Partie 12 Nouvelle découverte
Je me levai et me dirigeai vers ma petite fenêtre. L'extérieur m'attirait toujours autant, surtout vu ce qu'il se passait à l'intérieur. Trop absorbée par les brindilles d'herbes et les nuages gris, je ne remarquais que quelques minutes après que le Dr Chevalier était entré à son tour dans ma chambre. Je le saluais poliment même si j'aurais voulu l'égorger.
Dr Chevalier s'installa sur mon lit, tandis que je restais debout en face de lui. Peut-être voulais-je lui montrer ma divine puissance ? Je me fais rire toute seule.
- Comment te sens-tu, Isallys ?
- Comme un cafard qui subirait la punition de Prométhée à chaque seconde de son existence.
Autant que vous compreniez ma métaphore : Prométhée était, selon la mythologie grecque, un titan, fils de Japet. C'est ce joyeux titan qui a permis à la race humaine de subsister, car c'est lui qui aurait volé le feu de l'Olympe pour le donner aux Hommes. Gentil, n'est-ce-pas ? À cause de cela, Zeus, le dieu des dieux, a décidé de le punir sévèrement en l'attachant à une montagne et en le condamnant à se faire bouffer le foie tous les jours par un aigle. Foie qui repousse la nuit, pour le plus grand déplaisir de Prométhée.
Maintenant, le lien avec ma métaphore : j'imaginais un cafard, le petit insecte qu'on a tous envie d'écrabouiller, sauf les protecteurs de la nature, qui subirait le vol de son foie non pas chaque jour, mais chaque seconde. Voilà.
Dr Chevalier soupira. Je devais le désespérer.
- J'ai réfléchi à quelque chose, Isallys.
Si j'avais crié "Bravo !", j'aurais été mal barré.
- Je pense que je peux te laisser sortir dans la cour. Une seule heure dehors ne peut pas te faire de mal, n'est-ce-pas ?
Je fis non de la tête, un sourire de Chat du Cheschire sur le visage.
Et c'est comme ça que je me retrouvais dehors, sous le soleil flamboyant, avec un vent doux qui caressait mes joues. Joie, bonheur, extase. Et c'est comme une mongole que je courrais dans tous les sens, un grand sourire sur les lèvres. Depuis combien de temps n'avais-je pas senti cette sensation unique ? Depuis combien de temps étais-je enfermée dans ce trou pourri ? Je ne sais même plus. Je ne compte plus les jours. Peut-être que ça faisait une semaine ? Peut-être plus ? Je ne voulais même plus y penser.
La chance voulait que nous ayons une partie "forêt". C'était plutôt sympa. J'y suis allée directement, car les infirmiers, chargés de veiller au bon déroulement du dehors, ne sont pas trop attentifs à cet endroit. Je me suis calée contre un vieil arbre qui semblait devenir fou lui aussi. On aurait dit que l'écorce pleurait, ce n'était peut-être que la lueur de la sève. En tout cas, j'ai apprécié ce petit moment de solitude.
Juste en face de moi, je pouvais apercevoir les barrières électriques qui entouraient la propriété. Je ne savais pas à combien de volt elles étaient, mais je n'allais pas m'amuser à essayer de deviner.
Au bout de quelques temps, je me décidai à lever mon derrière pour rentrer. Croyez-moi, j'aurais pu passer la nuit contre cet inconfortable tronc, mais le devoir m'appelait.
En traînant des pieds, et douée comme je suis, je tombai maladroitement et me pris une branche en pleine tronche. Étonnement, je n'eus pas mal. Contre mon gré, je jurai. Je m'aidai de la branche que j'avais heurté pour me relever, et soudain elle me parut étrangement molle.
Je vis. Je vis avec horreur que ce n'était pas une branche.
Tout en fixant le bras humain séparé de son corps que je tenais dans la main, je hurlai à pleins poumons. Ensuite, je ne me souviens plus très bien. Je crois que je suis tombée dans les pommes. Ou peut-être pas. Je vois des images dans mon cerveau, un infirmier en blanc qui vient m'attraper le bras en me priant de lâcher celui de la personne décapitée juste en face, cette tête d'homme séparée de son corps, ses yeux globuleux jaunis qui me regardent fixement, qui semblent terrorisés même dans la mort. C'est une image que je n'oublierais pas.
Pendant je ne sais combien de temps, je fus laissée dans le bureau du Dr Chevalier et examinée par un médecin. Il voulait savoir si j'avais tué cette personne. Je ne répondais pas, je ne faisais que regarder ce sang sur mes mains. Ces tâches rouges que j'aurais eu envie d'arracher. On se serait cru dans Macbeth.
Après, tout est encore flou. Je crois qu'on me mit la camisole. Je ne résistais pas. Pourquoi aurais-je résisté ? Je n'avais pas tué cet homme, ce n'était pas moi, mais j'étais folle, non ? Alors je méritais peut-être d'avoir ce machin qui m'empêche de bouger ?
On me traîna dans les couloirs. J'étais entouré par quatre colosses de l'asile. C'était rassurant.
En passant dans un couloir très éclairé, je pus distinguer Robin parmi les quelques fous assez saints d'esprits pour se demander ce qu'il se passait. Il avait l'air à la fois étonné et désolé. C'était dur de le dire.
Après, mes pieds me parurent passionnants.
Encore après, on me balança dans une pièce bizarre, et on verrouilla la porte. Il y avait deux petits néons bleus au plafond, qui me permettaient de voir un peu l'endroit où j'étais. La porte, parlons-en, était semblable à celle qui servait à fermer les chambres froides. Ensuite, la pièce était celle réservée pour les fous d'un haut niveau. Les murs, sol et plafond étaient recouverts par une espèce de tapisserie coussin. En fait, c'était comme si on avait collé des tas de coussins sur toutes les parois qui m'entouraient.
Si mes souvenirs sont exacts, je ne fis plus aucun mouvement. Je dormis, je crois.
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