Partie 20 Le monstre

Lorsque j'ai repris connaissance, je ne contrôlais rien. Je pouvais voir, entendre, sentir normalement, mais je n'avais aucun contrôle sur mon corps.

Je compris que la raison était simple. Ce n'était pas mon corps.

Nous sommes passés devant un miroir, se trouvant lui-même dans une chambre à la tapisserie fleurie. La silhouette qui se reflétait était celle d'une ombre en mouvement, inspirant l'oppression et la peur, qui possédait deux petits points jaunes luisants en guise d'iris.

J'étais dans la corps de Mansyur.

Le chaos ...

Ce qui m'étonna le plus ne fut pas cette voix dans ma tête qui n'était pas la mienne, c'était la sonorité féminine. Ne me dites pas que Mansyur était une femme ? Ce serait le comble, ça !

Le chaos ... bientôt, il reviendra, il anéantira l'humanité ...

Elle, du coup, répéta cette phrase plusieurs fois, figée devant la glace. Sa tête, si on peut appeler l'extrémité du corps d'ombre de cette manière, se pencha sur le côté, observateur.

Et moi ? Que vais-je devenir ? ... Le chaos ...

Mansyur n'avait que ce mot en pensée. Le chaos. Ce qu'elle développait, de toute manière. C'était assez compréhensible qu'elle soit obnubilée par cela.

Mansyur ignora alors complètement son reflet en entendant des gonflements dans une autre pièce. En faisant le tour d'elle-même, je me rendis compte que j'étais dans une chambre pour bébé. Un lit à barreaux était à son opposé, et une forme mouvante examinait des peluches réparties autour. Mansyur s'en détourna très vite, sortit de la pièce et traversa un couloir pour atterrir dans une autre chambre. Elle avait suivi les ronflements.

En effet, la chambre était beaucoup plus adulte. Malgré l'obscurité, dû au fait qu'il n'y avait pas de veilleuse dans cette pièce, je pouvais deviner un ameublement sobre, sûrement aux couleurs marrons ou grises. Un lit deux places était placé en plein milieu de la chambre, et deux humains dormaient paisiblement dedans.

L'homme poussait des ronflements presque exagérés. Il paraissait jeune, serein. Il construisait son avenir pas à pas. À ses côtés, une femme du même âge, approximativement. Mansyur contourna le lit et s'en approcha. Je pus la voir plus aisément. Elle avait les cheveux foncés, un visage calme et reposé. Ses rêves semblaient ne pas la perturber.

Le chaos ...

Ce mot me donnait la migraine, tellement elle le répétait.

Mansyur caressa un instant le front de la jeune femme, puis je vis sa main ombragée prendre une forme de lame.

Bélier.

Je ne pus détacher mon regard de la scène, ni crier pour qu'elle s'arrête. Passivement, je regardais avec horreur le meurtre qui dansait sous ses yeux.

Mansyur planta un seul coup dans l'abdomen de la jeune femme, qui s'éveilla en hurlant. Alerté par ses cris, l'homme à ses côtés se tourna, encore à moitié endormi. Il marmonna quelque chose, avant d'écarquiller les yeux brutalement. J'entendis les cris du bébé en arrière fond.  Mansyur jeta alors une sorte d'huile, puis du feu commença à brûler la chair de la jeune femme, qui hurlait à la mort.

Le jeune homme souleva sa couverture et tenta d'éteindre sa compagne avec ardeur, faillit vomir à cause de l'odeur pestilentielle que dégageait celle qui partageait son lit. Il avait beau avoir éteint le feu qui la consumait, la jeune femme ne bougeait même plus un pouce.

Mon hurlement se fit vide. Peu importe ce que je voyais, je ne contrôlais rien. Je n'étais qu'un simple spectateur.

L'âme de la jeune femme s'éleva au dessus d'elle. Son orbe exprimait une haine et un regret profond. Elle tournoya autour du jeune homme, qui pleurait à chaudes larmes, le téléphone collé à l'oreille en quête d'aide. Le bébé pleurait toujours.

C'est alors que Mansyur aspira l'orbe à l'intérieur d'elle-même.

L'image se brouilla et le décor changea complètement. Mansyur était maintenant au bord d'une route, sûrement une nationale. Nous étions au milieu de la forêt. Les sapins et le sol étaient couvert d'une neige fraîche. Soit nous étions en hiver, soit le pays était propice à ce genre de météo.

Encore une fois, la nuit m'empêchait de voir clairement. En plus, Mansyur répétait sans cesse le mot "chaos", telle une machine cassée. Vous savez, ce moment où votre jouet macdo passant la musique Barbie girl disfonctionne et la répète en boucle, et la seule envie que vous ayez, c'est de détruire ce jouet. C'est ce que je ressentais.

Taureau.

Une voiture passa à toute vitesse devant nous. Il m'avait semblé que le conducteur était un homme, et qu'il était seul dans sa voiture.

Mansyur tendit alors son bras. Un champ de force se dégagea de son membre supérieur, puis je vis la voiture au loin faire un tonneau, comme poussée par une force extérieure, ce qui était le cas. Sa voiture roula sur plusieurs centaines de mètres, avant de tomber dans un ravin et de se faire ensevelir par la roche qui lui tomba dessus. Comme par magie.

Aucune chance de survie.

Pareillement, l'âme s'éleva dans le ciel, et Mansyur l'aspira à son tour.

Le décor changea à nouveau. Cette fois, j'étais dans un hôpital, bondé de monde. Cependant, personne ne semblait nous prêter attention, et Mansyur se faufila jusqu'à une chambre grande ouverte. C'était une chambre unique. Une vieille dame était couchée dans son lit surélevé, des lunettes sur le nez, feuilletant un sudoku. Elle avait une perfusion au bras, et un pansement près de la nuque.

Sur sa table de chevet, on pouvait apercevoir des dessins d'enfants, coloriées avec une attention toute particulière. Lorsque la grand-mère tourna la tête en les regardant, elle étira un sourire bienveillant.

Gémeaux.

Passif et extrêmement énervée de ne pouvoir rien faire, je regardais impuissante cette vieille dame se faire asphyxiée avec un oreiller qui, pour elle, avait dû paraître voler tout seul.

Elle remua peu de temps, avant que ses forces la lâchent. Son âme monta dans le ciel, mais sa course vers la liberté fut stoppée par Mansyur. Elle rejoignit les autres prisonniers.

La prochaine victime, je la connaissais, très bien même.

Ma mère s'affairait dans la cuisine, de style moderne, à préparer un de ses fameux couscous. Elle malaxait la semoule, je n'avais jamais compris pourquoi, quand mon frère la rejoignit en lui embrassant la joue. Ils avaient l'air heureux.

Mansyur semblait tapis dans le coin de la cuisine, près du frigo. Invisible à leurs yeux.

Mon premier réflexe fut des les avertir. De leur dire de fuir, qu'il tueur psychopathe était juste à côté d'eux et qu'ils n'avaient aucune chance. Aucune son ne sortit. Et je savais pertinemment que c'étaient des images du passé. Mansyur souhaitait que je vois à quel point c'était un monstre.

Cancer.

Non, non, non. Je ne voulais pas vivre ça. Je ne voulais pas être ce spectateur là.

Pourtant, je n'avais aucune échappatoire.

C'était eux qui allaient souffrir, mourir. J'étais celle qui se sentait le plus mal. Mon frère et ma mère avaient un visage serein, ne s'attendait pas à un destin funeste. C'est ce qui arrive quand on connait le futur. On veut tout empêcher, mais on ne peut que regarder.

Mansyur a fait un pas vers eux. Si j'avais pu, j'aurais arrêté de respirer, espérant arrêter le temps par la même occasion.

Il a fait un pas de plus, mais s'est stoppé d'un seul coup lorsque sa victime s'est mise à parler.

Mansyur était à deux pas de ma mère, qui se lavait les mains dans l'évier de l'îlot central. Nash était assis sur un tabouret surélevé, piochant dans les légumes fraîchement lavés et découpés par ma mère.

- Tu es passé, ce matin, j'ai vu, dit ma mère.

Nash a soudainement baissé les yeux, et cessé de choper de la nourriture sur l'îlot.

- Oui, a-t-il répondu simplement.

- Tu devrais stopper tout ça. Tu te rends malade.

Nash resta silencieux. J'ignorais de quoi il retournait, mais ma mère a arrêté le robinet et est restée immobile un moment. L'évier était rempli d'eau. J'avais envie de lui crier de la déverser, de s'éloigner du point d'eau, je n'en avais pas la capacité.

- On en a déjà parlé, a continué ma mère.

- Oui, justement. La discussion est close.

- Nash ...

- Je n'arrêterai pas ! la coupa Nash. Elle est toujours là, tu comprends ? Je ne peux pas croire que tout ça soit arrivé ... Tu ne m'as rien dit, en plus.

Ma mère essuya le coin de son œil. J'aurais juré qu'elle repoussait une larme.

- Je ne pouvais pas savoir que le Calvaire était ce genre d'endroit ! Lys ...

- Je ne pense pas qu'elle t'en veux, maman.

Mon cœur s'est serré.

- Je ne sais pas. Tu aurais vu ses yeux quand je suis allée la voir ... Elle me haïssait, et elle avait raison. Puis, cet appel étrange ... Elle s'est excusée, mais après, c'était comme avant, on s'est disputées.

- Tu as fait de ton mieux, tu sais. Mais tu aurais dû me le dire. Tu aurais dû être plus présente pour elle ! Elle avait besoin de toi, à ses côtés. C'est tout ce dont elle avait envie, au fond.

Ma mère a haussé les épaules.

Mansyur pouvait sentir ses émotions. Elle était découragée, abattue, angoissée d'avoir été une mauvaise mère. C'était faux. Elle n'avait pas été tellement présente, mais je n'avais jamais été battu par elle, je n'avais jamais manqué de rien, j'avais toujours eu ce que je voulais. Sauf son attention.

Elle n'était pas mauvaise en elle-même. Elle était juste ... à côté de la plaque.

Alors, Mansyur a placé sa main à l'arrière de son crâne. Dans un hurlement inaudible, il a enfoncé la tête d'Olivia dans l'évier. Nash s'est levé d'un coup, en hurlant, tandis que ma mère se débattait pour sortir sa tête de l'eau.

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