40. Se relever.
C'est totalement fou, toute cette histoire. Quand je crois avoir atteint le fond, j'ai l'impression que l'univers fait en sorte de me faire tomber encore plus bas. Mais là, à vrai dire, je ne peux pas tomber plus bas. Vraiment. La seule situation pire que celle-ci serait que Daniel ou Angie me soient enlevés, eux aussi.
Je reste au sol, à pleurer. J'entends quelques reniflements, tout près de moi. L'assistance n'est pas restée insensible à mon récit. Qui le serait ? Cette putain d'ironie du sort, cette farce macabre de la vie. Ah, Angie, tu avais tellement raison, en parlant de "putain d'ironie du sort".
Je sens une main sur mon épaule. Je relève la tête, avec l'espoir que ce soit Angie... Mais non. Il s'agit de Daniel. Il tente de me sourire, mais je vois bien les traces de pleures sur son visage. A notre surprise mutuelle, je lui souris, et je le tire contre moi et le sers fort. Si fort ! J'ai perdu mon petit Arthur, mais j'ai gagné un petit gars extraordinaire. Je m'autorise à rêver que mon petit ange aurait été un garçon brave, courageux comme Dan.
"Je ne sav... commence Dan.
- Tais-toi..."
Je me permets de le couper. Je ne veux pas de sa compassion verbale, même si elle est on ne peut plus sincère. Parfois, les actions sont plus symboliques que les paroles. Et je veux que ce moment le soit. Je veux qu'il comprenne qu'il est tout ce que j'ai de plus précieux. Alors je le décolle de mon épaule et je le fixe, avec une intensité féroce, et une fierté paternelle, comme je n'en avais jamais montré jusqu'à présent. Sa réponse : un sourire, ému, et fier, également. Voilà ! Des actions qui parlent beaucoup plus que des mots !
"Raphaël. Je suis désolé de ne pas te laisser de répit, mais nous devons décider de la suite des événements... Bod a refermé les portes du village, nous avons les deux tiers de la horde entre nos murs, et les fauxptimisés ont disparu. Il y a fort à parier que Madder sait tout de ce qu'il s'est passé, et si c'est le cas, non seulement nous courons tous un grand danger en tant que... premiums, c'est ça ?... Mais surtout vous, Dan et toi. S'il apprend que tu es là, et ce que Dan est capable d'accomplir, il va revenir pour nous anéantir tous, et cette fois-ci, il s'assurera que le boulot soir fait jusqu'au bout...
- Ça ne fait aucun doute... Alastair est fou à lier. Il s'est bien payé ma tête, à l'asile. Il devait jubiler, à m'avoir entre ses doigts, comme un rat de laboratoire, moi, son grand ennemi.
- Je comprends mieux son comportement envers toi, maintenant ! s'écrie Dan.
- Effectivement, tout fait sens. Mais ce qui m'inquiète le plus, c'est qu'il nous ait laissés filer si facilement. Comme s'il attendait de moi que je m'en aille...
- Tu as quand-même du bien l'énerver en rebootant son ordinateur et en volant ses dossiers... Ajoute Gabriel.
- L'attaque de la horde, c'est un message on ne peut plus clair.
- Sans compter sur Erwan qui a dû l'avertir de notre fuite de New Shelter..."
C'était Angelica. Mon cœur fait un bond au son de sa voix. Elle ne me regarde pas directement, mais vient tout juste de s'adresser à moi ! Tout n'est pas perdu... Alors, je renchéris :
"Donc, si je résume... Alastair m'a ramassé par hasard, ça, c'est évident, il ne devait pas s'attendre à me retrouver, et encore moins plus humain que jamais. Dans toute sa démesure, il m'a laissé filer... Pourquoi donc, tiens ?... Ah ! Mais bien-sûr ! Il devait forcément savoir que vous alliez venir ! Avec moi dans les locaux, il voulait que je vous rencontre avant de me faire quoi que ce soit, c'est évident !
- Euh... pas pour tout le monde, Raph. Me lance Dan.
- Je le connais bien ! Mais entre le vol de données, et ma disparition, on a dû le rendre furieux... Mais il n'a pas mis sa horde à notre recherche aussitôt... Non. Il a agi très certainement lorsqu'il a su par Erwan qu'un certain Raphaël s'était échappé de New Shelter, après avoir été mochement mordu par l'une des créations d'Alastair... Mais ce délai m'étonne quand-même...
- Il n'avait certainement pas intérêt à nous attaquer direct... En fait, je pense même qu'il attendait de voir ce que ça allait donner tout ça. Il ne devait pas savoir que c'était toi qui avais les fichiers. Partant de là, il a dû se dire qu'on aurait ton fichier papier, et on t'aurait tenu pour responsable, et on t'aurait fait ta peau. Tente Gabriel.
- Hmmm... Honnêtement, ça se tient bien, oui. Ce serait tout à fait son genre !... Bon sang, quand-même, comment a-t-il pu créer tout ça ? Les zombies tels que celui qui m'a attaqué à New Shelter, ou bien même les "fauxptimisés", nous avons mis des années à obtenir les résultats qui ont mené à la catastrophe...
- Il a dû les reprendre et continuer à travailler dessus. Mais tout ça, tu pourras obtenir des réponses dans ses dossiers, Raphaël. Mais nous avons un problème plus urgent dont nous devons nous occuper, et ça rime avec Madder.
- Tu as raison, Gabriel. Allons neutraliser la horde, compter nos morts, et décider de la marche à suivre.
- Et comment comptes-tu t'y prendre, au juste ?"
Je n'ai pas besoin de répondre à sa question car il intercepte le regard entendu que Daniel et moi nous échangeons. La réponse était évidente, Daniel allait devoir jouer à nouveau de son optimisation pour écarter tout danger immédiat, et, de manière assez surprenante, cela avait l'air de le galvaniser plus que de l'effrayer.
Nous nous dirigeons vers la pièce dans laquelle j'étais retenu captif car il nous reste quand-même les détails à peaufiner. Je dois l'avouer, je ne sais plus du tout si je suis inconsolable ou bien plein d'espoir. Mon esprit a emmagasiné tellement en un si court laps de temps : le retour de la mémoire, le rejet d'Angie, les entraves, et les aveux forcés. Mais maintenant tout le monde sait, et la compassion dont tout le monde fait preuve m'aide beaucoup.
Alastair Madder... Ce vieux loup. A l'époque, il était déjà prêt à tout pour parvenir à ses fins, et désormais, il a réussi à renverser la balance et prendre le contrôle. Je ne sais pas quel est son projet à long terme, mais il est clair que cela va causer la perte de toute trace humaine sur Terre.
"Alors, Dan, explique-moi, là, car à moins d'une terrible envie suicidaire, je ne vois pas comment tu vas pouvoir faire quoi que ce soit de ce groupe... Lance Gabriel.
- Eh bien, en fait, j'ai une idée, un peu folle, mais je crois que ça vaut le coup ! Nous avons largement assez de place pour faire un campement de fortune pour quelques jours, ici... Alors je pensais retenir les zombies quelques minutes, le temps pour vous d'aller dans les maisons chercher des affaires et des vivres, puis revenir. Une fois cela fait, je prendrai le contrôle des zombies pour les enfermer dans les maisons, comme ça, nous pourrions naviguer tranquillement dans le village. Tu me suis ?
- Y a effectivement du bon là-dedans, Dan. Mais une fois enfermés, on en fait quoi ?
- Eh bien, on les utilise, pour attaquer Madder et son labo, non ?
- C'est une bonne idée, ouais. T'en dis quoi, Raph ?
- C'est un bon plan... mais je pense qu'Alastair nous attend au tournant, cette attaque était beaucoup trop bien orchestrée ! Les fauxptimisés, les intelligents... Je pense que nous devons neutraliser Madder, mais je ne sais pas si la horde est nécessaire.
- Je pense que vous vous trompez de cible... Suggère Angelica.
- Comment ça ? Lui demande Gabriel.
- Aussi puissant soit-il, Madder ne veut clairement pas vous éliminer. Pour preuve, il tente de créer des premiums, mais vous l'avez bien vu, ils ne sont pas comme vous. Vous comprenez ce que cela veut dire ? Il a besoin de vous tous, vivants, pour ses petites expérimentations. Par contre, tout New Shelter vous veut morts... C'est Erwan qu'il faut neutraliser en priorité."
Gabriel, Daniel et moi échangeons des regards médusés : Angie vient de nous conseiller de nous débarrasser de l'homme qui partageait sa vie. Un silence lourd et pesant s'installe. Je ne sais pas quoi répondre, et j'ai déjà fait trop de dégâts pour en rajouter une couche... Gabriel vient à notre rescousse.
"D'accord, donc... Nous devons nous occuper de Madder sans la horde, puis New Shelter, c'est bien ça ?
- Nous devons capturer Madder et le garder prisonnier. Je lui réponds.
- Et ensuite retourner à New Shelter pour nous emparer d'Erwan. Ajoute Dan.
- Non, Daniel. Le tuer. Purement, et simplement. Cet homme-là n'a plus rien d'humain, et je ne le laisserais pas vous faire du mal. Renchérit Angie.
- Mais, qui sommes-nous pour prétendre choisir qui a le droit de vie ou de mort, Angie ? Lui demande Dan.
- Je le connais mieux que personne, et ce qu'il m'a fait, ce qu'il a fait subir à Raphaël, sans même savoir qu'il est un premium... Je n'ai vu en lui que de la haine. Quand il dit qu'il va tous vous tuer jusqu'au dernier, il le fera. Il se construit son armée, tire sa force de la peur des réfugiés et en fait de parfaits petits soldats. Vous vous doutez bien que ça me coûte énormément de dire ça... Mais il faut le tuer, et si vous refusez, je le ferais moi-même."
La détermination féroce dont elle fait preuve me laisse en admiration, et, je dois bien le reconnaître, m'effraie un petit peu. Elle serait ainsi capable de tuer Erwan de ses propres mains... Je n'ose même pas imaginer ce qu'elle m'aurait fait subir si elle n'avait pas appris la vérité à mon sujet !
"Bon. D'accord. D'abord, Madder, et ensuite, New Shelter ! Nous verrons sur place ce que nous ferons d'Erwan... Mais tout d'abord, on a une horde à parquer dans nos maisons ! Au boulot !"
... Conclut un Gabriel qui venait de retrouver tout son aplomb.
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