Seize ans.
On peut croire qu'en une année tout s'arrange et va pour le mieux. J'aurais adoré que cela se passe ainsi. La vie n'est malheureusement pas aussi simple et facile. La condition de Laurent avait empiré. Il avait perdu tellement de poids que ses parents avaient dû refaire toute sa garde-robe.
- Tu as maigri très rapidement, avait un jour remarqué sa mère. Tu flottes dans ton T-shirt.
- Ah c'est l'adolescence ça ! Il m'était arrivé la même chose à son âge, avait renchérit son père.
- Mais c'est tard quand même...
Seule la figure maternelle s'était inquiétée mais sous les réponses de son mari, elle avait cessé de s'en faire. J'aurais adoré pouvoir leur parler et leur dire la vérité. Non ce n'était pas normal. Non ça n'allait pas s'arranger. Laurent était malade. Il fallait le soigner, l'aider, le soutenir. Moi je ne pouvais pas le faire pleinement. Je suis invisible. Personne ne peut me voir, sauf Laurent. Mais il ne m'écoutait plus.
On s'entendait tellement bien avant. Il me disait tout ce qui le tracassait, tout ce qui n'allait pas. Quand un camarade de classe l'avait bousculé et qu'il était tombé, s'écorchant au passage la paume de la main, quand il faisait pipi au lit par accident, ou alors quand il avait eu une mauvaise note en histoire géo... Tout y passait. Mais là, il était devenu tellement secret. Je ne le reconnaissais plus du tout. Il n'avait rien à voir avec le jeune adolescent naïf et souriant d'il y a deux ans. Laurent était encore plus pâle mais surtout, il était maigre. Et peut-être que le pire dans tout ça, c'était qu'il était heureux de voir chaque matin et soir son poids descendre.
- Ah je vais bientôt faire 60 kg ! S'était-il extasié un soir sur la balance, dans la salle de bain.
- N'en sois pas fier Laurent...
- Mais pourquoi je ne le serais pas ? J'étais gros ! Enorme même ! Et là j'ai minci !
- Si tu te plais alors arrête de continuer à perdre du poids.
- J'ai pas encore assez perdu. Je suis encore gros, regarde-moi ce bide, avait-il répondu en tapotant son ventre plat tout en grimaçant.
- C'est une blague ? Laurent tu vas vraiment mettre ta santé en danger !
- Mais non, c'est rien du tout quelques kilos en moins. Tu t'inquiètes trop.
- On ne parle pas seulement de quelques kilos Laurent. Tu as perdu 15 kg depuis l'année dernière !
- Je suis sur la bonne voie alors, c'est génial ! Avait-il déclaré, heureux.
J'ai eu envie d'abandonner. Il me désespérait. Je parlais à un mur ; il ne voulait rien savoir. Laurent faisait 1m70 et c'est vrai qu'il était légèrement en surpoids car il faisait 85 kg avant. Mais là, il se rapprochait des 60 kg. Et ça continuait de descendre... C'était dingue que ses parents ne remarquaient rien quand même...
- Dis Juliette... Tu penses que tes pouvoirs peuvent bloquer la balance ? M'avait-il un jour demandé, la voix glaciale.
J'en avais eu des frissons. Son ton était sec et ses yeux me fusillaient du regard. Il ne s'était jamais énervé contre moi avant. Si je disais quelque chose qui le vexait ou qui ne lui plaisait pas, il pleurait ou m'ignorait simplement. Jamais je n'aurais pu penser qu'une balance prenne autant de place dans son cœur. Elle n'était même pas cassée en plus. Laurent avait juste atteint un palier et son poids refusait de descendre plus. Ça me soulageait mais je savais que ça n'allait pas durer.
- Je ne suis pas capable d'agir aussi longtemps sur un objet tu sais, lui avais-je répondu calmement.
- Tu mens ! Je suis sûr que si ! Mon poids ne peut pas stagner à 54 kg bon sang ! S'était-il énervé. Je veux faire moins de 50 kg, c'est mon objectif !
J'avais soupiré. Il était trop obstiné. Et je lui avais dit une bonne centaine de fois qu'il ne devait pas maigrir plus. Mais le voilà à la barre des 50 kg ! Il faisait 1m70 quand même ! Il était très maigre. On pouvait carrément parler d'anorexie à ce rythme-là d'ailleurs. Mais ses parents ne le voyaient pas. Et moi je ne pouvais rien faire avec mes « pouvoirs », comme il aimait les appeler. En vérité, c'est juste que je peux agir sur mon environnement mais seulement sur une courte durée. Je suis invisible et je ne peux pas toucher le matériel. Je ne peux donc que déplacer des petits objets et encore... Ça m'épuise complètement. Une balance était déjà trop grosse pour moi.
- Laurent, quand tu seras dans les 40 kg, qu'est-ce que tu voudras faire ?
- Descendre encore plus. Je suis trop gros, avait-il affirmé sérieusement.
Je refusais qu'il franchisse la barre des 50 kg. Je l'avais déjà laissé passer celle des 60. Il était hors de question que je le laisse mourir ! Tout seul je ne pouvais rien faire cependant. Il me fallait l'aide de ses parents.
Ah mais si seulement le seul problème était l'obsession de son poids. Il y avait malheureusement encore ses camarades de classe pour en rajouter une couche ! Ah que c'est drôle d'être gros puis d'être maigre. Il ne s'était passé qu'un an pourtant... Eux non plus ne se rendaient pas compte de la situation.
- Putain d'anorexique !
- Il n'y a que les filles qui font attention à leur poids !
- T'as pas de vie pour te faire remarquer en faisant croire à tout le monde que t'es maigre.
- L'anorexie est une maladie hein, faut te soigner mon pauvre.
- T'as un corps dégueulasse de squelette !
- T'es fou pour être aussi maigre.
- Tu fais peur à voir.
- Il est encore plus horrible comme ça !
- Plus moche tu meurs.
- J'ai envie de vomir en le regardant !
A croire que la palme arrivera à celui qui est le plus horrible. Ils l'ont tous dans ce cas-là. Laurent pleurait chaque jour de cours. Il ne passait pas un jour sans que son oreiller ne soit inondé. Il ne mangeait rien le matin et pas plus le midi. Il ne pourrait jamais aller mieux si les gars de sa classe continuaient de le harceler.
- Juliette... Avait-il sangloté dans les toilettes du lycée. Pourquoi ils continuent de s'acharner sur moi ?
- Parce qu'ils sont cons. Et dégueulasses. Ils me répugnent, avais-je répondu en grimaçant.
- Mais ils n'ont pas un ange gardien eux aussi normalement ? Ils devraient les empêcher de faire autant de mal aux autres...
- Ils doivent être là mais peut-être qu'ils sont moins impliqués que moi.
- Je suis tellement heureux de t'avoir Juliette, avait-il soupiré. Vraiment. Je ne sais pas ce que je serais sans toi.
Laurent serait certainement mort sans moi. Plusieurs fois même. Mais là, je me sentais tellement inutile. J'avais l'impression d'être un poids pour lui et de ne servir à rien. Sonproblème n'était pas physique mais mental. Et je ne pouvais pas agir sur lepsychique...
- Tu peux parler à tes parents de tout ça tu sais, avais-je répondu, profitant du temps où il m'écoutait et faisait attention à moi.
- Hors de question. Je ne suis pas faible. Je peux surmonter ça !
Il s'était convaincu lui-même. Mais ce n'est pas parce qu'il était déterminé à passer l'année dans le silence que les moqueries et les insultes allaient s'arrêter, loin de là. J'aurais tellement aimé être visible pour le protéger pour de bon, prévenir des professeurs, le directeur, ses parents... Ou juste prévenir quelqu'un, n'importe qui ! Laurent souffrait vraiment !
- Je ne veux plus aller en cours... Avait-il pleuré un soir dans son lit.
- Tu n'as pas le choix. Ou alors il faut prévenir tes parents.
- Je ne veux pas...
Il ne pouvait pas ne plus aller en cours comme ça. Pour son futur déjà. Il ne pouvait presque rien faire avec seulement le brevet en poche.
- Je veux tout arrêter Juliette. Je ne le supporte plus. Je ne veux plus les entendre se foutre de moi.
Je ne voulais pas non plus qu'il retourne en cours. Je ne voulais pas qu'il continue de souffrir. J'en avais marre de le voir recroquevillé tous les soirs en pleurant dans son lit. C'était insupportable. Mais je restais réaliste quand même. Sans études, on ne fait pas grand-chose. Ou du moins, on a du mal à réussir. Et je ne voulais pas que Laurent galère. Il morflait déjà suffisamment.
- Juliette... Avait-il murmuré. J'ai vraiment peur de retourner en cours...
Mon cœur s'était serré quand je l'ai entendu. Et à la suite de cette phrase, son problème n'a plus seulement été mental. Il a fait sa première crise d'angoisse. Première d'une très longue série.
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