58. Sans lui.

Je suis resté inconscient trois jours. A mon réveil, j'étais sur un lit d'hôpital. Ma première réaction fut la panique : cela me rappelait étrangement mon séjour à l'asile. Instinctivement, je balaye la pièce du regard, à mesure que mon cerveau resitue les derniers événements... C'était comme si mon esprit cherchait la présence de Dan, lui qui avait été mon compagnon de galère pendant tout ce temps.

Je réalise pleinement ce que j'ai vécu : Angelica est vivante, aux dernières nouvelles, et Daniel est mort. Il nous a tous sauvé, d'une main de maître, et ceci jusqu'au tout dernier instant. Ce n'est pas juste. Ce n'est pas à un adolescent de payer de sa vie pour les actions d'adultes.

Mes larmes coulent. Et pourtant, au plus profond de moi, je le savais pertinemment qu'il se sacrifierait pour nous tous. Il l'avait déjà fait. Je ne peux pas lui en vouloir. Je ne peux même pas m'en vouloir. Il était la clé, et il le savait. Nous le savions tous. Depuis le début, il représentait la pièce maîtresse de tous nos plans. Son optimisation était notre seule chance de survie, et il a travaillé d'arrache-pied, pris des risques inconsidérés, pour garantir notre victoire.

Je me lève péniblement, et je me mets en quête de retrouver Angie, car même si je dois accepter la mort de Dan, Angie était encore en vie. Je passe la porte, nous sommes dans le bunker du village. Jeff, Caleb et Bod m'accueillent. Ils me félicitent pour tout ce que j'ai accompli, et me prennent dans leurs bras. Leur soutien me fait du bien, mais je sens que la mort de Dan a sérieusement affecté l'ensemble des premiums.

Ils m'escortent à la surface, et leur aide n'est pas de trop. Je m'approche de la fenêtre, et je constate que la neige a fini par recouvrir totalement le sol et les habitations. L'hiver est là. Une main se pose dans mon dos, puis une autre me caresse le torse sous mon t-shirt.

Angie.

Je n'ose pas me retourner, car je ne veux pas lui faire face. Je sais que dès que nos yeux se croiseront, la réalité de la mort de Daniel se rappellera à nous. Alors je tente de ravaler mes larmes, et je pose mon bras valide sur le sien, par-dessus mon vêtement, et je sers fort.

Elle se dégage, et me fait pivoter. Comme je le sentais, à la seconde où nous nous regardons, nous nous mettons à pleurer. Nul besoin de dire quoi que ce soit, le regard, les gestes, les attitudes disent tout. Je colle mon front contre le sien, et le chagrin redouble. Elle me sert dans ses bras, en laissant échapper un léger gémissement de douleur.

Je pose instinctivement la main sur sa hanche, à l'endroit où la balle l'a touchée. Elle se met à rire.

"C'est de l'autre côté..."

Je rie à mon tour. Nous rions, et pleurons, et nous étreignons. Daniel aurait lui aussi été amusé par cette situation. Je la dévisage, je la dévore du regard, et la culpabilité commence à se faire ressentir. Je m'apprête à lui dire à quel point je suis désolé pour tout, que j'ai failli à les protéger, elle et Dan, mais elle ne me laisse pas le temps de dire la moindre parole et scelle mes lèvres de son plus doux baiser.

Ce baiser que je pensais ne jamais pouvoir lui faire ! Je profite, jalousement, de cet instant de calme, de tendresse mélancolique. Nous restons un long moment, debout, dans les bras l'un de l'autre, à tantôt s'embrasser, tantôt regarder la neige tomber, toujours en silence.

Lorsque nos corps finissent par épuiser leurs derniers stocks de larmes, nous décidons de sortir sur le perron sur lequel un petit banc se trouve. Nous nous asseyons. Gabriel nous rejoint.

"Vous voilà réunis !

- Salut Gab. Je lui dis.

- Comment te sens-tu, Raph ?

- Mon bras me fait mal, et mon cœur également."

Gabriel peine à contenir son émotion. Et pourtant, il ne laisse aucun signe de peine prendre le dessus.

"Nous attendions que tu te réveilles pour dire au revoir à Dan et Ezra. On fera une petite cérémonie en fin de journée. Nous aurons beaucoup de choses à discuter également.

- Je me doute, oui. Comment se fait-il que nous soyons ici ? On ne devait pas surveiller New Shelter ?

- Si. Un groupe y a établi un campement. Jessie travaille sans relâche afin de maîtriser son optimisation. Nous avons mobilisé nos meilleurs bricoleurs pour mettre en place un système d'accès aux remparts sans passer par la porte d'entrée. Mais la tâche s'annonce très compliquée...

- Ah oui, pourquoi ? Demande Angie.

- Eh bien... On a un petit souci... En fait, les zombies intelligents se sont rassemblés sur les remparts et défendent la ville..."

Je regarde Angie, et je ne peux m'empêcher de sourire. Je reconnais bien là l'œuvre de Dan. Il a dû laisser des "consignes" aux intellos. Il nous a cependant demandé de garder un œil sur New Shelter, aussi, nous devons faire preuve d'une extrême prudence. Cette situation est inédite, et ce qu'il a accompli va donner naissance à un tout nouvel ordre où les premiums seront majoritaires.

"Nous avons également un autre problème, Raph...

- Laisse-moi deviner... ça rime avec Madder ?

- Tout à fait. Bod s'est rendu à son nouveau QG, et il y a trouvé encore place nette. Il semblerait que cet endroit n'était qu'un établissement temporaire. Nous avons mis la main sur l'un des gardes, il a mis du temps à parler, mais Madder aurait carrément quitté le pays, voire même le continent...

- Avec Alastair, il n'y a aucun moyen de savoir avec certitude, cet homme est beaucoup trop prudent pour laisser de telles indications.

- Comment va-t-on faire, Raph ? Nous ne sommes toujours pas en sécurité...

- Ne t'inquiète pas pour le moment Gab, nous sommes en sécurité. Et rappelle-toi que nous avons encore beaucoup de documents à analyser sur la clé volée au labo d'Alastair... L'éveil des premiums de New Shelter sera capital. Nous devons veiller à ce que cela se déroule dans les meilleures conditions possibles, et ça passe par un confinement stricte.

- Oui, ok, tu as raison.

- Maintenant, nous pouvons nous permettre de souffler un peu, de pleurer nos morts, et d'honorer leur mémoire et rendre hommage à leurs actes héroïques."

Un long silence s'installe. Je sens que Gabriel est tiraillé. Je me lève, je m'approche de lui et le fixe droit dans les yeux. J'y décèle un infini chagrin et cela me peine au-delà de tout mot. Je l'attrape par la tête, mais il se débat, et je le force à venir pleurer sur mon épaule. Un ultime regard de sa part, comme pour me demander mon autorisation, puis il s'effondre sur moi.

Angie nous regarde et pleure silencieusement. Son expression à la fois triste et bienveillante me rassure. Gabriel sert son étreinte, un poil trop fort à mon goût, mais la douleur que son geste engendre n'est qu'un témoin de la dure réalité que nous vivons. Dan est mort.

Gabriel relève très légèrement la tête, et me murmure : "comment je vais faire sans lui ? J... J'ai pas eu le temps... De lui dire...Oh putain..."

Et, je saisis réellement l'ampleur de la perte de Dan pour Gabriel, et je ne peux rien faire d'autre que pleurer. Pendant tout ce temps, aussi jeune soit-il, Gabriel a assuré son rôle de leader avec brio, et pourtant... et pourtant, depuis tout ce temps... Secrètement, jalousement, il aimait Dan.

Je fixe intensément Angie, qui ne comprend pas mon geste. J'ai la chance inouïe de l'avoir auprès de moi, et d'avoir pu lui dire ce que je ressens. Mais Gabriel... Dans un monde d'horreur, le peu d'amour qu'il avait à donner, le peu d'amour qu'il aurait pu recevoir... à jamais envolé.

Cette fois-ci, c'est moi qui le sers un peu trop fort. Je perds un fils, il perd un ami à qui il n'aura jamais l'occasion d'avouer ce qu'il ressent... Je le dégage de mon étreinte, je prends son visage entre mes mains, et je soutiens son regard avec la plus féroce intensité. J'ai envie de lui dire tellement de choses, comme : tu n'es pas seul, je serai là pour toi. Il t'aurait aimé, j'en suis certain. Sois fort, il veillera toujours sur toi. Mais je ne peux pas... Je n'y arrive pas.

Sa réaction, tout aussi silencieuse, me rassure. Il me sourit, comme pour me répondre : je le sais, et je t'en remercie. Alors j'approche son front, et je lui dépose un baiser, de tout mon amour, et toute ma bienveillance. J'ai perdu un fils d'adoption, mais j'ai gagné un ami fidèle.

Nous soufflons ensuite un bon coup, puis nous essayons de reprendre contenance. Angie nous a rejoint, et dépose à son tour un tendre baiser sur la joue de Gabriel qui le lui rend au centuple.

"Les gars, on s'fait une promesse ? Plus jamais l'un sans l'autre..."

Nous nous regardons, à tour de rôle, les yeux plein d'espoir, un léger sourire qui se dessine sur les lèvres respectives de chacun... sourire qui se renforce et illumine nos visages embués de larmes lorsqu'Angie et moi répondons, à l'unissons :

"Plus jamais l'un sans l'autre."

Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top