Chapitre 17
Il neigeait dehors. Les premiers flocons faisaient leur apparition et l'éclat blanc donnait une lueur enchantée dans les jardins reculés de Poudlard. Les petits dessins gelés flottant par centaine dans le ciel jusqu'à se déposer contre le sol éveillaient mille et une sensations dans le cœur de Hermione. Elle n'arrivait pas à croire qu'elle se trouvait là, en cet endroit, avec pour seule présence Draco Malfoy. Ils s'étaient éclipsés de la Grande Salle, l'estomac trop noué pour avoir l'envie de manger. Peut-être était-ce le besoin de se voir qui les avait forcés à se précipiter dans le recoin des murs de la bâtisse de l'école. Là où les arbres par millier coexistaient avec l'environnement. Là où le silence faisait taire les peurs.
Ça faisait deux jours qu'ils se retrouvaient en secret, le regard ailleurs, les mains enfoncées dans leur veste et les joues chaudes d'embarras. Parfois, ils n'osaient discuter. Ils se contentaient de s'observer du coin de l'œil, de hausser les sourcils, puis de s'enfuir. Aujourd'hui c'était différent. Draco, dans la plus grande des discrétions, lui avait donné rendez-vous au bord de la forêt interdite, dans l'intersection des jardins reculés de l'école des sorciers, là où le lac de Poudlard rayonnait de mille feux. Sans un bruit, il lui avait demandé de fermer les yeux et l'air suave de l'automne s'était changé en un temps glacial, mais doux. L'hiver. L'illusion des flocons qui s'échappaient de la baguette magique de Draco, tendue vers le ciel, la fit trembler de joie.
Parfois, Malfoy était tendre et par moment brusque. En ce jour, il était mystérieux. Le regard porté vers l'ailleurs, il observait les flocons miroitant au-dessus de leur crâne, le visage impénétrable. Elle tendit sa main par automatisme vers lui, dans la quête de découvrir ses failles, ses cicatrices.
Sous son toucher, il abaissa sa tignasse vers sa personne et lui offrit un mince sourire. Hermione chercha dans ses yeux une réponse qui ne vint pas. Ses iris d'un gris pluvieux ne lui renvoyaient qu'une barrière infranchissable.
« À qui te fait penser la neige ? »
« À ma mère », souffla-t-il en retour.
Il se pinça les lèvres, comme s'il cherchait à formuler ses pensées. Elle resta patiente, le cœur au bord de la gorge. Il s'agissait d'une porte d'entrée, elle pourrait en profiter pour en découvrir plus sur l'emplacement des membres de sa famille, mais elle n'en eut pas la force. Le corps crispé, elle attendit.
« Quand j'étais petit et que je me sentais seul dans le manoir des Malfoy, ma mère avait cette manie de faire grincer le ciel des dents en faisant pleuvoir une arabesque de neige. Juste pour moi. »
Il se détourna et relevant les phalanges de ses doigts, il attrapa un flocon qui se faufila contre la paume de sa main et sous le contact de sa peau, se volatilisa.
« Elle me disait que la froideur de l'hiver pouvait me rappeler la chaleur de notre âme. Que même ce qui semblait perdu dans les cœurs pouvait être ravivé par un contact aussi mince qu'un flocon. »
Il se tourna vers elle, les yeux expressifs. Agrippant une de ses boucles caramélisées entre ses doigts, il réfléchit.
« Elle voit la beauté en toute forme. Comme toi. »
Draco secoua la tête en relâchant sa prise sur ses cheveux, les lèvres pincées.
« Il m'arrive alors de venir ici pour essayer de comprendre ce qu'elle pouvait voir. J'essaie de capter ce que je n'arrive à observer. Mais... même en ouvrant les yeux, je reste aveugle. »
Hermione déglutit, soudain la gorge nouée d'émotion. Inconsciente de son corps, elle se cala contre son torse et joua avec son manteau duveteux de noir.
« Peut-être qu'il n'est pas question de voir la beauté, mais de la ressentir ? » souffla-t-elle, croisant enfin ses iris.
Elle tendit à son tour une de ses menottes pour analyser les flocons de neige, les yeux brillants. Malfoy l'observait faire, la gorge serrée.
« Peut-être qu'il ne s'agit pas de forcer les choses, mais de lâcher prise ? »
Elle souffla en fermant les yeux et une buée de vapeur s'échappa de ses lèvres.
« Peut-être qu'en réfléchissant trop tu t'empêches de ressentir l'impensable ? Et peut-être que dans ta recherche d'une lueur, tu as oublié que tu en avais déjà une toute proche, en toi ? »
Hermione observait toujours avec douceur les flocons, avec cette impression de flotter dans une autre galaxie. Ils se trouvaient à l'écart des autres étudiants et à travers cette distance, elle avait cette impression de découvrir une partie de son âme perdue. Elle avait la sensation de pouvoir tendre le bras et de toucher du bout des doigts un éclat de bonheur longtemps attendu.
Hermione se détourna de son observation rêveuse sous les paumes chaudes de Malfoy contre ses hanches. D'un geste tendre, il agrippa son menton, penchant son visage vers elle.
« J'ai compris maintenant. Ce n'est pas la neige qui me permet de garder les yeux sur terre. C'est toi. Et même en fermant les yeux, je continue de te voir. »
Hermione accueillit avec des membres tremblants la caresse de ses lèvres. Le geste était d'une douceur inouïe, presque craintif. Elle s'agrippa plus fort à sa personne sous la tendresse de son baiser. Elle flottait, l'esprit léger et lorsqu'il se détacha d'elle, les yeux à moitié clos, elle éclata de rire. L'euphorie mitraillait son cœur de bonheur. Un peut plus et elle avait cette impression d'avoir des ailes.
« Est-ce que tu serais en train de te moquer de moi ? »
« Pas du tout voyons », rigola-t-elle avec délice.
Il la pressa plus fort pour lui exprimer son agacement et elle gloussa en retour.
« Je suis seulement comblée, c'est tout. »
Front contre front, Malfoy prit une longue inspiration, ses mains chaudes callées contre ses hanches. Il ne la lâchait pas des yeux. S'il pensait qu'elle allait s'éloigner, il avait tort. Hermione ne souhaitait que se retrouver entre ses bras et oublier tout ce qui comptait. Tout ce qu'elle devait accomplir. Elle voulait se fondre dans la masse chaude de ses muscles et la douceur de ses caresses. Elle voulait respirer contre ses lèvres avec l'impression de ne pouvoir vivre un lendemain. Draco Malfoy était devenue sa bulle de paix. La sérénité de leur rencontre, bien que secrète, lui apportait un confort qu'elle n'aurait jamais cru mériter. Et pourtant, elle se retrouvait là, à sourire sous l'éclat des flocons de neige, les yeux brillants de larmes de joie.
« Merci », chuchota-t-elle. « De m'avoir partagé ce souvenir de ta mère. »
Il hocha simplement la tête, soudain ailleurs. Son touché fut plus incertain, comme si en étant bloqué dans le recoin de ses pensées, il n'arrivait plus à s'accrocher à la réalité. Leur réalité.
« Tu ne parles pas beaucoup d'elle », ajouta-t-elle.
Elle eut un goût amer dans la gorge, en prononçant ses paroles. Elle se sentait traîtresse, alors qu'elle éprouvait un réel intérêt à approfondir et découvrir le monde qui entourait le prince des serpents. À connaître tous les secrets de Malfoy.
« Non. Il y a des personnes qu'on chérit tellement que parler d'elles éveille des douleurs sourdes. »
Sa voix était un murmure. Il s'éloigna d'elle et sembla reprendre son masque de froideur. Hermione se crispa en l'analysant. Était-elle allée trop loin ?
« Je m'excuse », s'empressa-t-elle d'ajouter, le souffle court. « Je comprends ta réticence à en parler. »
« Est-ce que c'est pour ça que tu ne parles jamais de tes parents ? »
Sa voix était distante, presque défiante. Hermione sursauta sous son intonation brusque. Ce fut à son tour de créer une distance entre leurs corps. La neige avait cessé de tomber et l'air froid se chargea en une pluie de feuilles orangées. Elle frissonna sous le changement de l'atmosphère. Elle joua avec son écharpe rouge et or par automatisme pour se changer les idées. Malfoy avait conscience de son état, et la mâchoire crispée, il n'osa faire le moindre mouvement.
Par réflexe, elle se rapprocha du lac et s'accroupit, le souffle tremblant. Ses parents étaient un sujet sensible, bien trop douloureux pour qu'elle n'ait la force d'en parler avec son meilleur ami Harry. Peut-être était-ce du déni, mais les souvenirs bien entrelacés dans une boîte au fond de son esprit, Hermione se contentait de souffler sur la bougie de leur absence plutôt que d'affronter la réalité.
« Avec la guerre qui a fait rage, on a tous du faire des choix difficiles. Mon seul regret aura été de ne pas leur avoir laissé de choix dans l'équation. »
« Qu'est-ce que tu veux dire ? »
Draco, posté à sa droite, suivit son mouvement pour se retrouver à sa hauteur, alors que Hermione l'évitait du regard, plongeant sa main dans l'eau glacée, les lèvres pincées.
« Mes parents sont moldus, Malfoy. Ils étaient en danger, tu comprends ? »
Il resta silencieux, soudain tétanisé.
« Tu n'es pas obligé d'en parler. Je ne voulais pas t'attaquer en te posant cette question. »
« C'est OK. Je n'en parle jamais, il faut bien que je commence à le faire sinon je ne vais jamais me libérer de cette douleur, non ? »
Sa voix était piteuse de tristesse et elle ferma les yeux en s'entendant. Elle se détestait de paraître aussi faible. En essayant de protéger les êtres les plus chers de son cœur, elle avait commis l'irréparable. Il n'y avait aucun retour en arrière lorsqu'on lançait un tel sortilège.
« Je leur ai jeté le maléfice oubliette... » Elle déglutit, des trémolos dans la voix. « Je voulais les... je savais qu'en étant proche de Harry, mes parents étaient à risque. Ils étaient une cible. »
Hermione releva ses pupilles pour observer le ciel, maintenant sombre et bordé d'étoiles. Elle s'imagina leurs visages en contemplant les constellations, luttant contre ses larmes. Leurs traits semblaient si nets dans son esprit, mais fades. Ses parents ne l'observeraient plus avec cet éclat de douceur dans les yeux. Elle n'aurait plus la possibilité de fraterniser avec son père en cachette lorsque sa mère cuisinait un affreux repas. Et elle n'aurait plus la joie d'entendre leur éclat de rire lorsqu'elle annonçait avec entrain qu'elle venait de battre Draco Malfoy en potion. C'était stupide, mais les instants si anodins que des repas en famille prenaient tout leur sens lorsqu'ils n'existaient plus. Elle n'existait plus. Pour eux.
« Je ne suis qu'un mirage, un brouillard dans leur esprit. Ils n'ont jamais eu de fille et ne connaîtront jamais la magie qui entoure ce monde. »
Hermione haleta, la respiration tremblante. Malfoy n'avait osé prononcer le moindre son, tant il était figé à ses côtés. Il contemplait le lac avec une rancœur qui la toucha.
« Ç'a dû être horrible de faire un tel sacrifice », murmura Draco.
Hermione se rappela les paroles de Ron à son encontre, qui était furieux qu'elle ait commis un tel geste. Harry l'avait serré dans ses bras en apprenant la nouvelle. Elle n'avait pleuré depuis l'incident, comme si un désert ravageait son cœur. Mais en cet instant, alors que Draco la couvait d'un regard triste, elle sentit toute la douleur remonter dans sa gorge.
Elle avait tellement mal.
« J'ai l'impression d'avoir déchiré une partie de mon âme depuis », avoua-t-elle.
Elle ferma les yeux par automatisme, alors que des larmes léchaient ses joues. Malfoy la serra fort dans ses bras et elle nicha son nez contre son cou, ses joues trempes.
« Tu as fait la bonne chose. Tu les as protégés. Et tu as fait ce que tu pouvais. »
Elle étouffa un sanglot contre ses bras.
« Tu le penses vraiment ? » suffoqua-t-elle, alors que les paroles de Ron tournoyaient dans son crâne.
« Tu as été lâche. Tu ne leur as pas laissé le choix. C'est égoïste ce que tu as fait. Ils auraient préféré mourir avec gloire, en sachant que leur fille se bat pour leur monde, plutôt que d'oublier. Tu as perdu une partie de ton âme ? C'est bien, parce que tu les as détruits ! »
Malfoy la pressa avec force, comme s'il entendait la cruauté des mots qui ravageait son cerveau.
« Tu es immensément forte d'avoir eu le courage de choisir leur bonheur et leur sûreté au lieu du tien. Tu ne les as pas détruits, tu les as libérés d'un destin qu'ils ne méritaient pas. »
« J'ai tout le temps peur, Draco », pleura-t-elle. « J'ai peur qu'ils meurent et d'avoir fait tout ça pour rien. J'ai peur qu'ils disparaissent alors qu'ils ne sont déjà plus là. »
« Tu n'as pas fait ça pour rien. Même s'ils venaient à ne plus faire partie de ce monde », chuchota Malfoy. « Ils auront vécu une belle vie. Grâce à toi. Tu leur as offert une accalmie dans ce monde sombre. »
Il souffla, le visage enfoui contre ses cheveux.
« Tu leur as offert un cadeau, un autre destin. »
Hermione s'essuya les yeux, soudain fatiguée. Elle s'échappa de son étreinte tendre, le cœur lourd d'émotions.
« Moi aussi j'ai peur », avoua-t-il dans un souffle.
Elle releva ses iris pour croiser ses prunelles grises.
« De quoi as-tu peur, Draco ? »
« Ma mère. Elle n'est pas en sécurité. Nulle part. »
Il inspira, soudain perdu.
« Qu'est-ce que tu veux dire ? »
Hermione connaissait la réponse, mais n'osait le formuler. Alors, elle opta pour le silence, les membres crispés.
« Hermione. » Sa voix était douce, presque triste. « Il y a des choses qui se produisent en dehors des murs de Poudlard. Des choses que je ne pourrais t'expliquer. Mais... peut-être qu'un jour, je te montrerais. Peut-être qu'un jour j'en aurai la force. »
Malfoy se releva, prêt à rejoindre leur dortoir, la posture rigide. Hermione suivit son mouvement, soudain anxieuse face à leur discussion. Avant de prendre le large pour rejoindre les autres étudiants, Draco prononça une dernière phrase.
« Peut-être qu'un jour je t'expliquerais... si je suis encore là pour le faire. »
Ce soir-là, en rejoignant sa chambre, Hermione reçut un petit parchemin blanc. L'ancre fine posée contre la texture rugueuse du papier lui dévoila un message de Malfoy :
« Un baiser a le pouvoir de réchauffer même le cœur le plus gelé. »
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