Préludes au Ragnarök

          Tout était calme à Fólkvangr. L'herbe verte couvrait le sol, où les morts se reposaient à l'ombre des arbres. Sessrúmnir, le palais de Freyja, rayonnait tel un diamant étincelant sous le soleil qui se couchait. La nuit tombait, comme chaque jour. Mais cette nuit serait différente. C'est ainsi qu'en quelques minutes, la prairie se transforma en désert de glace, gelant les morts immédiatement : seuls quelques-uns eurent le temps de courir se réfugier à l'intérieur. Le Fimbulvetr était là. Cet hiver de trois longues années était arrivé. Il annonçait la fin des mondes. La fin de tout. Dans le palais, tous retenaient leur souffle. Même Freyja, déesse de la guerre.

          Ils étaient désespérés, mais tous avaient oublié une chose : la résurrection de Baldr. Le dieu de la bonté, de la lumière et de la beauté, fils d'Óðinn, mort il y a des millénaires, assassiné. Les lourdes portes de bois s'ouvrirent sur Baldr : les morts poussèrent des cris émerveillés en le voyant, se précipitèrent à ses côtés tout en l'acclamant et se prosternèrent devant lui. Il était splendide malgré le temps passé à Helheim, monde où vont les dieux décédés. Ses yeux bleus reflétaient son intelligence et ses cheveux blonds brillaient de mille feux, tout autant que son armure d'étain.

Freyja s'avança vers lui. Les morts lui cédèrent le passage immédiatement, s'écartant à la hâte.

- Nous t'avions oublié, fit la déesse de la guerre en souriant.

- Ma venue n'annonce pourtant rien de bon.

- Mais tu nous seras d'une grande aide.

- Oui, en effet. Quelque part j'avais hâte, même si je sais que je mourrai à nouveau après le combat final.

- Nous avons encore trois ans devant nous. Essayons d'en profiter du mieux que nous le pourrons. Je sais que ce sera difficile, mais il va falloir se serrer les coudes. Nous sommes prêts...

Soudain, Freyja s'interrompit brusquement et tous se figèrent. Un bruit sourd venait de se faire entendre. Qu'était-ce ? La porte de Sessrúmnir, toujours grande ouverte, dévoila l'ombre d'un immense bateau au loin, en proie au vent glacial qui soufflait toujours plus fort. Au fond, ils savaient tous ce que c'était. Ou plutôt qui. Oui, c'était Naglfar. Déjà. Ce bateau vivant et même père, construit années après années, siècles après siècles, millénaires après millénaires, avec les ongles des humains morts de vieillesse ou de maladie. Mais quelque chose clochait : aucune armée ne se trouvait sur son pont, ni mêmes les géants ou Hrym. Seule une silhouette à longue chevelure rousse se détachait à proximité du gouvernail. Personne ne voyait son sourire narquois, mais tout le monde savait que c'était Loki, le dieu dont souhait est de détruire les neuf mondes.

           Les morts commencèrent à s'affoler, agitant leurs armes dans tous les sens. Ils avaient peur mais étaient prêts à se battre, alors que cela les conduirait inexorablement à leur perte. Et ils le savaient. Ils se mirent en position défensive sous l'ordre de Freyja lorsque Loki s'approcha, étrangement seul. Il ne craignait pas le froid car il venait de Niflheim, le monde des jǫtnar de glace.

- Je viens en paix, lança-t-il devant la porte, levant les mains. Te voilà enfin, Baldr. J'espère que tu as apprécié ta mort, je me hâterai de t'en redonner une de plus... originale.

- Je ferai tout pour te retarder. Je dois d'abord anéantir ton plan.

- Pourquoi résister ainsi ? répondit Loki en émettant un rire sarcastique. Les Nornes l'ont prédit. Personne ne peut lutter contre son Destin, pas même les dieux !

- Que viens-tu faire ici ? Tu as encore trois ans à attendre.

- Commencer le travail avant la bataille finale.

Loki ne lui laissa pas le temps de répondre et se jeta sur Freyja, plaçant un couteau sous sa gorge. Les morts pointèrent leurs armes sur lui.

- Si je n'ai pas mon épée Lævateinn d'ici dix minutes, vôtre très chère hôte y passera. Je viendrai alors la chercher moi-même, et ce sera beaucoup plus drôle.

- Mais c'est Sinmora qui l'a ! rétorqua Baldr.

- Ne me prenez pas pour un ignorant. Je sais très bien que l'un d'entre vous l'a volée...

Les morts se mirent à regarder leurs pieds ou leurs confrères ; ils savaient qu'il avait raison, mais s'il obtenait cette arme, tout était perdu car elle lui donnerait la plus grande armée des mondes. Baldr était aussi au courant. Mais il voulait gagner du temps : il était hors de question de lui rendre l'épée qu'il avait forgé pour l'occasion. Il savait qu'il ne pouvait pas le tuer car les Nornes avaient prédit qu'il serait décapité par le gardien Heimdall. Mais peut-être que le faire prisonnier était la solution ?

           Baldr ferma les yeux une seconde puis les rouvrit : ils étaient devenus dorés. Ses pouvoirs n'étaient peut-être pas très puissants, mais ils pouvaient être utiles. Il se mit à briller jusqu'à en être éblouissant. Loki ferma les yeux pour se protéger, mais c'était justement le plan de Baldr. Pendant ces quelques secondes d'inattention, le dieu de la bonté sortit un fil d'acier et ficela Loki, aveuglé par sa lumière. Mais il n'était pas au bout de ses peines : Baldr s'arrêta de briller et vit avec effroi que ce n'était pas Loki. Un autre homme se tenait à sa place : c'était Útgarð-Loki, son cousin et allié, maître des illusions.

- Merci pour l'information, fit-il. Je sais maintenant que Lævateinn est bien ici.


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