39. Raphaël Chambers.

Pouah... Je ne sais pas combien de temps j'ai dormi, mais cela m'a fait un bien fou. Je me sens un peu groggy, mais au moins, j'ai récupéré de tout ce que je venais de subir. J'ai dormi d'un sommeil sans rêve, lourd, et probablement long. Je me demande ce qu'ils peuvent dire en ce moment même, de l'autre côté de la porte... Ça doit être l'effervescence ! S'ils savaient... Mais je ne peux rien dire tant que l'on ne me pose pas les bonnes questions...

Angelica... Alors ça... En un seul mot, un seul nom, une seule pensée, tout mon optimisme s'effondre. La déception, le dégoût, le dédain... Voilà tout ce que j'ai lu dans ses yeux. Ses si beaux yeux... Tu n'es en aucun cas responsable, qu'elle m'avait dit. Eh bien, si. Je suis le seul responsable. Tout est parti de moi... Elle ne le sait pas, mais j'aurais pu éviter tout ça... Et maintenant, elle a tout perdu à cause de moi... Si seulement j'avais recouvré la mémoire dès mon réveil...

Non, Raphaël... cela n'aurait rien changé, tu le sais bien. Mieux que personne. J'espère juste qu'elle saura me pardonner, pour tout le mal que je lui ai fait. Elle est, avec Daniel, ce que j'ai de plus proche, ce que je peux considérer comme ma famille, maintenant que j'ai tout perdu...

J'entends un bruit de clé dans la serrure de la porte, cela me tire de mes pensées. Bon sang, ils ont même été jusqu'à m'enfermer comme un vulgaire prisonnier ! Mais quelle image ont-ils de moi pour me garder et se méfier de moi de la sorte ?!

"Bon... Raphaël... Je te dois des excuses."

C'est Gabriel. Je reste silencieux. C'est clair, il me doit sacrément des excuses !... Mais je ne peux pas lui reprocher sa méfiance. Après tout, tout cela est de ma faute, et il a la responsabilité de tout un groupe, nombreux qui plus est. Je décide de le laisser faire la conversation.

"On a épluché un peu les dossiers te concernant. Je dois avouer que certains avaient échappé à notre attention avec l'expédition à New Shelter... Le gosse doit beaucoup tenir à toi, tu le sais ça, Raph ?"

Ah... Voilà. Là on parle, Gabriel. Tu as laissé tomber mon nom de famille pour un diminutif ? Madder a donc dû être assez bavard dans ses fichiers ! Cela ne m'étonne guère de lui.

"Si seulement tu avais récupéré tes souvenirs plus vite, on n'aurait pas eu besoin d'en venir jusqu'ici... mais tu sais ce que ça signifie, hein ? Tu vas devoir leur expliquer, Raphaël... Réponds-moi, s'il te plaît. Tu es notre seul et unique espoir.

- Je suis désolé, Gabriel. Moi aussi j'aurais préféré que tout cela se passe autrement. Mais, après tout, sans moi, cette catastrophe n'aurait pas plongé notre monde dans le chaos.

- Nous savons ce que Madder t'a fait... Mais il vaut mieux que les optimisés l'apprennent de ta bouche... Et puis... Raph, le temps nous est compté. Madder sait probablement déjà ce qu'il vient de se produire. Nous devons nous dépêcher... Te sens-tu prêt à leur dire qui tu es ?

- Allons-y, je suis prêt."

Je dois reconnaître que ce changement de ton de la part de Gabriel me fait un bien fou. L'entendre m'appeler "Raph" alors qu'il était le premier à jouer avec mes nerfs en utilisant mon nom de famille, ça, c'est vraiment bizarre à vivre, mais ça fait du bien. Nous pouvons enfin reprendre sur des bases saines.

J'arrive dans la grande salle, celle là même où j'ai subi le test pour améliorer de manière accélérée mon optimisation. Les regards se tournent vers moi et le silence s'installe. Bon sang, je me sens tellement gêné ! Quelle pression ! Tous ces yeux, curieux et expectatifs !... Je parcours l'assemblée du regard, à la recherche de Dan et Angie. Je les trouve, l'un à côté de l'autre. Angie semble toujours en colère mais prête à entendre ce que j'ai à dire. Quand à Dan, toujours fidèle à lui-même, il me fixe du regard avec un sourire aux lèvres, et me mime quelqu'un qui s'éponge le front... Le message est très clair : "Bon courage, mec, tu vas en avoir besoin !". Mais son sourire franc et complice me donne un élan de confiance dont je ne me serais jamais cru capable de ressentir à cet instant précis. J'inspire profondément, puis, je me lance...

"Euh, bonjour tout le monde... Je ne sais pas trop ce qui a pu se dire sur moi, mais j'ai des choses à vous partager... Je m'appelle Raphaël Chambers, et j'ai été le patient zéro de cette vaste épidémie dévastatrice."

Des murmures s'élèvent dans la salle et se muent très vite en protestations. Décidément, mon éveil en tant que premium ne m'aura pas aidé à devenir un meilleur locuteur !... Gabriel vole à ma rescousse et impose le silence aux autres premiums.

"Je comprends votre désarroi, et je vous dois des explications. Alors les voici... Avant que tout cela ne se produise, je travaillais dans un laboratoire pharmaceutique dans lequel nous avions tout un programme de recherche. Ce programme avait pour but de trouver un remède pour les neurodégénérescences et les neuropathies importantes. Les recherches étaient on ne peut plus prometteuses, alors nous avons décidé de pousser les expérimentations un peu plus loin... Mon collègue et partenaire de projet ne partageait pas les mêmes règles d'éthique et voulait à tout prix tester nos avancées sur les humains alors que nous n'avions pas la certitude que le remède fonctionnait à long terme sur les animaux...

Vous imaginez, déjà, trouver un animal qui aurait une neurodégénérescence proche de celle de l'être humain, cela relève de l'impossible, dans la mesure où il faut un cerveau ainsi qu'un système neurologique proche du notre !

- Eh, on n'est pas scientifiques, nous ! S'exclame un premium.

- C'est vrai, pardonnez-moi !... En bref, le remède n'était pas prêt pour un test grandeur nature. Alors je m'y suis formellement opposé, et lorsque le conseil d'administration du laboratoire a décidé de me donner raison, mon partenaire de projet a quitté le navire non sans faire d'esclandre !... Et ce partenaire, vous le connaissez tous, malheureusement, son nom n'est autre qu'Alastair Madder..."

Une vague de protestations se fait à nouveau entendre : "traître !", "Collabo !", ou encore "pourritures que vous êtes !". Je ne peux pas leur en vouloir... Alors je décide de continuer.

"Madder est donc parti... Et pour comprendre pourquoi toute cette catastrophe s'est produite, je dois vous en dire un peu plus sur moi... J'étais marié, depuis trois ans. Ma femme, Justine, était merveilleuse ! Institutrice, pas scientifique pour deux sous, nous étions deux opposés !... Mais quels opposés ! De notre mariage est né notre petit Arthur..."

Je fais une pause. Accuser les souvenirs dans mon esprit était un fait, mais les exprimer à voix haute en était un autre : voilà ce que j'avais perdu. Ma femme, et mon fils. J'ai condamné à mort les deux êtres qui m'étaient les plus chers au monde. Non sans une difficulté certaine, je continue mon histoire, les larmes coulant.

"Un jour, un groupe d'activistes est venu manifester devant notre laboratoire. Nous avions l'habitude de gérer ce genre de crises. Mais ce que nous n'avions pas anticipé... Bon sang... Ce que nous n'avions pas anticipé... C'était Madder. Maintenant, j'en suis certain, ça ne pouvait être que lui. Ce jour-là, le groupe se trouvait devant les grilles, comme à l'accoutumée... A l'exception de trois individus qui se sont introduits par un trou qu'ils avaient fait dans le grillage. Ils sont passés par un angle mort des caméras de surveillance, que seul un membre du conseil d'administration pouvait connaître, et ils ont pénétré dans les locaux.

Ils avaient décidé de révéler au grand jour les tests que nous effectuions dans la section expérimentale... La section expérimentale regorgeait de secrets peu glorieux. Notre équipe avait mis au point un remède redoutable : certaines bêtes avaient une réponse positive au traitement, sans rejet, mais elles représentaient un pourcentage infime. Le reste, eh bien, nous étions obligés de les tuer, car elles devenaient totalement incontrôlables, voire se mangeaient entre elles, mais uniquement des sujets non-injectés étaient attaqués par les infectés.

C'était une véritable catastrophe, mais ça, Madder s'en foutait. Tout ce qu'il voulait, c'était s'accaparer la gloire et la fortune, au risque d'exposer toute l'humanité à des risques sanitaires sans précédent !... Mais lorsque les activistes se sont introduits dans le laboratoire, il était trop tard pour réagir. Ils savaient exactement où se rendre, et ils s'y sont rendus..."

Je marque une nouvelle pause. La scène me revient en tête, plus vive que jamais. Ces salauds... Ces enfoirés...

"Ces enfoirés étaient armés... J'étais dans le labo à ce moment. Ils nous ont pointés, ont fait leur petit laïus avant de libérer les sujets pour s'emparer d'eux... Mais il s'agissait du mauvais groupe... Ils ont libéré des sujets à détruire...

Nous effectuions des tests sur des primates, car ils présentent de nombreuses caractéristiques similaires à l'être humain. J'ai dû agir... Vous comprenez, j'ai dû agir vite. Pour éviter que ça tourne au désastre... J'ai essayé de neutraliser tous les sujets, pour protéger mes collègues ainsi que ces abrutis... Mais j'ai été mordu. C'était la première, la seule et unique transmission de l'animal à l'homme, et cette simple morsure a tout fait basculer..."

Je m'arrête à nouveau. La suite est la plus difficile. Alors que je vois son visage, j'explose. Mais je continue, car ils doivent savoir... elle doit savoir.

"Alors... nous... les avons tous... tués. J'ai... j'ai dû faire... un choix... Et j'ai choisi de me sacrifier, pour le bien de toute l'humanité. J'ai demandé au reste du conseil de pouvoir au moins dire adieu à ma femme et mon fils... Lorsque je suis arrivé à la maison, Justine avait compris. Mais elle n'avait pas l'esprit scientifique... Oh, je l'entends encore : "on va trouver une solution, tu as trouvé un remède ? Injecte-toi ce remède, et tu guériras ! On te gardera ici ! Ne nous abandonne-pas ! Regarde ! Regarde ton fils ! Arthur a besoin de son Papa !"... Nous nous sommes disputés, le petit hurlait de peur, il ne comprenait pas, et j'étais mal en point. Justine, dans un ultime geste de désespoir m'a assommé violemment, et m'a gardé enfermé à la maison.

Le conseil d'administration est venu à notre domicile... et... elle... elle leur... elle leur a menti. Elle a dit que j'étais parti me suicider dans la forêt... Elle... elle a fait... elle a fait ça par amour... Mais lorsqu'elle est revenue au sous-sol... Là où elle m'avait enfermé... Eh bien... Eh bien... Je ne me souviens pas, car j'étais déjà devenu un... un monstre."

Silence de mort. Je pleure encore, accompagné de plusieurs premiums. A mesure que je raconte mon histoire, je réalise l'ampleur de tout cela, et je me fais la réflexion qu'une simple balle dans la tête, au labo, aurait empêcher toutes ces horreurs. Je n'arrive plus à respirer. Mais je dois terminer.

"Alors... A... A... ... ... Alors... J'ai dû l'attaquer... Pu...puis.... Elle a dû attaquer notre petit ange... et... et... et puis le reste.... Eh bien... le reste... vous le connaissez... Il était trop tard pour contenir l'épidémie... Le conseil devait être à ma recherche dans la forêt, mais il était trop tard... Oh, bon sang, ce que je suis désolé, te... tellement, TELLEMENT DESOLE..."

Je ne peux dire une parole de plus. Aussitôt cette dernière phrase prononcée, je m'effondre au sol.

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