Partie 22 Existences

Esméralda paraissait sereine et inquiète à la fois. Je ne savais pas que c'était possible jusque là ! En fait, ses yeux indiquaient clairement qu'elle avait peur, que ce Charles était bien plus puissant et bien plus dangereux qu'elle ne l'avait pensé. Puis, sa posture et son air décontracté signifiaient qu'elle n'en avait rien à faire. Oui, c'est ça, elle s'en foutait. Elle se fichait du sort des gens, ou même de la planète, la seule chose qui devait lui importer c'est sa famille. Autrement dit, les prêtresses. Et je la comprenais. 

- Tu veux vraiment savoir ? 

Je hochai la tête avec dynamisme.

Esméralda soupira. 

- Je hais les gamines trop curieuses. 

- Je sais, ai-je souri. 

Elle me fixa, comme si elle sondait ma confiance. Puis, elle baissa les yeux. 

- Je ne compte plus le nombre de siècles depuis que je suis morte. J'ai vu l'Empire Romain. J'ai vu Jules César. J'ai même vu Marc Antoine et Cléopâtre lorsqu'ils se sont rendus à Patras. N'imagine pas que j'étais privilégiée, loin de là ! J'étais une esclave. 

Ce mot me coupa presque la respiration. Esméralda ... une esclave ? 

- J'ai subi tout ce que l'on peut subir lorsqu'on est un esclave. La persécution, la brutalité autant physique que morale ... j'ai subi tellement de choses que je me demande encore comment j'ai pu survivre. Quelle force me donnait l'envie de me battre ? Où trouvais-je cet espoir de voir un jour ma vie changée ? Aucune idée. Instinct de survie, peut-être ? Tous ces connards ... ils m'ont tout pris, tout ! Ma famille, ma virginité, ma liberté ! 

Ses yeux brûlaient de rage. Une larme coula le long de sa joue, qu'elle s'empressa d'essuyer. Je ne savais pas quoi dire, et je n'avais rien à dire. Ce qu'elle avait vécu ... tout ça, c'était si ... je n'avais même pas de mot pour le décrire. 

- Alors, quand j'ai eu une opportunité, continua Esméralda, je suis devenue quelqu'un. Quelqu'un de malsain, mais j'étais enfin libre. Et c'était tout ce qui comptais pour moi. Je me suis vengée, je les ai tous tué. Je me suis fait un petit nom, tu connais mes talents. J'étais devenue ce que vous nommez un tuer à gage. Mais un jour, un foutu romain m'a tué. Il m'a arraché la tête si ... sauvagement ! Je n'ai rien vu venir. J'ai été consciente quelques secondes avant de mourir, et la dernière chose que j'ai entendu, c'était la réflexion de cet homme sans burnes : "Même morte, j'aimerais bien la baiser !" Je n'ai pas pu me venger de celui-là. C'est si ... frustrant ! Tu sais, si cet homme m'a trouvé, c'est parce que mon associé m'a trahi, m'a dénoncé. J'avais confiance en lui, et pour sauver sa peau, il n'a pas hésité à me donner. Alors, la confiance et moi, ça fait un peu trente millions. 

Je ne pus rien dire. En entendant cette histoire, je suis restée muette. J'avais l'impression qu'elle venait d'inventer ce récit de toute pièce, mais son regard me prouvait que c'était réel. 

Que dire lorsqu'on vous avoue de telles choses ? Rien. Il n'y a rien à dire. On ne peut pas s'excuser pour ce qui est arrivée, on ne peut pas dire que tout va s'arranger, on ne peut rien faire. 

- Fais pas cette tête là, gamine ! Tu vas finir comme moi dans peu de temps ! 

Très réconfortant. 

Je voulus enfin ouvrir la bouche pour répliquer quelque chose, mais Esméralda mit sa main sur mes lèvres pour que je me la ferme. Elle avait entendu du bruit, et maintenant que je tenais l'oreille, je l'entendais aussi. 

Des bruits de pas. 

- Lys ! 

Robin apparut à l'angle du mur. 

Sans faire attention à rien, puisque je ne pensais plus à rien, je sortis du cercle et lui saurai dans les bras. Ça faisait tellement du bien de le retrouver ! Il était là ! Il n'avait rien ! 

- Tu vas bien ? me demanda t-il. 

- J'avais mes anges gardiens, lui ai-je souri. 

- Et il avait les siens, dit une voix derrière lui. 

C'était Jade, qui était revenue avec du beau monde. 

Reine avançait, toujours aussi droite et imposante. Elle était suivie d'Élie, et de l'autre prêtresse dont je ne connaissais pas le nom. 

- Je suis Cindy, se présenta t-elle. 

- Sans vouloir vous inquiétez, vous êtes tous hors du cercle. Enfin, je dis ça ... 

Esméralda fut coupée par le tremblement du bâtiment. Les néons s'éteignirent complètement, un silence régnait, le tremblement s'était arrêté. 

- Il s'est passé quoi ?! chuchotai-je en serrant Robin. 

Esméralda me fit signe de me taire et s'approcha d'une vitre, qui donnait sur une autre pièce. 

On n'entendait plus que le souffle d'Esméralda, s'approchant dangereusement de cet endroit sinistre. Les couloirs semblaient se faire eux aussi, comme si la scène qui se passait leur coupait l'envie de respirer et de prendre vie. 

Soudain, un cri aigu nous déchira les tympans. Semblable à l'alarme incendie qui résonnerait directement dans ton oreille. Tout tournait autour de moi et, sans le vouloir, je lâchai Robin. Les vitres explosèrent, les murs se remirent à trembler. Je tombais au sol, les mains pressant mes oreilles, en espérant ne plus avoir affaire à ce bruit horrible ! 

Tout s'arrêta. Le temps s'était comme arrêté.

À partir de ce moment-là, je crois que j'ai cessé d'exister. 

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