tu es sérieux pour une éventuelle relation. Sérieusement, t'as pas remarqué le quatrième qui te dévorait des yeux, y a même pas cinq minutes ? C'était le grand dadais avec des cheveux noirs, me précisa-t-elle en mimant sa grandeur et ses cheveux. Ça doit être l'effet de ton... De ton « style » d'aujourd'hui. »

L'espace d'un instant, le fait que Manon ne devait pas me voir dans cet état m'était complétement sorti de la tête. Mais ça n'avait plus trop d'importance, maintenant... Enfin, j'essayais de m'en persuader.

« Je ne pense pas que ça te dérangera..., murmurai-je.

- T'as dit quoi ?

- Rien ! m'écriai-je, paniqué. Je parlais juste de Cassiane !

- Qu'est-ce qu'elle vient faire dans la discussion ? interrogea Manon d'un œil suspicieux.

- Eh bien... Je ne t'avais pas dit ce qu'il s'était passé, lundi. En fait, elle m'a fait tout un charabia sur notre « couple »... Et qu'on devait être « forts »... », lui avouai-je, extrêmement gêné.

Comment allait-elle réagir ? Je ne voulais pas trop savoir, en définitive. Et si elle me faisait la tête ? Oh non ! Je n'aurais plus aucune chance de pouvoir vraiment me déclarer, ensuite ! Pourquoi avais-je signé mon arrêt de mort ?! Mais qu'est-ce que j'avais f–

« OK. », dit-elle seulement, les yeux toujours scotchés sur le bureau vide du secrétariat.

Je stoppai mes lamentations mentales et orientai mon visage dans sa direction, à la fois furieux et baba.

« Pardon ? énonçai-je sur un ton sec.

- Comment ça, « pardon » ? reprit-elle, après s'être tournée vers moi. Tu voulais que je te dise quoi, exactement ? « Oh, pauvre petit Adrien ! La vie ne t'a pas fait de cadeau, les gens t'aiment, quelle calomnie ! Tu n'as pas de chance ! » ? se moqua-t-elle en prenant une voie aigüe.

- Non, mais... »

J'aimerais lui dire que j'aurais juste aimé qu'elle soit un peu fâchée. C'était idiot – surtout après m'être plaint et avoir craint cette possibilité –, mais ça m'aurait prouvé qu'elle tenait à moi. C'était vraiment tiré par les cheveux, par contre... Mais ça m'aurait vraiment fait plaisir.

Alors que je comptais lui sortir une excuse bidon, Josette – la secrétaire – revint enfin de sa pause et nous incita à venir la voir.

« Est-ce que vous auriez trouvé un agenda, ce midi ? commença Manon.

- En effet, quelqu'un nous en a ramené un, mais nous ne savons pas qui. », expliqua Josette, tout en farfouillant dans la boîte des objets trouvés.

Elle finit par lui tendre un agenda noir. Manon le saisit en la remerciant, puis sortit de la pièce. Si je me dépêchais, je pourrais la rattraper !

Je donnai vite-fait-bien-fait mon papier à Josette et m'élançai à la poursuite de Manon, car je souhaitais encore parler un peu avec elle. De quoi ? Aucune idée. Je trouverais bien une excuse valable.

Lorsque j'ouvris la porte, je la vis immobile, plus loin. Elle lisait son agenda. Je m'approchai furtivement pour voir également ce qui semblait intéressant et me positionnait à sa droite, ma tête près de la sienne, par-dessus son épaule. Mais, dès que je vis le contenu de son agenda, mes yeux durent sortir de leurs orbites : Va crever, connasse. Espèce de pouffiasse ! T'es qu'une pauvre conne. Personne ne t'aime, tu pues du cul ! Salope !

Manon tournait les pages, comme si de rien n'était, et analysait attentivement chacune de ces phrases « sympathiques ». Monté sur mes grands chevaux, je m'emparai de son agenda et Manon pivota, surprise par ce geste.

« C'est quoi, ça ?! réclamai-je, son agenda dans mes mains. Tu peux m'expliquer ?!

- Qu'est-ce que tu veux que je t'explique ? Des abrutis ont perdu leur temps, c'est tout, rétorqua-t-elle, pas choquée par cette intimidation à son égard. Allez, rends-moi ça. Je vais aller le jeter à la poubelle.

- Manon, tu ne dois pas prendre ce comportement à la légère ! », protestai-je, montrant une de ces horreurs avec mon index.

Elle expira un grand coup de façon bruyante. Puis, elle se planta devant moi, m'arracha ce qui lui appartenait de mon emprise et déclara sèchement :

« Laisse tomber, ce n'est rien de grave. »

Alors qu'elle commençait à s'en aller, je l'attrapai par le poignet.

« Tu te rends compte de ce que tu dis ?! Il faut en parler au directeur au plus vite !

- Oui, bien sûr. Je me vois bien arriver avec mon agenda, dans son bureau, et pleurnicher en disant : « Ouin, on a tagué dans mon agenda, je suis triste, ouin ! ». C'est qu'un agenda, pas la peine d'en faire un fromage. Donc, lâche-moi, s'il te plaît.

- Mais, Man–

- Bon, me coupa-t-elle, écoute-moi bien : je m'en contrefiche de cette bande de gogol qui n'a rien d'autre à foutre que « m'intimider ». Comparer à eux, je n'ai pas de temps à dépenser dans ces conneries et à savoir qui c'est. Maintenant, si tu veux bien m'excuser, je dois aller en français, parce que je reprends à treize heures trente. », termina Manon en se dégageant le bras.

Et elle disparut de mon champ de vision, lorsqu'elle tourna à gauche pour rejoindre sa salle de classe.

Je n'allais pas laisser tomber cette affaire aussi facilement, Manon.

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