21. Les retrouvailles.

Ma tête commençait à me faire mal. Mon cerveau est en hyper activité depuis que Gabriel a dit mon nom... Chambers. Je croyais que connaître mon identité complète ferait revenir les souvenirs, mais il semblerait que quelque chose bloque. Et pourtant, c'est juste là, je peux le sentir, tout est sur le point de revenir. Il ne me manque que la petite étincelle qui déclenchera l'embrasement de cette barrière qui retient mes souvenirs. 

Je commence à saisir les enjeux pour ce groupe de rescapés : ils se battent quotidiennement dans ce nouveau monde. Eux aussi ont besoin de réponses à leurs interrogations. Ils veulent exister. Ils veulent une justice. Ils veulent vivre en paix. Autant de notions bancales et désuètes désormais. Quand on y pense, le monde n'a jamais été véritablement juste, ou paisible. Un système dynamique permettait simplement de maintenir l'illusion et laisser tranquille la population dans son ensemble. 

Dorénavant, c'est chacun pour soi. Œil pour œil. Ces survivants revenus d'entre les morts sont des parias, des rats de laboratoire pour des tarés comme Madder, ou au mieux, des bêtes de cirque pour le reste du monde, j'imagine. Et j'en fais partie. Dan également. Mais quelle-est donc cette vie ? Retrouverons-nous jamais un semblant de normalité ? J'ai bien peur que pour les dix prochaines années, au moins, ça ne soit pas possible. Après tout, comment retrouver une unité politique ? Une paix sociale tout en ayant un moyen de contenir la propagation du virus, ou du moins, l'endiguer jusqu'à ce que les contaminés reviennent à la vie sans propager ce fléau ? 

Je me pose beaucoup trop de questions. Celles-ci ne trouveront aucune réponse immédiate... Alors je détourne mon regard, et je vois Angie discuter avec un Daniel très concentré. Elle a l'air plutôt curieuse, intriguée. Je ne vois pas ce qu'il est en train de faire car une bâtisse me cache partiellement la scène. Alors je me rapproche d'eux. Et ce que je vois me fait froid dans le dos : Dan se tient à quelques mètres de trois zombies, attachés.

"Raphaël ! Enfin de retour parmi nous !

- Salut, Dan. Tu as l'air en forme.

- Cet endroit est dément ! Regarde ce qu'ils m'ont appris à faire !"

Sur ces mots, il se retourne en direction des zombies. Il entre dans une concentration proche d'un état de constipation sévère tellement son visage se crispe. J'aurais presque eu envie de rire si je n'avais pas été si surpris par ce qu'il se passe sous mes yeux ! Un premier zombie dénoue la corde qui le retient, se dirige vers un second, puis il dénoue la corde, et... LES DEUX SE METTENT A DANSER UN SLOW ?!!! 

Angie explose de rire, d'un rire franc et spontané. Je me mets à pouffer de rire, à mon tour. Puis je remarque l'état de trans dans lequel se trouve Dan, qui précipite la fin de cette danse macabre en allant les rattacher lui-même. Alors nous nous regardons tous les trois, tour à tour l'un vers l'autre. Et toute envie de rire disparaît. Je réalise à quel point cela est fatigant pour Daniel de mobiliser tant d'énergie au contrôle de deux zombies. Cette représentation était des plus absurdes, mais reflétait parfaitement l'absurdité dans laquelle le monde avait basculé.

Je tourne mon regard vers Angelica, et je vois les larmes couler sur ses joues. Cette vision me tord le cœur. Cela doit être douloureux pour elle de voir Daniel s'amuser avec des zombies de la sorte alors qu'il pourrait tout à fait s'agir de ses parents, en train d'effectuer une dernière danse.

"Ça va aller ? Je lui demande.

- Oh, oui. Enfin, je crois... Tu sais, Raph, ils... ils reviennent tous. Me répond-elle.

- Comment ça ?

- Les zombies... Ils reviennent tous. Comme toi. 

- Comment tu sais ça ?

- C'est Gabriel qui m'a expliqué. Tu sais ce que ça veut dire ?

- Que tes parents pourraient revenir ? 

- Ça veut dire que j'ai... tué mes parents pour... rien."

Cette simple phrase m'anéantit. Je ne comprends pas. Les zombies reviennent tous ? Mais, comment ? Alors, tous les zombies tués jusqu'ici étaient de potentiels premium ? Et les parents d'Angie, qu'est-ce qu'elle veut dire par "j'ai tué mes parents pour rien" ? Ils étaient là, bien en... en action, si je puis dire. Mon cœur s'emballe et l'incompréhension s'empare de moi.

"Ne t'en fais... pas. C'est un... un mauvais coup à... accuser. 

- Mais qu'est-ce que tu veux dire par "j'ai tué mes parents pour rien" ? Lorsque nous avons quitté leur maison, ils étaient encore là.

- Je n'arrivais pas à dormir, cette nuit-là, avant notre départ. J'avais tellement honte de ce que tu avais vu. Alors j'y suis retournée, et je les ai... je les ai... En y repensant, c'était malsain, et ridicule. 

- Je suis tellement désolé Angie... Sans moi, ils seraient encore... encore là. 

- Une partie de moi t'en veux, tu sais. Tu aurais vu la pitié dans tes yeux, ce jour là... Mais, c'était pour le mieux, j'imagine. Tu ne serais pas arrivé, je n'aurais pas quitté mon abri, je n'aurais pas libéré mes parents... j'aurais continué à les nourrir, et les empêcher de revenir comme toi. Eh puis, tu sais, ma mère était malade. Cela n'aurait pas été un cadeau de la faire revenir, et mon père n'aurait pas supporté de vivre sans elle.

- Mais elle aurait peut-être été guérie ?

- On ne sait pas, et on ne saura jamais."

Le ton sur lequel Angie me répond finit d'enfoncer le pieux de la culpabilité dans ma poitrine. Indirectement, je l'ai poussée à tuer ses propres parents. Et elle ne m'en a rien dit. Cette femme est pleine de surprises. Et moi, dans tout ça, j'ai l'impression de détruire tout ce que je touche. 

"Quelle putain d'ironie, quand on y pense. Reprend-elle.

- Quoi donc ? Je lui demande.

- Eh bien, tout ça ! J'ai maintenu mes parents "en vie" dans l'espoir qu'ils reviennent... Mais ils auraient pu réellement revenir si je les avais juste laissés sans se nourrir... Mais comment aurais-je pu savoir ? En y repensant, c'était cruel, de les maintenir de la sorte ; ça aurait été cruel de les garder sans leur donner de quoi manger. C'était tout simplement cruel, de bout en bout. 

- Tu les as libérés, tu sais. Ils peuvent maintenant reposer en paix, ensemble.

- Tu as raison... Mais, putain, quelle saloperie d'ironie du sort, tu ne trouves pas ?"

En guise de réponse, j'approuve d'un léger hochement de tête. Je ne sais pas quoi lui dire tellement je me sens honteux et coupable. Je suis là, bel et bien vivant, en pleine forme, et c'est mon comportement, mon attitude, qui l'ont poussée à abréger les souffrances de ses parents. Si nous avions su, si j'avais su...

"Allez, ne te tracasse-pas avec ça, j'ai fait ce qu'il y avait de mieux à faire dans une telle situation. 

- Oui.

- Vraiment, Raph. Au moins j'ai pu leur dire au revoir, faire mon deuil. 

- C'est vrai." 

Angelica ne cessera jamais de me surprendre. Elle a cette capacité à rationaliser et se concentrer sur les priorités... A sa place, j'aurais passé des heures à pleurer, et à me morfondre, me tenant pour responsable de cette situation... Peut-être a-t-elle eu ces sentiments ? Mais elle a choisi de les garder pour elle, et pour cela, je la respecte, et je l'admire. Daniel me coupe dans mes pensées : il est encore bien essoufflé mais se rapproche de nous, puis, d'un regard complice, il me demande :

"Au fait, bad boy, t'as toujours la clé ?"

Ce à quoi je réponds par un simple clin d'œil entendu, qui a pour effet de faire éclater de rire Dan et laisser Angie dans l'incompréhension la plus totale.

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