13 Décembre
Le lundi était le jour préféré de Jungkook. Bien que cela correspondait à la reprise des cours, à son plus grand malheur d'ailleurs, c'était le jour où l'un de ses amis lui ramenait sa lecture préférée du moment. Kim Seokjin, avait glissé, ce matin, un livre au nombre de pages assez conséquent dans la boîte aux lettres du noiraud. Il avait sûrement fait cela par manque de temps, Seokjin ne ratait pas une occasion pour voir son cadet après tout. Ses études de droit lui prenait énormément, comme depuis deux années maintenant.
Le soleil venait à peine de se lever que notre protagoniste sortit immédiatement de sa demeure pour se précipiter à la bibliothèque de son école. Hoseok n'allait certainement pas venir étant donné qu'ils n'avaient exceptionnellement aucun cours en cette matinée brumeuse mais pour une fois cela l'arrangeait car il savait très bien que son ami avait la fâcheuse habitude de la déconcentrer en permanence.
Cette fois, il voulait passer un moment seul, sans personne pour le distraire, il voulait plonger dans son monde où seule la sérénité régnait. Par automatisme, il salua poliment la bibliothécaire et s'installa à sa place habituelle. C'était sans doute le coin le plus reculé des multiples espaces de travail et c'était bien pour cela qu'il n'y avait personne. Son canapé presqu'attitré faisait face à une grande baie vitrée qui laissait une vue imprenable sur le parc située en face de son lycée. Les multiples plantes disséminées autour de cette partie de la salle rendait l'atmosphère d'autant plus paisible et cela le permit de se sentir comme chez lui. Jungkook adorait cet endroit.
Son livre en main, il ne perdit point une seconde pour l'entamer, sans jamais se soucier du temps qui passait. Puis vint un passage qui le marqua particulièrement.
« Le poids de la mémoire colore le présent. Quand on sort d'une agonie de plusieurs années, on ne peut pas gambader tout de suite. Il faut du temps pour réapprendre à laisser venir le bonheur.
Les séparations sont inévitables au cours de l'existence, elles sont même bénéfiques quand elles préparent à l'autonomie. Mais quand une perte précoce survenue avant l'âge de la parole imprègne dans la mémoire une aptitude à éprouver un sentiment de perte, la moindre séparation ultérieure risque de déclencher une dépression. Un simple éloignement de la personne sécurisante devient douloureux « lorsqu'il survient chez un enfant fragilisé par une séparation ancienne pendant l'enfance ». Une perte symbolique suffit même à réveiller cette trace acquise précocement: un échec à un examen, un rendez-vous raté, une rupture amoureuse. Ceux qui ont été précocement sécurisés ressentent ces pertes comme une souffrance mais, très rapidement, ils cherchent à compenser par un autre projet. A l'opposé, ceux qui ont été isolés précocement, avant l'âge de la parole, ayant acquis une vulnérabilité émotionnelle, éprouvent ces inévitables contretemps comme une perte irrémédiable. » ¹
Le noiraud lisait ce passage en boucle. L'auteur savait décidément bien s'y prendre avec les mots, tant bien que ses pensées se tournèrent instantanément vers ce jeune homme qui a touché son cœur. Il ne put s'empêcher de penser que Taehyung devait faire partie des personnes que cet auteur citait. Perturbé, il reprit sa lecture.
« Dans un premier temps, ils protestent et pleurent. [...] Puis, quand le découragement s'installe, ils ressentent la privation comme un néant où ce n'est plus la peine d'appeler.
Quand une perte précoce survient lors d'une période sensible du développement et que le milieu ne propose aucun substitut affectif, l'enfant se retrouve dans une situation d'isolement sensoriel où rien n'est stimulé, ni son cerveau, si sa mémoire, ni son histoire. Si l'isolement dure trop longtemps, le cerveau s'assèche, la mémoire s'éteint, la personnalité ne peut plus se développer. Dans ces cas, la résilience devient difficile. » ²
Bien que les phrases précédentes décrivaient parfaitement son ami, cet extrait faisait tout le contraire. Taehyung avait sûrement été privé de ce substitut affectif dès sa naissance, en tout cas cela était son hypothèse, mais il semblerait que le brun stimulait volontairement son cerveau dans l'unique but de se persuader qu'une partie de lui tentait de vivre malgré tout. Il faisait appel à toutes ses capacités intellectuelles de manière constante afin de se réconforter lui-même. Et s'il lisait, écrivait ou révisait sans jamais s'arrêter, cela voulait sans doute dire que son mal-être le faisait indéniablement et infiniment souffrir. Aucun mot n'était assez fort pour décrire la profonde peine qu'éprouvait Jungkook.
« Aucune histoire n'est innocente. Raconter, c'est se mettre en danger. Se taire, c'est s'isoler. » ³
Cette lecture, bien que grandement intéressante, était un supplice à l'heure actuelle. S'il ne pleurait pas, cela était seulement parce qu'il était dans un lieu public mais ses émotions n'en furent pas moins touchées. Ce fut bien pour cela qu'il rangea tristement son livre dans son sac, se disant qu'il le lirait quand il sera seul. L'heure de la pause déjeuné arriva alors bien rapidement, le noiraud avait enchaîné plus d'une centaine de pages depuis le début de la matinée, c'était une première pour lui.
Tandis que l'entièreté de ses réflexions se tournaient envers le plus magnifique garçon qu'il connaissait, il ouvrit la porte le menant dans la salle d'étude. Se demandant au passage s'il s'y rendait plus de fois que dans sa chambre, il resserra son sac, nerveux, repensant aux paroles de son père au matin. Ce faisant, il prit place un peu plus sereinement à sa nouvelle place, son voisin le dévisageant étrangement. Ce dernier prit alors la parole, son ton se voulant sévère.
"Qu'est ce que tu fais ?
- Où est passé ta politesse ? Fit Jungkook, d'un rire mauvais.
- Bonjour. Qu'est ce que tu fais ?
- Eh bien je m'assois et je m'installe comme tu peux le voir."
Pour appuyer ses dires, il sortit sa minuscule glacière contenant son repas et le mit devant les yeux de Taehyung. Notre protagoniste s'attendait à une plainte de son ami, il aurait parié qu'il lui aurait répondu "tu m'énerves" comme à son habitude, mais aujourd'hui il n'en fit rien et le scruta simplement en train d'éparpiller ses nombreuses affaires.
Alarmé, Jungkook le regarda d'un peu plus près sans grande discrétion. Le brun était vraisemblablement exténué, ses cernes en témoignaient et ses yeux luttaient pour rester ouverts. Sa table était vide, aucun de ses cahiers n'était sorti de son sac et quand il faisait cela, le plus âgé savait parfaitement que quelque chose n'allait pas. On était lundi, jour préféré de Jungkook et jour tant détesté de Taehyung, il le savait bien mais ce n'était pas comme d'habitude et il s'imaginait aussi qu'il ne recevrait aucune réponse s'il lui demandait ce qui le dérangeait.
Bien qu'inquiet, il sortit alors le premier bento qui lui était destiné, puis en sortit un second, le tendant à son magnifique camarade qui ne réagit point.
"Mon père en a fait un pour toi. Souffla t-il, timide. Il m'a aussi dit que tu pouvais repasser autant de fois que tu voudras.
- Pourquoi ? Je...
- Non. Anticipa t-il. Ne te pose pas de question d'accord ? Mon père t'a préparé ça parce qu'il t'aime bien, un point c'est tout. Mangeons et on arrête de réfléchir Tae."
Surprit par ce surnom inattendu, les joues du dit Tae s'enflammèrent alors qu'il prit le bento qui lui été tendu. Son contenu lui donnait l'eau à la bouche, alors il ne se fit point prier pour profiter de chaque bouchée lorsqu'on lui donna des couverts en plastique. Les yeux brillants, il remercia d'une faible voix Jungkook pour cette douce attention avant de s'engouffrer de nouveau dans un long silence.
Le puîné n'oubliera pas de complimenter les talents culinaires du père de Jungkook un jour, son plat était tout bonnement excellent. Il aurait tant aimé que ses parents lui préparent affectueusement un repas pour le lycée, mais c'était un rêve qu'il pouvait faire disparaître dès maintenant sous peine d'être détruit moralement.
Pourtant, selon lui, il ne devrait pas se plaindre, bien au contraire: il mangeait pas à sa faim certes, mais suffisamment pour rester en bonne santé. Chaque soir, l'un des membres de sa famille lui déposait au pied de sa porte tous les restants du repas. Ses parents avaient la fâcheuse habitude de cuisiner pour six alors qu'ils n'étaient que quatre. Alors, il dégustait chaque repas qui lui était indirectement préparé par il ne sait qui. Pourquoi se plaindrait-il ? Il s'estimait même chanceux et entendre l'opinion des autres ne lui était absolument pas nécessaire, c'est bien pour cela qu'il ne lui répondit que par la positive quand Jungkook lui quémanda s'il mangeait à sa faim chez lui.
"Taehyung ?"
Apparemment trop plongé dans ses songes, il ne remarqua que maintenant la présence oppressante de son vis-à-vis qui lui adressa un regard étrange, inhabituel.
"Qu'est-ce qu'il y a ?
- Je ne sais pas si c'est le bon moment pour te le dire mais... Je t'aime vraiment bien tu sais ?"
Était-ce une blague ? Il semblerait que cela ne soit pas le cas mais alors pourquoi dire cela maintenant ? D'autant plus que ses paroles n'avaient aucun sens. Le brun était abasourdi, une tristesse et une colère sans nom s'empara de lui.
Cependant, Jungkook n'avait jamais été aussi sincère. Lui non plus ne pourrait dire les raisons qui l'avaient poussé à avouer son attachement de manière aussi brusque, mais il en ressentait le besoin. Comme s'il avait peur qu'à chaque instant, Taehyung ne lui échappe entre les doigts. Il souhaitait lui prouver qu'il méritait tout l'amour du monde, qu'il méritait d'être là, devant lui et surtout qu'il méritait de vivre. Cette déclaration était symbolique pour lui.
Jungkook avait connu de multiples aventures plus ou moins intenses auprès de filles ou de garçons et pourtant elles n'étaient en aucun cas semblables à celle qu'il entretenait avec Taehyung. Celle-ci était unique, différente de toutes celles qu'il a connues. Il était lui-même et agissait selon ses propres désirs pour une fois.
Plus important surtout, son cœur n'avait jamais autant battu pour quelqu'un d'autre. Chaque discussion ou interaction avec son magnifique brunet lui faisait ressentir des sentiments nouveaux et il était loin de se douter que tout cela était réciproque.
"Non je ne le savais pas. J'aurai préféré que tu ne me le dises pas."
Après tout, comment pouvait-il s'en douter si Taehyung se montrait aussi distant ?
"Et moi j'aurai préféré que tu ne dises rien finalement. J'espère qu'un jour tu pourras me répondre de la manière la plus authentique qui soit.
- Je pense parfaitement ce que je dis.
- Non Taehyung. Tu sais pourquoi ?"
Pris d'une soudaine assurance, il tourna la chaise sur laquelle se reposait son ami afin de le placer en face de lui. Puis, sans prévenir, il plaça sa main sur la poitrine de Taehyung qui, lui, se crispa instantanément.
"Tu me mens. Ton cœur bat aussi fort que le mien, tu trouves ça normal ? Depuis toujours tu ne fais qu'agir avec ton cerveau qui se persuade que rester seul t'est entièrement bénéfique. Peut-être que tu excelles à être le premier de la classe et que tu auras, grâce à ça, un métier absolument fabuleux, mais es-tu heureux Taehyung ? Non. Pour ça, il faut écouter ton cœur qui te crie que ma présence t'est nécessaire.
- Jungkook, lâche-moi tout de suite.
- Je sais que je ne te connais pas parfaitement. Je sais aussi que je pourrais me tromper. Pourtant... Il laissa glisser sa main au niveau de la hanche de son vis-à-vis. Je suis sûr que je peux t'apporter le soutien auquel tu rêves malgré toi. Laisse moi te le prouver et je suis sûr qu'un jour, tu m'aimeras autant que moi je t'idolâtre."
Le temps de laisser son brun assimiler toutes ces belles paroles, Jungkook se tut enfin et admira simplement son expression perdue. Sa main droite remonta d'elle-même vers le visage de Taehyung avant de caresser sa joue brulante. À ce stade, son muscle cardiaque ne battait pas fort, mais faisait des galipettes tant il aurait aimé rester ainsi le restant de ses jours.
"Bordel Taehyung... Je ne sais pas si c'est normal mais je ferais tout pour toi et je suis désolé si cela te blesse."
🎄🎄🎄
(¹ ² ³: extraits du livre Sauve toi, la vie t'appelle de Boris Cyrulnik qui est au passage une lecture fortement enrichissante)
J'aurai voulu prolonger ce chapitre éternellement
Par contre euh on est déjà à la moitié j'aime pas ça ;-;
Bon je vous dis à demain si j'arrive à terminer le chapitre à temps, cœur sur vous !
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