Partie 22 Douleurs
J'eus la surprise de découvrir que j'étais dans la même position que lorsque j'avais été aspirée. Rien n'avait bougé. Je voyais tout au ralenti.
J'étais au dessus de mon frère. Ses yeux se sont éteints mystérieusement. Derrière moi, Robin courrait en notre direction, ne bougeant que d'un millimètre à chaque seconde. Tout était comme je l'avais laissé. Les menottes explosées par terre, le corps allongé de mon frère, Robin en mouvement. Je bougeais, mais le temps avait perdu toute mesure autour de moi.
D'un coup, tout s'est accéléré, ou du moins repris son cours normal.
Robin s'est arrêté en me voyant.
J'étais perdue. Complètement larguée. C'était de ma faute. Mansyur m'avait eu de nouveau. Elle s'était emparée de ma faiblesse et l'avait utilisé contre moi.
- Lys, que se passe t-il ? J'ai cru voir ... Il m'a semblé que ...
Robin n'arrivait pas à comprendre.
Je lui ai expliqué les grandes lignes, en passant les découvertes macabres à chaque fois. Il paraissait calme, mais quand j'eus fini mon court récit, il croisa les bras. Signe qu'il réfléchissait à la situation, qu'il essayait de comprendre comment tout cela avait pu se produire sous nos yeux.
Nous nous sommes tournés en même temps vers le corps de mon frère, qui n'avait fait aucun mouvement depuis que j'étais, comment dire, revenue ?
- Mansyur est endormi, tu crois ? ai-je demandé.
- Je n'en ai strictement aucune idée ! Vérifions cela sous peu.
- Faisons ça.
Nous nous sommes approché. Soudain, le corps a bougé. Figés, main dans la main, nous observions. Le corps semblait soumis à des spasmes violents, puis tout cessa. Le corps se décomposa en quelques secondes. La chair se rétracta, devenait noire jusqu'à n'être que poussière. Le sang et les organes se mirent à sécher, puis à se consumer comme une bûche dans une cheminée. Ses os se sont fissurés et sont partis en fumée. À part de la poussière, plus rien ne restait de ce faux Nash.
J'ai craqué.
Je m'étais trop retenue lorsque je ne pouvais rien faire dans le corps de Mansyur. C'était fini. J'étais à l'extérieur. Et je venais d'observer une décomposition ultra rapide de mon frère, ou du moins de son apparence.
J'ai hurlé, tapé du pied, balancé des trucs télépathiquement dans la pièce. J'ai pété un plomb.
Robin essayait de me calmer, il me disait que tout allait bien se passer, qu'on trouverait et détruirait ce meurtrier. Mais moi, j'en avais assez. Assez de faire la grande sans sentiments. Oui, je ne pouvais plus pleurer. Oui, j'étais morte, et j'étais l'ancien réceptacle de Cynthia. Qu'ils aillent au Diable, tous ceux qui restent sur ces pensées ! Je suis humaine, bordel ! Et je venais de dépasser le seuil limite de ma colère.
Nora et, sûrement, un clone d'Angel débarquèrent dans la cuisine, attirées par les hurlements que je poussais.
Nora était en pyjama Tortues Ninja, à moitié endormie. Elle se frottait les yeux avant de les ouvrir en grand en voyant le foutoir dans la pièce. Un ouragan était passé par là. Il s'appelait Lys.
Je voulus continuer mon cirque, continuer à déverser ma haine, mais mes forces me quittèrent instantanément lorsqu'Angel m'attrapa par le poignet. Elle me le serra avec force, son regard était d'acier. Mes forces étaient aspirées. Je voyais des traits lumineux verts déferler dans mon bras, pour aller dans celui d'Angel.
- Ça suffit, me dit-elle sévèrement.
J'avais beau essayer de la repousser, mon énergie m'abandonnait.
Je sombrais dans un sommeil profond.
***
Je me suis réveillée difficilement dans un lit à baldaquin. Mon corps me faisait mal comme si un éléphant et son éléphanteau m'avait piétiné. Je me suis redressée pour voir où je me trouvais. J'étais dans une chambre de style ancienne. Les murs semblaient en bois, et les rideaux étaient en dentelles bordeaux. Les rares meubles étaient de style victorien. Je savais que c'était une chambre située au premier étage du Manoir.
J'ai alors remarqué la présence de Nora, à gauche du lit. Elle semblait appréhender quelque chose. Elle s'était figée d'un coup. La scène était très étrange. Je la dévisageais, assise dans mon lit, tandis qu'elle me dévisageait, debout contre le lit.
Finalement, elle a parlé.
- Tu vas pas piquer une crise, hein ? T'es effrayante quand tu t'énerves.
Mes souvenirs récents refirent surface. Je serrais les poings.
- Non, tout va bien, ai-je répondu, peu sûre.
- Vraiment ? Parce que la cuisine ressemble à une pizza passée au mixeur.
- Désolée pour elle.
- C'est pas grave, j'avais pris des provisions, au cas où. Tu veux du taboulé ?
J'ai froncé les sourcils, avant de faire non de la tête. Je ne peux pas manger, Nora !
- Angel m'a arrêté, me rappelai-je.
Nora s'est assise brutalement sur le lit, à mes côtés.
- Yep. Le Manoir commençait à trembler. Je crois qu'elle nous a sauvé de ta colère destructrice.
- Je suis navrée.
Je le pensais vraiment. Je n'aurais jamais dû me déchaîner.
Nora aurait dû me crier dessus et m'en vouloir. Néanmoins, elle me fit un grand sourire et ses yeux brillèrent d'excitation.
- Tu rigoles ? C'était trop cool ! Si Mansyur avait été dans les parages, tu l'aurais liquidé de la même manière qu'on défonce une mouche avec une tapette !
- Pas sûr, riais-je. Où est Robin ? Il était avec moi quand ... Tu vois ...
Je n'osais même pas dire que j'avais pété une durit et qu'on aurait pu tous y passer. Angel nous avait réellement sauvé la vie.
- Il est en bas, m'indiqua Nora en piochant dans son taboulé.
- Tu crois qu'il a peur ?
Nora éclata de rire.
- Elle était drôle, celle-là.
Elle m'a alors regardé dans les yeux et à deviné majestueusement que je ne plaisantais pas.
- Tu plaisantes ? Comme s'il pouvait avoir peur de toi. Ce gars-là, c'est Hulk dans sa tête. Il en a vu d'autres. Toi, lui faire peur ? Qu'est-ce qu'il faut pas entendre, comme connerie.
Je ne savais pas si elle avait raison, mais une chose était sûre. J'étais soulagée, apaisée. Si Robin ne m'en voulait pas, tout allait bien.
Je repensais à Angel, qui m'avait quand même fait faux bond avant de nous sauver.
- ANGEL !
J'ai fait sursauté Nora. Je l'avoue, je l'avais fait exprès, et un sourire se dessina sur mon visage. Nora et moi nous sommes regardés au même moment, et avons explosé de rire.
- Oui, oui, présente, dit une voix mélodieuse à ma droite.
Angel était appuyée contre la grande fenêtre, le regard perdu dans le vague. Soit elle venait d'apparaître à l'instant, soit je n'avais pas fait attention à sa présence lorsque j'ai examiné la pièce.
Elle avait les bras croisés, et ses iris émeraudes brillaient avec moins d'intensité que d'habitude. Ses cheveux noirs corbeau retombaient soigneusement dans son dos, et sa peau était toujours blanche comme l'ivoire, pourtant j'avais l'impression qu'une chose avait changée chez elle.
Angel se tourna alors vers moi, et son regard me glaça les veines. C'était le vide intersidéral, celui qu'elle pouvait porter quelquefois. Les rares moments où elle ressemblait plus à une poupée perdue qu'à une menace.
Je me suis reprise, essayant de cacher ma stupeur.
- C'est quoi, le cirque que tu as fait avec mon prisonnier ?
Ses yeux reprirent des couleurs.
- Mon cirque ? Tu n'as pas vu les dégâts de la cuisine.
- Je me suis égarée. Tu étais parfaitement consciente quand tu as piqué ce gars !
- Ne cherche pas un coupable. J'ai dû te maîtriser. Tu étais consciente de ce que tu faisais, tu t'en fichais c'est tout.
Nous nous sommes fusillés du regard. Il faut croire que nous ne deviendrions jamais meilleures amies.
Je me suis levée du lit. Malgré ma tête tournante, je me suis avancée vers Angel.
- Ce gars était une source d'informations. Qu'en as-tu fait ? Tu l'as téléporté à Reaper, de la même manière que tu lui as rendu son bâton ?
- Élie devait le voir, a-t-elle annoncé.
J'ai écarquillé les yeux.
- N'importe quoi ! Depuis quand tu te soucies des désirs d'Élie, d'abord ?
- Pense ce que tu veux, ça m'est égal. Élie devait le voir, c'était impératif. Les choses s'accélèrent, et tu aurais mis trop de temps à lui apporter le spécimen. Je n'ai fait qu'avancer les événements. Je te l'ai dit, je ne dois pas participer pleinement à ta mission.
- Ce n'est qu'une excuse que tu me sors constamment ! J'en ai marre des énigmes !
J'ai hurlé la dernière phrase, et les murs ont tremblé. Je me suis rendu compte que les meubles lévitaient. Nora a émit un hoquet de surprise. Angel n'a pas sourcillé, elle se tenait droite, stable, indéchiffrable. J'ai relâché la pression, et les meubles sont retombés sauvagement, provoquant un bruit sourd mais qui se dispersa dans tout le manoir.
- Désolée, ai-je dit en détournant le regard d'Angel.
- Tu ne te contrôles plus, remarqua t-elle.
C'est tout à fait pertinent ça.
- Depuis cette foutue pierre ...
- Oui, je sais, s'est empressée de dire Angel, qui jeta un œil à Nora.
- Je ne sais pas ce qui m'arrive ...
Angel a fixé Nora, puis m'a demandé silencieusement de la faire sortir. Conversation privée réclamée. J'ai demandé à Nora de sortir. Elle a prit son taboulé, puis s'en est allée gaiement. Elle avait l'air de n'avoir aucun problème avec le fait que je partais en vrille.
- L'admiration, déclara Angel.
- Pardon ?
- Nora. Elle t'admire, alors elle ne voit pas le mal en toi. Moi, je le vois. Je connais les effets de cette pierre, personne ne voudrait vivre ça.
- Sincèrement rassurant. Comment tu sais ça, toi ?
- Je le sais, c'est tout. Pour l'instant, tu n'as pas besoin d'en savoir plus.
Si, j'en avais besoin. J'étais en train de complètement devenir une dégénérée. Là, je méritais ma place au Calvaire. J'avais besoin de savoir ce qu'il se passait. Pourquoi ça me faisait cet effet ? Comment l'arrêter ? Quelles étaient les prochaines étapes vers la folie ultime ?
Je me suis rassise sur le bord du lit, puis je fis semblant d'être passionné par mes orteils.
- N'en parlons plus. Tu peux piquer ta crise, si tu veux, je serais là pour t'aider.
- Pourquoi ?
Elle a penché la tête en signe d'incompréhension.
- Pourquoi m'aides-tu ? Je veux dire ... Je n'ai jamais été sympa avec toi, alors ...
- Je n'ai pas de raisons particulières.
- Je comprendrais plus tard, c'est ça.
Angel me fit un grand sourire.
Puis, elle me tendit sa main.
- Tu veux savoir pourquoi j'ai amené Maxence à Élie ?
Il s'appelait donc Maxence. Première nouvelle.
Je hochais la tête, timidement.
- Prends ma main, je vais te montrer.
- Me montrer ? J'ai eu assez d'illustrations pour la semaine, tu sais.
- Maxence est son frère, Isallys.
Je stoppais tout mouvement.
- Leur histoire est importante pour la suite.
Sans attendre, j'ai pris la main d'Angel pour me plonger à nouveau dans le monde obscur du rêve dans le passé.
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