13.
Décembre
— Tout ce que je dis, c'est qu'il faudrait peut-être commencer à l'envisager...
— Je n'ai pas besoin d'envisager quoique ce soit. Ce nom, c'est le mien, c'est celui de ma grand-mère et...
— Celui de ton père, Noa.
Maddy me fusille du regard, déterminée à me faire changer d'avis.
— Je peux choisir ! Je peux lui donner un autre sens.
— Tu sais bien que non... C'est trop tard, ton nom est associé à tout ça... J'adorais ta grand-mère moi aussi, mais je crois qu'elle n'est plus une raison suffisante. Ce nom te fait souffrir. Tu dois repartir de zéro et pour y arriver, on sait toutes les deux que c'est la meilleure chose à faire.
Je fronce les sourcils.
— Tu ne t'es jamais dit que ce qui me faisait le plus mal, ce sont tous ces gens ?
D'un geste rageur, je désigne le groupe qui s'est formé autour de nous et qui ricane impoliment à la vue de mon casier une nouvelle fois transformé en œuvre d'art.
— Ce sont eux qui me collent sur le dos la culpabilité de quelque chose que je n'ai même pas commis ! Et après quoi ?! Est-ce que vous vous sentez mieux ?!
Cette fois, je m'adresse à eux. Alan est appuyé nonchalamment sur le mur et secoue la tête l'air désolé. Le reste du groupe eux, se sentent vainqueurs. Ils ont réussi à me rendre folle juste en écrivant deux mots sur mon casier : Parker, assassin.
Ils savent que ces lettres, assemblées ensemble, ont le pouvoir de me rendre hystérique, de me faire pleurer ou de me faire fuir.
Mais pas aujourd'hui. Je suis tellement furax que j'aimerais redoubler de violence afin de leur claquer chacun leur tour le front contre ce casier et ces termes que je n'ai plus le courage de regarder.
Si Maddy ne m'avait pas pris la tête, j'aurais pu réagir intelligemment. J'aurais simplement rangé mes livres, comme d'habitude, et n'aurais même pas relevé de ce que j'avais vu. Mais il a fallu qu'elle se mêle et qu'elle me fasse comprendre devant tout le monde que j'avais tort. Tort de continuer à m'appeler Parker, alors que ce nom est le synonyme même du mot mort.
Je claque la porte du casier violemment après avoir fourré mes livres dedans et fait demi-tour, bousculant un type au passage, de mon épaule. Je déteste la brutalité et l'envie d'en découdre qui émane de moi en ce moment, mais je crois que je ne suis juste plus apte à supporter tout ce qu'ils me font subir pour augmenter leur cote de popularité.
Sinon, pour quelles autres raisons ? Je ne peux pas imaginer que l'humain puisse être malveillant à ce point, seulement par simple plaisir.
En remontant le couloir, je croise Arès. Plus de deux semaines qu'il m'ignore, j'en ai pris l'habitude. Je le contourne rapidement, négligeant son regard aux couleurs de la mer et priant intérieurement pour qu'il trébuche au passage.
— Tout va bien ?
Je me stop dans mon élan. Vient-il vraiment d'ouvrir la bouche pour me parler ?
Merveilleux.
Je lui jette un regard dénué de tout autre sentiment que de la rancœur et recommence à marcher. Je m'éloigne le plus possible de tous, sans une œillade en arrière, ni pour Maddy, ni pour Arès, ni pour le monde, en général.
Aujourd'hui, je les déteste tous.
***
— La passe ! La passe !
Je relève les yeux sur le mec qui hurle comme si sa vie en dépendait et secoue la tête, dépitée. Je déteste le sport. Alors je reste à l'écart, comme je sais si bien le faire.
Le professeur nous a mis en groupe pour une balle aux prisonniers. Le principe est simple, deux équipes, plusieurs ballons. Celui qui se fait toucher rejoint les détenus...
Très drôle, surtout vu le contexte.
Donc, je loge sur la ligne du fond, là où personne ne pourra me toucher, mais aussi là où je peux être la plus discrète possible. Ça semble fonctionner pour le moment. La partie suit son cours et je ne me suis toujours pas pris de ballon en pleine tête.
Il ne reste que cinq personnes de notre côté et trois en face quand mon regard se pose sur Arès. Muni d'un sac de sport, il se dirige vers les vestiaires, occupés à survoler son téléphone en marchant.
Quand je décide de me concentrer, une balle fuse vers moi et je ne parviens pas à l'esquiver. Elle heurte ma poitrine avec force et me fait reculer de quelques pas avant de me faire tomber.
En redressant la tête, le visage de Shadow, noir d'agressivité, se cale devant moi.
— On dirait que tu dois rejoindre les prisonniers, Parker.
Sa voix est à l'image de son profil, haineux. Je fronce les sourcils, mais ne réponds rien en me relevant pour regagner mon nouveau camp, sous les rires et les exclamations des autres joueurs.
Mais alors que je fais quelques pas, une nouvelle balle tape mon dos.
— Prisonnière, fulmine une voix derrière moi.
Jess me dévisage et je comprends que c'est elle qui est à l'origine de cette récente douleur. Je la fusille du regard en avançant pour la rejoindre et enfin mettre un terme à son audace.
— C'est quoi ton problème ?
Le professeur nous interpelle pour poursuivre la partie, mais aucune de nous ne lui obéit.
— Dégages en prison, meurtrière.
Ces mots me bloquent le souffle et fracasse absolument tout ce qui reste de mon cœur. Je subsiste ébahie devant son cran mal placé et n'arrive pas à répondre.
Quand un nouveau ballon frappe mon bras droit, tout le monde se réunit autour de moi. Les mots commencent à charger, les insultes volent et se plantent en plein milieu de mon âme. Mes bras se postent en croix devant ma poitrine comme pour protéger instinctivement mon organe vital, alors que je sais pourtant que ça ne sert à rien. Quelques ballons poursuivent leur course partout sur mon anatomie, me fouettant un peu plus à chaque fois.
Les rires malsains reprennent, les cris du professeur se tassent au milieu des injures et le brouhaha autour de moi prend une place si importante que je ne parviens plus à discerner les mots qui s'en échappent.
Je ferme les yeux et attends simplement que ça cesse. Comme tout le reste, comme dans la vie, en général, je patiente. Je prends sur moi, silencieuse, remuée et blessée.
— Putain, stop !
Et ça cesse.
Je rouvre les yeux et découvre un Arès débordant d'adrénaline. Ses iris sombres envoient des éclairs à mes rivaux, ses pupilles sont dilatées et son front, plissé d'animosité.
Il se place devant moi comme un bouclier humain. Mais le vide qui s'empare de moi et bien plus grand et bien plus fort que lui, ça ne fait aucun doute.
Alors quand je sens quelques larmes s'échapper, je tourne les talons. Sans m'enfuir, cette fois. Je ne cours pas, je ne cours plus. Parce que la vérité c'est que je lutte pour rester debout. Je me dirige comme un fantôme vers les vestiaires où je me change rapidement, puis j'attrape mes affaires et rentre chez moi, malgré l'heure qui n'indique pas la fin de la journée de cours.
Une fois dans les abysses de mon malheur, je ferme ma porte de chambre à clé et laisse enfin filer le torrent de larmes qui me noie dans un chagrin improbable.
Aujourd'hui, je ne suis plus la coupable. Je suis simplement le cadavre, errant dans la nuit.
Je frappe nerveusement d'un coup sec dans mon grand miroir qui se brise et me coupe la main en même temps.
L'entaille me fait grimacer et un gémissement s'échappe de ma gorge nouée.
Alors je m'écroule. Je me laisse tomber à terre, essayant de ramasser les morceaux tout en évacuant ma douleur intérieure comme je peux. Je suis prisonnière de ma détresse et de mon désespoir et ça me détruit bien plus que tout le reste.
Puis finalement, secouée de sanglots, tremblante de souffrance, je regarde mûrement le long fragment tranchant que je tiens entre mes doigts et agite la tête, résignée.
Je le place sur mon bras gauche, au niveau du poignet. Prête à faire sortir toute ma rancœur, mais aussi et surtout, prête à en assumer toutes les conséquences désastreuses, s'il venait à en avoir...
Alors je ferme les yeux...
Prête à tout, pour ne plus ressentir ce que je ressens.
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