8. Une expédition risquée.
La nuit fut courte pour moi. Je n'ai pas réussi à m'endormir tout de suite, trop occupé à ressasser les événements des jours précédents. Plusieurs questions se sont formées dans ma tête, auxquelles Angelica n'aura pas forcément toutes les réponses. En toute franchise, je pense également que je voulais faire reculer l'échéance et ne pas laisser mon subconscient vivre de nouvelles atrocités. Je ne sais pas si c'est une chance ou non, mais l'absence de rêve durant mon sommeil est comparable à l'absence de souvenirs que j'ai de ma vie d'avant, le néant. Au moins, je me sens un peu reposé.
Nous prenons un petit déjeuner rapide au cours duquel Angelica me fait remarquer qu'on commence à avoir plus de mal à remarquer que j'étais un zombie. Les dents trahissent un peu, mais de reprendre le brossage arrange grandement le tout. Les veines saillantes s'estompent, les cheveux reprennent de la vigueur. Les seuls bémols : ma barbe ne pousse pas, et mes cheveux restent à la même longueur. Enfin, la couleur de mes iris n'est pas constante. Ils sont de couleur marron/noisette, mais un léger reflet rouge, parfois imperceptible, parfois plus vif, en fonction de la lumière, peut être observé.
Nous préparons nos sacs à dos que l'on charge de quelques vêtements pris dans la demeure de ses parents, mais le strict minimum, de l'eau, des provisions, un duvet et le minimum vital. A m'entendre on pourrait croire que ce n'est pas grand chose mais tout cela pèse son poids ! Nous nous mettons en route, je ressens un pincement au cœur teinté de culpabilité en voyant Angie se retourner une dernière fois sur son domaine, l'air mélancolique, laissant couler ses larmes, puis nous avançons. Je prends bien garde à la suivre scrupuleusement, et c'est avec un sourire à peine contenu qu'elle m'observe de temps à autres. Une fois la clairière traversée, elle me confesse que la quantité de piège n'est pas si grande, et que de me voir risquer de tomber dans un trou et m'empaler est une source de satisfaction pour elle. Je ne peux pas lui en vouloir, moi-même je me trouvais franchement ridicule à tâtonner comme je le faisais...
Nous arrivons près de l'intersection où j'ai failli me faire tuer. Où elle m'a sauvé la vie. La même question me revient sans cesse depuis hier soir, je me risque à lui poser :
"Angelica, dis-moi, ces gens qui m'ont attaqué... Tu...
- Est-ce que je les connais ? Oui."
Sa réponse me paralyse un instant : comment avait-elle deviné ce que j'étais sur le point de lui demander, et surtout, comment se fait-elle qu'elle ne m'ait rien dit ? C'était comme si elle attendait que je lui pose la question, qu'elle savait que j'allais lui poser tôt ou tard, mais qu'il fallait que la démarche vienne de moi. Pour confirmer mes interrogations, elle répond :
"Oui, ce sont des habitants du village du coin, à l'extérieur de la forêt. On ne croirait pas, mais en superficie, ce bois est tout petit comparé aux étendues sans fin aux abords des grands lacs ou aux anciens parcs nationaux.
- Anciens parcs nationaux ?
- Eh bien, oui, depuis l'apoca-zombie, toute l'organisation telle qu'on la connaît, c'est fini ! Et je ne serai pas de celles qui chercheront à retrouver le passé perdu... aussi paradoxal que cela puisse paraître, quand on repense à... à mes parents.
- D'accord. Et du coup, les gens de ce village, tu les connais ?
- Oui. Nous y avions notre maison, mais elle a été brûlée. Quelqu'un a trouvé judicieux d'y mettre le feu en y voyant un groupe de zombies à l'intérieur. Les survivants ont choisi de barricader le reste du village lavé de tout zombie et d'en faire un camps de refuge, une sorte d'étape entre deux grandes villes. Ce ne sont que des pillards, des chefs autoproclamés. Tu as eu de la chance Raphaël car depuis que les zombies sont arrivés, ils ont révélé ce qu'ils ont de pire en eux.
- Je suis désolé pour ta maison, Angie.
- Oh ! Moi, pas ! Je dois retrouver mon petit ami et aménager ma petite cabane en mode high-tech rudimentaire, c'était fun. Bizarrement, d'une manière assez tordue, ces dernières années ont été palpitantes !... Tu sais, je ne me suis jamais sentie aussi vivante.
- Ah oui ?
- Oui ! Je me répétais tout le temps que la vie n'avait pas de sens, que tout ce que nous faisions ne servait à rien...
- Mais, et maintenant, est-ce que ça a de nouveau un sens d'après toi ? Je veux dire, au final, ça ne sert toujours à rien tout ce que l'on fait...
- Oh la la ! Raphaël, mais quel pessimisme !... Nous sommes en vie, et une apocalypse menace la race humaine ! Si on se bat pour notre survie, alors le sens de la vie est tout trouvé ! Finis les acquis, finis les privilèges ! Nous ne sommes plus en haut de la chaîne alimentaire !... Et tout ce que l'on croyait connaître des zombies dans les œuvres fictives, on était bien loin du compte !"
La passion qui anime Angelica dans son discours me fascine : sa détermination et la ferveur qui l'anime sont presque palpables. Un tel élan de vie et d'énergie m'aide à taire mes pensées les plus sombres. Elle a raison. Je me force à ne pas répondre pour profiter encore un peu de ce tableau saisissant : elle marche, d'un pas vif, le courage transpire sur son visage. Elle en veut. Je trouve cela magnifique. Nous continuons à marcher à un rythme plutôt soutenu, avec pour seuls mots des sourires et des regards complices. Nous restons au bord de la route, mais suffisamment enfoncés dans le bois pour ne pas être repérés. Une pensée me force à briser le silence.
"C'est amusant, quand-même, quand on y pense !
- Quoi donc, Raph ?
- Eh bien, tout ça ! Les zombies, les survivants, la vie ! Dans les films qu'on regardait quand on était ado, le zombie est toujours dépeint de la même manière. Oh ! Avec quelques variations, bien sûr !
- Rrrrrrrrrrrrrrr !!!! Rrrrrrrrrrrr !!!
- Ahahah ! Ouais, ouais ! Comme ça ! Enfin, ils sont là, ils errent, morts, mangent de la chair mais ils sont en décomposition ! Il faut bien que ça soit évacué à un moment donné, non ?
- Non ! Raphaël, tu ne vas pas m'emmener dans cette discussion, s'teuplaît, c'est dégoûtant !
- J'ai... j'ai besoin de savoir, Angelica... Un zombie, dans la réalité, c'est comment ?
- Uhhhh.... De ce que j'en ai vu dans la nature, et avec mes parents, les zombies sont bel et bien "vivants" : votre chair ne pourrit pas, vous évacuez toujours de ce que vous mangez... C'est juste... différent.
- Différent ? Comment ça ?
- Ecoute, Raphaël, je ne suis pas scientifique ! Encore moins experte en biologie zonzon !"
Je sens que mon intervention la contrarie. C'est on ne peut plus compréhensible, je la force à revivre des souvenirs qu'elle aimerait probablement mettre de côté. Mais j'ai également besoin de savoir, d'avoir des réponses. Je m'en veux terriblement, qu'est-ce que je peux être bête et égoïste parfois...
"Cela dit, tu as raison ! Comment ils font pour tenir debout si leur corps est en décomposition ? Comment est-ce qu'on a pu regarder autant de choses sans même pointer l'absurdité du truc, sérieux ?
- Je ne sais pas. Mais, une chose est sûre, même si les apparences, je parle bien d'aspect purement physique, ressemblent un peu, on n'était bien loin du compte, Angie...
- Qui aurait pu croire que cela pouvait se produire, sérieusement ?... MAIS ! Raph !!!
- Euh... oui ?
- Tu te souviens de ce que tu regardais ! C'est super ça !!!
- Oh, ne t'emballe pas trop ! Comme on en a déjà parlé, j'ai énormément de souvenirs, historiques, culturels, mais lorsqu'il s'agit de ma propre vie, ce qui touche à Raphaël directement, rien du tout.
- Mais j'ai envie d'être optimiste et d'y croire ! C'est en ayant tous ces petits détails que tu arriveras à comprendre le tableau entier ! Allez, Raph ! Positive un peu !"
Décidément, elle a le don de passer du froid au chaud, une vraie montagne russe d'émotions cette fille ! Et heureusement pour moi, c'est très communicatif. Tellement communicatif que nous passons un bon moment à rire et disserter sur la condition zombie dans la vraie vie et dans la fiction.
Pris dans la légèreté du moment, nous avons laissé tomber notre garde, et nous aurions dû nous douter que cela allait nous être fatal.
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