51. L'heure a sonné.

Je suis à genoux. Je souffre le martyre. Les zombies modifiés tentent de m'arracher des morceaux de chair, mais ils n'y parviennent pas car ma couche de vêtements est trop épaisse... Mais je dois bien reconnaître qu'ils y mettent toutes leurs forces... J'essaie de protéger au maximum mon visage et ma nuque avec mes bras, et une première morsure se fait ressentir au niveau de ma main gauche.

Je ne tiendrai pas longtemps, mais au moins, j'ai la certitude qu'Angie est à l'intérieur, saine et sauve. Je tente désespérément de les repousser, mais ils ont beaucoup trop de force pour mon seul corps. Alors je me résigne, et j'accepte ma mort : j'ai sauvé Angie, et c'est tout ce qui compte. Je ne serai pas mort en vain.

Les dents finissent par déchirer mes vêtements. Cette fois-ci, les modifiés peuvent me dévorer à leur guise, et je sens les premières mâchoires me percer l'épiderme, puis s'enfoncer, pour ensuite resserrer, et enfin arracher un lambeau de chair comme un charognard sur une carcasse.

Je pleure, pour la dernière fois. Je ne reverrai plus Dan. Je ne pourrai pas régler son compte à Alastair. Je vais mourir dévoré... Dévoré par les créations de mon ancien ami et partenaire, qui n'auraient pu exister sans la contamination que j'ai provoquée. Quelle "putain d'ironie", hein Angie... Quelle ironie, de se faire bouffer par ce que nous avons créé bien malgré nous.

Mes vêtements tombent en lambeaux, ou bien est-ce ma peau ? Je ne sais pas, je ne sais plus. Mais c'est affreusement douloureux. J'aurais aimé mourir en héros, fort, et digne, mais la vérité est beaucoup plus brutale : j'ai horriblement mal, je pleure toutes les larmes de mon corps, et, face à la mort, nous sommes seuls. Terriblement seuls.

Je me recroqueville sur moi-même, allongé, dévoilant des points faibles aux modifiés. J'ai beaucoup trop mal pour lutter. Je n'entends plus leurs grognements, je ne discerne plus rien, aveuglé par la douleur. Une ultime pique lancinante me rappelle à la vie...

On me traîne. Je ne sais pas où, je ne sais pas qui, mais cela a pour effet de tirer sur l'une des morsures, et je ne peux m'empêcher d'hurler.

Des détonations se font entendre : une, deux, trois, quatre, cinq... Puis, plus rien. Mes plaies me font un mal de chien, mais je sens que mon corps se détend, mon cerveau fait le point. Le flou se fait plus net, et les sons reviennent à la normale.

Nous sommes à l'intérieur du QG, à l'endroit même où nous avons été retenus quelques temps plus tôt, Angie et moi, par Erwan. Gabriel se tient devant moi, avec quatre autres premiums. Je prends, soudainement, pleinement conscience de ce que nous venons de vivre...

Ezra est mort sous nos yeux... ainsi que quatre autres premiums. Gabriel tient un garde en joue, avec un pistolet. J'avais oublié que les premiums avaient embarqué des armes avec eux. J'ai même refusé d'en avoir une. Eh bien, quelle erreur de ma part...

"Vous n'irez pas loin, même armés... Lance le garde.

- Ah ouais ?! La ville est en confinement, et je suis à peu près sûr qu'Erwan et ses hommes sont soit aux remparts, soit à la prison... N'est-ce pas ?! Lui répond Gabriel.

- Je ne vous dirai rien ! Vous pouvez me tuer ! Les autres viendront vous abattre !

- D'accord...

- ATTENDEZ !!!"

Gabriel a joué le bluff, et cela venait de fonctionner. Le garde, qui tient visiblement plus à sa vie qu'à la reconnaissance d'Erwan, nous a tout avoué. Il est seul, dans ce bâtiment, car il se trouve en plein centre de New Shelter. Nous ne pouvons aller nulle part, nous sommes encerclés par les zombies de Madder ainsi que les soldats d'Erwan. L'ex compagnon d'Angelica a cependant commis une très grosse erreur : il nous a sous-estimés.

Angie se précipite vers moi mais l'un des premiums la repousse : je suis recouvert de plaies suintantes. Même si je suis immunisé, le virus me recouvre tout le corps, à cause des morsures. Je ne peux pas prendre le risque de l'exposer à un tel danger... Je ne supporterais pas de la voir se transformer, même avec la possibilité de devenir premium après.

Gabriel ordonne au garde d'indiquer où se le matériel de premiers soins, et le garde refuse de coopérer. Alors, dans un accès de colère et d'impatience, Gabriel lui tire une balle dans le pied. La confiance et la sévérité qu'il dégage lui déforment le visage. Je ne l'avais encore jamais vu dans un tel état. Ses yeux sont d'un rouge si brillant !... Le garde finit par lui dire où se trouve ce matériel, et Angie se précipite pour aller le chercher. Un premium l'accompagne, et cela me rassure, car, après tout, nous n'avons aucune certitude d'être seuls dans cette immense bâtisse.

BAM ! BAM ! BAM BAM BAM !

Des coups se font entendre à la porte. A en juger par le rythme et l'intensité des coups, il s'agit de modifiés. De l'intérieur, nous n'avons aucun moyen de savoir ce qu'il se passe dans New Shelter, mais j'imagine qu'Erwan sera mis au courant très rapidement. Mon corps est meurtri, mais je rassemble mes idées.

"Eh ! Toi ! Tu es en contact avec Erwan ? Je demande.

- Oui... Il répond, apeuré.

- Très bien, tu vas lui dire que tu nous as vu, que nous avons essayé d'entrer ici, mais que nous n'avons pas pu. Tu lui diras que nous avons abattu des modifiés, mais que nous sommes repartis dans une direction opposée.

- D'a... D'accord.

- Ce n'est pas tout... Tu as un véhicule en état de marche ?

- Oui... Mais que voulez-vous en faire ? Vous ne pourrez pas sortir...

- Ce n'est pas pour sortir... Tu vas nous conduire à la prison, et nous faire entrer.

- MAIS JE NE PEUX PAS ! Elle est gardée ! Ils ne nous laisseront jamais entrer !!!

- Nous nous planquerons, ou je ne sais pas... Mais tu as plutôt intérêt à nous y faire entrer, ou sinon nous te tuons."

Je fais mouche : l'homme d'Erwan obtempère sans broncher. Il doit vraiment tenir à la vie pour trahir aussi facilement Erwan. Qu'est-ce qui peut bien le pousser à agir de la sorte ? A-t-il une femme ? Des enfants ? Un amant ? Quelqu'un qu'il aime et qui le maintienne en vie ? Très certainement.

Angie est de retour, avec le matériel nécessaire aux premiers soins. Elle reste en retrait pour éviter toute contamination. Elle décide de rester près du garde qui passe son appel radio auprès d'Erwan. Celui-ci est furieux mais sa réaction fait tourner la situation à notre avantage : il lui ordonne de se rendre à la prison le plus rapidement possible, car il faut renforcer les équipes de surveillance et ne pas prendre le risque que nous libérions les autres premiums. Il nous sert notre entrée sur un plateau !

"Raph ? Tu tiens le coup ? Me demande Gabriel pendant qu'il me soigne.

- Oui, autant que faire se peut... Et toi ?

- J'évite de trop me poser de questions superflues pour le moment, nous sommes en danger.

- Je suis désolé pour Ezra.

- Nous ne pouvions rien faire, Raph. C'est comme ça. Des amis, on en perd tous les jours dans ce monde de dingue.

- Si je n'avais pas...

- Oh non, pas de ça, s'il te plaît... Si cette enflure de Madder n'avait pas joué au con, tout cela ne serait pas arrivé. On en a tous conscience. Il serait temps que tu te pardonnes toi-même, Raph. Personne ne t'en veut, car ce n'est tout simplement pas de ta faute. C'est comme ça.

- Aïe...

- Désolé... Nous pleurerons nos morts une fois cette bataille terminée... Si seulement nous en réchappons, hein ? Il conclut sur un sourire fatigué."

Il m'a fait des pansements et des bandages de fortune. Grâce à ma condition de premium, je peux marcher malgré la souffrance. Je n'ose pas prendre Angie dans mes bras, mais je me permets quand-même un baiser sur la joue, qu'elle me rend furtivement sur la bouche. Un geste si simple et si bref vaut tous les anti-douleurs du monde.

Malheureusement, je n'ai pas le temps de plus apprécier le geste que nous devons déjà nous remettre en route. Le garde nous indique l'endroit où se trouve le véhicule. Nous constatons non sans appréhension que les modifiés nous suivent à la trace, de l'extérieur. Aussi, nous allons devoir élaborer une stratégie pour pouvoir faire monter tout le monde dans le véhicule sans que nous nous fassions attaquer par les zombies de Madder. Je leur propose de servir de leurre, car j'ai besoin de souffler encore un peu. Angie et Gabriel refusent, mais l'homme d'Erwan marque un point en nous rappelant que le temps presse.

Cette stratégie ne s'avère qu'à moitié efficace car les modifiés se sont divisés en deux groupes : l'un me guète derrière porte et fenêtres pendant que l'autre suit le groupe en contournant la bâtisse. Je me demande comment Alastair a pu mettre au point de telles prouesses biologiques totalement incapables de briser une fenêtre...

Bon sang, Raph, ne parle-pas de malheur ! Heureusement qu'ils ne peuvent pas... Le temps semble passer lentement. Je vois les têtes à travers la fenêtre. Nous nous regardons. Je m'approche tout doucement. Mon cœur accélère ses battements. Une simple fenêtre me sépare de la mort. Le zombie me regarde.

Un frisson d'effroi me parcourt le corps : ce que je vois me rappelle que trop bien ma première nuit à New Shelter. Il s'agissait déjà d'un modifié. Ce qui me laisse le plus perplexe, c'est de le voir, quasiment immobile, et il me fixe, comme s'il se regardait dans un miroir. A une exception près : absolument aucune émotion ne transparaît sur son visage blafard et ensanglanté.

On se dit souvent, à tort, que les humains sont parfois inexpressifs. Mais ce que je vois actuellement me fait prendre conscience de cela : même le plus inexpressif des humains exprime toujours une émotion : l'indifférence, la colère, la bienveillance, l'étonnement, la joie, l'abattement, la perplexité, l'ennui... Mais en aucun cas, le visage humain n'exprime l'absence d'émotion. Et ce que je vois là me glace le sang.

Je suis tellement pris dans mes réflexions que je ne réalise pas que nos deux visages sont presque collés à la vitre. J'ai posé ma main gauche sur celle-ci, sans même m'en rendre compte, et quelle n'est pas ma surprise de constater que le zombie a fait de même avec sa main droite ! Je me demande ce qu'il peut bien se passer dans le cerveau zombie...

 Le bruit du moteur me ramène à la réalité, tout comme le zombie qui me fait face : d'un coup, il se précipite vers la source de bruit et deux secondes plus tard, je vois son crâne exploser sous l'effet d'une balle. Les autres modifiés foncent également sur la voiture et je vois Angie me faire signe de les rejoindre.

A cet instant, j'ai très exactement dix secondes pour ouvrir la porte, esquiver les modifiés, monter dans le véhicule sans me prendre une balle, et partir...

Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top