Une onde de choc passa dans le hall. La nouvelle avait résonné en écho dans la pièce, comme si les murs s'amusaient à exposer notre défaite. Ce n'était pas possible ... Comment avait-elle pu être tuée alors qu'elle se trouvait dans le Manoir ?

- Je l'ai vue par la fenêtre, dehors, continua Robin. À moitié enterrée.

- Comment est-elle sortie ? Qui la surveillait ?

Je m'en souvenais. Je l'avais confié à Nash. C'était mon frère qui était censé la protéger. Tel un chien, j'ai fait le tour de moi-même à sa recherche. Il n'était pas dans le hall. Sans prévenir, je montais à la vitesse de l'éclair à l'étage, hurlant le nom de mon frère. J'entendis que l'on criait mon nom, en bas, mais je l'ignorais. Il fallait que je retrouve Nash. Si Maddie avait pu être atteinte, mon frère était peut-être en danger.

J'ai fouillé plusieurs chambres, placards, salles de bain, tous plus vides les uns que les autres. Je suis allée jusqu'au fond du couloir, au deuxième étage. Les portes étaient toutes fermées. Cela créait un espace oppressant. En plus, des tableaux n'égaillaient pas l'ambiance, et les lampes couvertes de poussière ne procuraient quasiment pas de lumière. Cet étage semblait à l'abandon, comme si une tornade de vide était passée par là.

La fenêtre au bout du couloir était ouverte. Les battants claquaient contre les murs extérieurs. Prise d'une irrésistible envie d'aller voir, je me suis dirigé lentement vers la fenêtre. J'ai jeté un coup d'œil au dehors. Près d'un arbre, à quelques mètres du grillage qui entourait la bâtisse, la terre avait été remuée. La moitié d'un corps était visible. Le haut anatomique de la petite Maddie Grimm était enseveli sous la terre, tandis que l'on voyait ses minuscules jambes à l'air libre. Ses collants violets luisaient sous les rayons argentés de la lune.

Maddie Grimm avait été enterré vivante. Moins de dix ans, et elle avait subi l'épreuve de sa vie. Je ne pus m'empêcher de me sentir coupable, et de regretter cette disparition. Toute cette histoire de rituel devait être arrêté, mais comment ?

Je sentis le désespoir remplacé tous mes autres sentiments. Un tel poids sur le cœur. Une irrésistible envie de sauter. Comme lorsque j'avais vu cette pierre. Comme lorsque j'avais été devant l'asile du Calvaire. Je ressentais la même attirance. Ma tête semblait creuse de toutes pensées. Je n'avais qu'une seule et unique envie, me jeter par la fenêtre.

Mon pied passa la barre de sécurité en bois, mes mains appuyées contre les battants de fenêtre. Je m'apprêtais à sauter, mais je ne ressentais rien.

- LYSOU !

Ce cri me réveilla. J'écarquillais les yeux en observant le vide. Je m'écartais rapidement de cet endroit maudit.

Que m'arrivait-il ? J'avais l'impression d'être possédée par une puissance supérieure ! Cette effroyable impression d'être un pantin.

- Lysou, répéta la voix plus doucement.

Je me suis retournée. Nash me rendait la main pour que je la lui prenne. Ses yeux transpiraient l'inquiétude et le doute.

- Je vais bien, ai-je dit, un peu plus violemment que prévu.

- Tu es sûre ?

- Puisque je te le dis !

Bon, d'accord, là je n'allais vraiment pas bien. Il m'arrivait des choses encore plus étrange que lorsque j'étais vivante, y a de quoi s'inquiéter !

Nash parut vexé, ou apeuré, je n'en sais rien, je ne suis pas dans sa tête, bordel !

Je poussais un cri de rage. Pourquoi possédais-je tant de colère en moi ?

- Il faut s'éloigner d'ici, affirmais-je. Maudit Manoir, j'aurais ta peau.

Je pris Nash par la main et l'entraînais vers les escaliers.

Les effets se dissipèrent. Je me sentis nettement mieux, plus calme, plus sereine. C'était rafraîchissant. Il fallait que j'informe Élie que notre Manoir protégé ne l'était plus tant que ça. Bon, pour l'instant, condamner le dernier étage était la seule solution envisageable. Nous n'avions pas d'autres endroits où nous réfugier.

- Nash, as-tu laissé Maddie seule ?

J'attendis sa réponse, rien ne vint. J'ai stoppé notre descente. En plein milieu des escaliers, une marche au-dessus de lui, je l'ai regardé droit dans les yeux.

- Nash, dis-moi la vérité.

- Je ...

Il se mordilla la lèvre et baissa les yeux.

- J'étais fatigué, tu comprends ? Vraiment ... fatigué. Je me suis endormi. Mais elle va bien ! Elle dormait elle aussi !

- Non, Nash, elle ne va pas bien, ai-je soupiré.

Il a ouvert les yeux en grands. Il venait de comprendre que je venais d'utiliser un euphémisme. Maddie Grimm était morte. Le rituel reprenait, les menaces qui pesaient sur nous étaient plus fortes que jamais.

Nous descendîmes dans le hall, où le temps semblait s'être arrêté. Tout le monde était à la même place que quand je les avais quitté.

Tous les regards se tournèrent vers nous. Nash alla se placer à côté de Nora, qui ignora totalement la détresse dans ses yeux. Ils se concentrèrent tous sur moi, même Angel. Remarquable progrès, elle écoutait quelqu'un d'autre qu'elle-même.

- Écoutez, vous tous, si vous êtes ici c'est que vos vies sont en danger, ai-je débuté.

De la peur s'est élevée dans l'air.

- Un rituel est en cours, et nous luttons contre lui. Un ordre de sacrifices a été déclaré. Maddie Grimm est la dernière à avoir été tuée. Elle était la vierge. Le prochain est la Balance.

Le jeune Aimé releva la tête en entendant son signe astrologique. La mort planait sur lui plus que sur les autres, pourtant il opina et ne contesta pas mes dires. Il ne se mit pas en colère, il ne serra pas les poings, il acceptait seulement son destin. Nous allions le sauver.

- Attends, intervient Angel. Maddie Grimm était dans le Manoir, non ?

Je voulus l'étriper. Cette information, je l'avais caché dans un but précis, ne pas faire paniquer les gens présents dans ce hall. C'est comme si un policier vous mettait dans une planque et déclarait "Tiens, c'est ici que sont morts nos dix derniers témoins !"

- Efficace, votre protection, rit méchamment Cécilia.

Son regard se dirigea vers moi. Cette pique m'était adressée, je comprenais.

- Oui, Angel, Maddie était ici. Elle a dû sortir.

- Impossible.

Pourquoi toujours me contredire ?

- Réfléchis, Isallys, sourit Angel.

La situation semblait l'amuser. En tout cas, tant qu'elle ne portait pas la même expression que lors de la destruction du Colisée, je ne portais aucun soupçon sur elle.

- Tu l'as endormi de force, m'indiqua t-elle. Selon cette technique, elle aurait pu se lever uniquement demain. Or, tu prétends qu'elle aurait pu sortir.

- Que sous-entends-tu ?

- Quelqu'un, parmi nous, s'amuse comme un petit fou.

Je ne compris pas tout de suite où elle voulait en venir, puis ça devint clair. Si Maddie n'était pas sortie d'elle-même, quelqu'un l'avait fait sortir. Une alliance avec Mansyur avait été effectué dans notre dos ? Ça voulait dire que quelqu'un ici ne disait pas la vérité sur lui-même ?

- Nous pouvons éliminer tous nos chers arrivants, absents au moment du crime. Ainsi que moi-même, il en va de soi, j'étais avec eux.

Cette dernière phrase me fut dédiée elle aussi. J'étais le centre du monde, à en croire tous ceux autour de moi.

- Lys et moi, on était bloqué dans une vision, l'informa Nora. Genre, bloqué comme des tortues dans un aspirateur.

- Cette image n'est pas nécessaire, dis-je.

- Qui nous reste-t-il ? s'amusa Angel.

Visiblement, cette prêtresse prenait beaucoup de plaisir à jouer au détective. Cependant, j'admettais qu'elle avait raison, alors je suivais son instinct. Son regard déambula jusqu'à Robin et Nash. J'écarquillais les yeux. Pas l'un des deux !

- Il n'y avait que vous, chers messieurs, capable de faire sortir Maddie, sourit sardoniquement Angel.