Dix-sept ans.

          Laurent avait redoublé sa première. Ce n'était pas étonnant. Il était maigre et ne mangeait presque rien donc il n'avait pas de ressources pour réfléchir ou bouger. Son corps ne pouvait pas produire de l'énergie à partir de rien non plus. Ses parents avaient d'ailleurs enfin remarqué qu'il était anorexique !


- Je ne mange pas beaucoup parce que je suis tressé. Et je veux réussir mon année correctement. Je n'aimerais pas avoir redoubleé pour rien, leur avait-il menti pour les rassurer. Je vous promets que je vais remanger comme il faut.


          Bien sûr qu'il n'a pas tenu cette promesse. Mais au moins, ses parents l'avaient un peu plus à l'œil à l'heure des repas. Ça ne l'avait pas empêché de descendre dans les 40 kg malheureusement. Mais au moins, son poids avait stagné pendant longtemps entre 45 et 50 kg.

          Ses crises d'angoisse n'avaient en revanche pas disparu. Il en faisait tous les soirs. Et j'avais beau faire mon possible pour le rassurer, son regard apeuré m'avait bien prouvé que ça ne fonctionnait pas.


- Demain ils vont recommencer... Ils vont m'insulter et se moquer de moi... Je ne veux pas y retourner Juliette... J'ai peur... Sanglotait-il à chaque soirée.


          Qu'est-ce que je pouvais dire ? Je voulais l'aider mais je ne pouvais rien faire. Laurent devenait malade à cause de ses camarades. S'ils savaient comment mon protégé était, ils arrêteraient je pense. Ils ne voudraient pas avoir une mort sur la conscience. La culpabilité les tuerait.


- Tu devrais en parler Laurent. Tes parents t'écouteraient. Tu changerais de classe voire même de lycée.

- Ça changerait rien ! Tout le monde me déteste ! Ce sera partout pareil ! Avait-il hurlé en pleurant.


          Je m'étais senti tellement mal. Peu importe ce qui allait se passer, Laurent était terrorisé. Et je ne pouvais rien faire seul encore une fois. Le sentiment d'être inutile alors qu'on veut aider les personnes qu'on aime est juste insupportable. Mais je n'ai jamais baissé les bras, malgré l'envie de le faire.


- Juliette, tu veux savoir comment je me sens avant les cours ? Est-ce que t'en as seulement une idée ? M'avait-il demandé, les yeux rouges à force d'avoir pleuré.

- Je ne sais pas. Je n'en ai aucune idée.

- C'est horrible. J'ai constamment mal au ventre. Mon estomac me brûle tout le temps... Et puis j'ai tellement peur que je tremble dès que je vois le portail de la cour... Et quand je les vois, j'ai la nausée... M'avait-il avoué.


          Je n'avais rien pu répondre. J'avais mal à force de le voir souffrir.


- Aide-moi Juliette, m'avait-il ensuite supplié.


          L'aider... Je le voulais bien mais je ne pouvais rien faire à part le soutenir et lui dire de plus manger, de tenir, d'ignorer les imbéciles... C'est fou que même en redoublant, il tombe sur une classe du même style que la précédente...

          Laurent a continué à aller en cours pendant trois semaines. Il avait arrêté à partir de la quatrième. Ses crises d'angoisse se faisaient de plus en plus violentes et ses parents avaient refusé qu'il aille en cours en le voyant en faire une. Le voir écroulé au sol en train de s'étouffer de panique en pleurant, son cœur battant le plus rapidement possible et le pauvre tremblant de sueur ferait réagir n'importe qui. Il faisait peur et c'était horrible à voir. Et c'était long... Très longs même, surtout qu'on ne pouvait pas faire grand-chose... On avait beau essayer de le rassurer, de le consoler, rien n'y faisait. Et les 20 à 30 minutes passaient très lentement. Et même quand Laurent avait cessé d'aller en cours, il continuait d'avoir ces crises. Je lui avais un jour demandé ce qui le faisait encore stresser.


- Ils vont encore plus m'insulter, m'avait-il répondu, la tête basse. J'ai peur de retourner au lycée... J'en fais des cauchemars toutes les nuits !


          Laurent aurait peut-être dû aller voir un psychologue. Ça aurait pu l'aider. Mais à part moi, il ne voulait en parler à personne. Et quelque part, j'étais heureux qu'on ait retrouvé notre complicité d'avant, même si c'était à cause de ses crises de panique. Laurent se sentait légèrement mieux en me racontant ses soucis alors il continuait de le faire et je l'encourageais. Il avait aussi accepté le fait qu'il mettait sa santé en danger, enfin. Il avait compris que maigrir trop n'était pas bon grâceà ses crises d'angoisse. Son mal-être était tellement puissant qu'il lui avaitouvert les yeux. Il avait donc essayé de reprendre des repas normaux. Mais avec ses brûlures d'estomac, c'était impossible.


- J'ai mal Juliette... Se plaignait-il en se tordant de douleur dans son lit. J'en peux plus, c'est insupportable !


          Il en pleurait. Il avait des ulcères à l'estomac à cause du stress trop important. Heureusement, ses parents avaient rapidement pu entendre ses plaintes et après quelques jours, il avait pu être diagnostiqué par un médecin. Il allait devoir avaler des anti-inflammatoires pour calmer les brûlures acides de son estomac. La muqueuse protectrice de la paroi interne de son organe formait des sortes de plaies, comme une érosion, et elles entraient directement en contact avec l'acide présent dans le tube digestif.


- La douleur qu'il ressent est comparable à celle du contact d'un alcool sur une plaie ou une éraflure, avait expliqué le professionnel.


          Mais il fallait trouver la source de ce stress pour que Laurent aille mieux. Et heureusement, il n'avait pas fallu attendre longtemps pour que les parents comprennent d'où venait les angoisses. Le harcèlement moral. C'était la première fois que quelqu'un mettait un nom sur la situation. Le père de Laurent avait tout de suite voulu le déscolariser mais la mère avait préféré le placer dans un autre lycée. Il était un peu plus loin que le précédent mais ce n'était pas ce qui importait le plus pour les parents, emplis de culpabilités.


- Si on avait su ce qui t'arrivait on aurait agi tout de suite ! S'était lamenté la mère.

- C'était donc à cause de ça qu'il ne mangeait plus non plus, avait compris le père.


          Ils s'en voulaient. De ne pas avoir entendu leur fils, de ne pas avoir su capter sa détresse... Mais c'était trop tard, le mal était fait. Laurent allait pouvoir recommencer correctement sa seconde première dans un autre établissement, où personne ne le connaissait.


- Ça ne changera rien Juliette, se lamentait-il. Le résultat sera le même !

- Tu ne peux pas savoir tant que tu n'y as pas été, lui avais-je répondu, confiant.


          Il avait persisté à dire le contraire. Mais je n'avais pas voulu l'écouter. J'aurais dû. Laurent était terrorisé et je ne comprenais pas pourquoi. Pour moi, il ne faisait pas d'effort et se plaisait dans sa situation du mec anorexique avec des crises d'angoisse. Il pouvait justifier pas mal de choses avec ça après tout.


- Laurent tu pourrais faire des efforts quand même, lui avais-je reproché.

- Mais ils me regardent mal... Tu n'as pas vu leurs yeux quand ils me fixent ? Et quand je passe près d'eux je les entends... Ils m'insultent ! M'avait-il expliqué.


          Il avait beau me l'avoir répété, je ne le croyais pas. J'avais été attentif pourtant. Mais à part des regards interrogatifs et compatissants, je ne voyais rien. Il n'y avait rien de mal en eux. Et personne ne l'insultait non plus, je l'aurais entendu sinon. Donc soit il devenait paranoïaque, soit il se foutait de ma gueule.


- Arrête de faire l'enfant Laurent, l'avais-je grondé une fois. Tu devrais y mettre du tiens pour aller mieux quand même.


          Il ne m'avait pas répondu. J'avais tellement envie qu'il aille mieux que j'avais mal fait les choses. Il n'allait pas bien et il m'avait prévenu pourtant. Ses crises d'angoisse n'avaient pas cessé du tout, mais je persistais à croire que son état s'était amélioré.


- C'est toi qui devrais arrêter de te voiler la face, m'avait-il un jour reproché. Un ange gardien ? Mon cul ouais ! Tu ne vaux pas mieux que tout le monde ! Je croyais que tu étais la seule à me comprendre mais je me suis trompé apparemment.


          On ne s'était jamais engueulés. On était tous les deux à cran et finalement, ça avait pété. Il n'y avait pas de personne en tort dans cette dispute. On était tous les deux des victimes. Victimes des autres... 


- C'est plutôt toi qui persiste à dire des conneries ! Avais-je rétorqué. Tu vois de la difficulté partout alors que c'est fini ! Personne ne te veut du mal !


          Un véritable dialogue de sourd. Et je regrette tellement mon comportement ! J'aurais dû agir mieux.


- Eh bien si personne ne me veut du mal comme tu dis, dégage ! Avait-il crié, énervé. Va protéger quelqu'un d'autre alors ! Je ne veux pas de toi comme ange gardien !


          Je n'avais rien pu répondre, sous le coup du choc. Et si j'avais eu un cœur, je suis persuadé qu'il se serait brisé sous ces mots. Je n'avais jamais rien entendu de pareil venant de lui. J'étais blessé et vexé.


- Je serai avec toi à vie, que tu le veuilles ou non, avais-je finalement dit d'un ton neutre.


          Je m'en suis longtemps voulu. J'avais l'impression d'avoir mis notre relation en péril. Mais le fait était que quelque chose s'était brisé en nous sur le moment. Et juste après notre dispute, Laurent avait eu une crise d'angoisse plus violente que les précédentes. Et aucune suivante ne l'avait dépassé d'ailleurs. J'avais beau lui parler, m'excuser, le rassurer, le consoler, rien n'y faisait. Et j'avais réellement peur. Et pour la première fois, j'ai pleuré. Des larmes dévalaient mes joues blanches sans que je ne pouvais rien faire, pendant que mon protégé était au sol en pleine panique.


- Je suis désolé Laurent, avais-je sangloté près de lui. Je suis désolé... Je veux juste le meilleur pour toi... Je ne veux plus te voir souffrir...


          Cette crise m'avait paru interminable. Et quand enfin il s'était senti mieux, mes pleurs avaient redoublé d'intensité. Sur le moment, je voulais le prendre dans mes bras pour le consoler et m'excuser. Mais c'était impossible. Je ne peux pas toucher les humains.


- Juliette, je suis désolé... S'excusait-il à son tour en couinant. Arrête de pleurer, je t'en supplie... ! Je ne voulais pas dire tout ça... Je ne le pense pas !


          On était assis par terre l'un en face de l'autre en train de larmoyer et de s'excuser. La scène aurait pu être comique dans un autre contexte, en y repensant.


          Après cette crise, Laurent avait à nouveau arrêté d'aller en cours. C'était plus fort que lui. Il voulait, mais ne pouvait pas. Il était malade rien qu'à la pensée du lycée. Et j'avais arrêté de le forcer. Ce n'était clairement pas la bonne méthode. Ses parents l'avaient donc amené chez un psychologue, voulant comprendre la cause de cette incapacité à aller au lycée. Ils avaient cru qu'il se moquait d'eux, tout comme moi. Mais c'était très sérieux. Laurent était malade et ce n'était pas une blague.

          Une phobie scolaire. Une putain de phobie scolaire à cause d'une bande de petits cons qui se croyaient malins à se moquer de lui et à l'insulter. Ils n'avaient pas conscience que les mots pouvaient blesser réellement. Laurent était anorexique, sujet aux crises d'angoisse, avait eu des ulcères à l'estomac, et avait maintenant une phobie scolaire !

          Ses parents l'avaient définitivement déscolarisé cette fois et mon protégé avait commencé à prendre des cours par correspondance. J'avais cru que les cours à distance permettraient à Laurent de se ressaisir et d'aller mieux. Je n'ai jamais eu autant tort.

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