33.
Mai
Je suis de ceux, qui, comme le proverbe le dit si bien, pensent qu'il faut vivre cachés afin de vivre heureux.
Le lycée ignore nos retrouvailles qui durent depuis plusieurs semaines, déjà. Ils ne savent qu'Arès et moi, on empêche à notre façon les ténèbres de nous engloutir.
Ils ignorent nos secrets, nos mots doux, nos étreintes, qui peuvent durer l'éternité. Ils négligent nos ébats, passionnés et qui foulent la nécessité, pour se concentrer sur le prochain plan qui suffira à me pourrir la vie.
J'ai pourtant mis en suspend le mien, de plan. Celui de quitter le pays et de me teindre en blonde pour passer inaperçue. Celui de recommencer à zéro, dans un autre monde, dans un autre univers.
Parce que, soyons honnête, aussi effrayant et éreintant que soit celui dans lequel je me réveille chaque matin, Arès en fait partie. Et c'est clairement ce qui m'importe le plus en ce moment.
Je ne peux pas le perdre encore. Et si ça doit m'être fatal, alors soit. Je suis prête à prendre ce risque.
La première semaine de mai s'écoule lentement et le vendredi arrive tel une réjouissance. À la lisière de la forêt, à dix-huit heures pile, je m'apprête à le retrouver.
J'ai passé l'heure d'avant à imaginer son visage aux traits si délicats et pourtant si durs, parfois. Le bibliothécaire m'a surpris à plusieurs reprises en train de rêvasser brillamment. Je n'y peux foutrement rien. Je suis vide et je n'en peux plus, il faut que je lui parle. Que je le touche. Que je me nourrisse de son amour et de tout ce qu'il a à m'offrir.
Je presse le pas pour retrouver l'endroit exact de notre rendez-vous, le cœur battant et la bouche déjà avide de son prochain baiser.
Dans son tee-shirt blanc et son short beige, près d'une cabine téléphonique abandonnée depuis presque toujours, il me fait enfin face. Son sac à dos accroché sur une seule épaule, son sourire étincelant, il approche pour me retrouver et enlace ses mains autour de ma taille alors que je m'agrippe tout entière à son cou.
Ses lèvres pressées rejoignent les miennes avec un désir bien présent et enflammé, ses mains caressent mon dos, ma nuque, mes fesses. Sa langue trouve la chaleur de la mienne et entame un ballet sensuel qui fait directement grimper l'envie en moi.
Cinq jours, c'est beaucoup trop long.
Je dois rattraper et guérir ce manque qui s'est bétonné dans ma poitrine. Alors, je saisis son visage pour l'approcher davantage de moi, haletante. Et il recule doucement pour plonger ses yeux dans les miens.
— On rentre ? questionne-t-il en se mordant déjà la lèvre.
Je hoche la tête rapidement, ce qui le fait sourire.
— Oui ?
— Oui, affirmé-je avec empressement.
Il attrape ma main et m'entraîne alors vers sa voiture, afin de rejoindre le seul endroit qui nous appartient vraiment.
Ce lieu qui était le mien et qui est devenu le nôtre. Celui, où, enfermés avec un million d'étoiles et deux tonnes d'amour, le futur n'appartient qu'à nous.
— WHU n'est pas loin. On pourrait se voir souvent et je pourrais te rappeler de la meilleure des façons à quel point je t'aime.
— Pourquoi pas Westside ? tenté-je.
— Parce que Westside ne fait pas médecine.
Entourés de ses bras, je hausse les épaules.
— Peu importe, je te suivrais où tu iras.
Je ne vois pas son visage, mais je peux l'entendre soupirer longuement.
— Tu veux faire ce job depuis que tu es gosse, Noa. Je ne te laisserais pas t'asseoir sur tes envies et le métier de tes rêves.
— Sauf que ton rêve à toi, c'est d'aller à Westside. Et WHU n'est pas loin mais à deux heures, tout de même.
Arès bouge sous moi et se positionne de façon à pouvoir me regarder dans les yeux. Son visage est paisible, sa bouche à seulement quelques centimètres de la mienne.
Au-dessus de nous et du lit que nous occupons, les étoiles brillent. Ces petites lumières fluorescentes qui décorent ma chambre depuis que j'ai quatre ans sont devenus notre source d'accalmie.
— Je viendrais te voir aussi souvent que tu m'en laisses l'occasion, souffle-t-il avant d'effleurer mes lèvres.
Il a choisi la voix du sport, et j'en suis réellement très fière. Mais me faire à l'idée que nos chemins se sépareront à un moment donné me rends déjà nostalgique.
Je ne suis pas idiote. Arès est convoité et trouveras sans doute son bonheur ailleurs, peu importe où il choisit de le faire.
Mais moi... je ne suis que la détestée. Partout et toujours, c'est devenu ma biographie. Je n'ose pas vraiment lui dire, mais, j'ai peur.
C'est tout.
Je suis effrayée de ne pas trouver le calme qu'il me procure, le repos nécessaire à ma survie et la force de combattre les gens si ce n'est pas le cas, là-bas. Ici, l'habitude est prise. Ma peine est malsaine et sans doute lugubre, mais elle est routinière. Je sais à quoi m'attendre.
Alors qu'à WHU... tout est à refaire. Et je n'aurais pas Arès ou ma mère avec moi pour y arriver.
Le week-end, comme toujours, défile à une vitesse qui m'est difficile d'affronter. Arès et moi, on fête à notre façon le temps passé ensemble. On mange des tas de conneries, on regarde des comédies et des films d'action, on fait l'amour, souvent, aussi. On se regarde, on se parle, on se caresse. Et on profite du silence qui nous entoure, ma mère étant bien trop rassurée de nous savoir ensemble pour nous interpeller.
Le dimanche nous enveloppe doucement et Arès fonce à la douche avant de me quitter.
Bientôt, il retrouvera son chez lui et me laissera affronter cette nouvelle semaine seule. Ou presque. Ses textos rassurants et sa force désormais rattachée à moi me permettra à nouveau de tenir le coup.
Les coups d'œil dans la classe, les baisers volés au détour des couloirs, la promesse de nos retrouvailles, tout ça, ça me permettra de passer et de braver chaque seconde qui me sépare de nous.
Le regard rivé vers mon plafond illuminé par le soleil, je me perds dans mes pensées. J'entends la douche couler et j'imagine déjà mes mains flâner sur son corps...
Un tintement me fait revenir sur terre.
Je n'y prête pas plus attention mais quand il surgit pour la deuxième fois, je me redresse afin d'en trouver l'origine. Arès a déposé son téléphone sur la table de chevet et celui-ci, pour la troisième fois, se met à sonner, indiquant un énième nouveau message.
Ma curiosité me pousse à regarder tandis que mon esprit, d'évidence sain, me demande de ne pas me mêler. Je patiente, donc, les mains liées sur mon ventre, attendant simplement qu'Arès me revienne.
Mais ça sonne à nouveau. Et mon esprit n'est pas sain du tout, il ne faut pas se mentir.
Alors, me relevant avec une agilité nouvelle, j'attrape le téléphone pour en examiner le contenu.
Six nouveaux messages, tous de Jess.
Mon visage se tord et je fronce les sourcils. Que peut-elle bien lui vouloir ?
J'essaye d'ouvrir les messages mais ce maudit portable me demande un code. Je tente sa date de naissance, ce qui échoue de façon lamentable. Le fameux un, deux, trois, quatre ? Trop basique pour quelqu'un comme Arès Santos, et ça n'arrive pas à ses fins non plus.
Je réfléchis, je creuse, je me questionne.
Et sans vraiment trop être sûre, je tente les quatre chiffres qui composent la mienne, de date de naissance. Le portable se déverrouille et j'écarquille les yeux, plus surprise par cet aveu qui ne vient même pas de lui que par ce que je suis en train de faire.
Mon regard vagabonde sur l'écran et je me résigne à ouvrir la conversation.
Jess, 16h18 : Hey beau gosse !
Jess, 16h30 : Tu viens au bar, ce soir ?
Jess, 16h58 : T'es là ?
Jess, 17h01 : Arès ?
Jess, 17h04 : Réponds
Jess, 17h05 : Tu baises ou quoi ?
Ma mâchoire se contracte indéniablement. Visiblement, Jess n'en est pas à son coup d'essai avec Arès. Je remonte la conversation pour obtenir plus d'informations, même si ce que ça présage est mauvais.
Jess, jeudi, 12h : Aujourd'hui ?
Arès n'a pas répondu à ce message. Je poursuis mes investigations.
Jess, mardi, 15h43 : Efficace ton discours sur l'abus des autres et de soi-même. Le prof était bouche bée.
Arès, mardi, 15h45 : Ça t'a plu ?
Jess, mardi, 16h00 : Grave. Tu pourras me le refaire en privé, un de ces quatre.
Arès, mardi, 16h12 : N'y compte pas trop, Jess.
Jess, mardi, 16h12 : L'espoir fait vivre. Tu te tapes bien Maddy.
La jointure de mes doigts, qui entourent le portable, blanchit. Je prends le temps de respirer mais je sens la situation prendre un revers que je n'avais jusque-là pas encore imaginer.
Jess, 02 avril, 10h58 : Te faire coller pour te retrouver avec la fille de l'assassin. Bien joué, beau gosse.
Arès, 02 avril, 11h01 :😉
L'incompréhension m'assomme et m'oblige à remonter plus loin encore dans les échanges. Ils ne sont pas réguliers, mais ils arrivent bien plus souvent que je n'aurais pu le croire.
Mon doigt tremblant glisse sur l'écran et fait défiler les messages.
Avril, puis mars.
Et soudain, mon regard est interpellé par quelque chose.
Moi, 05 mars, 12h32 : (pièce jointe)
Je clique sur la pièce, la gorge nouée d'un sentiment que je ne comprends pas. Et soudain, je dégringole.
Les images de la vidéo qui a signé la vraie fin de ce que j'étais défilent devant mes yeux et m'oppressent si fort que je porte une main fébrile à ma poitrine.
Moi, chevauchant Arès et y prenant un plaisir infini. Et pur.
La porte de ma chambre s'ouvre au même moment. Il apparait dans l'embrasure. Je sens sa prestance, mais je suis juste incapable de me retourner.
— Tu crois qu'on a le temps de se salir une dernière fois ?
Il rit de manière brève avant de stopper net. Sans doute s'est-il rendu compte de l'objet que je tiens entre mes mains moites et qui ne m'appartient pas.
— Qu'est-ce que tu fais ?
Son ton a littéralement changé. L'anxiété empli maintenant notre espace et je me rends peu à peu à l'évidence quand il vient se positionner devant moi.
— Noa... je...
— C'était toi, soufflé-je, détruite.
Je l'entends déglutir quand j'ajoute :
— Cette vidéo... elle vient de toi...
Ma voix tremble et les mots s'hachurent entres mes lèvres sèches. Je relève des yeux blessés vers lui. Son visage est tiré par l'angoisse.
— Non, réponds-t-il, à peine.
— Non ?
Je tiens toujours le portable entre mes mains. Il me dévisage, ses yeux bleus sans plus aucune lumière.
— Ne me prends pas pour une imbécile... lâché-je, le souffle éteint.
Et puis, je me redresse, le cœur pulsant à travers mes lèvres ouvertes.
— Ne me prends pas pour une imbécile, putain ! rugis-je, féroce.
Il ferme les paupières une seconde et je sens le monde autour de nous s'effondrer. Comme si l'univers pouvait le sentir, le soleil disparait et nous plonge dans la pénombre alors qu'il avoue :
— Jess a filmé.
Mais je sais que ce n'est pas tout. Et il le confirme en baissant la tête pour achever :
— Mais c'est moi qui lui aie demandé de le faire.
Et là, c'est moi qu'il achève.
Sa voix est redevenue assurée, en dépit de son visage qui lui, est devenu blanc. Quant à moi... je ne respire plus. Je meurs, peu à peu, sous les étoiles de ma chambre qui commencent à scintiller alors que le peu de flamme intérieure en moi s'éteint pour de bon.
Des larmes noient mes joues, mon corps tremble de fureur mais aussi et surtout de désolation. Le ravage de ma vie était à peine supportable, mais les dommages de son amour ne le seront jamais.
Je lui ai donné ma confiance et après tout ce que j'ai traversé, après tout ce qu'on a affronter ensemble, il l'a foutue en l'air. Il l'a piétiné.
Et je ne sais même pas pourquoi.
Je suis tenté de lui demander mais je n'arrive pas à sortir une parole convenable de cette bouche qui sanglote et qui souffre. Alors qu'il approche une main faiblarde au-dessus de mon bras, je l'envoie valser avec le peu de hargne que je puise encore en moi.
— Noa, ce n'est pas...
— Dégage ! hurlé-je telle une furie en le repoussant davantage.
Mais c'est mon corps épuisé qui tangue et je me retiens au mur pour ne pas m'effondrer. Son regard sombre et défait me sonde, avant qu'il ne hoche la tête doucement, attristé.
Il tourne les talons, et sa démarche féline et assurée a laissé place à un méli-mélo de pas las. Avant de sortir, il se tourne une dernière fois, ouvre la bouche et la referme enfin sans rien dire.
La porte claque et mes jambes se dérobent. Je tombe à genoux sur la moquette de ma chambre d'enfance, détruite, achevée et baignant dans mes propres larmes. Mon cœur mutilé et anéanti m'ampute de ma foi et de tous mes espoirs.
Je ne veux plus lutter. Je ne veux plus avoir besoin de le faire.
Ce n'est qu'une fois de plus dans mon quotidien maussade mais une fois de trop pour mon âme qui succombe doucement.
Et cette fois... je déclare forfait.
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