— Il vient de Los Angeles.

— Non, sûrement de New York. C'est la mode, les casquettes, là-bas.

— En tout cas, s'il est célibataire, je me dévoue.

— Même s'il ne l'est pas d'ailleurs !

La table de groupie à côté de la mienne se fend dans un rire théâtral et exagéré.

Je lève les yeux au ciel pendant que le prof les gronde et remet le nez dans ma copie. Je n'ai rien écrit, ou en tout cas, pas assez. La sonnerie va retentir d'une minute à l'autre et monsieur Feder va ramasser les feuilles, me regarder par-dessus ses lunettes rondes et me faire des remontrances quant à mon manque de boulot.

— Ce qui vous arrive n'est pas une excuse, mademoiselle ! se plaint-il alors qu'il s'empare de mon travail, presque vierge.

Voilà.

— Cette évaluation de début d'année est faite pour connaître votre niveau et vos aptitudes. N'en avez-vous aucune ?

Je prends une grosse bouffée d'oxygène pour m'empêcher de lui jeter ma trousse à la figure et à la place, réponds par un sourire poli et particulièrement hypocrite.

— Elle a sûrement les mêmes ambitions que son paternel, lance Martinez au fond. Pour ça, pas besoin d'aptitude, sauf peut-être celle de manier un couteau.

Je déglutis quand la classe entière s'esclaffe dans mon dos. Je n'ose pas me retourner de peur d'affronter les rires et les œillades jugeant, alors je me contente de regarder droit devant moi, le cœur battant et les mains tremblantes.

Feder les réprimande durant bien trois bonnes minutes avant que ça ne se calme enfin. Il colle Martinez et met un avertissement à la bande de lolitas à mes côtés qui ne parviennent pas à s'arrêter de rire.

La sonnerie retentit, j'attrape mes affaires et me dépêche d'échapper à ma prison morale.

Dehors, le vent fouette mes joues rouges et brûlantes de honte. Je marche un moment sans regarder en arrière et jusqu'à atteindre à mon banc fétiche, juste à l'entrée de la forêt.

Ici, je suis reculée de tout et seuls quelques joggers entre deux cours s'aventurent à passer devant, autant dire très rarement. C'est mon point de repère ; l'endroit où je fais abstraction de tout quand je suis bloquée ici et que je n'ai pas d'autres issues.

C'est mon banc. Ma zone. Mon échappatoire. Et Maddy est la seule avec qui j'accepte de le partager.

***

— Non, mais c'est quoi ce bordel, j'hallucine !

Contrairement à ma copine folle à lier, je reste bouche bée devant la scène qui s'offre à moi.

Mon casier est enfoncé et la porte, tellement pliée, qu'on ne sait même plus la refermer. Mes livres sont éparpillés sur le sol aux côtés de feuilles et de stylos. Toutes mes trousses ont été ouvertes et renversées.

Maddy se retourne et fusille tout le monde de ses yeux les plus noirs. Et par tout le monde, je veux vraiment dire tout le monde. Elle passe de regard en regard en hurlant et en demandant qui a fait ça, bien évidemment, sans aucune réponse en retour.

Des rires. Des chuchotements.

Voilà ce qui me parvient alors que je fais une fixette sur le bordel qui m'entoure. J'arrive tout de même à m'accroupir pour ramasser le plus gros avant que Maddy ne me rejoigne pour m'aider avec le reste.

En relevant la tête, je croise le regard du nouveau, celui que tout le monde considère comme le jouet neuf. Il n'a rien d'éloquent et se contente de contempler la scène comme si c'était une fichue pièce de théâtre.

Les troupes se dispersent enfin, fières d'elles et de ce sentiment qu'ils ont réussi à me transmettre au bout d'une journée à peine.

Ils ne veulent pas de moi ici et n'ont aucun mal à me le faire comprendre.

Mais je ne suis pas responsable de ça. Ni de ce qu'ils ne me reprochent ni de ce qu'ils reprochent à mon père, d'ailleurs.

En rentrant chez moi, écouteurs aux oreilles et âme en peine, je claque la porte et m'affale sur mon lit en priant pour que ma mère n'arrive pas de sitôt.

J'ai besoin de vide. Sans questions, sans acharnements, sans ressasser les événements de la journée. Juste à me répéter inlassablement que je ne suis pas responsable de ce qu'ils veulent me faire croire.

Je ne suis pas responsable.

Je. Ne. Suis. Pas. Responsable.

N'est-ce pas ?