Chapitre 2: Un étrange château.

Tornade marchait doucement sur le chemin, suivi par les autres chevaux. Je tenais difficilement sur son dos, car je n'étais jamais montée à cheval sans selle. Tout me semblait hostile, des arbres au bruit des sabots qui résonnaient anormalement fort dans le silence pesant de la forêt. De temps en temps, un fourré bougeait. J'avais très peur. J'ignorais qu'elles créatures sauvages vivaient ici, mais ce n'était sûrement pas de paisibles créatures inoffensives.

Ce fut aux premières lueurs de l'aube que j'arrivai au village. Personne n'était encore sorti et les rues étaient vides. Il n'y avait même pas l'ombre d'un animal errant ou d'un mendiant. Étrange, pensai-je. Le plus inquiétant était sûrement les portes barricadées. La moindre aération avait été bouchée, la plus petite fissure colmatée. Je m'arrêtai sur la place principale de ce village étrange et appelai. J'avais froid et faim. J'étais inquiète et perdue, et ma robe était en piteux état. Au bout d'un moment, un volet s'ouvrit sur le bâtiment devant moi. Un homme d'une trentaine d'années se pencha par la fenêtre et me cria:

- Va t'en, sale monstre! Tu ne nous prendras pas nos filles, pas cette fois!

Je restai abasourdie devant le manque de courtoisie de cet homme. Il ferma la fenêtre et le silence retomba. Le soleil commença à monter dans le ciel. C'était un soleil d'hiver, glacé et pâle, mais sa présence réchauffa un peu l'atmosphère glacée autour de moi. Je me dirigeai vers l'église et après avoir attaché les chevaux, j'entrai.

Il faisait sombre et froid, à l'intérieur. Seuls quelques cierges brillaient faiblement. Je m'agenouillai devant une statue de Marie et me mis à prier pour ma famille. Quand je me relevai, une voix me fit sursauter.

- Que faites vous ici, jeune damoiselle?

Je me retournai en sursaut. Un homme se tenait debout derrière moi. Il avait la peau ridée et semblait avoir beaucoup de difficultés à marcher. Je lui répondis honnêtement mais lorsque je formulai ma phrase, un sanglot m'échappa. Le vieil homme me prit par le bras et m'emmena jusque chez lui. Il me donna de quoi manger et donna du foin et de l'eau aux chevaux avant de me demander où j'allais. Ne sachant pas quoi faire, je restai chez lui toute la journée pour me reposer. Le lendemain, plusieurs villageois vinrent le voir et discutèrent avec lui. Je ne compris pas de quoi ils parlaient, mais quelques minutes plus tard ils vinrent vers moi et me dirent:

- Vous devez partir. Nous n'aimons pas les inconnus dans votre genre par ici.

- Pourquoi? demandai-je d'un ton surpris.

- Il y a d'horribles créatures dans les parages. Vous voyez ce château, là-bas?

Je levai les yeux vers la colline en face de la maison. Un immense château s'y dressait, noir et inquiétant. Je demandai:

- À qui appartient-il?

- À l'un de ces monstres. C'est même le plus puissant de toute la Transylvanie, à ce qu'on dit. Et ce monste descend régulièrement tourmenter nos familles. Voir une jeune fille comme vous le rendrait fou. Il nous détruirait tous pour vous avoir cachée. Alors allez vous en.

Je réussis à vendre deux des chevaux avant de partir, refusant de donner Tornade à qui que ce soit, et sortis du village. La forêt m'entoura de nouveau, et devint plus sombre par endroits. Mon cheval était aussi inquiet que moi. Des bruits étranges résonnaient autour de nous, des ombres bougeaient entre les arbres, et j'avais la désagréable sensation d'être observée...tout me semblait hostile. Par moments, Tornade faisait un écart et s'arrêtait net, les oreilles agitées par la peur. Je m'imaginais les pires créatures possibles sortir des fourrés pour venir me tuer, me torturer, voire pire...

Au bout d'un moment l'effroi me saisit: le chemin montait. Et s'il montait, cela signifiait que je devais me trouver près d'une colline ou d'une montagne... Je réussis à jeter un oeil au lieu à travers des bosquets pas trop touffus. Je vis le village en contrebas, reconnaissable à son clocher à moitié en ruines, ainsi que le ravin dans lequel ma famille était tombée... je frissonnai en comprenant que j'étais à flanc de montagne, et plus précisément sur celle menant tout droit au château. J'hésitai à faire demi tour lorsque Tornade fit brusquement volte-face sur ses sabots arrières. Devant moi se tenai un homme étrange, bossu, avec un oeil injecté de sang et quelques rares cheveux gris sur le crâne. Il était particulièrement laid et si effrayant que je criai en le voyant. Il lâcha une espèce de gargouillis avant de dire d'une voix tordue et avec un rictus qui dévoila une ou deux dents jaunes et mal placées:

- Que faites vous ici, chère demoiselle?

Je dus lui faire répéter la question car j'avais plutôt entendu "réfétefouizirèreémoisselle?". Quand j'eus enfin compris, je lui répondis d'une voix mal assurée, peu enchantée par l'idée que cet étrange personnage s'intéresse à moi.

- Je suis perdue...

Il lâcha une sorte de toux rauque que je finis par reconnaître comme étant son rire.

- Perdue? fit-il de son accent étrange et inquiétant. Laissez moi vous aider... je peux vous emmener voir le Maître. Il est bon et il vous aidera.

J'hésitai. Je ne voulais absolument pas le suivre, j'avais peur, et le ton qu'il avait employé au mot Maître me faisait penser tout le contraire de ce qu'il en disait.

- Je...

- Il y a des loups dans ces bois. Et comme l'hiver approche, ils deviennent agressifs.

- Je saurai les éviter.

Il attrapa les rênes près de mes main et dit d'un ton sans réplique:

- Vous venez avec moi. Non négociable.

- Comme... comme vous voudrez, bégayai-je.

Il prit les rênes près de la bouche du cheval et nous guida sur le chemin, plus haut, toujours plus haut. La forêt devenait de plus en plus touffue à mesure que nous grimpions. Tornade était nerveux, je le voyais à ses oreilles qui ne cessaient de remuer et à son piaffement régulier quand l'homme ralentissait. Je frissonnai de peur et de froid. Quelques flocons blancs vinrent se poser sur ma robe. Je me demandais où nous allions...

Soudain un long hurlement se fit entendre devant nous. Des loups, certainement. Le bossu se retourna vers moi et avec un sourire inquiétant il me dit:

- Ne vous inquiétez pas, ils n'attaqueront pas. Ils me connaissent et savent que je suis là.

Je ne répondis pas. La peur me glaçait le sang. Puis la forêt disparut soudainement pour laisser place à une falaise à pic contre laquelle un étroit sentier grimpait encore. Le bossu ne sembla pas remarquer ma peur car il continua sa route comme si de rien n'éait. Une chauve-souris passa devant moi, me faisant sursauter. La nuit était tombée depuis longtemps et la lune se cachait derrière d'épais nuages noirs. Quand nous quittâmes le bord de la falaise, je ne pus m'empêcher d'être un peu soulagée, même si j'ignorais toujours où nous allions. Nous étions maintenant sur une sorte de plateau désertique où rien ne poussait. quelque chose craquait sous les sabots de Tornade. Je crus apercevoir un crâne, mais j'espérai que c'était mon imagination qui me jouait des tours. Seulement, quand le bossu ramassa un os humain, je fus bien obligée d'accepter la vérité. Il me dit:

- C'est ici que finissent tous les morts de la région... beaucoup n'ont plus de tête quand ils arrivent.

Je remarquai alors de nombreux pieux en travers des côtes des morts. Il y avait également bon nombre de cadavres en décomposition et l'odeur était parfaitement infecte. Parmi les cadavres, beaucoup de femmes ou de jeunes filles à peine plus âgées que moi... je frissonnai d'effroi quand nous passâmes à côté de l'une d'elles, quasiment décapitée, un pieu sanglant dans la poitrine et du sang qui s'étalait autour d'elle. Les escadrons d'insectes sortant de la chair en décomposition me soulevèrent le coeur et je réprimai avec peine une nausée. Le bossu sourit.

- Vous n'aimez pas cette délicieuse odeur? fit-il en arrachant un oeil à une tête sans mâchoire.

Il l'avala tout rond devant mon nez. Cette fois, je ne pus réprimer la nausée et rendis mon dernier repas. Le bossu lâcha son rire terrifiant et continua sa route sans se soucier de ce sur quoi il marchait.

Je lâchai un soupir de soulagement quand nous retrouvâmesla forêt. Elle me paraissait toujours hostile, mais moins que cet étrange cimetière où les morts étaient à la fois mutilés et décomposés. Puis, au tournant du sentier, je vis enfin notre destination: un immense château au bord de la falaise. Je le reconnus aussitôt et regrettai de ne pas avoir fait demi-tour au village. C'était le château que les villageois m'avaient montré.

- Voici la demeure du Maître, souffla le bossu.

Je dus admettre qu'il était magnifique. Ses tours se dressaient contre le ciel nocturne, et avec la lune au-dessus, il était vraiment effrayant. Il était fait de pierre noire, de style gothique, je pense, vu la quantité de fenêtres et d'arabesques sur les murs, et semblait prêt à résister à n'importe quelle attaque. Le seul élément qui me fit vraiment trembler fut les corps empalés devant la muraille. Je vis l'un d'entre eux remuer faiblement, et me mis à trembler plus fort. Le bossu entraîna le cheval dans la cour du château et me fit descendre. Quelques lumières filtraient par les fenêtres, donnant au lieu un air particulièrement effrayant. Le bossu abandonna Tornade dans la cour en me disant:

- D'autres domestiques s'occuperont de lui. Venez, le Maître doit vous attendre.

Il m'entraîna par le poignet jusqu'à l'entrée principale. Au sommet de trois marches imposantes, une gigantesque porte à double battants attendait d'être ouverte. Le bois noir était gravé de motifs étranges et de runes inconnues. De chaque côté de l'escalier, une gargouille montait la garde. Je hurlai lorsqu'elles s'animèrent et me regardèrent. Celle de droite dit d'une voix d'outre tombe:

- Une jeune fille aux yeux d'émeraude... sa voix pure résonnera en ces lieux...

- Et un coeur se glacera par la terreur qu'il inspirera, termina l'autre.

- Au lieu de prophétiser, intervint le bossu, ouvrez la porte!

- Pardonnez nous, jeune damoiselle, répondirent en choeur les statues...

Et pendant que la porte s'ouvrait en silence malgré son poids évident, ils terminèrent en s'incliant:

-soyez la bienvenue dans le château du Prince Vladimir V.

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