19. Le Refuge.

Une sensation terrible s'empare de moi. Ma tête tourne, les idées sont floues. Ce mot vient de déclencher quelque chose en moi. Un processus. Je sens mes neurones s'activer. Et pourtant, la mémoire ne me revient pas. Je sais juste que ceci est mon nom : Raphaël Chambers. Mais ce simple nom vient de remettre en route la machine mémorielle. Ce n'est plus qu'une question de jours, tout au plus, avant que mon esprit ne fasse resurgir tout ce qui a été oublié. 

C'est dans cet inconfort le plus total que je découvre qui est le fameux "Gabriel". Enfin, si je puis dire. Tout comme Angelica, il est à contre-jour et je ne peux pas distinguer les traits de son visage. Concernant Angie, j'avais gardé une image très claire d'elle : ses yeux en amandes, son regard espiègle, son petit nez long et fin, et légèrement retroussé, et ses lèvres fines et pulpeuses à la fois. Cette femme est magnifique, à vous charmer au premier regard. C'était la sincérité et la confiance qu'elle dégageait, surtout, qui vous faisait craquer. 

En revanche, je n'ai pas la moindre idée de l'apparence de l'individu qui me fait face. Je devine qu'il est bien plus grand que moi, étant moi-même assez petit, cela n'est pas très difficile. L'assurance et la gravité dans sa voix résonnent dans ma tête. La surprise redescend, et je retrouve un semblant de rationalité. Alors, je lui demande :

"Comment connaissez-vous mon nom ?

- Je sais tout de toi, tu ne pourras pas me mentir. 

- Je n'en ai pas l'intention..."

Ce premier échange donne le ton : il ne le sait pas, mais je viens déjà de lui mentir. Ce Gabriel ne m'inspire pas confiance du tout. Au son de sa voix, je dirais qu'il est jeune. Dans les 18 ans, tout au plus. Comment est-ce qu'un gosse peut être à la tête d'un groupe ? Sommes-nous tombés dans une bande d'adolescents ? Le silence est pesant. Et je n'arrive pas à deviner ses intentions.  Je prends mon courage à deux mains.

"Alors, si vous savez TOUT, de moi, que me voulez-vous ?

- Oh, pour commencer, je voudrais te démonter ta petite gueule d'ange blondinet à grand coups de pelle ! Toi et ton petit toutou, vous avez foutu en l'air toute notre mission ! 

- Nous ne connaissions pas votre existence, nous avons agi pour notre propre survie ! 

- Et tu vas me dire qu'il en allait de votre survie d'effacer toutes les données de l'ordinateur de Madder, hein ?! 

- Vous étiez donc là pour ça... Eh bien oui. Il en va de notre survie à tous. Ce mec est un malade, et sans ses travaux, sans informations, il doit tout reprendre de zéro. 

- Mais ça, c'était pas à toi de décider...

- Pas plus qu'à vous, en fait... J'aimerais que vous me détachiez et que vous me restituiez les papiers que j'avais.

- Oh non, certainement pas. T'as fait foirer notre plan, je vais faire foirer le tien. 

- C'est à la fois intelligent et mature de votre part, Gabriel...

- Ça fait des semaines que l'on prépare cette attaque ! C'était notre SEULE CHANCE, et vous avez tout foutu en l'air. Maintenant, Madder sait que nous sommes venus, et surtout, que son ordinateur a été fouillé. Tu es loin de saisir la gravité de la situation.

- Alors explique-moi ! Au lieu de passer tes nerfs sur moi et me prendre de haut ! Si Madder est votre ennemi, il est le mien également. On ne devrait pas perdre notre temps à se demander qui a la plus grosse, non ?!"

Ces paroles, je venais de les sortir dans un accès de colère. Et pourtant, j'ai fait mouche. Gabriel se raidit, et reste un moment silencieux. Nos agissements l'ont clairement contrarié. Mais il n'était pas là, sur la table de dissection. Il n'était pas là, mis en cage dans cet asile. Non. Et puis, en y réfléchissant, serait-il venu délivrer tous les patients de l'asile ? Nous aurait-il aidé ? Je n'en ai pas l'impression. Alors il est hors de question que ce gosse me fasse un discours moralisateur sur le bien de tous. 

Bien-sûr, je suis conscient qu'il y a beaucoup d'informations que j'ignore. Il y a encore un mois, j'étais un bouffeur d'humain ! Mais lui aussi ignore ce qu'il se passe là-bas, sinon il comprendrait pourquoi nous avons agi de la sorte avec Daniel.

"Tu as raison. Mais tant que je ne sais pas si je peux te faire confiance, tu ne liras pas le dossier. Est-ce que cette condition te va ? Me demande-t-il.

- Ai-je réellement le choix ?

- Pas vraiment, non. Mais autant partir sur un semblant d'accord. 

- C'est mieux que rien du tout. J'imagine. 

- Tu ne te souviens vraiment pas de ta vie d'avant ?"

Sa question me glace le sang. Le ton de sa voix avait changé. Je comprends alors que ce n'est pas le fiasco des laboratoires de Madder qui empêche Gabriel de me faire confiance, mais bien le contenu de mon dossier volé au scientifique. Cela me terrorise. Qu'ai-je bien pu faire ? Qui étais-je avant de devenir un zombie ? Tout cela, je devrais encore attendre pour le découvrir.

"Je vais te faire visiter notre refuge. Nous avons beaucoup de choses à nous dire, toi et moi. La journée ne va pas être reposante. 

- Je commence à avoir l'habitude des situations critiques, pour être honnête. 

- Nous allons avoir besoin de toi, assez rapidement, Chambers."

Le fait qu'il m'appelle par mon nom de famille me dérange. En plus de déclencher une réaction cognitive douloureuse, je me rends compte que cela a le don de m'agacer au plus haut point. Comment veut-il que l'on se fasse confiance s'il n'est pas capable de m'appeler par mon prénom ? Gabriel saisit mon agacement et renchérit :

"Si ça te dérange vraiment, je t'appellerais Raphaël.

- Je préférerais, s'il te plaît.

- D'accord... Mais dis-moi, ton nom de famille n'a vraiment pas provoquer le retour de ta mémoire ?

- Non... Pourquoi ? Ça aurait dû être le cas ?

- Oui. Mais c'est préférable, pour le moment. Mettons-nous en route..."

Sur ces paroles, il m'aide à me relever, puis me débarrasse de mes entraves. Mon corps vacille le temps d'un instant, Gabriel me retient, puis nous sortons, à la découverte de ce refuge.

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