Chapitre 3 - Mulher, mulher
Sandro
Nul besoin de mot. Ma grimace exprime mon dégoût en me voyant dans le miroir du vestiaire. L'harmonie de ma musculature ne rattrape pas le désastre visuel qu'est le slip de bain réglementaire. Recouvrant tout juste les parties intimes, cette atteinte à la pudeur devrait être interdite.
- Pas trop serré ? se moque Damien dans mon dos.
- On ne peut pas faire une exception ? supplié-je en pivotant vers lui. Je ne risque pas de perdre mon short dans le petit bassin.
Assis sur un banc, le blond ne rate pas une miette de mon humiliation. Il en tire même un plaisir visible à chaque protestation de ma part.
- Moule-bite pour tout le monde ! Franchement, te plains pas, mec. T'es le mieux gaulé de l'équipe.
N'encadrant que des classes d'élémentaire, il a le privilège de garder ses survêtements ébène. C'est une toute autre affaire en grande section.
Je tire nerveusement sur le tissu, espérant perdre quelques centimètres de nudité mais rien n'y fait. Chacune de mes fibres se contracte, comme pour combattre l'inconfort grandissant.
J'ai l'impression d'être à poil.
- Je peux porter mon short par-dessus ?
Damien ricane en retirant son sweat, révélant un débardeur cintré.
- Non. Par contre, fais gaffe, on a eu plusieurs accidents de couilles qui se font la malle.
- J'y vais pas ! Cours annulé ! m'exclamé-je, le cœur battant.
Il rit à gorge déployée, se tapant la cuisse. Entre deux secousses d'hilarité, le plaisantin articule :
- Je déconne, mec... Ça risque pas d'arriver... À moins d'être Rocco Siffredi.
Sans s'annoncer, Igor, un employé de la piscine, fait irruption dans la pièce. Un quinquagénaire de l'Est aussi aimable qu'une porte de prison.
- Qu'est-ce que vous faites encore là ? Vous avez des horaires à respecter.
Retrouvant son sérieux, mon ami lève ses paumes en signe de capitulation.
- T'as déjà vu un gaillard d'un mètre quatre-vingt-trois réagir comme une pucelle ? Ça mérite bien deux minutes de retard.
L'ego piqué à vif, je le toise en grommelant :
- Avec tout mon respect, je t'emmerde profondément.
- Fini de rigoler, insiste sèchement Igor. Les gamins t'attendent.
Il s'éclipse avant d'entendre mes excuses. Résigné, je soupire en enfilant un peignoir pour préserver ma dignité cinq minutes de plus.
Nos tongs claquent sur le sol carrelé. Le couloir du personnel nous épargne le passage du pédiluve et mène à l'immense salle baignée de luminosité passant à travers les baies vitrées latérales. L'odeur du chlore sature l'air humide.
- Tu es toujours aussi en avance ? m'informé-je en voyant Damien me suivre. Tes élèves arrivent dans un quart d'heure.
L'émeraude de ses pupilles brille alors qu'il se redresse, un sourire imprimé sur la face.
- Je n'allais pas perdre l'occasion d'en prendre plein la vue.
L'irritation grimpe en flèche, je serre les dents pour la contenir. Il s'empresse de clarifier son propos :
- Te sens pas visé. Je t'aime bien, t'es beau gosse mais c'est pas à trente-quatre ans que je vais changer de bord.
Les élèves m'accueillent en trépignant et leur joie contagieuse suffit à chasser les mauvaises ondes. Au milieu du troupeau se tiennent une femme maghrébine, l'ATSEM dont j'ai oublié le prénom ainsi qu'un homme en short de bain, le parent agréé indispensable au quota des adultes dans l'eau.
Les tenues enfantines sont toutes plus colorées les unes que les autres, certains bonnets décorés d'une crête animale ou de nageoires de poissons. J'aperçois un enfant à l'écart, les orteils dans l'eau. Un premier manquement aux règles de sécurité qui m'envoie un shoot de stress dans le torse. Pas le temps d'ouvrir la bouche que le sifflement de Damien me vrille les oreilles. Le groupe se rassemble dans un mutisme militaire.
- Ça va aller, me rassure le blond d'une tape sur l'omoplate. Tu vas gérer des gosses, pas des athlètes aux Jeux Olympiques.
Je la vois enfin. Adossée contre le mur, l'enseignante semble se dissimuler mais la sobriété de son maillot noir une pièce ressort parmi l'arc-en-ciel ambulant. Épaules voûtées, avant-bras plaqués sur son abdomen, regard fuyant. Sa gêne est évidente.
- Je vois que je ne suis pas le seul à adorer la tenue, ironisé-je pour briser notre embarras.
Peu efficace vu son rictus. Mon collègue engage la discussion avec elle tandis que je dépose le peignoir sur une chaise à proximité. Je prends un porte-bloc, un stylo et retrouve Lucie. S'échappant de son couvre-chef en silicone, les bouclettes sur sa nuque entourent un tatouage de la taille d'un ongle.
Une croix chrétienne, étonnant pour une fonctionnaire.
- J'ai besoin de la liste des élèves, annoncé-je en lui tendant mon matériel.
Je remarque alors ses clavicules soulignées par de fins feuillages et fleurs encrés. Sur la poitrine, un motif partiel laisse imaginer un prolongement entre les seins.
- Relève les yeux, soldat, chuchote Damien.
Son ton chargé de sous-entendus me crispe mais je me retiens de me justifier. L'avoir à mes côtés me rappelle les exposés au lycée, durant lesquels un partenaire pouvait sauver l'oral ou le changer en spectacle malaisant.
- Aujourd'hui, c'est jeux libres. Je vais observer l'entrée dans le bassin et les déplacements pour l'évaluation diagnostique.
La maîtresse opine, j'énumère ensuite les consignes au groupe. L'impatience faisant grimper les décibels, je pénètre dans l'espace aquatique. La résistance de l'eau tiède est agréable. Les trois quarts des bambins surexcités me rejoignent en frappant la surface, tandis que les autres hésitent sur les marches de l'escalier immergé, intimidés par la profondeur. Un asiatique enroule ses bras autour de la cuisse de Lucie, tremblant comme une feuille sous une tempête.
- C'est la première fois qu'il voit autant d'eau, m'explique-t-elle, la tête baissée.
- Il peut s'asseoir sur le bord, en mouillant juste ses pieds.
Les pleurs du garçon me figent mais elle réagit aussitôt en lui parlant à sa hauteur :
- Tout ira bien, Félix. Je resterai à côté de toi, d'accord ?
Elle se détache de lui et s'installe à la moitié des marches, les vaguelettes effleurent ses épaules.
- Tu vois ? Il n'y a rien à craindre.
Son empathie s'avère payante. Après une brève attente, l'enfant s'amuse maintenant à battre des jambes pour asperger ses camarades.
Accroupi sur le rebord, Damien accapare l'intérêt de ma collaboratrice. Je réalise que son omniprésence n'est pas altruiste, son expression prédatrice le prouve.
Ah oui, d'accord. Je comprends mieux.
- Damien ! On est là !
À l'autre bout de la pièce, un groupe de préadolescents patiente le long de la piscine principale. Mon ami ne cache pas sa frustration, la démarche traînante.
Va bosser, playboy.
La maternelle, le chaos. Éclats de rires, cris suraigus, projections d'eau dans tous les sens. Les voix des adultes se noient dans cette cacophonie et je ne m'entends plus penser.
R.I.P. mes tympans.
Vigilant aux détails, je scrute les mouvements des enfants et annote ma fiche afin d'ajuster les futures activités aux difficultés constatées. Depuis sa place, Lucie observe avec une moue sévère. Quand nos regards se croisent, son froncement de sourcils s'accentue.
Elle va faire la gueule encore longtemps ?
Je tente de me concentrer sur ma tâche. Mission impossible. Ses jugements muets me tendent et le noeud dans l'estomac se resserre à chaque seconde. Déglutir m'est difficile.
Qu'est-ce que je fais de travers ? Elle voulait des exercices ? Damien a validé ma programmation pourtant. Pourquoi elle ne dit rien ?
Écrasant le vacarme ambiant, les tambours de mon pouls m'angoissent. N'en pouvant plus, je la rejoins en un mouvement de brasse. Sur la défensive, ma voix sonne plus dure que voulue :
- Il y a un problème avec moi ?
Elle sursaute et relève le menton. Ses cils mouillés ajoutent un charme à ses yeux cendrés que j'ignore.
- Ça fait dix minutes que vous êtes mécontente.
Les diablotins nous observent, curieux par nature alors qu'elle pouffe.
- Désolée, il y a un malentendu. Je suis myope comme une taupe donc je ne distingue rien à plus d'un mètre.
Je soupire, lesté du poids de l'autodévalorisation. Forts de cette anecdote, les enfants s'amusent à la tourner en bourrique.
- Hé maîtresse ! Regarde-moi !
- Qui me parle ? interroge-t-elle en plissant de nouveau le regard. Akil ou Paul ?
- Non, c'est Diego !
- Même pas vrai, c'est Joaquim !
- Bande de petits chenapans, plaisante Lucie en leur envoyant un jet d'eau.
Les rires fusent tandis qu'une fillette s'exprime :
- C'est quoi un chenapan ?
- Moi, je sais ! crie le garçon au bonnet dragon. C'est un Pokémon chenille !
- Tu confonds avec Chenipan. Un chenapan est un farceur.
Ravis de leur découverte, ils répètent en boucle ce mot durant leurs jeux bruyants. L'enfer reprend son cours.
Migraine mise à part, la séance s'est déroulée sans accroc. La lanière de mon sac à l'épaule, je quitte les locaux accompagné de Damien afin de retrouver le reste de l'équipe pour déjeuner.
- Alors, premier bilan ?
- Horrible, marmonné-je en frottant mes tempes.
Igor ne répond toujours pas à nos salutations d'usage.
La politesse est trop chère pour toi, cabrão.
Dans la rue, j'inhale une bouffée profonde, débarrassant mes poumons de leur moiteur et mon crâne des bourdonnements.
- Sandro, c'est un chenapan !
Oh pitié...
Les enfants en rang m'interpellent mais mon attention est centrée sur la blonde. Vêtue d'une robe ample, sa transformation est frappante. Sa voix chantante et sa posture droite n'ont rien à voir avec la femme effacée plus tôt.
- Je voulais vous dire quelque chose, déclare-t-elle en nous prenant à part. C'est au sujet de ma nièce Hanaé en CP-B. Elle a un an et demi d'écart avec ses camarades les plus âgés et elle est asthmatique. Elle est fragile alors...
Le tressaillement dans sa voix me rappelle sa panique lors de notre rencontre. Elle se mord la lèvre inférieure puis reprend :
- Je ne demande pas de traitement de faveur, juste d'être indulgent sur ses performances, s'il vous plaît.
- T'en fais pas, on a l'habitude, rassure mon collègue.
Un sourire à fossettes éclaire son visage et dissipe la grisâtre de mon esprit.
- Merci beaucoup. Passez une bonne journée.
Elle tourne les talons, laissant derrière elle un léger arôme floral.
De nouveau entre hommes, nous prenons la direction du parking vide bordé de chênes. Les ombres des branches se mouvent sur le trottoir à chaque souffle du vent. Cigarette électronique en main, Damien enchaîne les ronds de vapeur avant de lancer, presque nonchalant :
- Tu la trouves comment, Lucie ?
Fuyant les causeries frivoles de mâles, je me contente de boire une gorgée d'eau citronnée. La légère acidité est désaltérante et m'ouvre l'appétit. Cependant, mon acolyte me fixe, attendant ma réponse.
- Fantaisiste et mignonne, avoué-je pour clore le sujet.
- Mignonne ? Elle est super canon, oui !
Je ne lui connais aucune relation sérieuse mais l'absence de désinvolture dans son attitude m'intrigue assez pour l'écouter.
- Elle me plaît beaucoup mais elle est pas du genre à mélanger travail et plaisir. Du coup, j'ai fait en sorte de ne plus être son éducateur pour tenter ma chance.
- Comment ça ? m'étonné-je en rangeant ma bouteille dans le sac.
- Gabriel, le coordinateur des activités physiques et sportives, est un pote. Je lui ai demandé de la mettre avec toi et Karim parce que je savais que vous seriez pas intéressés.
Sa confidence me prend de court. Avec son physique avantageux, il n'a jamais eu à faire des efforts pour séduire le sexe opposé, encore moins à s'inquiéter de la concurrence.
- Bon, elle a que vingt-quatre ans mais les jeunettes aiment les mecs plus vieux, non ?
- Niveau âge mental, elle est plus vieille que toi, rétorqué-je, fier de lui rendre la monnaie de sa pièce.
Faussement outré, il m'envoie un coup de coude dans les côtes.
- On en parle de toi qui rougis comme un ado devant une nana ?
- N'importe quoi.
- C'est ça, ouais. Je compte sur toi pour rester sage. Ça me ferait chier que tu me la piques.
- Aucun risque, confirmé-je en admirant la façade de l'hôtel de ville.
De style néoclassique, la bâtisse en brique rouge fend le ciel de sa tour. Tandis qu'il jacasse, je m'interroge sur ce qui le pousse à changer. Peut-être que je le saurais en fréquentant Miss J'y-vois-rien. À un passage piéton, il s'interrompt enfin. L'occasion d'aborder le point qui m'importe vraiment :
- Et sinon, tu pourrais parler à Gabriel du slip de bain ? Je ne peux vraiment pas.
- T'es pas croyable, s'esclaffe-t-il en m'ébouriffant les cheveux.
Dix-neuf heures dépassées de trois minutes. La lumière diffuse des lustres enrobe le restaurant aux murs bleu nuit. Le décor feutré et l'espacement des tables nappées de blanc offrent l'intimité idéale pour un repas romantique.
Après avoir vérifié mon apparence dans le reflet de la vitrine, je pénètre dans l'atmosphère feutrée où les conversations des clients s'entremêlent à la musique classique.
À peine ai-je posé un pied sur la moquette que je la remarque. Comme aimantés, mes yeux se braquent sur la brune seule au coin bar. Sa robe épouse les courbes de son corps mince et le bordeaux de la soie m'évoque la volupté promise par le vin.
- Bonsoir monsieur. Vous avez réservé ?
Ignorant la serveuse, je me dirige vers la sirène sans me presser, afin de contempler à sa juste valeur le tableau qu'elle offre. Sa chevelure tombe en cascade jusqu'à sa chute de reins cambrée et son fessier rebondi suscite des pensées inavouables. Ma respiration se raccourcit, soumise à la flamme du désir. Chaque pas me rapprochant d'elle me réchauffe et alimente mon envie de frissonner contre sa peau veloutée.
Difficile de résister à son appel à la luxure.
Il émane d'elle un parfum d'agrumes familier qu'il me plairait d'humer à la naissance de son cou dégagé mais son langage corporel trahit son agacement. Une main vernie tapote le comptoir, l'autre frotte le pied de deux flûtes de champagne.
- Il aura meilleur goût en bonne compagnie, annoncé-je en m'accoudant sur le bois laqué.
Elle ne daigne pas m'accorder une œillade. Son index caresse le contour d'un verre avec une sensualité insolente et une tension s'installe dans mon bas-ventre à l'idée de ce doigt glissant sur mes abdominaux.
Reste concentré, bordel.
J'inspire lentement pour reprendre le contrôle, en vain. Le sujet de mes fantasmes persiste à m'ignorer, préférant s'intéresser à la boisson pétillante. Peinant à contenir mon empressement, je craque mes phalanges avec mon pouce.
- Est-ce que je dois me mettre à genoux pour mériter ton attention ?
Ses pupilles rencontrent enfin les miennes. Le maquillage charbonneux de son regard perçant envoûterait le plus insensible des marins. Mon cœur s'emballe, piégé par son magnétisme.
- Tu es en retard, Sandro.
Son timbre glacial achève le portrait de la femme fatale inaccessible. Je me penche vers elle, fixant sa bouche rouge carmin, et lui susurre à l'oreille :
- Excuse-moi. Je saurai me faire pardonner cette nuit...
Ses pommettes rosissent alors qu'elle m'offre une flûte, satisfaite. Nous trinquons dans un tintement cristallin avant de savourer l'explosion des bulles sur la langue. La fraîcheur du liquide ne calme pas ma testostérone. Happé par le sourire ravageur d'Éléanore, je presse une paume sur son dos et l'attire à moi pour goûter ses lèvres dans un baiser passionné.
- À nos quatre ans, meu amor.
*
Duas mulheres, dois mundos, mas o mesmo poder de perturbar um homem.
Deux femmes, deux mondes, mais le même pouvoir de perturber un homme.
✿❀✿❀✿❀✿❀
Ni coup de foudre, ni attirance pour changer des romances classiques.
Comment vont se rapprocher Lucie et Sandro ? 🧐
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Monimoni-ka
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