37.
Cinq ans plus tard
Noa
« Les enquêteurs au plus mal après la découverte d'un nouveau cadavre ce jeudi soir vers vingt-et-une heure. Il semblerait que le procédé soit le même que dans l'affaire Parker. En effet, la victime, âgée de dix-huit ans, a été découverte ligotée, les mains derrière le dos et en position fœtale. Nous rappelons que c'est le troisième homicide concernant un individu de sexe féminin en seulement deux mois. La police travaille sans relâche à trouver le coupable de cette série de meurtres qui ne cessent d'accroitre la peur dans cette petite ville située à une heure de Lakewood. C'était Sophie Sparks, pour ABC TV ».
Les frissons cours dans mon dos comme des milliers de fourmis. Ma mère ne réagit pas, focalisée sur l'écran qui change pour faire de la place à la publicité. Aucune de nous ne réalise.
Les tueries ont repris dans cette ville qui était la nôtre et que nous avons quittée précipitamment. Mon père croupit en prison, mais les meurtres, eux, ont pourtant recommencé. Même façon d'attirer, identique manière de tuer, tout dans le processus fait penser aux crimes commis par mon assassin de père.
Alors, imitateur ?
C'est la question que je pose à la police venue nous interroger quelques jours plus tard. S'ensuivent les déclarations, les débats, les pointages du doigt, dans ce quartier dans lequel nous étions pourtant en sécurité et transparentes.
Et puis, très vite, l'enquête avance. Un témoin parle. Les analyses révèlent ce qu'elles ont à dire. Et l'enquête Parker est officiellement rouverte. Les preuves coïncident étrangement et la question se pose de plus en plus. Et s'il y avait eu erreur ? Est-ce une possibilité ?
Je comprends très vite que oui, et mon quotidien se transforme en attente, douloureuse et pétrifiante. Je ne vais pas voir mon père durant tout ce temps. Je n'y arrive pas. Je n'ose pas. Mais je pense à lui et à ce qu'il doit vivre, enfermé là-bas.
Ma mère, qui avait toutefois recommencé à vivre normalement, retourne dans sa bulle infernale. Elle ne mange plus, ne parle plus, tremble, pleure.
Alors, je suis forte pour nous deux. J'affronte la police, les réactions. Je me mêle au dossier, j'ordonne des explications.
« On ne peut rien vous dire, désolé. »
Je déteste cette phrase, la moustache du flic qui la prononce et cette affreuse boule qui ne cesse de grandir dans mon ventre.
Et puis, arrive ce fameux jour.
Celui où je reçois cette fameuse lettre.
« La cour d'appel vous informe... réouverture du procès de monsieur PARKER BOBBY... après examen des faits, des nouvelles preuves et de l'affaire en cours... »
Je suffoque. Je jette la feuille sur la table et rejoins le petit jardin extérieur. Ma mère me rallie dehors, blanche et vaseuse. Elle a lu la lettre et, visiblement, son état se trouve proche du mien.
Les jours passent, les semaines avec, et nos cœurs sont suspendus dans l'attente du jugement. Nous préparons notre voyage, celui qui nous ramènera là où tout a commencé. Nous façonnons également notre état psychologique. Ou tout au moins, on s'y essaie.
Et bien sûr, dans tout ça, ce que je redoutais et ce que je m'interdisais jusqu'ici le plus, arrive. Peu à peu, je me remets à penser à lui. À ses yeux bleus, à son odeur qui me revient par effluve juste dans ma tête. Je pense à Maddy, aussi, à ce lycée qui m'a tout pris.
Je ne suis pas restée au point mort. Là, dans cette nouvelle ville, j'ai pu trouver la force d'avancer, petit à petit. J'ai appris à me défaire de ce que pensent les autres, je me suis autorisée à aimer, autrement, et à être aimée en retour.
Je suis devenue quelqu'un. J'ai fini mes études et fondé mon propre groupe de recherche. Notre devoir est simple, mais nécessaire. Aider des familles à retrouver leurs proches disparus dont plus personne ne parle. Je ne sais pas si mon passé a un rôle dans tout ça. Si c'est ce qui m'a poussé à devenir moi-même enquêtrice pour faire dominer le bien. Mais, je sais que ma famille à moi a été brisée par l'absence d'un proche, que celle d'Arès également et que, de différentes façons, pour un même résultat, ça nous a détruits. Alors, s'il m'est primordial de ne plus y penser, il me paraît pourtant néanmoins important de m'en servir pour aller toujours plus loin.
Je n'abandonne pas. Je donne tout ce dont je dispose en moyens pour réunir ces gens et leur offrir ce que j'aurais apprécié qu'on m'apporte. Le soutien, lorsqu'on échoue. La joie, lorsqu'on gagne.
Et surtout, l'espoir. D'avoir quelqu'un sur qui compter et qui se bat pour nous.
D'avoir quelqu'un qui n'oublie pas. Qui n'oublie... jamais.
Ça fait trois nuits que nous sommes de retour dans cette ville maudite et nous n'avons pas quitté la chambre d'hôtel.
Le jour du procès, je suis déchirée entre stress et espoir. J'ai envie d'imaginer que ce cauchemar va prendre fin et que mon père va être déclaré non coupable. Une part de moi y a toujours cru, au fond. Mais je ne sais que trop bien que la vie réserve aussi souvent son lot de surprises et que tout peut basculer d'une seconde à l'autre. C'est pourquoi je m'oblige à paraître détachée jusqu'à la fin du procès. Pour préserver ma mère, mais aussi moi-même.
On ne se relèvera pas de cette culpabilité à deux reprises si telle est l'ultime fin à notre histoire.
On se serre la main durant tout le trajet jusqu'au palais de justice, puis encore en grimpant les marches. La police fait son travail et empêche les paparazzis ainsi que les moins dociles d'approcher. Ça n'empêche pas les tomates de voler et les cris de prospérer, comme avant.
Sauf que, cette fois, ça ne m'atteint pas. Ça ne me touche plus. J'ai appris à vivre avec ce fardeau et à en faire une force. Je resserre l'emprise de mes doigts sur ceux de ma mère et comme depuis cinq ans, j'avance.
Je m'élève, laissant derrière moi toutes les insultes, tous les cris et ce passé tumultueux et blessant.
Et puis, j'entre, accompagnée de celle qui m'a mise au monde.
Il ne me faut pas plus d'une seconde pour l'apercevoir.
Arès.
Au fond de la salle, dans son costume noir parfaitement ajusté, ses yeux m'attirent comme des phares dans la nuit. Il n'y a plus que lui dans ce palais. Lui, et ce bleu si intense qui m'a tant manqué.
Il discute avec un homme, peut-être un avocat, et c'est seulement quand il relève la tête qu'il me happe de son regard le plus surpris, et pourtant, le plus intense. Les mains dans ses poches se retirent doucement, son menton se redresse et ses sourcils se haussent. Il arme un pas dans ma direction, avant de changer d'avis en se reprenant pour aller s'asseoir, non sans un dernier coup d'œil pour moi.
Cinq ans, et rien de ce que je ressens n'a changé. Cette électricité qui passe entre nous et nous saisit de son intensité. Ce truc, qui nous lie, rien que tous les deux.
Ces échanges de regards sans paroles, tout comme le procès, durent trois jours. Trois longues journées de doutes et d'interrogations. Pour finalement obtenir des réponses, l'une d'entre elles plus importante que tout le reste.
Mon père a esquivé nos yeux à chaque moment. Mais moi, je l'observe. Sans m'arrêter, ou presque. Il a triste mine, mais il ne lâche rien.
Et vient le grand moment.
Le juge a pris sa décision, et là également, juste avant cet ultime jugement, je serre la main de ma mère. Nous n'avions encore jamais été aussi proches, elle et moi. Je tremble, elle aussi, mais nous restons ensemble, droites et stoïques, pour affronter la dernière condamnation de nos vies.
Alors que je me concentre sur le futur qui me revient, je sens que les yeux d'Arès pèsent sur moi. Plus encore que ces derniers jours, il me brûle la peau par la force de ses iris.
Et là, comme ça, ça tombe.
Le verdict.
La fin de ce scandale.
La vérité...
Et la liberté.
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