Dix-huit ans.
J'avais fait toutes les erreurs possibles je pense. Rien de ce que je faisais n'améliorait les choses. La condition de Laurent ne faisait qu'empirer. J'étais persuadé que tout était de ma faute, qu'il aurait dû avoir un meilleur ange gardien... Je ne faisais que m'éloigner de mon but. Peu importe ce que je faisais, rien n'allait. J'étais peut-être maudit au final. C'était ce que je m'étais dit. Et j'avais beau vouloir en parler à Laurent, ce dernier ne m'écoutait pas. Je ne pensais pas que ça aurait été possible, mais il ne me voyait plus du tout. C'était pire qu'avant. En un an, tout avait basculé, encore une fois. Après notre première dispute j'avais pensé qu'on serait plus proche pourtant.
- Laurent, soupirais-je tous les jours. Il faut qu'on parle là.
- Mmh, répondait-il toujours.
Quand était la dernière fois que ses yeux chocolat avaient croisé les miens ? Une éternité. Il ne me parlait plus du tout. Il ne parlait plus à personne de réel d'ailleurs. Même à ses parents, si ce n'était le strict nécessaire. Il passait son temps sur les réseaux sociaux, encore. Il avait arrêté pourtant, comme ça avait été une influence néfaste pour lui. Et dire qu'il avait recommencé. J'aurais dû l'en empêcher mais je m'étais dit qu'il avait grandi et qu'il saurait faire la différence entre le réel et le virtuel. Apparemment pas. Laurent était toujours autant naïf. Ou peut-être qu'il se voilait juste la face et qu'il préférait ne pas affronter la réalité. C'était possible aussi.
- Hum... Laurent... J'aimerais vraiment te parler là... Avais-je une fois de plus déclaré.
- Pas maintenant, je joue, avait-il rétorqué d'un ton ennuyé.
Ah oui ! Les jeux-vidéos ! Il était à fond dedans. Il s'était même inscrit sur des blogs et des forums qui parlaient de ça. Il pouvait discuter avec d'autres personnes de cette nouvelle passion. Il y avait au moins une bonne chose dans tout ça, Laurent faisait moins de crise d'angoisse. Il était trop occupé à jouer.
J'en ai eu marre un jour. Ses parents travaillaient et son professeur particulier venait de partir. A peine avait-il quitté la maison que Laurent s'était jeté sur son PC. J'étais déterminé à lui parler, quitte à ce qu'il me déteste. Alors je me suis concentré et j'ai éteint son ordinateur. J'avais hésité à cramer les fils mais je ne l'avais pas fait finalement. Et à peine son écran était-il devenu noir que Laurent s'était tourné vers moi, énervé.
- Tu vas m'écouter cette fois ! L'avais-je devancé.
- Tu aurais pu attendre que je finisse ma partie !
- Tu rigoles ? Ça fait des jours que j'attends !
- Putain j'espère que mon ordi n'est pas foutu... Se lamentait-il.
- Laurent, tu es prêt à m'écouter là ?
- Pas maintenant Juliette, faut que je vérifie les câbles...
Il me désespérait. C'était insupportable. Je devais avoir une patience infinie. Je ne sais même pas comment j'ai fait pour tenir. J'avais envie de partir, de m'éloigner de lui... Mais il fallait qu'il aille mieux. Et de toute manière, je ne pouvais pas.
- Laurent, avais-je dit sérieusement. Tu t'isoles complètement du monde et je m'inquiète pour toi. Tu ne peux pas vivre indéfiniment comme ça. Je ne veux pas que tombes accro aux jeux-vidéos, ni que ta vie se fasse seulement virtuellement.
- Tu t'inquiètes trop Juliette, comme toujours.
- Je m'inquiète parce qu'il y a une raison de s'inquiéter putain !
Laurent s'était arrêté de bouger et me regardait bizarrement. Ce n'était pas dans mes habitudes de lâcher des injures. Je ne le faisais que très rarement.
- Désolé je me suis un peu emporté, m'étais-je excusé. Mais tu dois comprendre que ça ne va pas. Rien ne va même.
- Au contraire je vais bien. J'ai jamais parlé avec autant de gens, je m'amuse avec des personnes même.
- Mais Laurent tu ne les connais pas vraiment ces gens-là. Ils peuvent te mentir. C'est du virtuel tout ça, pas du réel.
- Ils peuvent me mentir oui. Mais les personnes que je vois dans la vie réelle, comme tu dis, peuvent mentir aussi, avait-il répondu en fronçant les sourcils.
- Mais c'est pas les mêmes mensonges. Tu ne les as jamais vu eux, si ça se trouve ils te mentent par rapport à leur sexe, leur âge, leurs passions... Et toi tu les crois naïvement et tu penses t'être fait des amis ! Je ne veux pas que tu souffres Laurent ! Quand le comprendras-tu ?
- Je sais déjà tout ça Juliette ! J'ai 18 ans quand même, je suis au courant des dangers d'Internet, je suis plus un gosse ! Avait-il rétorqué, vexé.
- Je suis désolé mais je me devais de te rappeler tout ça. Tu n'avais pas l'air de t'en souvenir du tout...
- Eh bien tu sais quoi ? Je vais leur demander si on peut se retrouver un jour, dans la vraie vie. Comme ça tu verras qu'ils sont réels et qu'ils ne m'ont pas menti.
Je n'avais rien pu répondre. Il était parti dans son idée et avait déjà réussi à rallumer son ordinateur. Il ne lui avait fallu que quelques minutes pour poser la question aux autres. Et étrangement, certains avaient répondu à l'affirmative. Ils avaient réussi à trouver une ville pas trop loin de chacun pour tous se retrouver. Ils seront au nombre de quatre et le rendez-vous était dans une semaine. Laurent était tout fier d'avoir organisé cette rencontre. Il voulait me prouver qu'il maîtrisait ce qu'il faisait.
- Et comment tu vas aller dans cette ville ? Lui avais-je demandé. Tes parents vont t'y amener ?
- T'es folle ? Jamais je ne leur dirai que je vais voir des gens que je n'ai jamais vu dans une ville que je ne connais pas ! Je prendrai un car, c'est mieux.
Il paraissait être sûr de lui alors je n'ai rien dit. J'ai même été soulagé en vérité. Mais la réalité nous rattrape bien vite. La phobie scolaire de Laurent s'était généralisée en phobie sociale. Et donc les crises d'angoisse étaient de retour pour de bon. Pendant une semaine ça avait été l'enfer.
- J'ai peut-être mal fait finalement... J'aurais dû t'écouter Juliette... Je ne suis qu'un con... J'ai peur... Si ça se trouve ils vont me faire du mal... Et si je me perds ? Et si...
- Calme-toi Laurent, avais-je grondé. Tu iras à ce rendez-vous mais je serai avec toi. Si ça ne va pas, je t'aiderai. Il y a peu de chances pour que ça se passe mal mais on ne sait jamais. Vous irez dans un endroit public avec du monde comme ça tu pourras toujours demander de l'aide à quelqu'un.
- Mais... En public ? Je ne suis pas sûr de réussir Juliette... Ils me font tous peur... Je suis sûr qu'ils me jugeront et qu'ils se moqueront de moi en vrai !
- Non, c'est dans ta tête tout ça. Tes parents ou moi-même ne te jugeons pas. Pourquoi d'autres personnes le feraient ? Les adultes sont plus matures que les cons qui t'ont harcelé.
- J'espère que tu as raison...
Il ne paraissait pas totalement convaincu mais peu m'importait. On se reparlait. Laurent paniquait tellement qu'il me disait à nouveau tout ce qu'il ressentait et j'étais heureux de lui être utile. Je n'étais pas un bouche-trou ou autre, mais Laurent avait du mal à affronter la cruauté de ce monde, comme je le pensais. Il préférait vivre une vie tranquille où il se cachait derrière un écran. Et la réalité lui revenait comme une claque dans la figure à cause de moi.
- Ils vont voir que je suis maigre... Ils vont avoir peur de moi... Ils ne voudront plus me parler...
- Ne t'imagine pas les pires scénarios Laurent. Tu pourras trouver des personnes bien qui t'accepteront comme tu es. Et puis tu n'as pas déjà dit à cette fille, Ana si je me souviens bien, que tu étais anorexique ?
- Oui, elle m'a dit qu'elle l'était alors je lui ai dit pour moi... Mais si ça se trouve elle m'a menti et va utiliser cette information contre moi...
- Tu as choisi de lui faire confiance Laurent. Je suis sûr que c'est quelqu'un de bien.
J'avais volontairement changé mon discours. Je ne voulais pas l'apeurer encore plus. Il s'était lui-même rendu compte de ses bourdes donc c'était inutile d'en rajouter une couche. J'avais peur pourtant, moi aussi. Mais je me devais de le calmer. S'il continuait il allait tout foutre en l'air et tout se passera mal.
La veille de la rencontre, il n'avait pas dormi. On avait parlé toute la nuit. Je n'avais pas arrêté de le rassurer et au final, voyant qu'il n'allait pas dormir, on a discuté du passé, de tous les souvenirs qu'on avait avant que toutes les merdes nous tombent dessus. On était nostalgique mais ça lui avait fait penser à autre chose. Et se souvenir de comment il était avant l'avait fait comprendre une chose ; il voulait redevenir comme il était, à l'époque où il s'acceptait, là où les autres n'étaient pas encore cruels avec lui.
Laurent n'était pas bien dans le car. Il était à côté d'une femme, côté fenêtre. Sa respiration était hachée, comme s'il stressait et qu'il était sur le point de faire une crise d'angoisse. Il s'était mis tout devant pour éviter les personnes mal intentionnées qui allaient derrière, mais il ne s'était pas attendu à ce que quelqu'un se mette à côté de lui. Le car n'était pas plein donc cette dame aurait pu se mettre à d'autres endroit.
- Calme-toi, elle va bientôt partir peut-être. Dès qu'elle part, tu te mets à sa place et tu mets ton sac à côté de toi. Personne ne viendra t'embêter au moins.
Il avait hoché la tête, rassuré. Et heureusement que j'avais raison, deux arrêts plus tard, elle se levait pour descendre. Laurent n'avait pas attendu une seconde pour prendre sa place. Son souffle put à nouveau reprendre un rythme décent et j'étais soulagé. Le pire était cependant à venir. Je ne savais pas du tout comment mon protégé allait pouvoir réagir.
J'avais été complètement bluffé. Je n'avais jamais été aussi fier de Laurent. Il avait passé toute son après-midi avec les personnes du forum. Ils s'entendaient tous les quatre très bien. Et en voyant l'anorexie visible de Laurent, ils s'étaient tous racontés leurs problèmes. Ils venaient de se rencontrer pour de vrai, mais leur lien était déjà puissant. Et puis, ça leur faisait du bien de discuter avec d'autres personnes. Laurent avait l'habitude de me parler mais les autres n'avaient pas ce luxe. Ça m'avait fait comprendre que je n'étais pas si inutile que ça.
- Tu es heureux ? Lui avais-je demandé le soir.
- Ouais... Je n'ai jamais été aussi heureux de ma vie, avait-il avoué, un sourire niais sur les lèvres.
- Je suis content pour toi alors. Heureusement que tu es têtu et que tu as organisé cette rencontre. Tu peux être fier de toi.
- C'est surtout grâce à toi Juliette. Tu m'as poussé à aller jusqu'au bout. Je devrais vraiment t'écouter plus souvent, avait-il déclaré en riant de gêne. Je suis désolé pour tout ce que je te fais endurer, vraiment, avait-il ajouté, plus triste.
- C'est toi la victime dans cette histoire Laurent. Pas moi. Je ne t'en veux pas et je ne t'en voudrai jamais.
Il y avait eu un petit silence. Je voyais le visage rougit d'émotion de mon protégé. Il était touché par mes mots. Je ne pouvais pas m'empêcher de sourire. Il était adorable. Et suite à cette discussion, il ne m'a plus jamais ignoré.
Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top