Partie 1 Le commencement
J'étais, a priori, une adolescente normale. Ce n'était pas l'avis de mon médecin qui avait décidé, un peu trop joyeusement, de m'envoyer dans cet asile de fou. Autrement appelé, Centre spécialisé pour personnes souffrantes de troubles psychologiques, ou « Centre Calvaire », du nom de la montagne qui le lorgnait. Trop long, alors je l'appellerais l'asile. Un nom qualitatif.
Si, en ce beau matin du mois de janvier, je me retrouvais devant le portail d'un bâtiment hostile, c'était parce que je souffrais, apparemment, de troubles psychiques assez spéciaux. Je vois des choses que personne d'autre ne voit. J'entends des choses que personne d'autre n'entend. En citant mon ami le médecin généraliste : «Il serait mieux, pour sa santé et pour la vôtre, madame, de la placer dans un centre». Le mot m'avait fait frissonner. Maintenant, il me terrorisait. Il pensait vraiment qu'en m'enfermant ici, je deviendrais plus lucide ? Entourée de dingues ? Gavée de médocs ? Sérieusement ?!
Bref, je voyais la vie en rose, comme vous vous en doutez certainement.
L'ambiance ne me plaisait guère. De un, je n'aimais pas cet endroit. Trop glauque à mon goût. Les arbres étaient morts, les murs et les fenêtres étaient sales, le portail grinçait. Le paysage typique d'un film d'horreur, à croire que chaque élément avait été placé avec minutie. De deux, je n'aimais pas non plus les gens à l'intérieur. Intérieur qui était, par ailleurs, très moderne, avec ce style hôpital si repoussant. Revenons aux gens, très bizarres. J'aurais dû m'y attendre, c'est un asile. Mais bon, c'est quand même très spécial d'arriver dans un endroit où des centaines de regards se posent sur votre visage. Ils me dévisageaient de haut en bas, en se demandant si je venais d'un cirque. Je crois que ma mère non plus n'était pas fan.
Je soufflai un grand coup, baissai le regard sur mes converses et continuai d'avancer. Converses qui, soit dit en passant, disparaîtront bientôt. Les infirmiers préféraient qu'on ne porte que des pantoufles moches, jaunies par le temps. C'était jugé moins dangereux. Pour moi, je jugeais cela plus dégueulasse. Après tout, on ne savait pas qui les avait mises avant ! Ni si elles étaient lavées ! C'est une réflexion légitime.
En premier lieu, le futur médecin qui allait me suivre nous invita dans son bureau pour parler administration. Ça ne m'intéressait pas, alors je passais l'heure à déchiffrer la mine de mon futur casse-pieds. C'était un grand homme barbu, brun, qui portait des lunettes aux verres tellement gros qu'ils m'empêchaient de voir la couleur de ses yeux. J'aurais opté pour des iris noisettes. Affaire à suivre. Ce médecin, dont le nom sur la plaque de son bureau était Dr Chevalier, avait l'air exténué. Je n'avais pas besoin qu'on me dise les raisons de sa fatigue, on les comprenait tout de suite. Dès qu'on voyait les fous, en fait.
Dr Chevalier me fit un grand sourire et me tendit la main. Je lui rendis son geste amical, mais sans pour autant esquisser le moindre signe d'enthousiasme. Je n'allais pas faire comme si j'étais heureuse, ce n'était pas le cas.
Le moment des adieux était venu. Ma mère retenait ses fausses larmes et, au moment où elle me prit dans ses bras, je me demandais si je la reverrai un jour.
– Je t'aime, chérie. On se revoit bientôt, d'accord ?
Je hochai la tête. J'avais conscience qu'elle posait cette question sans y penser réellement.
Je la vis s'éloigner, et m'abandonner dans ce couloir blanc, avec des médecins qui portaient des blouses blanches, et des patients aux regards blancs. Génial.
Le Dr Chevalier me fit faire le tour de l'établissement, assez grand d'ailleurs. Le bâtiment en lui-même n'était pas immense, la cour offrait en revanche davantage de liberté. Il y avait un terrain de basket-ball entouré de gradins en bois, un formidable jardin reposant, et une fontaine en forme d'étoile au milieu. Agréable aurait été un mot parfait si on ne se retournait pas pour voir que, derrière nous, se trouvait une bâtisse sur le point de s'effondrer.
Dr Chevalier me précisa que seule «une catégorie de patients pouvaient accéder à l'extérieur». En clair, il y a des fous qui ne voient jamais le jour. Comme celui que j'ai croisé dans les couloirs qui mènent à ma chambre -j'y reviendrais-, un fou plus fou qu'un fou lui-même. J'ignore si vous voyez le tableau. «Croisé» est un bien grand mot. Je l'ai juste vu par le hublot de la porte, en fer, de sa chambre. Le «patient», pour citer Dr Chevalier, était enchaîné à son lit et hurlait à pleins poumons. Entre deux cris, il inspirait à fond et recommençait.
Le Dr Chevalier me fit presser le pas. Il ne fallait pas que je sois choquée tout de suite. Manque de bol, c'était déjà fait.
Parlons de ma chambre. Ce sublime espace qui allait devenir mon refuge, ou plutôt ma prison. Une pièce de quatre murs, pas très original je vous l'accorde. Une pièce blanche, avec un lit blanc et même un bureau blanc. Quand j'ai demandé où je rangerais mes affaires, Dr Chevalier m'a répondu d'un air innocent : «Tu n'auras plus besoin de ça, nous te fournirons tout ce que tu désires», puis il énonça une liste d'un million de pages de choses auxquelles j'avais l'entière interdiction de toucher. Autant dire qu'il ne se contredisait pas du tout.
Dr Chevalier m'avertit qu'une infirmière viendrait me voir pour régler les derniers détails d'installation. Ensuite, il me laissa seule.
Je m'assis sur mon lit – qualité du matelas : minable – et je me suis mise à réfléchir. À songer à tout ce qui m'arrivait. Cet asile était vrai. Je n'étais pas dans un de ces rêves qui paraissent tellement réels, j'étais dans la réalité.
Alors, sans le vouloir, j'éclatai en sanglots.
Cet enfer dans lequel on venait de me mettre, tout ça, c'était trop. Oui, j'avais des problèmes. Oui, j'étais bizarre. Était-ce une raison pour m'enfermer comme un bouledogue qui n'a pas eu sa dose de doigts ?! L'image est très classe, mais vous voyez ce que je veux dire. Si vous ne voyez pas, je ne peux pas vous aider.
Quelqu'un frappa à ma porte. Pensant que c'était l'infirmière, j'ouvris en oubliant mes yeux gonflés par les larmes.
Ce n'était pas l'infirmière.
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