Secrets de famille

Ma soeur resta longtemps inquiète à l'idée que le prince vienne la tuer. Elle ne dit rien devant Alice, mais lorsque cette dernière nous laissa seule, elle reprit son discours sur la nature malfaisante du vampire. Elle me supplia de retourner à la maison et d'oublier toute cette histoire, ou au moins de faire appel à nos frères qui pourraient le tuer. Je lui répondis d'un ton ferme qu'il en était hors de question. Elle soupira et ne me parla plus jusqu'au soir. Elle ne sortit de son mutisme que lorsque le prince vint nous chercher pour le dîner. Je le suivis sans aucune hésitation, mais Ariana eut beaucoup de mal à faire de même. Le prince sembla attristé par le comportement de ma soeur. Mais il se ressaisit devant moi et afficha un sourire particulièrement charmeur lorsque je m'approchai de lui. Il m'invita à m'asseoir en face de lui à table. Un délicieux repas nous fut servi, ce qui effaça un instant les craintes de ma soeur et lui remplit l'estomac. Nous parlâmes un peu avec le prince après avoir mangé. Puis il nous proposa d'aller faire un tour dans la forêt. D'après lui, elle était somptueuse de nuit. Ma soeur hésita un instant avant de suivre mon exemple et d'accepter l'invitation du prince. Ce dernier nous mena aux écuries où nous attendaient les chevaux. Tornade était toujours là. En le voyant, ma soeur lâcha une exclamation de joie et d'émerveillement. Le cheval l'accueillit d'un renâclement content et frotta sa tête contre elle. Un jeune palefrenier le sella. Lorsqu'il fut prêt, le prince le mena par la bride dans a cour. Il avait également un autre cheval en main: une jument à la robe d'encre luisante, au caractère fougueux et presque sauvage. Ma soeur eut un peu peur en l'approchant. Le prince m'aida à monter sur le dos de Tornade, puis il fit monter ma soeur sur sa jument, non sans un premier refus des deux êtres concernés, et monta derrière elle afin de la tenir. Ariana me lança un regard terrifié lorsque le prince lança sa jument au trot. Tornade suivit aussitôt et le prince obligea sa jument à rester à hauteur de mon cheval. Il faisait frais sous les arbres et la nuit rendait chaque ombre mystérieuse et assez inquiétante. Je restai vigileante. Le prince le remarqua et me dit:

- Vous n'avez rien à craindre, Elizabeth. Tant que je suis là, vous ne risquez absolument rien.

Tornade fit un écart pour éviter une branche et je manquai de tomber. Sans que je comprenne comment, le prince se retrouva derrière moi, m'entourant de ses bras pour m'empêcher de tomber. Un léger sourire fendit son visage lorsqu'il me murmura:

- Enfin... tant que vous ne tombez pas de votre monture...

Je ne pus détacher mon regard de son visage pendant quelques instants. Puis ma soeur nous ramena à la réalité en lâchant une exclamation de surprise quand la jument du prince tenta une foulée de galop. En un éclair, ce dernier se retrouva de nouveau derrière ma soeur, à retenir l'animal. Nous continuâmes à marcher un peu sous les arbres, puis nous finîmes par arriver dans une clairière où la lune déversait une légère lueur argentée. Sous les arbres, j'aperçus une ombre. Je plissai les yeux. C'était un être humain, j'en étais persuadée. Mais qui pouvait se trouver ici à cette heure ci? Le prince remarqua mon trouble et me demanda:

- Vous avez vu quelque chose, ma chère?

-Il y a quelqu'un, là-bas, lui répondis-je en désignant l'endroit exact.

Le prince fronça les sourcils en regardant dans la direction que je lui indiquais. Il arrêta sa monture et deux secondes à peine plus tard, nous entendîmes un cri en provenance du fourré. Le prince réapparut alors, tenant Alice par les cheveux. Cette dernière hurlait de douleur. Son apparition me laissa sans voix.

- Alice? fis-je d'une voix étonnée. Que fais-tu ici?

Le prince la relâcha devant ma monture. La jeune servante tomba à genoux en larmes devant moi.

- Pardonnez moi, mademoiselle, bredouilla-t-elle. J'avais vu une étrange créature dans la forêt, je voulais voir de quoi il s'agissait...

- Quel genre de créature? demanda le prince d'une voix qui n'acceptait aucun mensonge.

-Une espèce de loup énorme, répondit la jeune fille d'une voix transformée par la peur. Il était entièrement noir et il avait des yeux d'un rouge terrifiant... j'ai voulu voir où il allait.

- Tu aurais dû attendre et me le dire, répliqua le prince. Ne recommence plus jamais ça, Alice.

- Bien, maître, répondit la jeune fille d'une voix tremblotante.

Le prince remonta sur le dos de sa jument et fit demi-tour.

- Nous rentrons? demandai-je en prenant Alice en croupe.

- Cette créature qui rôde ne m'inspire guère confiance, me répondit le prince d'un ton tranchant.

Il éperonna sa monture, qui partit au galop. Tornade suivit, mais je le forçai à ralentir en manquant de tomber. Le prince nous distança rapidement, mais j'étais trop occupée à tenter de tenir Alice et à essayer de rester moi-même en selle pour m'en préoccuper. Ce ne fut que lorsque nous nous perdîmes que je me rendis compte de ma bêtise. Tornade se mit au trot doucement. Je ne tenais pas les rênes, de peur de me perdre davantage et pensant que le cheval savait où il allait. Ce fut Alice qui me tira de ma torpeur en frissonnant dans mon dos.

- Il fait très sombre, ici... souffla-t-elle.

La lumière de la lune était en effet masquée par un épais nuage noir. Les arbres bruissaient de manière menaçante autour de nous. Alice serra les bras autour de ma taille, terrorisée à l'idée d'être perdue dans le noir. Au loin, un loup hurla, vite rejoint par d'autres hurlement venus des quatre coins de la montagne. Tornade, dont les oreilles plaquées en arrière traduisaient la peur, tenta de se cabrer, mais je réussis je ne sais comment à le calmer. Il souffla en retenant un hennissement terrifié. J'avais la désagréable impression d'être observée...

Soudain, quelque chose brilla dans les fourrés. Je hurlai et Tornade se cabra, nous faisant tomber dans les feuilles mortes. Alice lâcha un cri de douleur en touchant le sol et le temps que je me redresse, le cheval avait disparu dans la nuit. En revanche, trois personnes masquées étaient apparues: l'une d'elle tenait une torche qui révélait par sa faible lueur l'éclat d'épées luisantes et rutilantes, ainsi que celui de trois paires d'yeux sombres posées sur nous. L'un des trois hommes lâcha:

- Bravo, gamine.

Il me saisit violemment par les bras et me força à me relever. Alice s'assit en tremblant. Un autre homme lui lança une bourse visiblement bien remplie, que la jeune fille attrapa au vol.

- A... Alice? fis-je sans comprendre.

Elle se releva, les yeux brillants.

- Je n'avais pas vu de loup, répondit elle d'une voix complètement changée. En réalité, je devais les conduire au château... pour qu'ils se débarrassent du Prince.

- Quoi? lâchai-je avec étonnement et effroi.

Elle hocha la tête.

- Je n'ai découvert la vérité que très récemment, fit-elle. Je l'ai vu au bal, quand il t'as mordue. Une semaine plus tôt, j'avais croisé dans le village des chasseurs de vampires et ils m'ont proposé de les rejoindre. Je ne croyais pas à ces légendes, aussi ai-je refusé leur offre. Mais quand j'ai vu le Prince... j'ai changé d'avis. Ils m'ont donné rendez-vous dans la forêt pour que je les emmène au château. Seulement, vous m'avez vue, et le Prince avait l'air décidé à me tuer. J'ai réussi à masquer ma peur grâce à la magie. Vois-tu, Elizabeth, ma mère m'apparaît, parfois. Peu de gens le savent au château, mais je suis une sorcière. J'ai utilisé mes pouvoirs pour que le Prince croie que nous le suivions. Tu penses bien qu'il se serait immédiatement arrêté s'il avait vu que tu étais en danger...

Je lâchai un faible cri de peur. Alice sourit.

- Mais... pourquoi? gémis-je.

Elle se mit à rire, les chasseurs avec elle.

- Disons que ç'aurait été difficile d'entrer et de tuer le Prince directement dans le château, répondit l'un des trois hommes. D'après les dires de notre jeune amie... il serait trop bien gardé, signe que votre Prince cache un secret qui a le mérite d'être découvert. Or, le seul secret qu'il semble garder... c'est celui de son immortalité.

- Avec toi comme otage, continua Alice, nous pourrons le faire sortir seul du château, et le tuer rapidement. Ensuite... on s'occupera de cet horrible bossu et des autres serviteurs de ce monstre.

- Une minute, la coupai-je, tu parles de monstre alors que tu es une sorcière. Tu ne te considères pas comme telle?

Elle afficha un rictus effrayant.

- Moi? fit-elle. Les sorcières ne sont pas des monstres, sauf pour cette chère inquisition ! Ils veulent tuer tout ce qui est, pour eux, apparenté au Diable. Mais les chasseurs de vampires nous apprécient beaucoup! Nous sommes les seules capables de berner un vampire...

- Maintenant, assez parlé, dit le troisième homme.

Il avait été très silencieux jusque là, et son ton me surprit. Il me semblait étrangement familier...

- Allons tuer ce monstre, reprit-il. Le monde se portera mieux sans lui.

Les deux autres hommes me tordirent les bras dans le dos pour les attacher.

- Non, lança leur chef. J'ai à lui parler, avant.

Il se planta devant moi et retira sa capuche. Je poussai un cri de surprise : il s'agissait de...

- Père ! fis-je dans un murmure. Vous...vous êtes vivant?

Il hocha gravement la tête.

- Votre mère et votre soeur n'ont pas survécu, malheureusement. Je pensais que vous-même étiez décédée. Je me suis trompé, à ce que je vois.

- Mais... depuis quand...

Il rit.

- Votre mère elle-même l'ignorait. Les chasseurs de vampires sont peu connus et ont interdiction d'en parler à qui que ce soit. Mais je dois vous mettre au courant. Quand ce monstre sera mort, vous serez libérée de son emprise et vous pourrez épou...

- Je ne suis pas sous son emprise! hurlai-je. Il ne m'a jamais fait de mal et je sais qu'il ne m'en fera jamais! Et il est hors de question que j'épouse ce vieil homme!

Il me gifla si fort que j'en eus les larmes aux yeux.

- Calmez-vous, Elizabeth, m'ordonna-t-il. Il vous a bien embobiné, ce monstre. Il ne vous aime pas, quoi qu'il vous ait dit. Tout ce qu'il veut, c'est votre sang et votre âme.

- Vous mentez! criai-je en sentant les larmes couler sur mes joues et mon coeur se briser. Vous ne le connaissez pas, vous ignorez tout de lui!

- Attachez-la, ordonna-t-il à ses soldats. Il va devenir urgent de le tuer. Et toi, me dit-il, dès que nous le pourrons, nous irons voir un prêtre pour qu'il purifie ton âme.

Le ton qu'il venait d'employer me coupa le souffle. Jamais il ne m'avait ainsi tutoyée comme une servante, ni ne m'avais parlé sur ce ton venimeux... Je me tus, honteuse et triste. Les soldats m'attachèrent les mains dans le dos et me forcèrent à avancer sur le sol inégal de la forêt. Au loin, l'aube pointait. Je sentis mon coeur se serrer en reconnaissant au loin le pic que je voyais depuis ma fenêtre, au château. Nous finîmes par atteindre une route où un carrosse léger attendait. Quatre chevaux noirs étaient attachés à ce dernier et piaffaient d'impatience. Père nous fit monter dans le carrosse, Alice avec galanterie, et moi par la force, avant de monter à son tour. Les deux hommes s'assirent à l'extérieur, en tant que cochers, et lancèrent le carrosse à toute vitesse sur la route menant au château du Prince. Plus nous avancions, plus l'angoisse serrait mon estomac. Quand le château fut en vue, je me mis à penser au Prince et à espérer que je ne faisais qu'un horrible cauchemar... 

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