Chapitre 20

   Elle ouvrit les yeux, juste un peu. Qu'est-ce qu'elle se sentait reposée. Elle voulut se rendormir mais le mâle crème intercepta l'éclat saphir de ses yeux.

     "Vous n'avez pas fini de me donner du travail, c'est ça ?"

  Elle n'eut pas la force de lever la tête pour s'excuser. Elle se recroquevilla. Le guérisseur s'installa à ses côtés, passant sa queue sur son dos, l'écoutant patiemment, alors qu'elle sanglotait.

~*~*~*~

  Le lendemain, des coups dans les côtes la réveillèrent. Péniblement, elle bailla et se malmena pour ouvrir ses yeux qui lui intimaient de se rendormir. Une patte griffue sur sa queue, l'en dissuada. Elle poussa sur ses pattes engourdies et avança, un pas après l'autre, en grommelant.

   L'aube au loin annonçait la venue du soleil. Le matou la bouscula, ouvrant la voie.

     "Il nous faut des baies de genêt, du pas d'âne, d'épiaire laineuse et du thym. Peut-être des toiles d'araignées si on en trouve." dit-il pour lui-même, sans répondre aux questions de sa compagne temporaire de tanière

   Le matou la prit dans des endroits qu'elle n'avait jamais vus, aux senteurs variées et enivrantes. Il s'arrêta, scruta les alentours et sut tout de suite où aller. La féline le vit faire ses récoltes, choisissant avec précision, coupant avec netteté, sans avoir à regarder, comme par automatisme, par habitude. Il les laissait au sol, et elle se rendit compte trop tard pourquoi. Elle vit les tas se multiplier et se demanda si elle pourrait tout prendre dans sa gueule. Elle tenta d'attraper entre ses crocs les branches coupées.

     "Fais attention. Ne prends pas au centre." Il se rapprocha d'elle, son souffle effleurant ses oreilles, ses poils durs contre les siens, souples : "Prend-les par la tige, comme ça tu n'abimeras pas les baies."

   Sa voix était si douce, et ses conseils précis. Jolie Louve releva la tête et plongea son regard dans celui du mâle.

     "Tu ferais un bon mentor. Tu ne veux pas le devenir ?"

   Sa mine se figea et il sourit. Un sourire qui lui fit froid dans le dos, ni rassurant, ni sincère.

     "Si tu as des petits, peut-être que l'un d'eux voudra bien. Mais pour que ce soit le cas, il faudrait attendre au minimum dix lunes. Tu sais... le temps que tu te décides sur ton prétendant."

    - He-hein ?!" Toute embarrassée, elle n'arriva pas à se calmer. Comment ça choisir son prétendant ? Et pourquoi tout le monde lui disait ça ? Pourquoi tout le monde s'y intéressait ? Était-elle vraiment si transparente que ça ? "Mais- Mais Brume Plumeuse est plus proche d'avoir ses petits que moi. Et puis, je ne vois pas pourquoi ça t'intéresse !"

   Il eut un petit rire. Il faisait exprès. Elle voulut continuer mais le voyant déjà s'estomper au loin, la chasseresse ramassa les plantes, courant après lui.

     "Et... Et puis-" arriva-t-elle tout essoufflée derrière lui, posant les remèdes à terre

   Il la fit taire d'un mouvement de queue. Il regardait au loin. Le ciel. Un vent violent poussa Jolie Louve par la gauche, alors que son ainé resta immobile. Et il reprit sa route.

   Confuse, la quadrupède le suivit. Il devait savoir ce qu'il faisait. Bientôt, elle questionna :

     "Qu'est-che qu'i' y a'ait ?"

     - Je voulais juste que tu te taises."


   Les bois laissèrent place à une paroi rocheuse immense si bien qu'elle devait toucher les cieux. Devant le soleil planaient des rapaces, le couvrant de leurs grandes ailes.

   Émerveillée, elle demanda :
     "On 'eut 'rai'ent a''er 'à haut ?"

     - Oui. Maintenant, arrête de parler. Tu vas les abimer." lui ordonna-t-il sèchement

   Elle soupira et s'avança vers lui. Ses pupilles s'étrécirent alors qu'il sauta en sa direction. Surprise, elle effectua un mouvement de côté, l'esquivant. Elle roula au sol, jusqu'à se cogner contre un arbre. Elle voulut l'invectiver, mais son attaquant ne la regardait pas et feulait en direction du sol. La guerrière se remit sur ses quatre pattes et partit le voir, tempétueuse. Il relevait la tête et elle vit pendre lamentablement entre ses crocs une plante écaillée.

     "Une vipère..." murmura-t-elle, sous le choc

     - C'est pour ça que je déteste venir ici. On peut retrouver des toiles d'araignées et du pas-d'âne, mais ce n'est pas sûr. Œil de Bruyère... C'est comme ça qu'il s'est blessé."

     - Il doit te manquer."

     - Oui."

   Cette triste affirmation conclut leur discussion. Il resta silencieux, sauf pour la prévenir qu'il allait récupérer les toiles d'araignées et lui proposer de l'aide avec son fardeau.

   Il lui demanda de poser le tout sur un nid quelconque et de partir. La chatte grise se sentit désolée pour lui. L'ancien guérisseur et lui avaient été très proches. Mais ce fut court, trop court.

   Alors, elle le laissa à ses pensées, trier les herbes médicinales.


   Elle décida d'aller à la prairie : chasser un peu, et profiter de la chaleur des rayons de soleil que donne ce rocher. Chaleur bloquée par le froid qui s'installait.


   Quand elle rentra, sa tête se cogna à un pelage albâtre. Elle s'excusa tout de suite :
     "Je suis désolée. Geai d'Ivoire...?"

   Il ne se retourna pas. Peut-être lui en voulait-il ? Elle sentit son cœur se serrer à cette possibilité et continua alors :
     "Dis ? Tu saurais où sont Papa et Maman ? En-Enfin je veux dire-"

     - Ils sont partis voir le clan ennemi."

     - Qu... Quoi ? Pourquoi ?"

   Il ne lui répondit point et continua sa route. Ses oreilles se baissèrent. Perdue dans ses pensées, elle n'entendit pas les deux frères arriver vers elle.

     "Jolie Louve ?" l'appela la voix hésitante de Nuage de Nuit

     - Laisse-moi faire." ordonna son frère,  avant de le pousser : "Hé ! Mamie Louve, t'es devenue sourde ? Déjà ?"

   Son haleine chatouillant ses narines et sa voix perçant ses tympans, de par sa puissance vocale, la sortit de sa transe.

     "Hum... Qu'y a-t-il ?" se réveilla-t-elle, perdue

     - Ça va ? Tu as l'air triste." lui demanda le bicolore

     - Je- Oui. Je suis en pleine forme." assura-t-elle

     - C'est pour ça que tu oublies tes responsabilités de mentor ?" lui reprocha son novice

     - Je suis désolée. Je te promets qu'on va reprendre nos entraînements mais-"

     - Je n'ai pas besoin de tes excuses." l'interrompit-il "Si tu ne te sens pas bien ou que tu as du mal à m'enseigner des choses, demande à ta mère de faire un changement. C'est pas comme si elle pouvait te refuser quoi que ce soit."

     - Ce n'est pas le moment, enfin ! Tu vois bien qu'elle ne sent pas bien. Ce n'est pas le moment de lui dire que tu veux-" le réprimanda le petit chat

      - Je m'inquiète pour elle. Et je suis désolé, mais je ne suis pas comme toi, un beau parleur ou je ne sais quoi."

     - Ça n'a rien à avoir !"

   Prise de panique dans cette échange acerbe, elle ne savait pas quoi faire. Elle cria :
     "Les garçons !"

   Ils s'arrêtèrent dans leur querelle.

     "Je suis touchée que vous soyez inquiets pour moi, chacun à votre manière. Mais je n'ai pas la tête à ça. Est-ce que vous auriez vu Brume Plumeuse ?"

     - Dehors." dirigèrent-ils d'une même voix

   Enchantée d'avoir une réponse, elle se précipita vers la sortie. Mais juste avant, elle se retourna :
     "Merci."

   Le tigré lui rendit un sourire confiant et le deuxième hocha timidement la tête.


   Une fois en dehors du camp, ce ne fut pas compliqué pour la pisteuse de trouver la reine. Elle pourrait reconnaître son odeur parmi toutes. De plus, des effluves laiteuses la démarquait des autres.

   En quelques pas, elle la rejoint. Elle ne dit rien et patienta. Et quand ses yeux verts sortirent de leur rêverie, la femelle la salua :
      "Oh ! Tiens, salut."

     - La chasse est bonne ?"

     - Ça... Ça peut aller, oui."

   Cette brièveté étonna la féline argent.
     "Et, c'est tout ?"

   Le ciel teinté d'incarnat par le soleil couchant, donnait une ambiance chaleureuse, chaude, braisée, peignant le monde dans des tons roses et dorés.

     "Tu savais qu'il y avait presque le même ciel quand il m'a dit qu'il m'aimait." lança-t-elle d'une voix faible

     - Pourquoi tu ne vas pas lui parler ?"
La minette essayait de rester compréhensive, pourtant cette histoire commençait à l'irriter.

     "Je ne sais pas. Je garde une sorte de rancœur, de colère froide."

   Le ciel s'assombrit. L'air se fit plus frais.

     - Une rancœur ? Une colère froide ? Tu te rends compte que tu portes ses petits, vos petits ? Tu ne peux pas lui en vouloir indéfiniment. Vous vous aimez, enfin." commençait-elle à s'énerver

     - Aimer quelqu'un ce n'est pas tout." répliqua avec son mordant habituel, son ainée

     - Alors qu'est-ce qui ne vas pas ?"

     - Tu ne pourrais pas comprendre."

     - Pas comprendre ? Je suis ta sœur, si tu m'expliques je pourrais comprendre. Mais tu ne dis rien !"  gronda-t-elle, ses griffes labourant la terre

     - Nous ne sommes pas sœurs. Je n'étais qu'un rejeton récupéré pour peupler votre clan. Le Clan des Étoiles m'a sûrement maudit pour ne pas avoir ce sang de guerrier et d'être là où je suis."

     - Qu'est-ce que tu racontes ? Qui t'as mis de pareilles bêtises dans la tête ?"

     - Je ne suis pas comme vous. Ouvre les yeux, voyons ! Tu ne sais pas ce que ça fait, toi, d'être élevée dans une autre famille, de savoir que tu n'as rien à avoir avec eux. Que personne ne t'aimeras jamais autant, et que, le seul chat qui aurait pu remplir ce rôle là, est mort. Jonquille Éclatante est morte !" explosa l'étrangère, hurlant ses mots à s'en casser la voix

     - Ce n'était pas de ma faute. Je ne l'ai pas tuée !" se défendit la native, la voix brisée par l'émotion

   Les larmes coulaient d'elles-mêmes, les mots de sa camarade résonnant dans la forêt déserte et dans son corps, perçant son cœur comme des épines, comme des ronces le comprimant, jusqu'à le percer de toutes parts.
     "Je ne voulais pas. Ce n'est pas- Je ne voulais pas."

     - Je ne supporte pas quand tu es comme ça." marmonna son interlocutrice "Tu ne penses qu'à toi."

   Le vent sifflait, entaillait l'écorce des arbres et de leur patience.

     "Tu n'as aucun regrets pour ce que tu leur as fait ? Pour ce que tu m'as fait ? Tu ne t'es jamais dit que ça me faisait mal aussi ?" l'accusa-t-elle. Elle eut un rire amère et reprit : "Tu es contente ? Hein ? Est-ce que ça te rend heureuse ? Ça te rend heureuse de savoir que je n'ai personne ici, pas de famille ? Que ma mère m'a abandonnée ?"

     - Elle ne t'a pas-"

     - Ne finis pas cette phrase. Jamais." Sa mâchoire était si serrée, ses larmes perlant clairement aux coins de ses yeux, mais ne glissant pas, à s'en donner mal au crâne. "Tu le sais comme moi. Tout le monde l'a dit, tout le monde a la même version : elle m'a laissée parce qu'elle ne voulait pas de moi. Et au moment où je pouvais retrouver une figure maternelle, qui m'aurait guidée et que j'aurais admirée, on me l'a arrachée."

   Le silence créait une distance considérable entre les deux, parfois interrompu par les reniflements suivis de larmes de la plus jeune, qui tentait tant bien que mal de retrouver son calme.

     "Je ne sais pas si un jour tu sentiras la même chose que moi. Je ne l'espère pas pour toi." La reine grise et blanche marqua une pause : "Mais, pour l'instant, je veux juste que tu dégages de ma vie."

  Non...

   Son monde se détruisait, tombait en lambeaux. Retenant ses larmes en vain, elle accepta sa requête. Elle se retourna et d'un pas morne fit son chemin vers le camp.

   Un gémissement retentit, si déchirant que Jolie Louve crut l'avoir inventé. Mais la voix ressemblait tant à celle de Brume Plumeuse qu'elle se dit qu'elle jouait la comédie pour la faire revenir. Agacée, elle cracha :
     "Tu voulais que je m'en aille ? Voilà, je-" 

    La future mère se tenait voutée au dessus du sol, les larmes coulant de ses yeux où se reflétait la douleur silencieuse de plusieurs lunes, alors qu'une flaque s'était formée sous ses pattes.

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