Chapitre 30 (suite)

Je dépose mes deux lettres bien en évidence sur la table de la cuisine, le regard troublé par les larmes qui menacent de couler. Il faut que je sois fort, ce n'est pas le moment de pleurer, pas tout de suite. Si je quitte cet endroit, c'est pour eux. Pour les protéger, les préserver de l'enfer que pourrait déchaîner mon père sur eux. Comme s'il avait compris qu'il se passait quelque chose de grave, Ha-Ru m'observe avec un petit air triste, assis dans le hall d'entrée, près de ma valise. Je m'approche de lui et m'accroupis pour le caresser.

"Je vais devoir partir mon chat. Mais Jae-Won et Lemy prendront soin de toi, ne t'inquiète pas. J'aurais bien voulu te prendre, mais là où je vais, il n'y a pas de place pour les petites boules de poils. Aussi adorables soient-elles. Il n'y en a déjà pas pour moi..."

De ses grands yeux verts, il semble m'écouter attentivement et, quand je le prends une dernière fois dans mes bras pour lui dire adieu, je le sens se lover dans mon cou, comme si lui aussi savait que c'était la dernière fois que nous nous voyions. Je dépose un baiser sur le haut de sa tête et le repose à terre. Ses yeux toujours braqués sur moi, il ne me lâche pas du regard, le temps que je mette mes chaussures et enfile ma veste. Quand j'ouvre la porte et prends ma valise pour sortir, il fait mine de me suivre avant que je ne l'arrête.

"Non mon chat, toi tu restes là. Prends bien soin de Jae-Won et Lemy d'accord ? Et surtout de Jimin... il va avoir besoin de toi..."

La culpabilité m'écrase le cœur comme si un poing s'était refermé dessus et le compressait de toutes ses forces. La porte se ferme doucement derrière moi et je ne suis plus qu'une ombre, un fantôme. Mon âme est restée là-bas, dans cette chambre qui renferme tant de souvenirs avec mon ange blond, dans ce salon où j'ai passé toutes ces incroyables soirées avec mes frères de cœur, dans cet appartement empli de réminiscences de cette vie parfaite que j'avais enfin la chance de goûter.

Je m'adosse quelques instants contre la porte, absorbant l'énergie et le courage nécessaires pour affronter ce qui m'attend. Fut un temps, j'aurais tout donné pour retrouver cette vie infernale mais sécuritaire. Aujourd'hui je donnerais tout pour ne jamais avoir à retourner là-bas. Les larmes coulent et cette fois, je ne les retiens pas. Mon cœur, ma poitrine, ma tête, j'ai l'impression que tout est sur le point d'exploser. Je glisse lentement au sol et me laisse emporter par le chagrin. Je fais le deuil de la vie qui se trouve encore derrière le chambranle. Une fois que j'aurais fait un pas vers la sortie, tout ne sera plus qu'un rêve lointain.

Je pense à Jimin et mes pleurs s'intensifient. Je vais briser le cœur de l'ange qui m'a apporté tant d'amour, de bonté et de gentillesse. Briser la vie du garçon que j'aurais aimé demander en mariage. Détruire le monde de celui qui m'a redonné l'envie de vivre. Je plaque ma main contre ma bouche pour empêcher mes sanglots de résonner dans le couloir. Même si c'est pour les protéger sa mère et lui, je sais que ce que je m'apprête à faire est cruel. Partir sans lui dire au revoir, sans lui donner de véritable explication. Il sera dévasté. Je le suis déjà moi-même. Je compte sur la présence de mes amis pour l'aider à tenir le coup. A eux trois, je sais qu'ils sauront se soutenir mutuellement. Contrairement à moi qui n'aurait plus personne...

Quand le ruisseau de larmes se tarit enfin, je me redresse, essuie mes yeux et, avec une détermination que je me force à ressentir, je fais le premier pas vers mon nouvel enfer. Arrivé au bas de l'immeuble, je pose ma valise au sol et la fait rouler jusqu'à la station de métro. Je me sens déconnecté du monde, comme si je l'observais à l'extérieur de moi-même. La rame s'arrête à mon niveau et il me faut plusieurs secondes avant de me rendre compte que les portes sont ouvertes et que je peux y entrer.

Épuisé par toutes ces émotions, je somnole sur mon siège, le visage entre mes mains. Quand le nom de mon arrêt retentit dans les hauts-parleurs, je suis complètement résigné et prêt à accepter mon sort. Encore quelques minutes de trajet et je serais de retour devant cette porte qui a hanté mes nuits pendant des semaines.

Arrivé devant le portail, je sonne. Peu m'importe de réveiller ma famille endormie. On m'a demandé de revenir ici avant demain, c'est ce que je fais. Et si ça permet au passage de mettre mon géniteur en rogne, je prends. Je patiente plusieurs minutes mais personne ne vient m'ouvrir. Je décide donc de leur jouer un petit concerto de bienvenue. Avec satisfaction, j'entends enfin le déclic d'une porte qui se déverrouille et la mine endormie de mon frère apparaît dans l'entrebâillement.

"Hyung ? Mais qu'est-ce que tu fais là ?
- Tu demanderas à ton cher père. A moins que tout ça ne soit ton but depuis le début."

Mon ton est aussi froid qu'une tempête hivernale. Si je suis ici, c'est entièrement sa faute. Mon père me l'a avoué lui-même, c'est Yoong-Jae qui leur a dit qu'il m'avait croisé à la sortie de son école. Je ne vois pas son expression. L'ombre nocturne qui se reflète sur son visage m'empêche de lire ses traits. Toutefois il ne répond rien.

"Maintenant viens m'ouvrir, la soirée a été longue et j'ai besoin de me reposer."

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