29.

Joyeux anniversaire, ma petite perle.

C'est sans aucun doute ce qu'il aurait dit, si rien de tout ça n'était arrivé. Les bougies et l'odeur des pancakes tout juste cuits sont pourtant aux abonnés absents, aujourd'hui. À la place, je n'ai droit qu'au silence. Un silence pesant et suspect. Un silence assourdissant malgré ce rien qui s'en échappe.

Ma mère est dans la lune. Comme souvent ces temps-ci, mais encore plus depuis quelques jours. Depuis qu'elle a surpris mes bras mutilés à la sortie de la salle de bain.

Je n'ai rien dit.

Je n'ai pas eu besoin de le faire.

Et, les épaules affaissées, elle s'est simplement abandonnée aux larmes.

Aussi étrange que cela puisse paraître, c'est elle qui avait besoin de réconfort, alors je l'ai enlacée. Dans un murmure tremblant et au bord du gouffre, elle m'a fait promettre de ne jamais recommencer.

Je l'ai fait. J'ai juré.

Parce qu'en effet, ma solution ne se trouve pas là. Chaque entaille me blesse et prend possession de mon corps. Et pourtant, je ne ressens rien.

Rien d'autre que du vide.

Même ça, ça ne me soulage plus. Plus rien ne le peut. Le manque de mon père est trop dur, la vérité trop cruelle. Et Arès... eh bien, il passe désormais tout son temps avec celle qui est devenue mon ennemie, à mon grand et lugubre désespoir.

J'en jalouse rageusement de les voir ensemble. Même si je ne sais pas exactement ce qu'ils sont, l'un pour l'autre. Et heureusement, car mettre un nom là-dessus pourrait véritablement me tuer.

Je n'ai plus la force de combattre. Plus la force de me lever, chaque matin. Chaque jour est plus difficile que le précédent et manque de me faire tomber pour de bon.

Mais il y a quand même une bonne nouvelle à tout ça, je crois. C'est que je deviens peu à peu invisible, aux yeux des gens. Les lycéens m'ignorent, ou en tout cas, la majeure partie d'entre eux. Les gens dans la rue ne me regardent plus. Les profs oublient parfois jusqu'à mon prénom. Et ma mère... elle est rendue à ne plus se souvenir de mon anniversaire. Ce qui, je crois, est mieux que le reste.

Alors ce matin, en entrant dans la classe, je fais ce que j'ai l'habitude de faire. Je ne fais rien. Je reste simplement assise tout au fond de la pièce, attendant la fin du cours et priant pour être assez rapide pour m'esquiver dès la sonnerie, juste avant que la rafale d'élèves ne me rattrape.

Mais cette fichue sonnerie ne veut pas retentir, aujourd'hui. Le temps passe et les minutes défilent, trop longues. Et quand enfin, elle me délivre, je me rends compte avec grand malheur que mon prochain cours est dans cette même classe.

Et avec Arès, comme si ça ne suffisait pas.

Alors, quand il pénètre dans la salle de cours, les mains dans les poches de son jean noir qui descend un peu trop sur ses hanches, les muscles de ses bras moulés dans un simple tee-shirt noir, je baisse les yeux.

Enfin, je le regarde, je m'en nourris, et je baisse les yeux ensuite.

Je fais mine de gribouiller sur un morceau de feuille jusqu'à ce que le professeur Salto entre et commence son cours. D'habitude, les heures de classe avec Arès ne sont pas si difficiles. Je tente un regard ou deux vers lui, et même s'il ne me les rend pas, sa présence m'est bénéfique.

Mais aujourd'hui, c'est différent. Son corps affalé sur la chaise et si près de celui de Maddy me dérange. En classe, dans les couloirs, et puis quoi encore ?

Je me surprends à grogner alors que mes yeux se transforment en fusils d'assaut. Si cela était possible, les balles fuseraient et transformeraient cette classe en champ de bataille.

Mais, si mon corps résiste, mon esprit, lui, n'arrive plus à ignorer. Il ne voit que ça, Arès, Maddy, ensemble, partout et tout le temps.

C'est injuste.

Injuste que j'aie dû mettre un terme à ce nous qui existait pour qu'il me remplace par elle.

Injuste que je sois seule et malheureuse, alors qu'il trouve du réconfort dans les bras de ma meilleure amie... ennemie... ou qui qu'elle soit désormais.

Injuste que je survive, alors que lui se laisse vivre.

Je suis jalouse, d'accord, mais je suis surtout en colère.

Et mon regard doit trahir mes pensées, puisque Maddy se tourne vivement et avec une méchanceté sans précédent vers moi après que quelqu'un lui a balancé un mot.

Elle soutient mon regard, je ne détourne pas le mien. Et après une minute, elle se redresse, juste avant que ses yeux ne prennent la teinte rouge de l'abjection.

— C'est quoi, ton problème ?

Arès, surpris, la dévisage avant de se tourner vers moi.

Je ne le regarde pas, mes yeux toujours ancrés dans le vert bouteille de ceux de Maddy, mais je le sens. Sur moi, son regard pèse trois tonnes. Il me brûle autant qu'il me refroidit, et pour cause. Je ne l'ai pas senti depuis bien trop longtemps.

Les chuchotements intenses reprennent et Maddy réitère :

— Qu'est-ce que tu as ? J'ai un truc sur le visage pour que tu me regardes de cette façon ?

Son ton est cinglant, son visage impassible. Elle ne ricane pas, contrairement aux autres. D'instinct, je sers les poings, mes ongles se plantant dans la chair de mes paumes.

— T'as perdu ta langue, Parker ? insiste-t-elle en croisant les bras sur sa poitrine.

Le fait qu'elle utilise ce nom si difficile à porter contre moi me rend furieuse.

Et elle le sait.

De manière imperceptible et furtive, je me rends compte du rictus qui traverse ses lèvres. Aussi rapide que l'éclair, il suffit à m'embraser tout entière.

— Tu n'as rien sur le visage, assuré-je. Du moins, pas encore.

Et je me lève avec une détermination encore jamais vue chez moi. En quatre pas, je me saisis de ses cheveux pour la tirer en arrière. Ma main claque brutalement sur sa joue déjà rouge de honte. Elle hurle et Arès se lève d'un bond. Maddy l'imite, la main sur sa peau brûlée, puis fonce sur mon corps déjà prêt à recevoir le choc.

Elle l'ignore, mais j'ai un avantage sur elle. Des chocs, j'en prends tous les jours. Et celui-ci n'a rien de différent des autres. Il me coupe la respiration, me blesse puis me fait tomber. Mais je me relève, parce que, cette fois, j'ai une raison de me battre.

Arès soulève Maddy et la retient pour l'empêcher d'aller plus loin. Ses bras, qui autrefois me serraient, l'enlace, elle. Elle est folle de rage, elle me crie des choses que je ne parviens pas à entendre, et le professeur Salto intervient.

Il nous ordonne d'arrêter, quand les cris des élèves nous enjoignent à continuer.

Alors qu'elle se débat férocement des mains fermes d'Arès, je me rue sur elle à nouveau. Cette fois, c'est mon poing que je déclenche. Arès s'en rendant compte, il pivote et lâche Maddy pour venir intercepter le coup. Mes doigts cognent contre son épaule dure et ses sourcils, jusque-là froncés, se haussent en une grimace étonnée.

— Noa, arrête.

Sa voix n'est qu'un souffle étrange.

Mon cœur bat rapidement, à tel point qu'il menace en silence de se décrocher de ma poitrine. Mes poings serrés ne parviennent pas à se décrisper. Ses yeux bleus sont un supplice, sa voix m'est fatale.

Et tout ce que je retiens en moi depuis le début surgit soudain sous forme d'une violence inouïe. Je hurle de rage et mes poings s'abattent sur le torse menaçant d'Arès, qui lutte pour m'arrêter. Je frappe, sans cesse, criant mon désespoir et ma peine, hurlant ma colère et ma haine.

Il pourrait facilement me bloquer, mais il ne le fait pas. À la place, il autorise les coups à pleuvoir sur son corps en position de défense, laissant ma rage s'exprimer.

Et quand j'en ai assez de frapper, quand mon corps épuisé se soumet enfin à ma volonté d'arrêter, je m'éloigne, le souffle coupé, la respiration haletante, les yeux écarquillés et la gorge nouée.

Arès ne dit rien. Il m'observe, sans relâche, la douleur envahissant peu à peu ses yeux bleus. Il tend une main fébrile vers moi, qui retombe instantanément le long de son corps.

Et moi, secouée par les cris et les insultes, je fais ce que je sais faire de mieux. Je me retourne et je fuis. Je cours à travers les couloirs encore vides. J'affronte les portes qui claquent sur mon passage. Je donne le reste de mon énergie à essayer de disparaître.

Merde, c'est étrange, ce sentiment.

Cette sensation de fuir autre chose que les autres, afin de se fuir... soi-même.


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