- Harper ! Il faut y aller, ça va être l'heure ! me dit Julie en toquant à ma porte de chambre et en tentant d'y pénétrer.

Trop tard, je l'ai fermé à clé sachant ce qu'elle tenterait.

- Je te rejoins Julie. T'inquiète pas, j'ai bien compris ce que tu m'as dit.

Hier soir, j'ai eu la chance et le privilège d'avoir un cours particulier de « bonnes manières » selon Georges par Julie. Je sais qu'elle fait ça pour m'aider et éviter une guerre nucléaire avec son oncle mais j'aurais réellement préféré passer ma soirée à faire autre chose. Même Matthew ne l'a pas fait changer d'avis quand il l'a invité à une autre de ses innombrables soirées. C'est pour dire à quel point, elle prend cela au sérieux.

- Harper... Pourquoi tu as fermé la porte ?

- Je n'ai pas envie de me faire assassiner par ton oncle, je déclare en peaufinant ma tenue.

- Très drôle. Ne sois pas en retard !

- Promis !

- Et n'oublie pas ce que je t'ai dit hier soir.

- Mmmh.

Je ne peux pas promettre. Julie ne sait pas encore. Mais ça va être vite révélé.

Je retouche mes cheveux et m'observe dans le miroir en marbre immense de ma chambre. Parfaite. Georges va adorer. Je souris et déverrouille ma porte.

Amazone, qui passe par là, me regarde les yeux ronds.

- Tout va bien. On se voit tout à l'heure.

- Ou..Ou...Oui Mademoiselle.

- Harper.

- Mais...

- Appelle moi Harper comme tu as eu l'habitude de le faire. Ne changeons pas les bonnes habitudes.

Je lui tape amicalement l'épaule et la quitte pour rejoindre la salle à manger du soir. Oui, il y en a une spéciale pour chaque repas. C'est l'excentricité des américains.

Je toque respectueusement à la porte et Parish vient m'ouvrir. Sa mâchoire se décroche et je lui souris en lui faisant signe de se taire.

- Merci bien.

C'est le moment. Je ne suis pas en retard. Règle 1, respectée. J'ai été poli. Règle 2, respecté. Je m'assois avec prestance à ma place. Règle 3, respectée. Je pose ma serviette sur mes genoux et souris poliment. Règle 4, respectée.

Puis Julie se cache les yeux et baisse la tête. Sa tante me juge du regard la tête penchée sur le côté avec un regard scrutateur. Son oncle, quant à lui, est rouge de colère. Pourquoi ? Ah oui, je crois que je me suis trompée dans l'ordre des règles.

Règle 1, s'habiller correctement selon les critères de la « haute » société. Pas respecté.

Je souris et attend en silence le service.

- Qu'est-ce ? Qu'est-ce que .. Qu'est-ce que cet accoutrement ?

- Oh, vous parlez de ce t-shirt. « Honte à toi ! », hein ! Il est génial, non ? Avec toutes mes excuses, je n'ai malheureusement pas trouvé mes peaux de bêtes. J'ai donc dû me rabattre sur ça. J'ai honte. Moi qui voulait vous raconter avec fierté l'histoire de ces habits avec les différents animaux que j'ai chassé au cours de ma vie.

Je soupire comme avec regret.

- Vous seriez surpris de ce que nous avons ! On a réussi à avoir un mammouth une fois... C'était incroyable, vous ne pouvez pas savoir ! Tuer fait tellement de bien.

Je m'amuse de voir les réactions de chacun bien que je ne pense aucun mot de ce que je suis en train de raconter.

Julie se mord la lèvre et hésite entre rire et pleurer, je crois bien. Sa tante semble essayer de comprendre ce que je dis. Parish sourit quand je le regarde. Et, Georges, le fameux oncle, a les yeux qui lui sortent de la tête. Bon, pas littéralement mais presque.

- Quelles sont les sottises que vous dites là ? rugit-il.

- Oh mince, je ne dois pas avoir l'intelligence qui vous caractérise vous, les personnes "supérieures". C'est ce qu'on dit, non ? Navré d'utiliser un vocabulaire du peuple que vous ne pouvez comprendre. Ce sont sûrement des mots que seule ma tribu peut connaître. Mais je vous avoue qu'on grogne beaucoup pour communiquer entre nous, car c'est bien plus facile !

Quand Pablo me sert, je pousse un grognement et il se force à rester sérieux en se pinçant les lèvres.

- Je disais "merci" !

Je me jette alors sur la nourriture comme une sauvage. Je crois que c'est l'apothéose ! Je lève ma main en l'air et lève mon pouce pour indiquer mon approbation. Pour mieux faire, je rajoute un grognement goguenard.

Julie n'en peut plus et explose de rire. Puis elle fait comme moi. Je ne pensais jamais la voir manger comme cela, aussi salement. Surtout en portant du Chanel. Comment douter de cette amitié après un tel acte ?

- Cela a l'air marrant ! s'exclame joyeusement sa tante en frappant des mains, ne comprenant apparemment pas la situation.

Et l'improbable se produit. Elle nous copie. Je crois que je tombe amoureuse d'elle à ce moment là. Bon, pas littéralement mais presque.

Georges se lève en faisant racler violemment sa chaise sur le sol et jette sa serviette dans son assiette avec haine.

- Je ne tolèrerais pas un tel comportement, ici ! Quelle honte !

- J'espère que vous avez bien mangé MONSIEUR, je déclare en le regardant droit dans les yeux cette fois.

C'est lui qui détourne le regard et qui quitte la pièce en claquant la porte derrière lui.

- Quand même Harp... !

- Je sais Juju, c'est très bon !

Elle ne me parlait pas de ça. Je sais. Mais elle s'en contente et me sourit avant de continuer.

- Tu as bien raison ma petite ! Le changement ne fait pas de mal ! déclare Felicity avec entrain, la bouche salit par la nourriture. Je vous emmène toutes les deux au spa demain pour la journée pour vous détendre et éviter Vous-Savez-Qui !

Julie et moi sautons de joie et la remercions.

Bon, là je l'aime encore plus. Elle ne semble pas tout comprendre mais je m'en fiche. Elle n'a pas un mauvais fond et me sauve d'une journée d'horreur avec le diable.